10/07/2024

PUBLISHERS FOR PALESTINE
La Foire du livre de Francfort et les éditeurs multinationaux d’origine allemande sont complices du génocide de Gaza


Les multinationales de l’édition de propriété allemande sont impliquées dans le génocide perpétré par Israël contre 2,3 millions de Palestiniens à Gaza.

Publishers for Palestine, Mondoweiss, 8/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 


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Depuis la vague de condamnation déclenchée en octobre dernier par l’annulation[*] d’une cérémonie de remise de prix à l’écrivaine palestinienne Adania Shibli [lire ici], qui devait recevoir le prix LiBeratur à la Foire du livre de Francfort, la tentative de réduire au silence les Palestiniens et le soutien à la cause palestinienne par des institutions culturelles occidentales n’a fait que s’amplifier. Dans le même temps, l’examen de la complicité des institutions avec l’apartheid et le génocide israéliens s’est également intensifié à grande échelle. Le mouvement BDS a remporté des victoires significatives, notamment le désinvestissement d’universités et d’entreprises, et le Festival de Hay-on-Wye 2024 et le Festival international du livre d’Édimbourg ont récemment annoncé qu’ils mettaient fin à leurs partenariats avec la société d’investissement Baillie Gifford, complice de la destruction du climat et de l’apartheid et du génocide israéliens, La rupture par BG de ses relations de financement avec tous les festivals littéraires britanniques et le retrait de sa participation dans la multinationale minière Rio Tinto, ainsi que la réduction de moitié de la participation de la Banque Scotia, principal sponsor artistique canadien, dans le fabricant d’armes israélien Elbit Systems, sont autant d’indices d’un changement et d’un fossé important entre les grandes entreprises et les institutions culturelles, d’une part, et leurs travailleurs, leurs publics et le grand public, d’autre part.

Les principales organisations internationales de défense des droits humains continuent de tirer la sonnette d’alarme concernant les violations horribles et croissantes des droits de l’homme commises par Israël à l’encontre de millions de Palestiniens. Nombre d’entre elles ont été décrites dans la plainte déposée en décembre par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice contre Israël pour crime de génocide. Malgré l’arrêt rendu en janvier par cette Cour, selon lequel Israël commettait vraisemblablement un génocide, ses décisions ultérieures selon lesquelles Israël devait autoriser l’acheminement de l’aide humanitaire et mettre fin aux opérations militaires à Rafah, et le dépôt par la Cour pénale internationale de demandes de mandats d’arrêt à l’encontre de hauts responsables israéliens, ainsi que les soulèvements massifs d’étudiants et de travailleurs en faveur de la libération des Palestiniens et de la fin de la complicité avec Israël dans le monde entier, la campagne génocidaire menée par Israël contre le peuple palestinien à Gaza se poursuit essentiellement sans contrôle de la part de ses principaux soutiens, à savoir les USA et d’autres puissances coloniales occidentales.

Les écrivains et les éditeurs sont particulièrement concernés par le fait que la Foire du livre de Francfort (FBM), le plus grand événement mondial de l’industrie du livre, a toujours accueilli chaleureusement la présence de l’Israël de l’apartheid. On pourrait penser que, face aux actions d’Israël et à l’indignation internationale croissante, des institutions culturelles comme la FBM retireraient leur soutien, condamneraient Israël pour ses violations et rompraient leurs relations. Toutefois, la position initiale de la Foire du livre de Francfort, qui a soutenu fermement Israël tout au long de sa tenue en octobre dernier - position qui s’est traduite par des déclarations au nom de la Foire et de son directeur général, Jurgen Boos, et par des projets visant à rendre les voix israéliennes « particulièrement visibles » grâce à l’ajout d’une programmation spéciale, y compris un panel intitulé « In Sorge um Israel » [En souci d'Israël] - n’a pas changé à ce jour, et la FBM a gardé un silence assourdissant sur le génocide en cours dans les mois qui ont suivi. 


 Un tel soutien vocal et tacite contraste fortement avec les interdictions nationales édictées par la FBM, dont l’interdiction permanente imposée à la Russie depuis 2022, invoquant la “violation du droit international” à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une lettre d’information de la FBM distribuée le 24 avril contient un article intitulé « Marché du livre Ukraine : Bibliothèques en ruine et nouvelles librairies », où l’on peut lire : « Il y a une question que l’on pose régulièrement aux éditeurs lors d’événements internationaux et de conversations privées : comment faites-vous pour continuer à travailler pendant la guerre ? » Pourtant, FBM ne fait aucune mention de Gaza, où les écrivains, les universitaires, les éditeurs, les bibliothèques, les universités et les imprimeurs ont été pris pour cible bien avant le 7 octobre et ont été brutalement ciblés pour être éliminés au cours des nombreux mois qui se sont écoulés depuis. Cette destruction du savoir a été largement documentée, notamment dans un rapport détaillé rédigé par Librarians and Archivists with Palestine (Bibliothécaires et archivistes avec la Palestine). Depuis, les Nations unies ont fait état d’un “scolasticide” à Gaza. Toutes les universités de Gaza ont été détruites. Le fait que la FBM n’ait pas encore annoncé une interdiction d’Israël similaire à celle imposée à la Russie, ni exprimé ne serait-ce qu’un soupçon d’inquiétude quant à la violation des lois internationales par Israël, met en évidence une incongruité déjà existante.

Cependant, la complicité de la Foire du livre de Francfort va au-delà de son message public et ne peut être comprise qu’à travers ses relations étroites avec le gouvernement allemand et deux empires allemands de l’édition, devenus des multinationales multimilliardaires : Holtzbrinck Publishing Group et Bertelsmann SE & Co. KGaA.

Il faut d’abord souligner l’importance de la sphère culturelle israélienne - y compris le monde de l’édition et de la littérature - dans le maintien de l’apartheid israélien. Le fait que l’État israélien s’appuie fortement et collabore étroitement avec son secteur culturel complice afin de blanchir son image a été rendu public lorsque Nissim Ben-Sheetrit, ancien directeur général adjoint de “Brand Israel”, a ouvertement admis ne pas faire de différence “entre la hasbara [propagande] et la culture”. Le nouveau livre de Maya Wind, Towers of Ivory and Steel : How Israeli Universities Deny Palestinian Freedom (Tours d’ivoire et d’acier : comment les universités israéliennes nient la liberté des Palestiniens), détaille le rôle des universités, en particulier leur rôle dans cette indifférenciation, cette collaboration et cette complicité. Selon Naomi Klein, les recherches de Maya Wind « révèlent d’innombrables façons dont les établissements d’enseignement les plus célèbres et les plus réputés du pays sont totalement imbriqués dans la violente machine de dépossession, d’occupation, d’incarcération, de surveillance, de siège et de bombardement militaire des Palestiniens ».

Cette intégration des arts et de la culture dans les objectifs de l’État israélien est depuis longtemps contestée par la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI), membre fondateur du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens. Lancée il y a vingt ans, PACBI a appelé le reste du monde à cesser toute collaboration avec les institutions culturelles et universitaires israéliennes complices. Pour être exemptée de l’appel au boycott du PACBI, une institution doit faire deux choses : prendre ses distances avec le génocide israélien et le régime d’apartheid colonial sous-jacent, et approuver les pleins droits du peuple palestinien en vertu du droit international, y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens.

La plus grande foire du livre au monde et le climat de censure en Allemagne

Le programme de la Foire du livre de Francfort 2024 sera rendu public ce mois-ci [pays hôte : l’Italie]. Dans l’attente de sa publication, la censure et l’inquiétude internationales n’ont cessé de croître face à la limitation des droits civils par le gouvernement allemand, qui utilise des tactiques répressives pour faire taire la solidarité avec la Palestine. Au cours des derniers mois, ces tactiques ont notamment consisté à faire irruption dans le Congrès palestinien à Berlin et à le fermer violemment, ainsi qu’à interdire l’entrée en Allemagne et la participation au Congrès (en personne et en ligne) du chirurgien palestino-britannique et recteur de l’université de Glasgow, le Dr Ghassan Abu-Sittah. Lorsqu’il a tenté d’entrer en France en mai pour parler au Parlement français de son expérience à Gaza, M. Abu-Sittah a également découvert que l’Allemagne était allée jusqu’à mettre en œuvre une interdiction de voyager d’un an dans toute l’Europe à son encontre.

Plus récemment, l’Allemagne a adopté une loi exigeant que les candidats à la citoyenneté affirment le “droit d’exister” d’Israël, un régime d’apartheid vieux de 76 ans contre le peuple palestinien, au lieu de respecter ses obligations de mettre fin à sa complicité avec ce régime.

Derrière cette pratique étatique de censure extrême se cache l’énorme soutien militaire et diplomatique de l’Allemagne à Israël. L’Allemagne fournit près de la moitié des armes livrées actuellement à Israël (en deuxième position après les USA) et est son principal partenaire commercial en Europe et son quatrième partenaire d’exportation dans la région.

L’industrie allemande de l’édition est l’une des plus importantes au monde, représentant 11,4 milliards de dollars en 2022 ; les ventes de livres en Allemagne sont énormes, derrière les USA et la Chine. L’exploitation de l’édition par le gouvernement nazi pour sa propagande constitue un sombre précédent historique. Mais aujourd’hui, on peut difficilement parler d’une relation sans lien de dépendance. Dans un exemple récent, la Commission des monopoles a fait pression pour la suppression de la politique de prix fixe sur les livres conçue pour protéger les livres en tant qu’objets culturels, qualifiant la loi de « nuisance réglementaire de premier ordre » ; une telle suppression poserait de sérieux problèmes aux petits éditeurs et libraires et réduirait inévitablement la présence de voix progressistes dans l’atmosphère culturelle déjà très surveillée de l’Allemagne. Mais les objectifs de la Commission en matière d’économie de marché sont clairs : « l’intérêt culturel et politique des législateurs nationaux pour les livres doit être mis en balance avec l’intérêt d’une concurrence non faussée ».

Unique par sa structure et son ampleur, la Foire du livre de Francfort accueille chaque année 9 000 exposants, et sa programmation très complète s’adresse à la fois au public et à l’industrie. La FBM est une filiale du Börsenverein des deutschen Buchhandels, l’association allemande qui supervise tous les niveaux du commerce du livre, y compris l’édition, la fabrication, le commerce de gros intermédiaire et la distribution, et qui s’occupe également du lobbying politique. La FBM entretient des relations avec le gouvernement local, régional et fédéral et est profondément imbriquée avec l’État allemand. Le financement provient du gouvernement allemand, dont le ministère fédéral des affaires étrangères, ainsi que des contrats et des inscriptions des exposants et des participants du monde entier.

La foire se tient chaque année au mois d’octobre à la Messe Frankfurt, un énorme centre d’exposition et de conférence situé dans le centre de la ville. Le centre d’exposition, ainsi que d’autres installations matérielles, des installations de télécommunications et un réseau international de salles de conférence annexes, sont détenus et gérés par la société Messe Frankfurt Gmbh. La ville de Francfort détient une participation de 60 % et le Land de Hesse une participation de 40 % dans Messe Frankfurt. En mars 2023, lorsque la ville de Francfort a annulé un concert de Roger Waters en raison de son soutien à la Palestine, la ville a été citée dans la décision « en tant qu’actionnaire de Messe Frankfurt Gmbh ».

Grande multinationale, Messe Frankfurt a une filiale israélienne et des contrats de convention dans le monde entier, dont Intersec, un « salon de la sécurité intérieure, des services d’urgence, de la police et de la cyber- exposition » qui a présenté des drones israéliens, de la surveillance et de la technologie militaire. L’édition 2025 d’Intersec devrait inclure un atelier sur les contre-drones avec un ancien contractant de Tsahal et une société israélienne de surveillance numérique. Comme l’explique Antony Loewenstein dans The Palestine Laboratory, les industries israéliennes de technologie et de surveillance sont développées et utilisées de manière agressive contre la vie des Palestiniens, formant ainsi des terrains d’essai pour des projets d’expansion militaire brutale ailleurs. La Foire de Francfort a également accueilli le Congrès allemand d’Israël, lancé en 2010 et décrit comme « le plus grand événement pro-israélien d’Europe ». Son objectif, comme l’indique le rapport 2018 de la Foire de Francfort, est de « renforcer les relations bilatérales entre Israël et l’Allemagne à tous les niveaux ».

Bien que la participation des éditeurs israéliens à la Foire du livre de Francfort semble avoir diminué ces dernières années, en 2004, vingt - quatre éditeurs sont apparus dans le pavillon national israélien sous la coordination du ministère des affaires étrangères et de l’Institut israélien d’exportation et de coopération internationale, à côté d’une exposition spéciale conçue pour célébrer les 40 ans de relations diplomatiques germano-israéliennes. Parmi les “éditeurs” figuraient des think tanks israéliens, ainsi que le ministère israélien de la défense. En 2018, la maison d’édition Lavi P. Enterprises Ltd. Publishing House a été accueillie, dont le fondateur Pierre H. Lavi (né à Téhéran en 1963) est un ancien officier de renseignement de Tsahal.

Une photo postée par Deborah Feldman, l’auteure de “Unorthodox” - un livre adapté en une série populaire de Netix sortie en 2020 -a suscité beaucoup d’attention en ligne. La photo montrait une section de la librairie PowerHouse de Brooklyn consacrée à Israël et à la Palestine. Commentaire de Feldman accompagnant la photo, : « Cette section pourrait faire fermer une librairie en Allemagne »

Investissements massifs des multinationales allemandes de l’édition dans la technologie israélienne

Dans le monde de l’édition, au-delà de la Foire du livre de Francfort, deux des “cinq grandes” maisons d’édition, Macmillan Publishers et Penguin Random House, appartiennent respectivement aux multinationales allemandes Holtzbrinck Publishing Group et Bertelsmann SE & Co. KGaA, mentionnées ci-dessus.

Holtzbrinck , propriétaire de Macmillan et de nombreuses maisons d’édition dans le monde, dont Scientific American, Springer et l’hebdomadaire national allemand Die Zeit, possède 3,81 milliards de dollars d’actifs dans le monde, a déclaré 4,14 milliards de dollars de ventes en 2022, possède 400 entreprises dans le monde et détient au moins neuf grands portefeuilles d’investissement qui comprennent plusieurs millions d’investissements dans les technologies israéliennes, l’IA, la surveillance et les technologies de sécurité, y compris les récentes acquisitions d’entreprises par l’intermédiaire de b2venture et d’Insight Partners.


Georg von Holtzbrinck (1909-1983), carte de membre du NSDAP n°
 2.126.353, délivrée le 1er mai 1933

Holtzbrinck accueille le petit-déjeuner du Forum international du livre de Jérusalem de la Foire du livre de Francfort, un événement annuel de longue date à la FBM, et est le principal sponsor du programme de bourses Birger du JIBF avec la ville de Jérusalem depuis 1985, date à laquelle il a contribué à la mise en place du programme. Holtzbrinck est un donateur du Musée sur la Ligne, « un musée israélien situé sur la division est - ouest de Jérusalem » qui revendique le statut de « premier musée socio- politique en Israël pour l’art contemporain, promouvant l’égalité, les droits de l’homme et la diversité »[**]. La Foire internationale du livre de Jérusalem, un événement autrefois public et désormais centré sur l’industrie, a annulé son édition 2024, annonçant qu’elle reviendrait en 2025, avec une référence oblique à « la situation actuelle en Israël et dans la région ».

Le soutien de Holtzbrinck aux startups israéliennes va au-delà de l’aspect financier et s’étend à la portée de leurs publications. Un portefeuille d’investissement s’enorgueillit : « En plus des ressources financières, nous soutenons les entreprises de notre portefeuille avec une expertise en gestion et un réseau international d’investisseurs », et poursuit en décrivant un « programme exclusif de prise de participation dans les médias [qui] offre un accès à des marques fortes telles que Handelsblatt [journal économique], Wirtschaftswoche [hebdomadaire économique], Die Zeit, et Apotheken Umschau [magazine de santé populaire], et donc une portée énorme dans les groupes cibles respectifs ».

Bertelsmann, l’un des plus grands conglomérats de médias au monde, qui a déclaré un bénéfice record de 32,8 milliards d’euros en 2022, possède Penguin Random House et des sociétés faîtières qui comprennent le conglomérat international de médias RTL Group, le label musical et l’éditeur BMG, le groupe informatique et financier Arvato, ainsi qu’un certain nombre de sous-groupes Bertelsmann dans les domaines de l’éducation, de l’imprimerie et de la radiodiffusion. Dans ce qui semble être une atmosphère de lois antitrust laxistes, le modèle d’édition de Bertelsmann a longtemps englobé tous les niveaux du marché du livre, avec des participations non seulement dans l’édition, mais aussi dans la distribution, la librairie et l’imprimerie en Allemagne. En 2000, l’ancien PDG de Bertelsmann, Thomas Middlehoff, a été cité dans le New York Times pour souligner l’importance de l’entreprise pour la Foire du livre de Francfort : « Vous savez, a-t-il déclaré, c’est vraiment ma foire... C’est la foire du livre de Bertelsmann ».

Comme pour Holtzbrinck, l’expansion mondiale de Bertelsmann s’étend bien au-delà de ses origines éditoriales, avec des portefeuilles d’investissement dans le monde entier, comprenant de la même manière des investissements considérables dans les technologies israéliennes, l’IA, la surveillance et les technologies de sécurité par millions.

Bertelsmann est responsable d’un « échange de jeunes leaders germano- israéliens ». Dans la couverture d’une soirée de présentation en 2019, le site web de Bertelsmann explique comment « les fondateurs israéliens pourraient tirer parti des capacités de l’Allemagne en matière d’intelligence des processus et de planification », et souligne comment les relations germano-israéliennes en bénéficieraient. Un autre rapport de Bertelsmann examine l’aptitude de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie à collaborer avec Israël dans les domaines de la cybersécurité et du renseignement : « Dans le cas spécifique de la Rhénanie-du-Nord- Westphalie, les synergies possibles avec le marché israélien découlent du degré élevé de complémentarité entre les deux écosystèmes ».

Un autre rapport Bertelsmann intitulé “German and Israeli Innovation : The Best of Two Worlds” traite du soutien et de la collaboration entre les forces de défense israéliennes et les services de renseignement israéliens. Il souligne l’importance de Tsahal pour le secteur de la haute technologie et l’utilité du service militaire obligatoire pour le secteur par le biais de « programmes d’élite qui produisent des entrepreneurs qui restent en contact grâce à des programmes d’anciens élèves », relie les communautés universitaires et scientifiques à ces projets et souligne en outre l’importance de la collecte et du décryptage des données du Corps des renseignements israéliens pour les « entreprises axées sur les données ou les cyberentreprises qui jouissent d’une excellente réputation sur le marché ».

Le document évoque également les bureaux de transfert de technologie, qui ont été créés dans le but explicite de commercialiser les connaissances générées par les universités publiques, et décrit la structure de profit d’Israël, qui intègre « les forces armées, les universités en collaboration avec les bureaux de transfert de technologie, les autorités gouvernementales, les succursales multinationales et les laboratoires de R&D, les fonds de capital-risque, les incubateurs et les accélérateurs », en tant qu’“écosystème d’innovation” souhaitable.

Une déclaration sur le site web de Bertelsmann datant du 23 octobre 2023 et soulignant la base économique des relations de l’entreprise avec Israël reste affichée à ce jour :

« Nous nous tenons indéfectiblement aux côtés de nos amis et partenaires israéliens ainsi que de l’État d’Israël. Au fil des décennies, Bertelsmann et Israël ont développé des liens d’amitié étroits et extrêmement stables. Cette amitié s’étend de l’engagement de la famille Mohn, actionnaire, aux projets de la Fondation Bertelsmann, en passant par les activités et les investissements de Bertelsmann en Israël. Notre solidarité sans réserve va au peuple d’Israël ».

Hier profiteurs du nazisme, aujourd’hui complices d’Israël

Les racines historiques de Holtzbrinck et de Bertelsmann méritent également l’attention. Malgré les efforts déployés précédemment pour minimiser leurs liens avec l’Allemagne nazie, les deux sociétés ont été révélées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 comme ayant explicitement bâti leurs empires éditoriaux grâce à la collaboration et à l’opportunisme vis-à-vis de l’État nazi. Selon des articles parus dans Vanity Fair, Irish Times et Radio Free Europe, l’empire d’édition Holtzbrinck - qui englobait alors Macmillan et de nombreuses maisons d’édition, dont St. Martins, Picador et Fischer Verlag, Die Zeit, et qui diffusait de nombreux auteurs parmi les plus connus de langue anglaise - était « construit sur le nazisme ». À l’époque où ces articles ont été publiés, Bertelsmann venait de prendre le contrôle de Random House, qui comprenait Knopff et ses filiales, et avait déjà acquis Bantam, Doubleday, Delacourt et bien d’autres.

Dans ce que David Margolick considère dans son article de Vanity Fair [“The German Front”, juin 1998] comme un “coup du sort”, Teddy Kollek, qu’il qualifie de “l’un des grands héros du sionisme”, avait “régulièrement attesté de la personnalité” du fondateur Georg von Holtzbrinck, qu’il appelait “cet ancien nazi”.

Ronald Eggleston a précisé cette histoire dans son article de 2002 pour Radio Free Europe [Germany: Publishing Houses Look Into Their Pasts, And Don't Like What They Find]. Georg von Holtzbrinck a rejoint le parti nazi en 1933 et est resté fidèle au Troisième Reich pendant toute sa durée. Eggleston souligne également que « von Holtzbrinck a joui, après la Seconde Guerre mondiale, d’une réputation d’ami d’Israël qui a cultivé le soutien des dirigeants juifs et apporté un soutien financier et autre à de nombreuses institutions de Jérusalem ».

Les livres de campagne de Bertelsmann : le plus beau cadeau pour nos soldats. Chaque volume 1,50 Reichsmark, expédition de campagne 1,60
Josef Grabler, Avec des bombes et des mitrailleuses sur la Pologne, édition populaire 2,85 RM. Un livre réédité sans complexes en 2022 par epubli

Eggleston décrit comment Bertelsmann « a utilisé ses liens avec le régime nazi pour se transformer d’éditeur provincial de livres religieux luthériens en un éditeur de masse ». Le président de Bertelsmann, Heinrich Mohn, « était membre d’un groupe qui soutenait la police spéciale SS nazie par des dons mensuels et aidait également d’autres causes nazies ». Selon Eggleston, Bertelsmann a bâti son empire sur la propagande nazie, en publiant 19 millions de livres de « littérature héroïque et d’évasion pour les soldats nazis ». Bertelsmann était le plus grand fournisseur de livres de l’armée allemande, y compris des titres « bourrés de thèmes antisémites ». Une commission d’enquête sur les origines nazies de Bertelsmann a également découvert que la société avait recours au travail forcé dans une imprimerie en Lituanie utilisée pour certaines de ses publications. La commission a conclu que « pendant le Troisième Reich, Bertelsmann est restée une entreprise commerciale dont les décisions en matière de publication étaient basées sur le chiffre d’affaires, les bénéfices, les investissements et d’autres données fiscales ».

L’idée que les décisions de Bertelsmann ou de Holtzbrinck étaient motivées par des raisons économiques plutôt qu’idéologiques devrait, au lieu d’absoudre les malversations, attirer notre attention sur la question de savoir pourquoi ces motivations devraient sembler moins horribles si la déshumanisation et le génocide d’un peuple en sont le résultat final - que ce soit historiquement ou à l’heure actuelle. Nous devrions également être amenés à analyser notre soutien collectif dans le présent, dans l’industrie du livre et au-delà, non seulement à la complicité d’institutions imbriquées telles que la Foire du livre de Francfort, mais aussi du système économique qui facilite de telles relations et qui ouvre totalement et constamment la voie à la déshumanisation pour le profit.

NdT

[*] Selon l’association LitProm e.V., « En raison de la guerre déclenchée par le Hamas, dont souffrent des millions de personnes en Israël et en Palestine, l’organisateur Litprom e.V. a décidé d’annuler la cérémonie de remise du prix LiBeratur prévue à la Foire du livre de Francfort. Litprom cherche un cadre approprié pour l’événement à une date ultérieure. L’attribution du prix à Adania Shibli n’a à aucun moment été remise en question ». (voir déclaration ici)

  [**]Situé sur la ligne de démarcation entre Jérusalem-Est et Ouest, le bâtiment avait été construit par l’architecte Andoni Baramki sur un terrain vendu par la famille Turjman dans les années 1930. Les sionistes ont fait illégalement main basse sur la maison en 1948 et l'ont utilisée comme poste d'observation militaire jusqu'à la guerre de 1967 et comme poste de police par la suite. Les propriétaires légitimes ont en vain tenté de récupérer leurs terrains et bâtiments par des voies légales. Le bâtiment, devenu le "Musée Turjman de la Poste" a été inauguré par Teddy Kollek en 1983. Son principal mécène,  Georg von Holtzbrinck, est mort en Allemagne le jour même de l'inauguration et Kollek (né à Vienne) lui a rendu hommage en allemand, s'exprimant publiquement dans cette langue pour la première fois. Rebaptisé  Musée sur la Ligne en 1999, il a bénéficié du mécénat de la famille Holtzbrinck  jusqu'en 2015.

1966 :  Marlene Dietrich et, à ses pieds, Teddy Kollek, le "maire viennois" de Jérusalem pendant 28 ans. Photo Michael Maor

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