Sergio Rodríguez Gelfenstein, 27/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Alors que je me préparais à écrire mon article hebdomadaire que j'avais décidé de consacrer à l'analyse de la situation en Ukraine, j'ai reçu un courriel de mon cher ami, Juan Pablo Cárdenas, un journaliste chilien avec une longue carrière, dont je tiens toujours comptes des opinions, afin d'améliorer mon travail.
Juan Pablo m'a rappelé un article que j’avais écrit le 2 septembre 2014 intitulé « L'Europe, jouer avec le feu en Ukraine », qui a été publié par les Éditions de la Radio de l'Université du Chili qu'il dirigeait à l'époque, dans un livre intitulé « Le monde de fous dans lequel je suis né. Un système international en transformation permanente ». Dans le message, Jean-Paul a rappelé le caractère « prophétique et correct » de cette analyse. Je lui ai demandé s'il pensait que je devrais le publier à nouveau et sa réponse a été claire et nette : « Je pense que ce serait très bien ».
Avec le plus grand respect pour les lecteurs, sept ans et demi plus tard, je repropose ces lignes. De manière incroyable - et comme Juan Pablo l'a perçu - l'analyse a toute sa validité, seuls certains noms et faits qui à l'époque étaient récents devraient être modifiés. Mais on l'a laissé inchangé afin que les lecteurs puissent apprécier les événements actuels et percevoir qu'ils répondent à une politique calculée et continue des USA qui, au cours de la période écoulé, ont eu des gouvernements démocrates et républicains.
L'Europe joue avec le feu en Ukraine
Je ne sais pas si quelqu'un l'a remarqué, mais à mon avis, le conflit en Ukraine est le plus dangereux qui se soit développé sur la planète depuis la fin de la guerre froide. Il est vrai que cette période a vu plusieurs invasions de pays africains, des coups d'État en Amérique latine, une profonde crise économique et financière, la désintégration sanglante de la Yougoslavie, un génocide dans le cadre du siège permanent d'Israël contre le peuple palestinien, la menace constante d'une attaque de l'OTAN contre l'Iran et les guerres consécutives aux interventions impériales en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, mais dans aucun de ces cas, une confrontation directe entre deux ou plusieurs puissances nucléaires n'a été ou n'est si proche. Cela peut s'expliquer dans des contextes locaux, régionaux et mondiaux. Passons du particulier au général.
Ce n'est pas un secret qu'il y a eu un coup d'État en Ukraine. Son origine est précisément la nécessité pour l'OTAN de créer une situation de conflit telle que celle qui existe aujourd'hui. Le gouvernement du président déchu Ianoukovitch y faisait obstacle. En ce sens, l'actuel gouvernement ukrainien n'est rien d'autre qu'une création des USA et de l'UErope*.
Tout comme en Syrie et en Irak, où il y a encore deux mois l'État islamique était composé de combattants syriens de la liberté et où ils sont aujourd'hui qualifiés de terroristes, en Ukraine, il ne faut pas oublier que les révoltes qui ont conduit au coup d'État, encouragé par l'Occident, ont été menées par des organisations d'inspiration nazie dont les premières actions ont été d'attaquer des synagogues. Même le grand rabbin d'Ukraine Moshe Reuven Azman a conseillé à sa communauté, en février de cette année, de quitter Kiev et le pays, déclarant qu'il ne voulait pas tenter le sort, car « il y a des menaces constantes d'attaques contre les institutions juives ». Bien sûr, les gouvernements israélien et usaméricain ont gardé un silence honteux.
Ainsi, les conditions ont été créées pour imposer les élections qui ont amené le gouvernement actuel au pouvoir au milieu d'une campagne psychologique brutale. Dans la situation actuelle, leur discours, appuyé par celui des porte-parole de l'OTAN, est si agressif qu'il rappelle la guerre froide. Le président ukrainien Petro Porochenko a affirmé que l'Ukraine était « très proche du point de non-retour ». Selon lui, « le point de non-retour est une guerre à grande échelle ». Jetant de l'huile sur le feu, le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, célèbre pour ses déclarations brutales, a déclaré selon le journaliste allemand Michael Stürmer que l'OTAN était prête à renforcer sa coopération avec l'Ukraine.
Dans le même contexte, le ministre ukrainien de la Défense, Valery Geletey, a indiqué que son pays « est au seuil d'une 'grande guerre' avec la Russie, dont les pertes se mesureront en milliers et dizaines de milliers » de victimes. Ce qui est frappant, c'est l'utilisation du terme « grande guerre », qui était le nom donné par les peuples de l'Union soviétique à la guerre qu'ils ont menée pour expulser l'armée nazie de leur territoire au prix de la vie de 20 millions de citoyens.
Il convient de noter que les arguments avancés par les gouvernements occidentaux et ukrainien pour formuler ces affirmations incendiaires sont fondés sur l'implication directe présumée des forces armées russes dans le conflit. La vérité est que jusqu'à présent, personne n'a été en mesure de présenter une seule preuve de ces affirmations.
Face aux réponses du gouvernement russe à ce sujet, les réponses ont été vagues et superficielles.
On garde en mémoire les armes atomiques jamais trouvées en Irak, les massacres de Kadhafi en Libye qui se sont avérés être un scénario hollywoodien mis en scène au Qatar, et des dizaines de fausses histoires qui marquent l'histoire de la politique étrangère agressive des USA et la tendance habituelle de leurs présidents à déformer la réalité.
À un autre niveau, les tentatives du gouvernement ukrainien d'intensifier le conflit sont motivées par l'urgence de résoudre la situation économique pressante du pays, rendue très difficile par le manque de gaz, qui promet un hiver très rigoureux dans les mois à venir. Aujourd'hui, en plein été, le gouvernement a déjà été contraint de couper l'approvisionnement en eau chaude afin de stocker du gaz en prévision des intempéries du début de l'année prochaine. L'incapacité du gouvernement à négocier et à résoudre le problème de l'approvisionnement en gaz en provenance de la Russie a entraîné une augmentation de la dette qui a paralysé les expéditions en provenance de ce pays. Le Premier ministre démissionnaire, Arseniy Yatsenyuk, a déclaré que sans le gaz russe, le pays ne sera pas en mesure de faire face à l'hiver.
La réponse à ces deux situations a été d'approfondir le conflit et d'impliquer l'Europe dans une tentative de trouver une bouée de sauvetage qui lui permette de se maintenir au pouvoir et de se sauver de la défaite. Cependant, le fait que l'Europe, dont la grande majorité des pays sont gouvernés par la droite, se soit engagée dans une telle voie, en tant que wagon de queue de la politique usaméricaine, la place dans une situation qui commence déjà à présenter des manifestations négatives. Les sanctions à l'encontre de la Russie ont pour origine son soutien à la décision de la Crimée de la rejoindre, mais aujourd'hui l'argument s'est déplacé vers le soutien du gouvernement du président Poutine aux groupes d'autodéfense dans le sud-est de l'Ukraine.
Les contre-mesures russes à ces sanctions commencent à se faire sentir en Europe. Celles-ci s’exercent également dans un contexte sombre. Au deuxième trimestre de cette année, l'économie allemande s'est contractée pour la première fois depuis 2012, la « locomotive européenne » a vu son PIB ralenti de 0,2 %, et l'économie française stagne. Ces deux pays représentent près de la moitié de la production de la zone euro et l'Italie, troisième économie de la région, est en récession.
Dans ce contexte, les experts préviennent que si les sanctions contre la Russie sont maintenues, ou pire, si elles sont renforcées comme le président ukrainien l'a demandé, les affaires et les investissements seront gravement affectés, ainsi qu'une perte de confiance dans l'amélioration de la situation, avec toutes les répercussions que cela implique.
L'Europe doit peser soigneusement les conséquences de ses actions ; l'économie usaméricaine est beaucoup plus imperméable aux contre-mesures russes, notamment dans le domaine de l'énergie. De plus, dans ces conditions, un renforcement du dollar par rapport à l'euro est inévitable. Ainsi, les USA auront utilisé un conflit extracontinental pour renforcer leur monnaie au détriment de ceux qui se considèrent leurs alliés.
Sur la scène mondiale, la Russie doit être perçue comme étant de retour en tant que puissance mondiale, après avoir été soumise à l'humiliation et à la dérision sous Gorbatchev et Eltsine, vénérée par l'Occident et méprisée par son peuple selon les sondages. Dans ces conditions, il n'est pas possible d'appliquer des mesures de force à son encontre. La violation des accords passés avec Eltsine lui-même pour ne pas étendre la « frontière de l'OTAN » vers l'est en échange de l'introduction de réformes du marché à la fin du siècle dernier a été violée par l'alliance militaire elle-même. L'OTAN a récemment annoncé qu'elle allait installer cinq nouvelles bases militaires en Pologne, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Roumanie, qui sont toutes voisines de la Russie. Même la Finlande et la Suède, pays baltiques qui ne sont pas membres de l'alliance atlantique, , ont annoncé qu'ils se joindraient aux mesures militaires antirusses de la coalition.
Dans cette veine, le journal allemand Die Welt déclare : « L'aide militaire à Kiev pourrait conduire à une guerre mondiale » et avertit: « de telles actions sont inadmissibles à l'ère des armes nucléaires ». Bien que le gouvernement russe ait déclaré à maintes reprises qu'il ne mène et ne mènera aucune action militaire en Ukraine, l'Occident, dans un effort insensé, tente de prouver le contraire. Le président Poutine lui-même a déclaré que le conflit ukrainien devait servir à « mettre fin à cette tragédie le plus rapidement possible, de manière pacifique et par le biais de négociations ».
La Russie n'est pas l'Afghanistan, l'Irak, la Libye ou la Syrie. L'UErope devrait y réfléchir, faire ses calculs et se rappeler que les deux guerres mondiales du XXe siècle se sont déroulées dans son espace, qu'il lui a fallu des années pour s'en remettre et que, dans les deux cas, le seul pays victorieux ont été les USA, qui n'ont risqué ni leur territoire, ni leur population, ni leur économie, et je ne crois pas que - dans la crise actuelle - il y ait des ressources pour un nouveau plan Marshall.
NdT
*UErope : néologisme pour distinguer l’Union européenne (28 pays colonies
comprises, 447 millions d’habitants, 4,2 millions km2) du territoire
qui n’en fait pas partie (24 pays, 379 millions d’habitants, 23,1 millions km2)
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