Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

16/08/2024

SOHELA NAZNEEN
La génération Z est prête à contribuer à la construction d'un nouvel avenir pour le Bangladesh

Sohela Nazneen, IDS, 15/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


L’auteure est chargée de recherche à l’Institut d’études en développement de l’Université du Sussex à Brighton (RU). Bio @SohelaNazneen

 Réparer les dégâts des 15 dernières années au Bangladesh sera un défi, mais sa population étudiante de la génération Z est prête et engagée pour aider à construire un autre type de politique, et d'avenir, pour ce pays de plus de 170 millions d'habitants.


Dhaka, Bangladesh, 4 août 2024 : "Hasina dégage !"
Photo MDSABBIR / Shutterstock

La chute du gouvernement de Sheikh Hasina, le 5 août, a été qualifiée de « seconde indépendance » par les Bangladais. Ancienne icône du mouvement pro-démocratique des années 1980 contre la dictature militaire, Sheikh Hasina est arrivée au pouvoir avec une majorité des deux tiers en 2008. Elle est restée au pouvoir pendant les 15 dernières années grâce à trois élections contestées en 2014, 2018 et 2024.

Sous son règne, le Bangladesh a été qualifié de « miracle du développement ». Le pays a connu une croissance annuelle moyenne du PIB de 6 %, une chute spectaculaire de la pauvreté absolue et a mis en œuvre de grands projets d'infrastructure. Mais son règne a également été entaché par des niveaux élevés de corruption, de népotisme, de concentration du pouvoir entre les mains de l'exécutif et de politisation de l'administration civile, de la police et du système judiciaire.

Des lois draconiennes ont été adoptées pour réprimer la dissidence et les médias. Les groupes de défense des droits humains signalent au moins 600 cas de disparitions et 1 100 cas d'exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité. Au début de cette année, Civicus a classé l'espace civique du Bangladesh comme fermé, son plus mauvais classement.

 Juillet sanglant : les quotas et la génération Z

Mené par des étudiants universitaires, le mouvement de réforme des quotas (qui deviendra plus tard le mouvement anti-discrimination) était initialement pacifique. Les étudiants demandaient la suppression du quota de 30 % dans tous les emplois publics pour les combattants de la liberté (ceux qui ont lutté contre le Pakistan en 1971) et leurs descendants, car ces quotas étaient injustement utilisés au profit des partisans de la Ligue Awami (le parti dirigé par Sheikh Hasina). Leur demande d'une concurrence fondée sur le mérite et l'équité a trouvé un écho auprès de nombreuses personnes, compte tenu du taux de chômage élevé parmi les diplômés et des pressions inflationnistes que subissent les ménages à revenus moyens et faibles.

Dans un premier temps, le gouvernement les a ignorés, puis a tenté de les qualifier de contraires à l'esprit d'indépendance. La désormais célèbre boutade de Sheikh Hasina laissant entendre que les manifestants étaient les descendants des collaborateurs de 1971 (Razakars) a suscité des réactions furieuses. Lorsque les manifestations se sont étendues au-delà des campus universitaires, les étudiants ont été brutalement attaqués et ont essuyé des tirs aveugles de la part de la police, des forces de sécurité et des cadres étudiants de la Ligue Awami.

L'internet a été coupé pendant cinq jours et un couvre-feu a été imposé. La police a arrêté six coordinateurs étudiants et a fait pression sur eux pour qu'ils fassent des déclarations afin d'étouffer les protestations. Entre-temps, les revendications des étudiants avaient évolué vers la justice et l'obligation de rendre des comptes, et ils avaient fait descendre dans la rue leurs parents, les artistes, les enseignants, les avocats et les travailleurs.

Les étudiants avaient réussi à unir une nation sur des questions de lutte contre la discrimination, d'équité et de dignité. Les tentatives du gouvernement de qualifier les meurtres et les attaques contre les manifestants d'actions de groupes « extrémistes » et de « tierces parties » visant à semer le trouble n'ont eu aucun effet. La population a demandé à Sheikh Hasina de démissionner. Dans la crainte d'un bain de sang, l'armée a refusé de recourir à la force pour la maintenir au pouvoir, ce qui a conduit à son départ.

 Les heures les plus sombres

En juillet et août, environ 580 personnes ont été tuées et plus de 10 000 ont été blessées ou mutilées. Il s'agit de la période la plus sanglante depuis la guerre de libération de 1971. Cette période a également été le témoin de la créativité et de l'intelligence politique des étudiants. Le mouvement était doté d'une structure de direction diffuse, ce qui lui a permis de perdurer malgré les arrestations massives.

Les étudiants et leurs alliés ont utilisé efficacement les médias sociaux pour organiser des manifestations et mettre en lumière l'art de la résistance et les stratégies performatives des manifestants. Les veillées aux chandelles, les graffitis, les mèmes et les chansons de rap réalisés à la mémoire des morts et pour contester les excès du régime en sont la preuve. Ils ont déclaré le rouge comme couleur de deuil pour rappeler le sang versé et ont récupéré les symboles et les idéaux de l'indépendance, y compris le célèbre discours du 7 mars de Shiekh Mujibur Rahman, contrant ainsi le schéma binaire (pro-anti-indépendance et anti-indépendance) utilisé par le régime.

Les étudiantes ont participé en grand nombre aux manifestations, les ont menées avec acharnement, ont occupé les rues, ont sauvé leurs camarades masculins des coups et ont fait face à des dangers physiques. Elles ont ainsi repoussé les restrictions patriarcales imposées aux corps féminins et montré que les manifestantes rêvaient d'un Bangladesh différent.

Immédiatement après le départ de Sheikh Hasina, le Bangladesh a connu de nombreux pillages opportunistes, des attaques contre les communautés minoritaires et des représailles contre la police et les dirigeants de la Ligue Awami. Les étudiants et les communautés locales se sont rassemblés pour protéger les quartiers, les minorités et les biens de l'État. La priorité du gouvernement intérimaire est de rétablir l'ordre public. La police a été invitée à se mettre au travail d'ici le 15 août. Dans certains endroits, l'armée protège les postes de police. Le gouvernement a également promis d'enquêter sur les attaques contre les minorités et de poursuivre les responsables. Toutefois, il sera difficile de rétablir la confiance du public dans la police.

 

Les défis à venir : pas seulement les réformes électorales

Le gouvernement intérimaire, dirigé par Mohammed Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix et fondateur de la Grameen Bank, a prêté serment le 8 août 2024. La plupart des conseillers sont des technocrates de carrière, des avocats, des leaders de la société civile et deux des coordinateurs étudiants en font partie. Le gouvernement intérimaire est confronté à des défis monumentaux, même s'il fait preuve de beaucoup de bonne volonté.

La demande de justice et de compensation pour les personnes tuées et d'enquête indépendante sur les exécutions extrajudiciaires et les disparitions est forte. Certains « disparus » sont rentrés chez eux, mais une centaine de personnes sont toujours portées disparues. Les débats font rage sur les types de processus et de procédures nécessaires pour garantir la transparence et la légitimité des processus d'enquête et sur la question de savoir si la police ou le système judiciaire peuvent assumer cette tâche. Certains ont suggéré que le Bangladesh demande l'aide des Nations unies.

Il sera essentiel de stabiliser l'économie au cours des prochains mois. La production dans les services, l'agriculture, l'industrie manufacturière et les envois de fonds des travailleurs émigrés ont chuté en juillet. Les réserves de change du Bangladesh ont chuté. Le secteur bancaire pourrait être confronté à une crise de liquidités. Il sera difficile de prendre des mesures pour réduire les pressions inflationnistes, en particulier le prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité, tout en respectant les conditions du programme de prêts du FMI. Mais il y a des signes d'espoir: la bourse a repris ses activités et les envois de fonds des travailleurs émigrés augmentent. L'une des préoccupations majeures est de savoir si les négociations commerciales avec l'UE, qui sont au point mort, reprendront, car le Bangladesh est sur le point de perdre son accès privilégié en 2029.

 Assainissement : une politique différente

L'assainissement et la réforme des institutions constitueront une tâche essentielle pour le gouvernement intérimaire. Les universités publiques ont connu une vague de démissions de la part de leurs principaux responsables, qui avaient été nommés par la Ligue Awami et n'avaient pas réussi à protéger les étudiants. Le gouverneur de la Banque centrale et des juges de la Cour suprême ont également démissionné. Mais un changement durable exige plus qu'un simple changement de personnel.

Dans la rue, les gens exigent la limitation du nombre de mandats des premiers ministres, la dévolution du pouvoir d'un exécutif centralisé, la représentation proportionnelle et des changements de procédure qui rendraient difficile la remise en cause de l'autonomie de l'administration civile, de la police, du médiateur et de la commission de lutte contre la corruption. Ils souhaitent également l'abolition de toute loi restreignant la liberté d'expression et de la presse. Réparer les dommages causés aux institutions au cours des 15 dernières années est une tâche ardue. La mise en œuvre de ces changements entraînera des décisions impopulaires et des compromis, ce qui exige de la patience de la part du gouvernement et de la population.

S'il est important de se concentrer sur la fixation des institutions et des règles, les réformes durables requièrent la vigilance des citoyens. Ces derniers jours, les étudiants ont tenté de reconstruire et de guérir : ils ont nettoyé les rues, contrôlé la circulation, enlevé les débris des bâtiments endommagés, arrêté les extorqueurs, protégé les lieux de culte des minorités et créé des œuvres d'art sur les bâtiments publics pour commémorer le mouvement. Ils ont montré qu'ils étaient prêts à s'engager et que le Bangladesh pouvait avoir un avenir plein d'espoir.
 
NdT


Quelques chiffres clé

56 % des emplois publics étaient réservés à diverses catégories, dont 30 % aux descendants des combattants de la liberté. La Cour suprême du Bangladesh a réduit ce quota à 7 % (5 % pour les descendants des combattants de la liberté et 2 % pour les autres catégories.

Le nombre de postes vacants dans les administrations publiques au Bangladesh est d’environ 500 000.

La population du Bangladesh est d'environ 170 à 175 millions d'habitants, dont 45 millions de jeunes.

Le nombre de jeunes chômeurs est estimé à environ 41 % de l'ensemble des jeunes. soit environ 18,5 millions. Le nombre d'emplois disponibles n’étant que d'environ 500 000, même si 100 % des emplois sont ouverts, seuls 2 à 2,5 % des jeunes Bangladais pourront trouver un emploi. Mais cela suppose que le gouvernement décide de pourvoir tous les postes vacants. L'expérience passée montre cependant que les gouvernements de l'Inde, du Bangladesh, et probablement du Pakistan aussi, laissent souvent des emplois vacants pour économiser de l'argent ou pour une autre raison.

Il est donc probable que seuls 1 à 2 % des diplômés chômeurs au Bangladesh accèderont à un emploi public.

La « victoire » de la jeunesse bangladaise n'est donc qu'une victoire à la Pyrrhus ou à la Cadmus. La véritable victoire viendrait de la création d'un système politique dans lequel tous les jeunes obtiendraient un emploi, et pas seulement 1 ou 2 % d'entre eux. Mais la création d'un tel système nécessiterait une puissante lutte historique du peuple et une révolution populaire, qui seront longues et ardues et qui exigeront de grands sacrifices.

Source : Justice Markandey Katju, 29/7/2024

 

OMER BARTOV
En tant qu'ancien soldat des FDI et historien du génocide, j'ai été profondément troublé par ma récente visite en Israël

Cet été, des étudiants d'extrême droite ont protesté contre l'une de mes conférences. Leur rhétorique rappelait certains des moments les plus sombres de l'histoire du XXe siècle et recoupait de manière choquante les opinions de la majorité israélienne.

Omer Bartov, The Guardian, 13/8/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 19 juin 2024, je devais donner une conférence à l'université Ben-Gourion du Néguev (BGU) à Be'er Sheva, en Israël. Ma conférence s'inscrivait dans le cadre d'un événement sur les manifestations universitaires mondiales contre Israël, et j'avais prévu d'aborder la guerre à Gaza et, plus largement, la question de savoir si les manifestations étaient des expressions sincères d'indignation ou si elles étaient motivées par l'antisémitisme, comme certains l'ont prétendu. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

15/08/2024

REEM HAMADAQA
Ce que c’est que de vivre sous une tente à Gaza

Le paysage de Gaza est dominé par des tentes qui sont devenues les maisons de centaines de milliers de Palestiniens déplacés. Mais construire une tente et y vivre avec toute sa famille n'est pas facile.

Reem Alaa Hamadaqa , Mondoweis, 14/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Reem A. Hamadaqa, 24 ans, est assistante d’enseignement à l’Université islamique de Gaza et traductrice. Survivante du massacre qui a décimé sa famille, elle a passé 96 jours à l’hôpital des Martyrs d’Al Aqsa, dans le centre de Gaza.  Elle écrit pour et sur la Palestine. Vous pouvez la suivre sur X @reemhamadaqa et instagram reemhamadaqa

Alors que mes yeux parcourent le vaste ciel devant moi, la scène est dominée par les tentes désorganisées que je vois partout où je regarde. Je vois aussi des palmiers, des avions de chasse, des drones, des cerfs-volants, mais il n'y a plus de grandes maisons. Tous les gratte-ciels de la ville de Gaza, à perte de vue, ont été rasés. Ma maison en faisait partie. 

Dans le camp d’Al Zawaida, au centre de la bande de Gaza, 27 juin 2024. Photo Omar Ashtawy APA images

Alors que mes yeux parcourent le vaste ciel devant moi, la scène est dominée par les tentes désorganisées que je vois partout où je regarde. Je vois aussi des palmiers, des avions de chasse, des drones, des cerfs-volants, mais il n'y a plus de grandes maisons. Tous les gratte-ciels de la ville de Gaza, à perte de vue, ont été rasés. Ma maison en faisait partie.

Le génocide a un son. C'est le bourdonnement des drones et le bruit que fait un bâtiment lorsqu'il est réduit en ruines. Au milieu de la destruction causée par les bulldozers et les chars, chacun d'entre nous a été forcé de commencer son propre voyage de déplacement en plusieurs chapitres.

Vivre loin de chez soi à cause d'un déplacement fait mal au cœur. Mais au moins, ma famille et moi avons d'abord été déplacés vers d'autres maisons.

Après que la dernière maison où nous avions trouvé refuge a été bombardée et rasée, nous n'avions nulle part où aller. Comme des centaines de milliers d'autres Gazaouis déplacés qui n'ont pas d'endroit non plus, notre dernier recours a été de construire une « tente ».

Construire une tente

Lorsque vous vous retrouvez sans abri dans les rues de Gaza pendant le génocide actuel, deux choix s'offrent à vous.

L'un d'eux est d'acheter une tente toute faite. En théorie, ces tentes sont censées être distribuées aux personnes déplacées par les groupes d'aide, mais presque toutes les familles vivant sous une tente préfabriquée à qui j'ai posé la question m'ont répondu qu'elles l'avaient achetée. Bien que chaque tente porte le mot « AID » écrit en gros sur le côté, les gens les achètent à des prix allant de 200 à 1 000 dollars, en fonction de leur type, de leur hauteur et de la place qu'elles occupent.

L'autre option consiste à construire sa propre tente. Cela nécessite l'aide d'un certain nombre d'hommes et le coût de l'équipement. Il faut du bois, une toile de tente et des couvertures. Comme presque toutes les familles ont fui sous les tirs sans rien emporter, vous devez acheter chaque élément.

Construire une tente n'est pas beaucoup moins cher que d'en acheter une toute faite. Le prix de chaque tente varie en fonction de la hauteur, de l'espace, des pièces de bois et du type de couverture. Une pièce de bois coûte entre 15 et 25 dollars, mais vous aurez besoin de plusieurs pièces pour monter la tente. Les couvertures et les toiles de tente coûtent entre 70 et 100 dollars. Les prix varient en fonction du moment où vous souhaitez construire votre tente. Par exemple, le coût des fournitures augmente toujours lorsque les gens ont été contraints de fuir vers un nouvel endroit.

La construction d'une tente demande du temps, des efforts et de l'argent. Vous avez également besoin d'un plan pour la construire efficacement. En attendant, comme la construction d'une tente prend des jours, voire des semaines, vous serez probablement contraint de dormir dans la rue.

Si vous parvenez à vous procurer toutes les fournitures nécessaires, la recherche d'un endroit vide risque d'entraver tout l'effort. Dormir dans la rue pourrait être votre seul choix.

Les habitants de Gaza ont été contraints de fuir d'un endroit à l'autre à de multiples reprises. Et ils ont dû passer par toutes les étapes précédentes à de nombreuses reprises. Parce qu'il faut construire une nouvelle tente à chaque fois que l'on fuit.

Votre tente, c'est toute votre maison. Vous devez maintenant faire tenir votre ancienne maison dans un espace de 4 mètres ×4 : la cuisine, les chambres pour chaque membre de la famille, le salon et une petite salle de bain derrière.

Tous les types de tentes sont chauds, quel que soit le matériau. Le sable est le sol et le ciel est le plafond. Vous vous réveillez à l'aube. Lorsque le soleil se lève, la lumière éclaire la tente, la chaleur et le bourdonnement des mouches envahissent votre sommeil. Vous n'avez pas d'autre choix que de quitter la tente brûlante. Vous vous échappez en cherchant de l’ombre.

Les tentes sont construites uniquement pour dormir et pour la nuit. En plein jour, il est insupportable d'être à l'intérieur d'une tente. Il suffit de prendre sa chaise, son oreiller - ou son téléphone s'il est chargé - et de chercher un endroit plus frais.

Pour faire de votre tente votre maison, vous devez acheter chaque outil en partant de zéro. Comme de nombreuses maisons ont été bombardées, il est impossible de trouver des ustensiles, des couvertures, des vêtements et d'autres objets. Et si vous les trouvez, leur prix a décuplé.

Il n'y a même pas une goutte d'eau à la maison. C'est devenu un luxe.

Et lorsque nous parlons d'eau, nous parlons de l'eau pour se laver, se baigner, cuisiner et autres tâches - et non de l'eau potable filtrée. Depuis novembre dernier, trouver de l'eau à boire est une mission impossible.

« Je reconnais que la guerre nous a tous mis à l'épreuve, mais ne pas pouvoir boire de l'eau filtrée me fait mal à la tête », a récemment commenté notre voisine avec désespoir. Mon frère a ajouté : « Trouver à la fois de l'eau à utiliser et de l'eau filtrée à boire est un luxe qui me fait mal au cœur et à la tête ».

Pour trouver de l'eau, il faut marcher des kilomètres pour en obtenir et la rapporter soi-même. Pour remplir un bidon de 15 litres, il faut marcher de longs kilomètres et payer environ un ou deux dollars. Porter ces gallons d'eau au retour est un défi difficile à relever sous la chaleur du soleil.

Si vous avez de la chance et que vous possédez une charrette, vous pouvez utiliser ce moyen de transport pour aller chercher de l'eau dans des endroits plus éloignés. C'est un luxe. Tous les habitants du camp n'ont pas de charrette, alors les gens en empruntent pour collecter autant d'eau que possible sans avoir à la porter eux-mêmes.

Parfois, des camions-citernes viennent remplir leurs bidons. Mais le grand nombre de personnes qui ont besoin d'eau dépasse le très petit nombre de camions qui arrivent. On entend le bruit des camions qui arrivent, puis on voit des gens courir, des hommes, des femmes, des filles, des garçons et des personnes âgées avec leur bidon à la main. Tous se rassemblent, crient, courent, présentent leurs gallons et se font mouiller par l'eau qui coule. Si vous avez de la chance, vos gallons, ou certains d'entre eux, seront remplis, mais la plupart du temps, vous reviendrez impuissant, en essayant de penser à d'autres options possibles que vous n'avez pas.

Passer toute la journée à la recherche des choses essentielles à la vie épuise le corps et l'esprit. Le soir, lorsque le temps s'améliore un peu, vous vous asseyez devant votre tente. Le sable est votre sol et le ciel votre plafond. Vous commencez à compter les étoiles qui brillent, mais lorsque certaines se mettent à bouger rapidement, vous savez que ce ne sont pas des étoiles. Les drones bourdonnent, prêts à tuer davantage de femmes et d'enfants, à mettre fin aux chapitres de la vie de nombreuses personnes, ainsi qu'à ceux de leurs familles et de leurs amis.

J'espère que bientôt, seuls les cerfs-volants rempliront le ciel. Et que les tentes non organisées disparaîtront, et que nos tours d'habitation reviendront remplir le paysage aussi loin que je puisse voir.

14/08/2024

Shawishim, le néologisme génocidaire pour désigner les chaouchs, les Palestiniens utilisés à la place de chiens pour détecter les tunnels à Gaza

Chaque jour qui passe apporte son lot d’horreur. L’armée la plus morale du monde se surpasse dans l’ingéniosité. Quelques trop rares Israéliens ont le courage de dénoncer le crime contre l’humanité commis par les sionihilistes.Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À Gaza, la déshumanisation des Palestiniens par Israël atteint un nouveau sommet

Gideon Levy, Haaretz, 14/8/2024

Les Forces de défense israéliennes ont décidé de réduire les effectifs de l’unité Oketz, l’unité 7142, avant sa dissolution. L’unité canine et ses dresseurs a souffert d’une pénurie ces derniers temps. Un grand nombre de chiens ont été tués dans la bande de Gaza, et il a donc été décidé d’utiliser des moyens moins coûteux et plus efficaces. Il s’avère que la nouvelle unité, à laquelle l’ordinateur de l’IDF n’a pas encore donné de nom, donne les mêmes résultats opérationnels. Il n’est pas nécessaire de dresser les chiens pendant des mois, ni d’utiliser les muselières en fer qui ferment leurs mâchoires effrayantes, et leur nourriture sera également moins chère : au lieu de la coûteuse nourriture pour chiens Bonzo, les restes des rations de combat.

 

Les frais d’inhumation et de commémoration seront également annulés : les chiens Oketz étaient généralement enterrés dans le cadre de cérémonies militaires, avec des soldats en pleurs et des articles à faire pleurer en première page du bulletin d’information des FDI, Yedioth Ahronoth. Les chiens de remplacement n’ont pas besoin d’être enterrés, leurs corps peuvent simplement être jetés. Les cérémonies commémoratives annuelles du 30 août pour les chiens peuvent également être supprimées. Les nouveaux chiens n’auront pas de monument. Les âmes sensibles des soldats qui les manipulent ne seront plus endommagées lorsqu’ils mourront.

Le projet pilote est en cours et il y a déjà eu un mort dans la nouvelle unité. Bientôt, l’armée israélienne exportera les connaissances qu’elle a acquises à d’autres armées dans le monde. En Ukraine, au Soudan, au Yémen et peut-être même au Niger, elles seront heureuses de s’en servir.

Selon la page Wikipédia consacrée à l’Oketz : « L’unité active un matériel de guerre unique, le chien, qui offre des avantages opérationnels uniques qui n’ont pas de substitut humain ou technologique ». Oups, une erreur. Il n’y a peut-être pas de substitut technologique, mais un substitut humain a été trouvé. Le terme « humain » est bien sûr exagéré, mais l’armée israélienne dispose d’un nouveau type de chien, bon marché, obéissant et bien mieux entraîné, dont les vies valent moins.

Les nouveaux chiens de Tsahal sont les habitants de la bande de Gaza. Pas tous bien sûr, seulement ceux que l’éclaireur de l’armée choisit avec soin, parmi 2 millions de candidats ; les auditions ont lieu dans les camps de déplacés. Il n’y a pas de restriction d’âge.

Les chasseurs de têtes de l’armée ont déjà trouvé des enfants et des personnes âgées, et il n’y a aucune restriction à l’activation de la nouvelle main-d’œuvre. Ils les utilisent et les jettent ensuite. Entre-temps, ils n’ont pas été formés aux missions d’attaque et à l’identification olfactive des explosifs, mais l’armée y travaille. Au moins, ils ne mordront pas les enfants palestiniens dans leur sommeil comme les anciens chiens de Baskerville.

Mardi, Haaretz a publié en première page la photo d’un des nouveaux chiens : un jeune habitant de Gaza menotté, vêtu de haillons qui étaient autrefois des uniformes, les yeux couverts d’un chiffon, le regard baissé, des soldats armés à ses côtés. Yaniv Kubovich, le correspondant militaire le plus courageux d’Israël, et Michael Hauser Tov ont révélé que Tsahal utilise des civils palestiniens pour vérifier les tunnels à Gaza. « Nos vies sont plus importantes que les leurs », ont dit les commandants aux soldats, répétant ce qui est une évidence.

Ces nouveaux « chiens » sont envoyés menottés dans les tunnels. Des caméras sont fixées sur leur corps, et l’on peut y entendre le bruit de leur respiration effrayée.

Ils « nettoient » les puits, sont détenus dans des conditions pires que les chiens Oketz et leur activité s’est généralisée, systématisée. Al-Jazeera, boycottée en Israël pour « atteinte à la sécurité », a révélé le phénomène. L’armée l’a nié, comme d’habitude, avec ses mensonges. Deux reporters de Haaretz ont rapporté l’histoire complète mardi, et elle est terrifiante.

Certains soldats ont protesté à la vue des nouveaux « chiens », plusieurs courageux ont même témoigné auprès de Breaking the Silence. Mais la procédure, qui avait été expressément interdite par la Haute Cour de justice, a été adoptée à grande échelle dans l’armée. La prochaine fois que le public protestera contre le fait que Benjamin Netanyahou ignore les décisions de la Haute Cour, nous devrions nous rappeler que l’armée ignore aussi effrontément les décisions de celle-ci.

Le processus de déshumanisation des Palestiniens a atteint un nouveau sommet. Haaretz a rapporté que le haut commandement de l’IDF était au courant de l’existence de la nouvelle unité. Pour l’armée, la vie d’un chien vaut plus que celle d’un Palestinien. Nous disposons à présent de la version officielle.

Enquête du Haaretz sur les “chaouchs” : l’armée israélienne utilise des civils palestiniens pour inspecter des tunnels potentiellement piégés à Gaza

“Nos vies sont plus importantes que les leurs” : des Gazaouis non soupçonnés de terrorisme sont détenus et envoyés comme boucliers humains pour fouiller les tunnels et les maisons avant que les soldats de Tsahal n’y pénètrent, au vu et au su d’officiers supérieurs israéliens, affirment plusieurs sources ; Tsahal prétend que cette pratique est interdite.

Yaniv Kubovich & Michael Hauser Tov, Haaretz ,  13/8/2024

 

Un Gazaoui vêtu d’un uniforme des FDI à côté de soldats israéliens dans une maison à Rafah le mois dernier. La photo a été floutée afin de supprimer les éléments d’identification. Photo David Bachar

Au début, il est difficile de les reconnaître. Ils portent généralement des uniformes de l’armée israélienne, beaucoup d’entre eux ont une vingtaine d’années et ils sont toujours en compagnie de soldats israéliens de différents grades.

Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que la plupart d’entre eux portent des baskets, et non des bottes de l’armée. Leurs mains sont menottées dans le dos et leurs visages sont empreints de peur. Les soldats les appellent tous « shawish », un mot arabe obscur [sic] d’origine turque [çavuş] qui signifie « sergent » [= chaouch en arabe maghrébin et en français, NdT], et par extension, gardien, surveillant, concierge, homme à tout faire.

Des Palestiniens pris au hasard ont été utilisés par les unités de l’armée israélienne dans la bande de Gaza dans un seul but : servir de boucliers humains aux soldats pendant les opérations.

« Nos vies sont plus importantes que les leurs », a-t-on dit aux soldats. L’idée est qu’il vaut mieux que les soldats israéliens restent en vie et que les shawishim soient victimes d’un engin explosif.

Cette description est l’une des nombreuses obtenues par Haaretz, certaines provenant de soldats de combat, d’autres de commandants. L’image qui en ressort : ces derniers mois, les soldats israéliens ont utilisé des boucliers humains de cette manière dans toute la bande de Gaza ; même le bureau du chef d’état-major est au courant.