22/12/2021

Wall Street recommande un ministre des Finances « expérimenté » pour l'administration Boric au Chili

Francisca Guerrero, Pulso, 20/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les économistes de Citi et Goldman Sachs sont d’accord pour dire que le président élu du Chili devra faire face à une première année très difficile sur le plan économique.

 
Comme au Chili, après les élections de dimanche, l'une des principales inconnues pour les analystes des grandes banques de Wall Street est la désignation du ministre des Finances qui accompagnera le président élu, Gabriel Boric.

Selon Alberto Ramos, économiste pour l'Amérique latine chez Goldman Sachs, il est important que ce nom convainque non seulement le marché, mais aussi les travailleurs, les PME et les acteurs économiques en général.

Pour Fernando Díaz, économiste qui suit le Chili chez Citi, il est également important que ce soit une personne que le président écoute et qui ait son soutien. Il fait cependant valoir que le fait de connaître le nom trois mois avant le changement de cabinet comporte le risque d'une usure précoce.

Alberto Ramos, Goldman Sachs : « Il faudra un très haut niveau de talent politique pour coexister avec trois pouvoirs »


Les défis politiques seront cruciaux pour le président élu Gabriel Boric, selon Alberto Ramos, économiste de Goldman Sachs pour l'Amérique latine. Ceci, tant en raison de la coexistence de l'exécutif avec un corps législatif divisé et la Convention constituante, qu'en raison de la gestion des attentes qui devra être déployée.

Quelle est votre première impression de la victoire de Gabriel Boric ?

Etant donné la marge avec laquelle il a gagné, c'est un mandat très clair et fort. C'est plus de 10 points, donc il a un mandat fort pour gouverner. Il y aura une cohabitation entre un président de centre-gauche, un Congrès divisé et une Convention constitutionnelle qui commence à rédiger une Magna Carta. Il faudra donc un très haut niveau de talent politique pour coexister avec trois pouvoirs qui seront sur la scène pendant un certain temps.

Il me semble que l'incertitude politique ne va pas disparaître complètement. En fait, le principal défi du président élu Boric est d'unifier le pays, étant donné qu'il existe un niveau très élevé de polarisation politique et sociale et qu'il est important de laisser cela derrière soi et d'aller de l'avant.

Le pays est confronté à des défis importants qui nécessiteront des politiques solides pour répondre aux attentes de la population, tout en maintenant un degré important de discipline budgétaire et des incitations à l'investissement pour générer une croissance robuste et socialement inclusive.

C'est là le défi. Les gens veulent un filet de sécurité plus large, ils veulent un progrès économique plus rapide. Il n'est pas facile de le faire du jour au lendemain, mais c'est le grand défi du nouveau gouvernement.

Êtes-vous inquiet de la première réaction du marché à la victoire de Boric ?

-Je ne me fierais pas trop à la première réaction du marché. La suite dépendra beaucoup des prochaines étapes et des déclarations publiques du président élu. Quel genre de politiques il voudra mettre en œuvre, quel genre de ponts il construira pour pacifier et unifier le pays. Le marché va s'orienter davantage sur les premiers pas du président, sur les personnes qu'il choisira pour gouverner et sur la manière dont il gouvernera.

Le pays est divisé, le Congrès est divisé, ce n'est donc pas un défi facile à relever. En fait, même si (José Antonio) Kast avait gagné, il n'allait pas être facile de gouverner. Les gens ont aussi des attentes très élevées, il faut donc leur montrer que les choses ne se font pas du jour au lendemain, qu'il faut prendre son temps et contenir cette anxiété pour pouvoir trouver des solutions.

Quelles caractéristiques le nouveau ministre des Finances devrait-il avoir afin de générer la confiance dans le monde économique ?

-Il est important que, non seulement sur le marché, mais aussi dans le pays en général, les entrepreneurs, les travailleurs, tout le monde [puisse lui faire confiance]. Il est important de chercher quelqu'un qui montre qu'il a le plein contrôle de la situation, qu'il gouvernera avec un haut degré de discipline, parce que les gens dans la vie ne font pas ce qu'ils veulent, ils font ce qu'ils peuvent, et il y a une situation fiscale qui doit être examinée. Le volet fiscal s'est déjà beaucoup détérioré ces dernières années.

Il faut également comprendre que le pays ne se développe pas par décret. Il n'est pas si simple d'améliorer les conditions de vie. Il est clair que l'on peut faire quelque chose, mais avec une dose de réalisme, car il existe des limites très importantes à ce que l'État peut faire. En fin de compte, il s'agit d'un partenariat entre le secteur public et le secteur privé, et s'il n'y a pas de confiance, il n'y a pas d'investissement, pas de croissance, pas d'opportunité, pas d'emploi, pas de salaire ; il est donc important de toujours garder cela à l'esprit.

Il faut donc un ministre des Finances expérimenté qui s'engage à respecter une certaine forme de discipline budgétaire.

Comment l'économie fait-elle face aux attentes concernant le programme de transformation de M. Boric ?

-Les gens veulent du changement, ils veulent plus d'opportunités, plus de revenus, des emplois, de la croissance, de la protection sociale..... La question est de savoir comment le faire de manière responsable. Cela fait partie du contrat social entre les individus et l'État qui les représente.

Si les gens veulent plus de dépenses, il est nécessaire de définir comment elles seront financées. En fin de compte, nous devons comprendre qu'il ne s'agit pas d'une « fourchette ouverte », que si les gens veulent dépenser plus, nous devons voir comment cela va être financé de manière responsable, de manière à ne pas liquider l'incitation à l'investissement et à la croissance, car l'État seul ne pourra pas le faire, il a besoin de l'aide du secteur privé, qui a confiance et investit pour que le pays puisse avancer. Le défi est aussi un jeu d'attentes.

En ce qui concerne la gouvernabilité et la coexistence des pouvoirs que pus avez mentionnées, la proximité de Boric avec la Convention constitutionnelle est-elle utile ?

-Je pense que oui. La tâche est plus facile s'il a un profil idéologique plus proche de la composition moyenne de la Convention. Il y a donc moins de risques d'affrontement entre la présidence et la Convention, qui est un pouvoir constitué et élu.

Il y a des contraintes économiques, financières et fiscales, il y a des contraintes politiques...

C'est une démocratie et c'est pourquoi j'insiste sur le fait qu'il faut un grand talent politique pour naviguer entre ces contraintes et l'anxiété du peuple.

Quels seront les principaux défis économiques du nouveau gouvernement ?

-L'économie est en surchauffe, cela ne fait aucun doute. La Banque centrale a augmenté les taux d'intérêt de manière agressive pour faire face à l'inflation, qui est déjà assez élevée. La croissance va ralentir assez fortement en 2022, par l'expression même de l'ajustement fiscal qui figure déjà dans le budget.

Il est important que l'objectif prioritaire à court terme soit de faire baisser l'inflation, afin que plus tard la Banque centrale puisse passer d'une politique restrictive à une politique plus neutre, mais nous parlons de la fin de 2022 ou 2023.

La gestion budgétaire est importante. Si vous dépensez plus, vous devez voir comment le faire de manière responsable. Le programme du président élu Boric est ambitieux et comprend également une augmentation de la charge fiscale, ainsi que la manière dont la charge fiscale est répartie, et ce sont là des défis importants. Voyons ce qui se passe.

Fernando Díaz, Citi : « Dans son ADN politique, il a déjà montré qu'il veut générer un consensus, donc je pense que Boric aura tendance à la modération »

 

Son passé politique, ainsi qu'un Congrès divisé et une économie en difficulté, conduiront Gabriel Boric à modérer son programme, selon Fernando Díaz, un économiste de Citi qui suit le développement économique du Chili, qui, selon lui, sera confronté à d'importants défis extérieurs et intérieurs au cours de la première année de la nouvelle administration.

Quelle est votre première impression du résultat des élections ?

-Il y avait deux choses intéressantes. Premièrement, la marge était un peu plus élevée que prévu et deuxièmement, le taux de participation était très élevé. Cela dit, une première interprétation pourrait être que Boric a un mandat plus fort. Cependant, il est également vrai qu'il s'agissait d'une élection très polarisée, très difficile à interpréter, pour savoir si tous les votes qu'il a obtenus provenaient de personnes qui le soutiennent explicitement ou s'il s'agissait plutôt d'un vote anti-Kast.

Je pense donc que nous devons nuancer l'idée qu'il aura un mandat beaucoup plus fort que prévu. Nous le saurons mieux avec le temps, lorsque nous commencerons à voir sa cote de popularité et les annonces concernant son équipe. Au Chili, la transition est longue, il se peut donc que ce processus soit progressif, afin de découvrir la force de son mandat.

Comment interprétez-vous la réaction du marché ?

-Si le marché a réagi comme on pouvait s'y attendre, l'ampleur de l'ajustement montre un peu que ce n'était pas un résultat totalement inattendu. La plupart des sondages donnaient Boric gagnant, la différence a peut-être été la surprise, ainsi que le taux de participation plus élevé.

Comment voyez-vous la modération dont fait preuve Boric ?

-Il y a deux choses intéressantes et positives. Au cours du second tour, les deux candidats se sont modérés et ont convergé vers le centre, comme prévu, ce qui montre qu'il est pragmatique, ce qui me semble positif.

Deuxièmement, dans son ADN politique, il a déjà montré qu'il voulait générer un consensus, donc je pense que Boric aura tendance à la modération. Cela est également dû au fait qu'il n'a pas de majorité au Congrès, ce qui va générer, au-delà de sa façon de penser la politique, la nécessité de générer un consensus et, d'autre part, le fait que la situation économique dont il hérite est assez difficile, ce qui l'amènera à continuer à pousser les changements qu'il a proposés pendant la campagne, mais de façon plus graduelle et peu perturbatrice, afin que l'impact économique initial ne soit pas si fort et rende tout plus difficile.

Quelle est la pertinence d'une désignation précoce du ministre des Finances et quelles sont les caractéristiques qu'il devrait avoir pour générer la confiance dans le monde économique ?

-Le fait que vous vous entouriez ou non de personnes expérimentées sera une indication de la réussite de votre gouvernement. Il faut aussi savoir que la courbe d'apprentissage peut être rapide au début.

Ensuite, je pense qu'au-delà de l'objectif clair qu'il a de redistribuer les richesses, il y a moyens et moyens de le faire. Il peut être fait d'une manière techniquement meilleure ou pire.

Le pire seraient des impôts distorsifs, qui, au-delà de la redistribution des richesses, génèrent des désincitations à investir et à produire et, par conséquent, finissent par générer des déficits à moyen terme. L'approche de son ministre sera donc importante.

Il est vrai que, d'une part, le fait d'annoncer son équipe tôt peut réduire l'incertitude, mais, d'autre part, le fait de le faire trois mois à l'avance peut entraîner une usure précoce de ces personnages et être contre-productif de ce côté-là.

En tout cas, les économistes qui ont rejoint sa campagne, entre le premier et le second tour, indépendamment de leurs opinions idéologiques, peuvent être considérés comme des personnes très bien préparées et de bons professionnels.

Après avoir connu les noms de ses ministres, nous devrons voir dans quelle mesure Boric les soutient et les écoute. Parce qu'il pourrait être techniquement bon, mais politiquement faible, et à moyen terme non viable.

Je pense donc qu'il y a trois facteurs clés : l'expérience, la qualité du technicien, parce qu'il y a différentes manières de distribuer les revenus, et s'il s'agit d'une personne appropriée, le soutien qu'il a de Boric, étant donné qu'il s'agit d'une coalition qui est assez large idéologiquement, donc il y aura probablement des tensions au sein de la coalition, une situation dans laquelle il sera important de savoir combien de soutien le ministre a du président élu.

Quels sont les principaux risques auxquels cette administration sera confrontée en termes de politique économique ?

-Il existe des risques externes. Le contexte pour les marchés émergents va être un peu moins favorable que l'année dernière. D'une part, la Chine va croître beaucoup moins qu'elle ne l'a fait et, d'autre part, il y a un problème d'inflation mondiale et la Fed usaméricaine devrait resserrer sa politique monétaire plus et plus rapidement, ce qui pourrait générer moins de flux de capitaux vers les pays émergents.

Il est vrai que toutes les matières premières vont réagir de la même manière et nous nous attendons à ce que le prix du cuivre reste relativement élevé, mais ce sera dans un contexte extérieur un peu moins bon, du moins par rapport à 2021, qui était plutôt idéal.

Sur le plan intérieur, je pense qu'il est clair que la situation dont il hérite n'est pas bonne. Bien que la croissance ait été très forte cette année, cela signifie qu'il y a moins de capacité disponible et que cela rendra la croissance plus difficile à l'avenir.

Il hérite clairement d'une économie en surchauffe, avec une marge de manœuvre budgétaire très réduite et où il est clair qu'un certain assainissement budgétaire est nécessaire à l'avenir. Il ne fait aucun doute que le Chili sera en mesure d'obtenir des financements pour couvrir le déficit budgétaire, mais il ne fait également aucun doute que le déficit budgétaire actuel n'est pas viable et doit donc être ajusté.

Du côté de la politique monétaire, l'inflation est très élevée et la Banque centrale va devoir relever ses taux assez rapidement, ce qui sera également un frein à la croissance. Il y a donc déjà trois facteurs qui font qu'une décélération de la croissance est à prévoir.

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