Antonio Mazzeo, Stampa Libera, 27/12/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Un cadeau indigeste et armé sous le sapin pour les lycéens siciliens : la veille de Noël, l'Office régional des écoles (USR) de Sicile a signé un protocole d'accord de trois ans avec l'armée italienne pour permettre la réalisation d'activités d'alternance école-travail dans certains détachements militaires présents dans l'île.
Il est utile de rapporter les buts et objectifs énoncés dans la préambule du Protocole d'entente pour les étudiants-soldats signé le 20 décembre dernier.
« Le commandement militaire de l'armée de terre accorde une attention particulière au monde scolaire, académique et scientifique afin de diffuser les valeurs éthiques et sociales, l'histoire et les traditions militaires, en mettant l'accent sur le rôle central que la culture de défense a joué et continue de jouer en faveur de la croissance sociale, politique, économique et démocratique du pays », commence le document. « Chaque année, le commandement planifie et réalise un large éventail d'activités de communication institutionnelle expressément dédiées aux étudiants des universités et des écoles de tous niveaux, à travers des expositions, des conférences, des visites auprès d’entités des forces armées et d'autres formes de collaboration dans les domaines sportif, social et éducatif ; il recherche et applique des solutions de communication interactive expressément destinées aux jeunes générations, pour affirmer la connaissance et le rôle de l'Armée de terre au service de la communauté et pour diffuser les opportunités professionnelles et d'études réservées aux jeunes ; il reconnaît la nécessité de mettre en œuvre des formes de collaboration et de partenariat, par le biais de protocoles d'accord avec des institutions et d'autres organismes publics, pour réaliser d'autres initiatives d'intérêt mutuel, associant l'image du Commandement et des Forces armées à des projets prestigieux et de haute valeur institutionnelle en faveur des jeunes... ».
Enfin, l'article 6 du Protocole USR-Armée de terre impose également aux établissements d'enseignement et aux enseignants référents éventuels de respecter le devoir de secret typique des membres des forces armées de l'État. « Les parties s'engagent également à prendre toutes les précautions nécessaires et/ou appropriées afin de respecter l'obligation de confidentialité, la nécessité de la porter à l'attention du personnel qui, de temps à autre, sera impliqué et de veiller à ce qu'elle soit respectée par celui-ci », peut-on lire dans le texte. « Les obligations de confidentialité qui en découlent seront respectées par les parties pendant la durée de trois ans suivant la fin du présent accord : ce qui précède conformément au décret législatif n° 196/2003, tel que modifié par le décret législatif n° 101/2018, tel que modifié. Les droits relatifs à tout matériel, donnée ou document fourni dans le cadre des activités à réaliser restent la propriété exclusive des parties signataires du présent protocole ».
L’Office régional des écoles n'ajoute rien pour expliquer comment les officiers de l'armée développeront et fourniront « une méthodologie d'enseignement qui, à travers des connaissances théoriques approfondies et une expérience pratique, enrichit la préparation des étudiants en activant en eux une plus grande conscience des aptitudes personnelles », comme le prévoit la loi pour les PCTO. Toutefois, un tableau joint à la circulaire envoyée aux directeurs d'école énumère les « propositions » élaborées par le commandement militaire de Palerme, avec une liste des services et des référents que les écoles peuvent contacter pour participer aux parcours d'alternance.
A Catane, au 62ème Régiment d'Infanterie « Sicilia », des PCTO peuvent être mis en place pour les réparations des équipements de télécommunications et des véhicules ; la gestion des entrepôts et des dépôts ; l'entretien des espaces verts ; la gestion du service de cuisine et la distribution des aliments. Il reste à convenir des périodes de l'année et du nombre maximum d'étudiants qui seront « utilisés » comme magasiniers, serveurs et éplucheurs.
Au 46e Régiment de transmissions de Palerme, deux à quatre étudiants à la fois, et au deuxième trimestre seulement, pourront travailler sur le câblage structuré des réseaux locaux et sur la gestion/supervision des services de réseau. Toujours dans la capitale sicilienne, des offres de formation sont disponibles au Centre de documentation de l'armée de terre (relations publiques, d'avril à juin) ; à la Section d'approvisionnement et d'entretien (atelier mécanique ; menuiserie ; forge ; peinture pour un total de 25 étudiants et en février, mai, septembre et novembre) ; au 11e Détachement des infrastructures (conception des travaux de construction ; Assistant de chantier pour les travaux de construction - installations, pour 4-8 étudiants de janvier à juin) ; au CME – Comandement militaire Armée de Terre Sicile (Accueil et accompagnement des visiteurs au Palais et pour les expositions/événements pour 10-12 étudiants « aux dates d'ouverture au public à convenir » ; Gestion de la bibliothèque pour 3-4 étudiants, toute l'année scolaire ; Orientation topographique : Palerme, Catane, Trapani et Messine, pour 12 étudiants en avril et mai seulement).
Des ateliers et des laboratoires seront enfin activés auprès du 6ème Régiment de Bersaglieri de la Brigade Aosta de Trapani « pour un nombre d'étudiants et des périodes d'alternance à convenir ».
« Le protocole d'accord signé par l’URS Sicile et le commandement de l'armée est un acte grave qui légitime la présence d'idées, d'appareils et d'instruments de guerre au sein d'activités obligatoires destinées aux étudiants, aux adolescents, de l'école publique », a commenté Luca Cangemi, enseignant dans un lycée de Catane et responsable national de l'école du Parti communiste italien. « La pénétration des forces armées dans la vie des écoles de tous niveaux, que nous dénonçons depuis des années, se poursuit donc avec un cadre institutionnel renforcé. Cette pénétration est profondément erronée d'un point de vue pédagogique et culturel car elle offre, sans aucune médiation critique, des modèles autoritaires et guerriers de structures militaires à des enfants qui sont en train de former leur personnalité ».
Luca Cangemi rappelle ensuite que ces dernières années, les critiques des enseignants et des éducateurs n'ont pas manqué sur la relation faussée que les cours d'alternance établissent entre le monde de l'école et celui du travail. « Aujourd'hui, cependant, les PCTO sont devenus un canal privilégié pour recruter des soldats et, dans un avenir immédiat, pour fournir de la main-d'œuvre gratuite à l'armée », ajoute Cangemi. « Face à cette nouvelle distorsion du rôle de l'enseignement public, il est impératif de raviver l'engagement de tou·tes contre toute forme de militarisation du système scolaire italien ».
Pour le professeur Nino de Cristofaro, de l'exécutif national du syndicat Cobas Scuola, « avec le passage de l'Alternanza Scuola/Lavoro, fille de la mauvaise réforme de Matteo Renzi, au Percorsi per le Competenze Trasversali, la substance n'a pas changé ». « Les élèves des trois dernières années de l'enseignement secondaire utilisent une partie importante de leur temps scolaire pour participer à des cours de formation autoproclamés, censés leur ouvrir une voie privilégiée vers le monde du travail, mais qui ne leur fournissent pas les outils essentiels pour le connaître et l'aborder correctement, conscients de leurs devoirs mais surtout de leurs droits », ajoute Nino de Cristoforo. « Aucun projet, par exemple, n'a jamais abordé dans ce contexte la question des homicides au travail qui se produisent quotidiennement en Italie, il n'est donc pas surprenant que l'USR Sicile ait signé un protocole d'accord avec le commandement de l'armée de terre qui accorde une attention particulière à la diffusion des valeurs éthiques et sociales, de l'histoire et des traditions militaires ».
« Il nous semble qu'il s'agit d'un projet qui ne tient pas compte de la répudiation constitutionnelle de la guerre et qui contribue à cette inversion des termes qui caractérise une partie de cette phase historique, comme lorsque, par exemple, Les interventions militaires auxquelles notre pays a directement participé ont été hypocritement appelées missions de paix », conclut le représentant du Cobas. « Les étudiants n'ont pas besoin de connaître la beauté de la vie militaire. Ils ont au contraire besoin d'outils, tout d'abord, pour les aider à comprendre le présent et ses contradictions, afin de mettre en œuvre des politiques de paix et d'intégration. Et l'armée, de par sa nature même, ne peut pas contribuer dans cette direction ».
Malheureusement, ce n'est pas la première fois que l’Office régional des école de Sicile abdique les fonctions de promotion et de coordination des projets visant à l'éducation culturelle et démocratique des élèves dans le respect des valeurs de la défense de la paix, contre toutes les guerres. Le 11 avril 2019, l'USR et le Commandement militaire de l'armée de terre avaient signé un protocole d'accord (au contenu similaire à celui d'aujourd'hui), pour permettre à une centaine d'étudiants de l'île d'expérimenter pendant quelques semaines une activité de travail non rémunérée dans certaines des casernes de la Brigade mécanisée Aosta.
Au moment même où le nouveau protocole entre le Commandement militaire et l’USR était en cours d'élaboration à Palerme, le gouvernement Draghi à Rome décrétait un nouvel acte de militarisation du système scolaire et éducatif et l'affaiblissement de la santé publique au profit des hôpitaux militaires. Dans le nouveau décret anti-Covid adopté à la veille de Noël, l'article 13 relatif aux dispositions urgentes pour prévenir la contagion du SRAS-CoV-2 dans les écoles prévoit qu' « afin d'assurer l'identification et le suivi des cas positifs dans les écoles de tous les niveaux pour l'année scolaire 2021-2022 », le ministère de la Défense « assure son soutien » dans la réalisation des tests de détection du coronavirus et « des activités d'analyse et de rapport connexes à travers les laboratoires militaires du réseau de diagnostic moléculaire situés sur tout le territoire national ».
Le soutien des forces armées est tout sauf gratuit : pour le dépistage massif des élèves, une dépense totale de 9 millions d’euros a été autorisée pour l'année 2021, à laquelle s'ajoutent 14,5 millions d’euros pour 2022 pour le paiement des heures supplémentaires et des frais de mission des personnels médicaux et paramédicaux militaires employés. Par ailleurs, 200 000 € ont été alloués pour des missions à durée déterminée de six mois à des spécialistes des laboratoires du ministère de la Défense et 185 111 € pour le paiement d'heures supplémentaires aux médecins militaires en 2022.
L'urgence Covid-19 est une fois de plus utilisée par la classe politique au pouvoir pour imposer et légitimer le rôle des forces armées dans toutes les sphères sociales du pays. Et rien, malheureusement, en termes de libertés individuelles et de conformité aux normes démocratiques, ne sera plus jamais comme avant.
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