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16/12/2021

HAREL/LEVINSON
Après la mise sur liste noire de NSO, Israël craint que les USA ne ciblent toutes les entreprises israéliennes de cyberespionnage

Amos Harel et Chaim Levinson, Haaretz, 14/12/2021
Traduit par Rosalinda Bignone

L'époque où NSO travaillait en secret avec l'encouragement actif du Premier ministre Netanyahou et de la communauté du renseignement est révolue et ne reviendra jamais.

L'entreprise israélienne NSO Group, près de la ville de Sapir, dans le sud d'Israël, en août. Photo : Sebastian Scheiner / AP

 Comme plusieurs autres choses de l'ère Netanyahou qui ne sont plus, la diplomatie cybernétique de l'ancien premier ministre est aujourd'hui confrontée à une situation désespérée. Au cours des dernières années de son mandat, Netanyahou s'est vanté de la triple réussite de sa politique : le renouvellement de la pression économique sur l'Iran grâce à son ami le président usaméricain Donald Trump ; une percée significative dans les relations avec les pays arabes et musulmans ; et un élargissement du cercle d'amis d'Israël dans le monde, en grande partie grâce au secteur de pointe de la haute technologie israélienne.

Lorsque Netanyahou a bénéficié d'un traitement royal en Extrême-Orient, en Europe de l'Est ou même lors d'un rassemblement de dirigeants d'Afrique de l'Est, il l'a attribué à la puissance technologique et économique d'Israël. Partout dans le monde, des pays voulaient être les meilleurs amis d'Israël parce qu'ils voulaient bénéficier du progrès technologique, affirmait-il. Son public aurait eu l'impression qu'Israël apportait le progrès et le bien-être au monde, tout comme il partageait les techniques d'irrigation avancées avec les pays d'Afrique il y a cinq décennies.

La réalité est moins réjouissante. Dans plus d'un cas, ce que Netanyahou a offert à ses nouveaux amis, dont beaucoup étaient des autocrates qui cherchaient à accroître leur pouvoir aux dépens de leurs citoyens, était une cybertechnologie offensive leur permettant de s'immiscer dans la vie privée des gens et de surveiller et espionner les journalistes et les opposants à leur régime.

Parallèlement au resserrement des relations, des liens ont été tissés entre les services de renseignement israéliens et de hauts responsables de ces pays, jetant les bases de l'achat de Pegasus, le logiciel d'espionnage avancé de la société israélienne NSO. Haaretz a détaillé cette méthode dans un reportage sur les coulisses d'un accord conclu avec l'Arabie saoudite il y a plus de trois ans.

Mais l'époque où cette société d'Herzliya travaillait en secret avec l'encouragement actif du Premier ministre et de la communauté du renseignement est révolue, pour ne plus jamais revenir. NSO est maintenant pris dans d'énormes problèmes, suite à la série de révélations sur ses activités et aux sanctions que l'administration Biden lui a imposées le mois dernier.

Des responsables de la défense pensent que les sanctions pourraient bientôt entraîner la faillite de l'entreprise et l'arrêt de ses activités. L'entreprise dépend d'une innovation constante : Il suffit d'une mise à jour d'un téléphone portable Apple ou Android pour que ses produits tombent en panne. Si elle ne parvient pas à conserver le meilleur personnel au monde, celui qui continuerait à trouver des failles dans les systèmes d'exploitation, elle n'aura plus de produit.

De hauts responsables ont déclaré à Haaretz que la décision des USA avait totalement paralysé les opérations futures de l'entreprise. « Ils ne sont pas en mesure d'acheter un stylo dans un magasin Walmart », ont déclaré des responsables en riant. Si une entreprise usaméricaine veut leur vendre des produits, elle doit obtenir un permis spécial.

Et c'est sans compter le problème des employés qui quittent le navire : il y a de fortes tensions au sein de l'entreprise et de nombreux employés envisagent de partir. En Israël, on craint que les USAméricains ne se contentent pas de donner une fessée à NSO et qu'ils aient en ligne de mire l'ensemble du marché israélien des cybertechnologies - et qu'ils essaient d'éliminer de la concurrence toutes les entreprises qui y opèrent.

On a été surpris ici de la force de la mesure prise par l'administration Biden contre NSO et contre une autre entreprise israélienne de cybertechnologie offensive, Candiru. Les USAméricains ont agi dans un contexte de reportages d'investigation internationaux qui ont révélé l'utilisation par des régimes du monde entier du logiciel espion Pegasus implanté dans les téléphones portables de journalistes, de militants des droits humains et d'opposants au régime.

La colère des USA s'est encore intensifiée lorsque, fin novembre, il a été révélé que le gouvernement ougandais est soupçonné d'avoir utilisé Pegasus pour infiltrer les téléphones des diplomates usaméricains travaillant dans le pays. Les téléphones portables piratés étaient des téléphones locaux. Pegasus n'est pas déployé contre les numéros de téléphone usaméricains.

Au niveau politique et dans l'establishment de la défense, on a encore du mal à évaluer les considérations qui ont guidé l'administration Biden, si ce n'est la colère face aux activités de l'entreprise. Il semble que cela soit également lié aux désaccords entre l'administration Biden et le gouvernement Bennett concernant les négociations sur le programme nucléaire iranien.

L'affaire NSO est présentée comme une preuve de la détérioration des relations avec l'administration, qui se reflète également dans les désaccords sur la construction de colonies et les difficultés de l'administration à faire approuver par le Congrès une aide spéciale d'un milliard de dollars à Israël à la suite de la guerre de mai contre Gaza. Il semble que l'on n'ait pas compris en Israël qu'il y a une nouvelle administration à Washington avec un nouvel agenda et moins de tolérance pour fermer les yeux sur les violations des droits humains.

Dix-neuf entreprises opèrent actuellement en Israël dans le domaine de la cybertechnologie offensive. Il n'est pas clair à ce stade si les USAméricains les ont toutes mises dans leur ligne de mire, dans le but de contrer la concurrence étrangère dans ce domaine, ou s'ils se contenteront de mesures contre les deux sociétés déjà sur la liste des sanctions. NSO est considérée comme un leader dans la recherche de vulnérabilités permettant de pirater les systèmes informatiques et les téléphones portables. L'entreprise emploie des dizaines de chercheurs exceptionnels dans ce domaine.

L'une des craintes soulevées lors des discussions au sein de l'establishment de la défense est que ces chercheurs cherchent un emploi dans des entreprises étrangères et profitent du savoir-faire qu'ils ont acquis pour mettre leurs services à la disposition d'autres clients. Les employés de l'entreprise affirment qu'au cours des dernières semaines, une atmosphère morose a régné et que beaucoup sont déjà à la recherche d'autres emplois. Les employés ont également déclaré que, contrairement à ce qui est habituel dans l'entreprise et dans d'autres entreprises performantes dans ce domaine, les employés ne recevront apparemment pas de primes cette année.

Néanmoins, en Israël, il est reconnu que la surveillance des contrats conclus par la NSO était trop laxiste. Le gouvernement Netanyahu a volontiers fait le commerce de logiciels espions, le Mossad ayant apparemment participé à la médiation initiale des transactions.

L'affirmation de la société selon laquelle elle a limité ses ventes de logiciels espions à la lutte contre la criminalité et le terrorisme est jugée douteuse, car certains des pays qui ont acheté ces logiciels espions sont des gouvernements autocratiques qui considèrent toute opposition au régime ou le travail de journalistes critiques comme criminels ou terroristes, justifiant ainsi l'utilisation de la technologie contre eux.

La dynamique des ventes de l'entreprise au cours de la dernière décennie est étroitement liée aux mesures diplomatiques et de renseignement prises par Netanyahou, qui ont amélioré les relations avec des pays dans diverses parties du monde, et où la technologie de NSO a souvent servi d'atout pour amener Israël à la table des négociations en vue de l'amélioration des liens. Par le passé, Netanyahou a ordonné à l'establishment de la défense de faire avancer les accords de cybertechnologie offensive, et il semble qu'il ait préféré qu'une surveillance trop énergique ne soit pas imposée aux accords ou à leurs parties prenantes.

Des fonctionnaires du secteur qui n'ont aucun lien avec l'entreprise ont déclaré à Haaretz que tous les accords ont été signés au su et avec l'approbation de l'establishment de la défense. Ce sujet est au cœur de l'argument de la société selon lequel Israël devrait la défendre : si Israël a approuvé les accords qui l'ont impliqué dans les affaires avec les USAméricains, il devrait trouver un moyen de résoudre le problème. Sinon, quelle est la signification de l'approbation et de la surveillance par l'Agence de contrôle des exportations de la défense du ministère de la Défense ?

Mais l'establishment de la défense n'était pas toujours au courant des détails, et maintenant il y a aussi des difficultés à déterminer ce qui était exactement inclus dans certaines des transactions, et si les téléphones ont été piratés plus tard en conséquence. Il n'est pas exclu que, dans les mois à venir, des informations supplémentaires soient publiées sur l'utilisation de la technologie israélienne dans le cadre de missions douteuses.

En arrière-plan, une autre menace plane sur NSO : le procès que Facebook a intenté contre elle aux USA, affirmant que WhatsApp, le logiciel de messagerie cryptée de Facebook, avait été piraté. L'affaire devrait déboucher sur la divulgation de documents dans plusieurs mois, ce qui entraînera apparemment une toute nouvelle vague de révélations.

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