“Le gaz liquéfié a fait exploser le Kazakhstan”, titre le quotidien Kommersant (depuis deux jours, les sites d’information kazakhs sont inaccessibles, seules les sources russes délivrent des informations pour l’heure). Le jeu de mots du journal russe reflète fidèlement la situation : les protestations massives contre le doublement du prix du gaz carburant pour les voitures (de 12 centimes d’euro à 24 centimes d’euro le litre) dans la nuit du 1er janvier ont déclenché des émeutes dès le lendemain.

Et le bilan est lourd : selon Kommersant, des dizaines de manifestants ont été abattus, 13 policiers tués (deux ont été décapités), un millier de personnes blessées, des bâtiments administratifs ont été saccagés et la mairie d’Almaty a été incendiée.

C’est d’abord dans la ville de Janaozen, dans la région pétrolière de Manguistaou, dans l’ouest du pays, puis à Almaty (trois millions d’habitants), l’ancienne capitale et “capitale [historique] des protestations”, que les manifestations ont dégénéré en un soulèvement violent, note Kommersant. Les villes d’Aktaou, Aktioubé, Chymkent, Taraz, Taldykorgan et Karaganda se sont également embrasées.

La population réclame le vrai départ de Nazarbaev

Le problème du prix du gaz n’a été qu’un déclencheur, les revendications sont politiques”, analyse Kommersant. Parallèlement à la “revendication de justice sociale”, les manifestants ont réclamé “que soit mis un terme à la politique de Noursoultan Nazarbaev”. Officiellement “leader à vie de la nation”, l’ancien chef de l’État de 81 ans est toujours président du Conseil de sécurité, ce qui lui a permis, après avoir quitté la tête du pays en 2019, de “garder d’importants leviers de pouvoir”.

La politique sociale de l’État suscite depuis longtemps le mécontentement”, estime le journal moscovite en ligne Vzgliad. Pour le spécialiste russe de l’espace postsoviétique Stanislav Pritchine, interrogé par le site, “si le Kazakhstan est un modèle de développement réussi, la réussite ne sert qu’à un cercle étroit autour du pouvoir”. La grogne populaire est forte face “aux salaires bas et aux infrastructures sous-développées, bref, le tableau officiel [reluisant] est loin de la réalité”.

Le journal russe Nezavissimaïa Gazeta opine :

Dans le slogan ‘Qarïya, şıq !’ [‘Vieillard, dégage !’] que scandaient les manifestants à Almaty à l’adresse de Nazarbaev retentit toute la fatigue éprouvée par la société à cause de la pauvreté et de l’injustice depuis trente ans [que l’Union soviétique n’existe plus].”

 Almaty, 6 janvier. Photo REUTERS

État d’urgence et couvre-feu

Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a réagi promptement aux événements, détaille Kommersant : “Le prix du gaz a été revu à la baisse, le gouvernement a été limogé et les prix des produits de première nécessité seront régulés pendant six mois.” Par ailleurs, certains responsables d’entreprises énergétiques, soupçonnés d’“entente sur les prix”, ont été arrêtés. Enfin, l’état d’urgence a été décrété du 5 au 19 janvier sur tout le territoire, avec instauration d’un couvre-feu à Almaty, Noursoultan et dans la région de Manguistaou.

Tokaïev s’est par ailleurs déclaré nouveau président du Conseil de sécurité et en a limogé le vice-directeur, Abich Satyb, neveu de Nazarbaev. “Le pouvoir bicéphale au Kazakhstan prend fin”, constate la Nezavissimaïa Gazeta. Tokaïev semble s’émanciper de la tutelle des anciennes élites et de Nazarbaev lui-même, ce qui “jetterait les fondements de son second mandat présidentiel en 2024”.

Saura-t-il se montrer à la hauteur du défi ? Vzgliad informe dans un autre article que, mercredi 5 janvier, face à la montée des violences, Tokaïev a demandé l’aide de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), organisation de défense réunissant six États postsoviétiques (dont le Kazakhstan) sous l’égide de la Russie, pour “faire face à la menace terroriste”.

Guérilla urbaine

En effet, au soir du 5 janvier, à Almaty, les protestataires étaient “armés non plus de pierres et de bâtons, mais d’armes à feu”, et une véritable guérilla urbaine affronte l’armée dans la ville et donne lieu à des attaques contre les citadins, rapporte Vzgliad.

L’OTSC a décidé de dépêcher au Kazakhstan des casques bleus, “pour une durée limitée, jusqu’à ce que la situation se stabilise”, a annoncé mercredi soir le président tournant de l’OTSC, Nikol Pachinian, Premier ministre de l’Arménie, relaie le site Sputnik Armenia. Selon Tokaïev, il s’agit ni plus ni moins d’une “tentative de sabotage de l’intégrité de l’État” par des “bandes terroristes, ayant été entraînées à l’étranger”, et de ce fait, le Kazakhstan fait face à un “acte dagression depuis l’extérieur”, cite le journal moscovite Gazeta.ru.