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07/07/2024

GIDEON LEVY
Les images ne mentent pas, l’armée israélienne a une nouvelle façon de transporter les Palestiniens blessés : sur le capot de ses jeeps

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 6/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ce n’est pas un mais trois Palestiniens blessés et partiellement nus qui ont été humiliés par des soldats des FDI qui les ont forcés à s’allonger sur leurs véhicules chauffés à blanc et à défiler dans Jénine la semaine dernière. L’armée minimise les incidents

Hashem Selith devant sa jeep, cette semaine. Il a reçu deux balles dans la jambe avant d’être forcé à monter dans le véhicule de ses ravisseurs.

Pas une jeep, mais au moins trois véhicules différents des Forces de défense israéliennes. Et pas seulement une équipe de soldats, mais au moins trois équipes différentes convaincues qu’il est à la fois permis et correct d’ordonner à des Palestiniens blessés - non armés et, pour la plupart, ne figurant pas sur la liste des personnes recherchées par Israël - de se déshabiller en leur présence, puis de monter sur le capot brûlant de leur jeep, en s’accrochant désespérément à leur vie, pendant qu’ils sont transportés vers le site de détention et d’interrogatoire de l’armée.

Le clip vidéo qui a fait le tour du monde la semaine dernière montrait un homme blessé, Mujahed Abadi, gisant en sang et sans défense sur le capot d’une jeep conduite par ses ravisseurs et humiliateurs. Il a été libéré sans condition peu après et transporté dans un hôpital de Jénine, où il est toujours soigné pour ses blessures. Abadi n’était pas armé et n’était pas recherché par les FDI. Il a été abattu, battu et emmené par les troupes, sans raison apparente, comme l’atteste sa libération immédiate. Peut-être les soldats s’ennuyaient-ils ? Peut-être étaient-ils animés d’un esprit de vengeance, comme c’est souvent le cas dans l’armée depuis le 7 octobre ? Peut-être ont-ils décidé d’utiliser les blessés comme boucliers humains ?

Ce clip macabre a eu un retentissement considérable - il n’est pas facile de voir un homme blessé, presque nu, étalé sur une surface brûlante - mais beaucoup moins en Israël, bien sûr. Pour sa part, l’unité du porte-parole des FDI a tenté, comme d’habitude, de dissimuler, de blanchir et de minimiser l’incident. « La conduite observée dans la vidéo n’est pas conforme aux directives des FDI sur ce que l’on attend de leurs soldats », a déclaré l’unité dans un communiqué, ajoutant que « l’événement fait l’objet d’une enquête et sera traité en conséquence ».

@eye.on.palestine

Alors que l’armée “enquête” et “agit en conséquence” avec toute l’énergie requise - ce qui signifie, dans le jargon de l’armée, qu’elle ne lève absolument pas le petit doigt - nous nous sommes rendus sur les lieux cette semaine, en haut du quartier Al-Jabriat de Jénine, qui surplombe le camp de réfugiés de la ville, au sud. Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, nous a expliqué que, selon l’enquête qu’il a menée après l’incident, ce n’est pas un seul homme blessé qui a été soumis à cette humiliation par les soldats, le 22 juin. En fait, au moins quatre hommes ont été forcés de s’allonger sur les capots de trois jeeps. On soupçonne maintenant que ce qui a été filmé dans la vidéo d’Abadi n’était pas une anomalie, mais une pratique régulière, appelée procédure de transport des blessés.

Le quartier de Jabriat est nouveau, spacieux et relativement aisé. Il est habité par des personnes qui en ont eu assez de la vie difficile dans le camp militant densément peuplé et qui ont pu, d’une manière ou d’une autre, se permettre de construire une maison sur la colline qui le domine. Les maisons sont grandes pour la plupart, et l’atmosphère y est calme - en tout cas si on la compare à ce qui se passe en bas, jour et nuit, dans le camp qui s’y est développé.

Azmi Husaniya, 77 ans, un vétéran du camp qui nous dit fièrement qu’il a travaillé pendant des années comme soudeur en Israël, vit avec sa famille dans une maison neuve mais encore inachevée sur la colline. Vendredi soir, il y a deux semaines, quelques parents et amis de deux de ses fils du camp ont décidé de passer la nuit dans la maison tranquille et relativement sûre des Husaniya. Ils se sont installés dans la chambre d’amis que nous avons vue cette semaine et ont dormi sur le sol et les canapés. La nuit a été calme, ce qui est rare dans le camp voisin.

Le lendemain matin, à 9h30, l’un des invités a été réveillé par un appel téléphonique. « Les forces armées encerclent la maison dans laquelle vous vous trouvez », l’a-t-on prévenu. Les autres se sont levés rapidement et ont immédiatement consulté les sites d’information du camp pour se tenir au courant. En effet, l’armée israélienne était là, les encerclant.

Les premiers à sortir pour voir ce qui se passait étaient Mujahed Abadi, 23 ans, et Majad al- Azami, le fils de Husaniya, âgé de 28 ans. Les deux hommes avaient à peine franchi la porte qu’ils ont essuyé une pluie de coups de feu. Au début, ils n’avaient aucune idée de la provenance des tirs. Ils n’étaient pas armés, il convient de le noter, et leurs amis non plus, selon leur récit. Il s’est avéré que les tireurs d’élite avaient pris position dans un immeuble d’habitation situé à quelques dizaines de mètres. Ils leur ont tiré dessus depuis l’un des étages supérieurs de l’immeuble.

Majad a été touché à l’estomac et au bras, mais il a réussi à rentrer à la maison en saignant. Mujahed a été blessé à l’épaule et à la jambe et s’est effondré dans la cour de la maison. Entendant les tirs, Hashem Selith, 27 ans, et Mohammed Nubani, 24 ans, ont tenté de fuir la maison tant qu’ils le pouvaient. De la cour, ils ont couru vers l’oliveraie, située en contrebas sur la pente de la colline. Mohammed a sauté dans l’oliveraie et n’a pas été blessé, mais Hashem a reçu une balle dans la jambe et est tombé d’une hauteur d’environ trois mètres sur le sol en contrebas de la maison. Malgré cela, il a essayé d’atteindre le bosquet avant de recevoir une nouvelle balle dans la jambe droite et de s’effondrer. Mohammed était à ses côtés. Les deux hommes ont décidé de faire profil bas, sur place, en raison des coups de feu. Ils sont restés là pendant environ une demi-heure, puis ont aperçu une jeep de l’armée qui fonçait sur eux. Ils étaient persuadés qu’ils allaient être écrasés et tués.

La jeep s’est arrêtée devant eux. Les soldats à l’intérieur n’en sont pas sortis, mais leur ont seulement aboyé dessus, dans un arabe approximatif, pour qu’ils se déshabillent jusqu’à leurs sous-vêtements. Ils ont ensuite reçu l’ordre, par haut-parleur, de monter dans la jeep. Hashem a essayé de dire aux soldats que le capot métallique était brûlant à cause du moteur et du soleil brûlant, mais cela ne les intéressait pas. Ils ont menacé : « Montez ou on vous tire dessus ».


Hashem Selith dans la maison de son père

Mohammed et Hashem montent sur la jeep, presque entièrement nus, et s’allongent sur le capot. Le véhicule commence à descendre la colline. Pour ne pas tomber, ils s’accrochent de toutes leurs forces à la grille métallique qui recouvre le pare-brise. Le véhicule a parcouru quelques centaines de mètres jusqu’à la maison de la famille Al Dukum, un grand bâtiment que les FDI avaient vidé de ses habitants et réquisitionné pour l’utiliser comme poste de commandement et comme centre de détention et d’interrogatoire. Les deux hommes sont descendus de la jeep et un soldat qui se trouvait devant la maison leur a passé les menottes. Des agents du service de sécurité Shin Bet se trouvaient déjà au deuxième étage, où Hashem et Mohammed ont été emmenés. Un secouriste des FDI a examiné et pansé la blessure à la jambe de Hashem. En raison de sa blessure, Hashem a pu s’asseoir sur une chaise ; Mohammed a été contraint de s’agenouiller sur le sol. Les interrogateurs voulaient seulement savoir s’il y avait des armes dans la maison où ils avaient séjourné. Ils ont répondu par la négative.

Pendant tout ce temps, Mujahed est resté blessé devant la maison des Husaniya, caché derrière la jeep de Hashem, qui était garée là. Après environ trois heures, un véhicule de l’armée s’est approché et les soldats lui ont ordonné de se lever. Il a dit qu’il était blessé et qu’il ne pouvait pas se lever. Les soldats ont foncé sur la jeep de Hashem avec leur véhicule, jusqu’à ce qu’il soit à quelques centimètres de la tête de Mujahed. Il a eu peur de mourir.

Rassemblant ses dernières forces, un Mujahed blessé s’est levé. Quatre soldats l’ont saisi par les bras et les jambes pour le forcer à s’allonger sur le capot de leur jeep, mais il leur a échappé des mains et s’est écroulé sur le sol. La deuxième tentative a été couronnée de succès. En se dirigeant vers la maison de la famille Al Dukum, les soldats ont alternativement accéléré et ralenti, afin de faire tomber Mujahed, a-t-il déclaré plus tard à Sadi de B’Tselem. La vidéo virale ne le montre qu’allongé sur le capot, alors que le véhicule a repoussé sur le côté de la route deux ambulances palestiniennes qui venaient de l’autre direction. Mais il a réussi à s’accrocher et a été déchargé à la maison des Al Dukum.

Le troisième incident : pendant ce temps, Samir Dabaya, 29 ans, qui vit seul dans une maison sur la colline au-dessus du camp de Jénine, a entendu les tirs et a décidé de courir vers la maison de ses parents, située à quelques dizaines de mètres de là. Au moment de partir, il a entendu des coups de feu et a décidé de ne pas mettre ses parents en danger ; il a donc changé de direction et s’est dirigé vers l’oliveraie. Il a remarqué un drone en vol stationnaire et, quelques minutes plus tard, il a été blessé par balle au bras et à l’estomac. Un véhicule de l’armée a foncé sur lui et ses passagers ont également forcé Samir à s’allonger sur le capot. L’incident a été documenté par un voisin. On peut voir Samir, en T-shirt et en caleçon, s’agripper aux barres de la jeep aussi fermement qu’il le peut avec sa main gauche, pour ne pas tomber. Contrairement aux deux autres blessés, il est allongé horizontalement sur le capot, les jambes repliées. Il a été emmené à la maison Al Dukum, puis rapidement relâché ; il est toujours en convalescence à l’hôpital Ibn Sina de Jénine.


Samir Dabaya sur le capot d’un véhicule de l’armée israélienne

Devant la gravité de l’état de Majad, les soldats ont appelé un hélicoptère qui l’a transporté au Centre médical Rambam, à Haïfa. Son père, Azmi, nous dit cette semaine qu’il ne sait pas comment il va ; il n’a pas été autorisé à rendre visite à son fils, ni même à lui parler au téléphone. Un avocat qu’il a engagé a été autorisé à rendre visite à Majad - une fois : il a informé son père qu’il était dans un état stable. L’autre fils, Ahmed, est toujours en détention. Azmi a perdu son troisième fils lors de la deuxième Intifada, alors que la famille vivait encore dans le camp de réfugiés.

Interrogée sur ce point, l’unité du porte-parole des FDI a fourni à Haaretz la déclaration suivante : « Au cours d’une activité visant à arrêter des individus recherchés à Wadi Bruqin le samedi 22 juin, les FDI , qui étaient sous le feu, ont évacué des personnes qui avaient été blessées au cours d’un échange de coups de feu, afin de leur fournir des soins médicaux. Les hommes recherchés ont été évacués sur le capot avant du véhicule des soldats, en violation des ordres et des procédures, pour être soignés par le Croissant-Rouge. Le comportement des soldats dans le clip vidéo n’est pas conforme à ce que les FDI attendent de leurs soldats, et fait actuellement l’objet d’une enquête".

Une Jeep Wrangler Rubicon, brillante et blanche, tout droit sortie de son emballage, sans plaque d’immatriculation, sort du camp en direction de la maison de Husaniya. Hashem Selith en sort, gémissant de douleur. La jambe qui porte les deux profondes blessures par balle est bandée ; heureusement, aucune balle n’a touché un os. Il raconte tout ce qui s’est passé, comment on lui a tiré dessus et comment ses ravisseurs l’ont forcé à monter dans leur jeep.

Hashem a participé aux forces de résistance du camp jusqu’à ce qu’il soit arrêté et emprisonné pendant trois ans, entre 2018 et 2021. Depuis, il a raccroché les crampons, comme on dit, et le Shin Bet le sait sûrement. Le fait est qu’il a lui aussi été libéré immédiatement après l’incident.

« J’ai déjà payé mon prix », déclare-t-il, avec un maigre sourire qui ne parvient pas à dissimuler sa douleur.

 

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