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30/05/2023

Haredim ? Vous avez dit Haredim ?
Des ghettos dans le ghetto

Les Haredim (singulier haredi, racine harada, peur) : c’est ainsi qu’on désigne en hébreu les ultra-orthodoxes juifs, les “craignant Dieu”, littéralement les “terrifiés” à l’idée de violer une des 613 mitzvot, les prescriptions contenues dans la Torah. Selon la tradition établie par Maïmonide (Abou Imran Moussa ibn Maïmoun ibn Abdallah al-Kourtoubi al-Yahoudi, Moïse fils de Maïmoun ibn Abdallah le Cordouan juif,) né à Cordoue en 1138 et mort à Fostat (première capitale arabe de l’ Égypte) en 1204, ces 613 mitzvot  (voir liste) se divisent en « 365 prescriptions négatives, comme le nombre de jours dans une année solaire, et 248 prescriptions positives, comme le nombre d’organes dans le corps humain ». Les 10 Commandements bibliques, repris par les chrétiens et les musulmans (Sourates du Bétail et de l’Ascension), peuvent être considérés comme une synthèse de ces prescriptions.

Les Haredim, s’ils ont quelques piliers communs (séparatisme, règles patriarcales, refus de la “modernité”) sont divisés en une multitude de sectes, courants, tendances, qui vont du sionisme le plus agressif (colons de Cisjordanie) à un antisionisme militant (Naturei Karta). Les clivages entre eux passent aussi par les origines ethniques, selon qu’ils sont ashkénazes, séfarades ou mizrahis (arabes/“orientaux”). ; Dans l’imaginaire israélien d’aujourd’hui, une des grandes fractures dans la société juive oppose le bloc des “ laïcs-ashkénazes-bourgeois progressistes” à celui des “haredim-racisés-pauvres-réactionnaires”. Les choses ne sont pas si simples. Ci-dessous quatre articles traduits par mes soins, pour éclairer notre lanterne sur ces “ghettos dans le ghetto”.-Fausto Giudice, Tlaxcala

Amos Biderman, Haaretz, 2012

Ce dont l’Israël laïque a besoin, c’est d’un dialogue avec les ultra-orthodoxes, et non d’une rage mal orientée

Anshel Pfeffer, Haaretz, 19/5/2023

Les contribuables israéliens sont furieux que leur argent aille à des écoles qui enseignent à peine les matières générales et à des hommes qui étudient la Torah au lieu de trouver un emploi. C’est compréhensible, mais l’origine de cette colère est moins claire

Des garçons ultra-orthodoxes regardent une marche de protestation contre le transfert de fonds publics aux communautés haredi, à Bnei Brak, le mercredi 17 mai 2023. Photo : Itai Ron

Mercredi soir 17 mai, quelques milliers de manifestants ont participé à ce que certains organisateurs ont appelé une “marche de la rage” dans la ville haredi de Bnei Brak. Il n’y a pas eu beaucoup de rage, juste quelques vilaines altercations verbales et quelques tentatives de dialogue. Certains habitants de Bnei Brak ont installé des stands offrant aux manifestants de l’eau, des gâteaux et même du tcholent [dafina/tafina en arabe maghrébin].

L’objectif de la marche était de protester contre les près de 14 milliards de shekels (3,515 milliards d’euros) de “fonds de la coalition” discrétionnaires dans le budget de l’État 2023-24 que la Knesset devrait approuver dans les jours à venir, qui comprend de grandes sommes de financement pour les réseaux d’éducation ultra-orthodoxes et l’augmentation des allocations pour les étudiants de yéchiva mariés. Mais si l’on peut comprendre la rage des contribuables israéliens de voir leur argent aller à des écoles qui enseignent à peine les matières générales, voire pas du tout, et à des hommes qui prévoient de poursuivre des études religieuses à temps plein au lieu de trouver un emploi, la cible de cette rage est moins claire.

Bnei Brak a été choisie simplement parce qu’elle est la plus grande ville haredi et qu’elle est proche de Tel Aviv. Mais ses habitants sont loin d’être les seuls à blâmer. Ils n’ont pas leur mot à dire sur les candidats à la Knesset des partis pour lesquels ils votent ou sur les politiques qu’ils promeuvent. Ces décisions sont prises par les grands rabbins des conseils des sages de la Torah qui contrôlent les partis. Si personne n’a forcé, dans l’intimité de l’isoloir, 60 % des électeurs de la ville à choisir le Judaïsme Unifié de la Torah et 30 % le Shas lors des élections de novembre dernier, ils n’ont pas vraiment eu le choix en la matière. Ils appartiennent à une communauté dont le principe d’organisation est d’obéir aux édits de leurs rabbins, et cela vaut également pour le vote.

Il y a quelque chose d’anormal dans le fait de protester contre une communauté entière. Non pas parce que, comme certains porte-parole haredi ont essayé de le prétendre, protester contre eux s’apparente à de l’antisémitisme. Cette affirmation fallacieuse repose sur l’hypothèse erronée que les Haredim ont quelque chose de plus “authentiquement juif” que les Israéliens non haredi. Mais puisqu’il n’y a pas de protestations contre d’autres communautés où l’écrasante majorité des résidents a voté pour les partis de la coalition, pourquoi Bnei Brak devrait-elle être montrée du doigt ?

Il serait plus judicieux de manifester devant les domiciles des politiciens haredi ou des grands rabbins, comme c’est régulièrement le cas devant les domiciles de plusieurs ministres. Mais même cela serait un peu incongru car les protestations dans ce cas ne sont pas contre la refonte judiciaire, une nouvelle politique propre à ce gouvernement. Le système de l’“argent de la coalition”, qui permet d’acheter le soutien des partis haredi, existe depuis des décennies, sous de nombreux gouvernements différents, et pas seulement sous celui de Benjamin Netanyahou. C’est un système qui a sous-tendu la croissance de l’autonomie haredi en Israël, qui existe depuis la fondation de l’État et avec la bénédiction tacite de tous les gouvernements israéliens. Le seul élément qui différencie l’utilisation de “l’argent de la coalition” par ce gouvernement est son ampleur et sa rapacité.

Alors pourquoi marcher sur Bnei Brak maintenant ?

Il y a deux raisons liées. L’une immédiate et l’autre à long terme.

La raison immédiate est que les partis haredi ont été les principaux soutiens de la refonte judiciaire, actuellement suspendue pour une durée indéterminée, et qu’ils la soutiendront à nouveau si et lorsque le gouvernement relancera la législation. Et bien que les législateurs du Shas et du Judaïsme unifié de la Torah représentent moins d’un tiers des députés de la coalition, le fait qu’ils représentent une communauté qui est sous-représentée dans la population active, par choix, et qui insiste pour ne pas envoyer ses fils et ses filles au service militaire, rend particulièrement exaspérant pour de nombreux Israéliens le fait qu’ils cherchent à éviscérer la démocratie israélienne. Ce qui nous amène à la crainte à long terme.

Aujourd’hui, les Haredim constituent encore une minorité, environ 13 % de la population. Mais en raison de leur taux de natalité beaucoup plus élevé, si les tendances démographiques actuelles se poursuivent d’ici 50 ans, les Haredim, avec leurs alliés sionistes religieux, seront majoritaires. S’ils le souhaitent, ils pourront imposer à Israël une théocratie que la minorité laïque restante, si elle choisit de rester, devra financer. La marche sur Bnei Brak est une attaque préventive contre ce sombre avenir.

Mais à moins que quelqu’un n’ait un plan pour commencer à expulser les Haredim et à les priver de leur droit de vote, et je n’ai pas entendu parler d’un tel plan, il n’y a aucun moyen réaliste d’empêcher un tel résultat. Quel est donc l’intérêt ?

Cela ne signifie pas pour autant que le résultat est assuré. Il peut se passer beaucoup de choses en 50 ans. Des événements extérieurs pourraient provoquer un nouvel afflux massif d’immigrants juifs non haredi, comme le million qui est arrivé dans les années 1990 en provenance de l’ex-Union soviétique. Le taux de natalité des juifs haredi pourrait diminuer, et certains signes indiquent que c’est déjà le cas. Le taux d’attrition - les personnes qui choisissent de quitter la vie haredi - pourrait augmenter, ce qui semble se produire également. Et les jeunes qui choisissent de rester haredi pourraient également changer de perspective, devenir moins insulaires et plus libéraux, recevoir une meilleure éducation pour eux-mêmes et, surtout, pour leurs enfants, ce qui leur permettrait d’entrer sur le marché du travail et d’occuper de meilleurs emplois. Comme on dit, la démographie n’est pas une fatalité.

Et oui, la politique gouvernementale doit également changer, afin de récompenser les parents qui travaillent et choisissent une éducation générale pour leurs enfants. Ce n’est pas la politique que la coalition poursuit actuellement, il faudra donc un changement de gouvernement. Mais cela ne suffira pas sans la coopération d’au moins une partie significative des Haredim qui ont voté pour JUT et Shas en novembre, et il faut donc établir une forme de dialogue avec eux également. Tout compte fait, une marche de la rage sur Bnei Brak n’est probablement pas le meilleur moyen d’entamer un tel dialogue.

Le fond du problème est que la protestation contre les Haredim n’a pas d’idée claire de ce qu’elle veut, mais seulement de ce qu’elle ne veut pas. Les manifestants contre la “réforme” judiciaire du gouvernement ont une idée de la forme de démocratie qu’ils essaient de sauvegarder. Mais ceux qui s’opposent aux Haredim semblent vouloir arrêter le temps, ou du moins gagner un peu de temps avant que la démographie n’entre en jeu. Les Haredim, eux, ont au moins une idée de ce qu’ils représentent. En fin de compte, l’idéal haredi est un modèle socialement et financièrement insoutenable, mais ils ont au moins une idée de leur société juive idéale, même s’il s’agit d’un mythe.

L’Israël laïc a oublié ce qu’il représente. Il s’agit en fait de la société juive la plus prospère de l’histoire. Les Israéliens laïques constituent la seule communauté juive qui ait réussi à fonder un État juif, à bâtir une économie prospère, des institutions sociales offrant des soins de santé et une éducation universels, l’une des armées les plus puissantes du monde et, pour couronner le tout, à faire revivre une langue ancienne et à la transformer en la culture hébraïque vibrante d’aujourd’hui.

Il s’agit là de réalisations uniques qui méritent non seulement qu’on se batte pour elles, mais aussi qu’on en soit fier en tant que Juifs. Elles sont plus remarquables que la réussite de la communauté haredi à se reconstruire, dans l’isolement, après l’Holocauste, aussi phénoménale que soit la renaissance ultra-orthodoxe. Car le miracle [sic] de l’État juif a soutenu à la fois la société laïque et l’autonomie des Haredi.

Au cours des derniers mois, les manifestants ont remporté une bataille difficile et précieuse contre les projets anti-démocratiques du gouvernement. Il y aura sans aucun doute d’autres batailles à mener. Mais la préservation de la société libérale israélienne aux côtés d’une communauté orthodoxe croissante ne sera pas obtenue par des manifestations. Les Israéliens doivent plutôt redéfinir eux-mêmes ce qui fait d’eux la communauté juive la plus prospère de tous les temps.

Le camp libéral israélien paiera pour sa haine des Haredim

Gideon Levy, Haaretz, 25/5/2023

Les manifestations de haine à l’égard des ultra-orthodoxes ont atteint ces derniers temps un niveau sans précédent. En tant que personne qui éprouve de la sympathie à leur égard, contrairement à la norme dans la société laïque et libérale, en tant que personne qui pense qu’ils sont victimes de leur différence et qui pense que les colons méritent un opprobre bien plus grand pour leur violence et pour les dommages considérables causés par l’ensemble du projet de colonisation, la haine croissante à l’égard des Haredim me donne beaucoup à réfléchir.

Un haredi se dispute avec un manifestant à Bnei Brak. Photo : Ben Cohen

Les Haredim et leurs dirigeants sont en partie, mais pas entièrement, responsables de cette situation. Le fait que le public libéral laïc n’éprouve plus guère de sympathie, de compréhension ou de compassion à leur égard, malgré leur terrible pauvreté, devrait les inquiéter sérieusement. Même pour quelqu’un qui ne les déteste pas, il est devenu très difficile, voire presque impossible, d’éprouver de l’empathie pour eux ou de les soutenir. Ils ne peuvent pas l’ignorer.

C’est ostensiblement leur heure de gloire, une époque de financement illimité et de législation à leur convenance, une époque où le gouvernement dépend d’eux pour sa survie. Leurs dirigeants s’emparent de tout ce qu’ils peuvent obtenir. De telles opportunités ne se présentent pas tous les jours. Yitzhak Goldknopf [rabbin, chef du parti Agoudat Israel, fondé en 1911 à Katowice pour s’opposer au sionisme, puis rallié au projet sioniste, NdT] est au top de sa forme en ce moment, riant tout le long du chemin vers la shul [synagogue], arborant une élégante écharpe Louis Vuitton sur ses épaules. Mais lui, et le public qu’il représente d’autant plus, doivent aussi penser au jour d’après. Il viendra sûrement, même si ce ne sera pas si tôt. La haine qui s’accumule aujourd’hui finira par leur nuire. Elle leur fait déjà mal. Essayez de vous promener en portant un schtreimel [toque de fourrure des haredim, NdT] dans certaines villes et certains quartiers. La démographie est peut-être de leur côté, mais cela ne signifie pas qu’ils sont invincibles. Être une communauté détestée, même si cette communauté est importante, n’est pas une chose simple. Cette haine leur explosera un jour au visage et ils pourraient en payer le prix fort.

Ils sont haïs parce qu’ils sont insulaires et différents - dans leurs vêtements, leur langue, leur culture, leur mode de vie, leur foi, leur monde tout entier. Cette haine est inacceptable et doit être combattue. Israël n’aime pas non plus les pauvres et vénère les riches, et les Haredim sont pauvres. Mais ces dernières années, la haine à leur égard a grimpé en flèche en raison de ce qui est perçu comme leur cupidité, agressivité, pouvoir et arrogance. Il sera plus difficile de s’opposer à cette haine. Ils en paieront le prix.

Il est dommage que le camp libéral soit si prompt à leur reprocher de ne pas effectuer de service militaire - ne pas servir dans l’armée et servir dans l’armée devraient tous deux être hautement problématiques pour toute personne éclairée. Mais ce n’est qu’une des raisons qui poussent les gens à les détester. Le problème principal est leur refus massif de travailler. Cela ne peut être défendu, même par quelqu’un qui ne partage pas la haine générale à leur égard. Cela ne peut plus être excusé ou expliqué.

Ils doivent le comprendre, ainsi que leurs dirigeants. Continuer à vivre dans un ghetto détesté ne leur apportera pas grand-chose à terme. Les flammes de la haine envers les pauvres haredi, que l’État finance avec toutes sortes d’avantages et de budgets spéciaux, seront attisées par les pauvres non haredi qui travaillent dur et restent pourtant englués dans la pauvreté sans aucune aide de l’État. Pour l’instant, les Haredim s’en moquent, ils sont imperméables à la haine grandissante. Mais lorsqu’un jour le gouvernement changera et que d’autres priorités seront fixées, ils risquent de se retrouver dans une situation qu’ils n’ont jamais connue auparavant. En plus d’être la cible d’ostracisme et de commentaires offensants, ils pourraient bien découvrir que l’État et la société israéliens ont tourné le dos à tous leurs besoins.

Déjà, on n’entend aucune compassion pour leur pauvreté, et toute mention de celle-ci est considérée comme hérétique. Leurs villes sont les plus pauvres du pays, leurs armoires sont souvent douloureusement vides, mais très peu d’Israéliens laïques sont encore touchés par cette situation. Aujourd’hui, les Haredim sont rendus responsables de tout, y compris de leur pauvreté, et ce à juste titre. Le fait que, ces dernières années, leur racisme à l’égard des Palestiniens ait considérablement augmenté, ainsi que le fait qu’ils soient devenus l’une des plus importantes populations de colons, rendent encore plus difficile l’expression d’une sympathie libérale à leur égard.

Ils pourraient bien sûr ignorer tout cela et continuer à agir de la même manière. Mais peut-être certains d’entre eux se poseront-ils la question, comme il se doit : Pourquoi sommes-nous si détestés ? Quel rôle avons-nous joué dans cette haine ? Et y a-t-il un moyen de l’atténuer, ne serait-ce qu’un peu ?

 

Augmentation de 46 % du nombre d’hommes étudiant dans les yéchivas et les kollels depuis 2014

Les Haredim sont la population qui croît le plus rapidement ; ils représenteront 16 % des Israéliens à la fin de la décennie.

Judah Ari Gross

Le groupe comprend 1,28 million de personnes en 2023 ; les femmes haredi rejoignent de plus en plus la population active tandis que le nombre d’hommes stagne ; le taux de pauvreté est deux fois plus élevé que dans la population générale.

Selon un rapport statistique annuel publié lundi, la population ultra-orthodoxe d’Israël est passée à 1,28 million de personnes, soit 13,5 % des 9,45 millions d’habitants que compte le pays.

Les données du Bureau central des statistiques montrent qu’avec le taux de croissance actuel de 4 % de la population ultra-orthodoxe - le plus élevé de tous les groupes en Israël -, celle-ci représentera 16 % de la population totale à la fin de la décennie.

Plus de 40 % de ces 1,28 million de personnes vivent dans deux villes, Jérusalem et Bnei Brak, à l’extérieur de Tel Aviv. Sept pour cent vivent à Beit Shemesh, et la plupart des autres vivent dans des villes et des colonies à prédominance ultra-orthodoxe comme Modiin Illit, Beitar Illit et Elad, ou dans de petites enclaves dans des grandes villes comme Ashdod, Petah Tikva, Haïfa, Rehovot et Netanya.

L’analyse, compilée par le groupe de réflexion Israel Democracy Institute, donne un aperçu de la population ultra-orthodoxe, ou haredi, d’Israël, qu’elle considère comme pauvre, en croissance rapide, avec une éducation formelle laïque extrêmement limitée et un sens aigu de la communauté et de la charité.

Les données montrent que le taux de pauvreté chez les ultra-orthodoxes est deux fois plus élevé que dans la population générale, près de la moitié d’entre eux se situant en dessous du seuil de pauvreté.

Bien qu’ils soient loin derrière les autres Israéliens, les Haredim utilisent de plus en plus l’internet, en grande partie à cause de la pandémie de coronavirus, selon l’IDI.

« Le bouleversement créé par la pandémie, qui a conduit à une augmentation spectaculaire du nombre d’internautes ultra-orthodoxes, reste inchangé, et deux tiers des Haredim utilisent aujourd’hui régulièrement Internet. Nous constatons une augmentation de la proportion de femmes qui travaillent et les données incomplètes pour 2022 indiquent une augmentation de la proportion d’hommes qui travaillent », ont déclaré Lee Cahaner et Gilad Malach, qui ont édité le rapport.

L’analyse de l’IDI a révélé qu’en 2019 - la dernière année pour laquelle des données étaient disponibles - le taux de pauvreté parmi les Israéliens haredi était de 44 %, tandis que pour l’ensemble de la population, il était de 22 %. Cela représente une légère amélioration par rapport aux années précédentes, où la pauvreté haredi était plus élevée, avec un pic en 2005, lorsque le taux haredi était de 58% et le taux global de 21%.

En 2021, les taux d’emploi des femmes haredi sont légèrement inférieurs, mais à peu près équivalents à ceux de la population féminine juive non haredi, soit 78% contre 82%. Parallèlement, le taux de chômage des hommes haredi est trois fois supérieur à celui de leurs homologues juifs non haredi en 2021 : 49 % contre 14 %.

Selon l’IDI, les premières statistiques de 2022 indiquent une légère baisse du taux de chômage des hommes haredi à 46,5 %, bien que ce taux reste environ trois fois plus élevé que celui des hommes juifs non haredi.

Le nouveau gouvernement a proposé un large éventail de mesures en faveur de la population haredi, notamment l’augmentation des allocations pour les étudiants de séminaires, ce qui pourrait dissuader les hommes haredi d’entrer sur le marché du travail.

Ces chiffres représentent un changement radical dans l’emploi des Haredi par rapport à il y a 20 ans, lorsqu’un peu plus de la moitié des femmes Haredi et environ un tiers des Haredi avaient un emploi. Bien que le nombre de femmes haredi entrant sur le marché du travail ait régulièrement augmenté depuis lors, le taux d’emploi des hommes a stagné ces dernières années, oscillant autour d’un peu plus de 50 % depuis 2015, selon les chiffres de l’IDI.

Les salaires mensuels moyens des ménages haredi - 14 121 shekels (3 530 €) - étaient également bien inférieurs à ceux de leurs homologues non haredi, qui gagnaient 21 843 shekels (5 476 €).

Bien qu’ils soient beaucoup plus pauvres, les Israéliens haredi sont nettement plus enclins à donner de l’argent à des œuvres caritatives et à faire du bénévolat que les autres Israéliens juifs, selon les données du CBS.

Une enquête de CBS a révélé qu’en 2021, 86 % des Israéliens haredi âgés de plus de 20 ans ont déclaré avoir fait des dons à des œuvres caritatives, contre 58 % des Israéliens juifs non haredi. Cette proportion est restée stable pour les Israéliens haredi, alors que le nombre d’Israéliens non haredi déclarant faire des dons à des œuvres caritatives a chuté au fil des ans, passant de 72 % en 2008 à son niveau actuel.

Les Israéliens haredi sont également presque deux fois plus nombreux à déclarer avoir fait du bénévolat au sein de leur communauté, 40 % des haredim déclarant l’avoir fait, contre 23 % des Israéliens juifs non haredi.

Dans le même temps, les Israéliens haredi ne se portent généralement pas volontaires pour effectuer le service national, avec seulement 4 % des femmes haredi qui le feront en 2021 - contre 22 % des femmes juives non haredi. Les hommes haredi ne sont pas non plus très nombreux à servir dans les forces de défense israéliennes, avec environ 1 200 hommes en 2020, soit près de la moitié moins qu’en 2015.

En raison d’un taux de natalité élevé, les enfants haredi représentent près de 20 % de l’ensemble des élèves et plus d’un quart des élèves parlant l’hébreu.

La majorité - 74 % - étudie dans des écoles “non officielles mais reconnues”, qui sont censées suivre la majorité du programme de base laïque (bien que la plupart ne le fassent pas) en échange d’un financement de 75 %, 22,5 % étudient dans des écoles “exemptées” qui enseignent une plus petite partie du programme de base et reçoivent un montant proportionnel de financement de l’État, tandis que seulement 3,5 % étudient dans des écoles haredi entièrement gérées par l’État qui enseignent l’intégralité du programme de base.

Les filles haredi suivent de plus en plus le tronc commun d’État - car elles sont davantage orientées vers le salariat - et près de 60 % d’entre elles passeront les examens d’entrée à l’université en 2019/2020, soit près du double du nombre de celles qui l’ont fait en 2008-2009, d’après l’IDI.

Les garçons, en revanche, sont beaucoup moins susceptibles de passer - et encore moins de réussir - les examens d’entrée à l’université, et il n’y a pratiquement pas eu de changement au cours des 13 dernières années : 15 % d’entre eux passeront les examens en 2019-2020, contre 16 % en 2008-2009.

Dans l’ensemble, seuls 14 % des étudiants haredi ont réussi les examens d’entrée en 2019-2020, contre 83 % des étudiants juifs non haredi.

Ce nombre ne devrait pas augmenter à l’avenir, car le nouveau gouvernement a accepté en principe de financer les écoles haredi sans exiger que le programme d’études de base y soit enseigné.

Le nombre d’étudiants haredi dans les établissements d’enseignement supérieur reste disproportionnellement faible, puisqu’il représente 10,5 % de l’ensemble des étudiants en Israël, bien qu’il ait augmenté de façon spectaculaire au cours des 13 dernières années. Plus de 90 % de ces étudiants fréquentent des collèges, dont les conditions d’admission sont généralement moins strictes que celles des universités, selon les données de l’IDI.

Entre 2014 et 2021, l’IDI a constaté que le nombre d’hommes étudiant dans des yéchivas et des kollels (établissements d’études talmudiques à temps plein) a augmenté de 46 %, pour atteindre un total de 138 367 étudiants.

 

Femme en frumka [burqa + frum, dévôt en yiddish] à Meah Sharim, quartier haredi du Vieux Jérusalem. La "secte des harediot en burqa", lancée par Bruria Keren, compte quelques centaines de disciples, principalement à Beit Shemesh et à Jérusalem.
Lire
Voile intégral : en Israël, la frumka intrigue, par

Les Juifs haredi dans le monde : tendances et estimations démographiques

Dr Daniel Staetsky, Institut de recherche sur la politique juive (JPR), 3/5/2022

Un juif sur sept dans le monde est aujourd’hui strictement orthodoxe (haredi) : un nouveau rapport

S’appuyant sur de nouvelles ressources et sur les progrès réalisés dans les méthodes d’estimation, ce rapport estime et calcule pour la première fois la taille de la population haredi (strictement orthodoxe) dans le monde. Il révèle qu’environ 2 100 000 Juifs haredi vivent dans le monde, sur une population juive totale de 15 millions de personnes. Le rapport prévoit que la population haredi pourrait doubler d’ici 2040, pour atteindre plus d’un cinquième de la population totale à cette date.

Quelques-unes des principales conclusions de ce rapport :

  • La population haredi mondiale est estimée à 2 100 000 personnes, ce qui représente environ 14 % de la population juive totale dans le monde.

  • Ensemble, Israël et les USA représentent environ 92 % de l’ensemble des Juifs haredi. L’Europe accueille 5 % de la population haredi mondiale, tandis que les autres vivent principalement en Amérique latine, en Afrique du Sud, au Canada et en Australie.

  • En dehors d’Israël et des USAq, les trois plus grandes populations haredi se trouvent au Royaume-Uni (environ 75 000, soit 25 % de l’ensemble des Juifs britanniques), au Canada (30 000, 8 %) et en France (12 000, 3 %).

  • Alors que la population juive mondiale a augmenté d’environ 0,7 % par an au cours de la dernière décennie, la population haredi augmente actuellement d’environ 3,5 % à 4 % par an.

  • Aujourd’hui, une grande partie de la croissance de la population juive mondiale dans son ensemble est due à la population haredi : peut-être jusqu’à 70%-80% de la croissance totale dans le monde.

  • Les taux de croissance très élevés des Haredi ne sont pas simplement dus à une fécondité élevée, mais plutôt aux effets combinés d’une fécondité très élevée et d’une mortalité très faible.

Télécharger le rapport complet (16 pages, en anglais)

29/05/2023

ANTONIO MAZZEO
Le Maroc et Israël partent en guerre bras dessus bras dessous : nouvelles collaborations dans le domaine de l'industrie de guerre
Les populations sahraouies et palestiniennes sont sous la pression de l'alliance

Antonio Mazzeo, Africa ExPress, 23/5/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

La coopération militaro-industrielle entre Rabat et Jérusalem se renforce. Le site internet des FAR (Forces Armées Royales) a publié une vidéo dans laquelle on voit le système de missiles sophistiqué PULS (Precise & Universal Launching Systems) produit par la société israélienne Elbit System fonctionner lors d'un exercice de tir d'une unité d'artillerie marocaine.


Les forces armées marocaines auraient acheté les lanceurs PULS en même temps que le système modulaire intégré C4I (commandement, contrôle, communication, informatique et renseignement) “Combat NG”, également fabriqué par Elbit Systems.

 

“Le système PULS répond aux besoins des forces d'artillerie dans les différents scénarios des champs de bataille modernes et assure la disponibilité continue d'un appui-feu massif et efficace”, expliquent les responsables de l’entreprise militaire israélienne.

 

Chaque batterie peut lancer 36 missiles Accular de 122 mm d'une portée de 35 km, 20 missiles Accular de 160 mm (jusqu'à une portée de 40 km), 8 missiles  Extra (jusqu'à 150 km), ou 4 missiles balistiques tactiques Predator Hawk" capables d'atteindre des cibles jusqu'à 300 km de distance. Le Royaume du Maroc aurait choisi des camions Tatra de fabrication tchèque pour transporter les lanceurs. « Le système d'artillerie PULS confère aux forces armées marocaines une supériorité tactique absolue en Afrique du Nord », commentent les analystes militaires.

 

L'achat de ce puissant système d'armes a été effectué dans le cadre de l'accord de coopération signé en novembre 2021 par le ministre israélien de la Défense de l'époque, Benny Gantz, et son homologue marocain Abdellatif Loudiyi. « Le mémorandum assure un cadre juridique solide qui formalise les relations dans le secteur militaire entre les deux pays et établit les bases qui soutiendront toute coopération future », avait déclaré à cet égard un porte-parole du ministère israélien de la Défense. « Les nouveaux liens bilatéraux renforceront la coopération dans les domaines du renseignement, de la collaboration industrielle, de la formation militaire, etc. »

 

L'accord entre les ministres de la défense a été suivi en mars 2022 par un protocole de coopération entre le ministère marocain de l'industrie et du commerce et la plus grande des entreprises militaro-industrielles israéliennes, IAI - Israel Aerospace Industries - pour lancer la production de pièces internes de cabines, de moteurs et d'aérostructures. Le protocole prévoit également la création au Maroc d'un centre de recherche et de développement en ingénierie pour la fourniture de composants aéronautiques à l'industrie nationale marocaine, grâce à l'assistance et aux conseils techniques d'IAI.

 

« Depuis la signature de l'accord de normalisation négocié par l'administration Trump en 2020, les deux pays ont signé plus de 30 accords et mémorandums couvrant les domaines de la défense, du commerce et de l'agriculture », note le commandant de l'armée italienne Antonino Lombardi sur le site Difesaonline. « Les interactions profondes résultant de l'accord de coopération militaire produisent des bénéfices mutuels : le Maroc a un accès direct aux technologies de défense du Moyen-Orient et Israël se réjouit d'être de plus en plus accepté et présent en Afrique du Nord ».

 

En d'autres termes, le Maroc a obtenu une aide précieuse dans la lutte contre le Front Polisario et Israël a retiré un allié important à la population palestinienne qui a toujours lutté contre l'expansionnisme de l'État juif.

 

Toujours selon Lombardi, l'armée marocaine est désireuse de renforcer ses capacités, notamment dans le domaine des avions téléguidés. « Le Maroc considère de plus en plus la coopération militaire avec Israël comme un moyen de dissuasion potentiel face à l'agression [sic] du Front Polisario et, dans une moindre mesure, de l'Algérie », ajoute l'officier. « Toutefois, cette position et sa récente course à l'achat d'armes aggravent les tensions diplomatiques avec Alger.

 

Le Front Polisario lutte depuis 50 ans pour l'indépendance de l'ancien Sahara espagnol, occupé par le Maroc, où vit la population sahraouie.

 

Les deux premières années de coopération militaire ont été marquées par l'achat par le Maroc d'un certain nombre de systèmes de défense de zone Barak MX ADS produits par les Industries aérospatiales israéliennes, pour une valeur de 500 millions de $. Le Barak MX ADS est un système de missiles « capable de se défendre contre des menaces aériennes multiples et simultanées, telles que des missiles de croisière, des drones, des hélicoptères, provenant de différentes sources et distances ». Il existe différents modèles de ce système : le Barak MRAD, qui a une portée opérationnelle de 35 km ; le Barak LRAD de 70 km et le Barak ER de 150 km.

 

 

 Le Maroc a également acheté à Israel Aerospace Industries un lot de drones kamikazes (avions sans pilote armés de bombes et d'explosifs qui explosent lors de l'impact avec la cible) de type Harop. Il s’agit d’un un petit avion sans pilote (2,5 mètres de long), qui transporter une charge de 20 kg d'explosifs et voler pendant sept heures consécutives jusqu'à 1 000 kilomètres. La commande des drones kamikazes a coûté environ 22 millions de dollars ; les autorités de Rabat se seraient également engagées à construire deux usines de production de drones Harop.

 

Fin octobre 2022, le journal en ligne marocain Le Desk a rapporté l'achat par l'armée de 150 drones tactiques WanderB et ThunderB à la société BlueBird Aero Systems, détenue à 50% par le gouvernement israélien. Les drones ont été testés lors de l'exercice marocco-usaméricain Maroc Mantlet 2022, qui simulait des interventions militaires en cas de catastrophe naturelle.

 

Selon Le Desk, la commande remonte à l'année précédente et plusieurs des appareils « sont déjà opérationnels dans le cadre d'un contrat de 50 millions de dollars pour une production partielle au Maroc ». Le ThunderB  et le WanderB sont utilisés pour des opérations de renseignement, de surveillance, de ciblage et de reconnaissance (ISTAR), la “sécurité” des frontières, l'ordre public, la protection des convois et des forces, et l'observation de l'artillerie. Le WanderB a une durée de vol de 2,5 heures et une portée de 50 km ; le ThunderB peut voler sans interruption pendant 12 heures jusqu'à 150 km.

 

Dans les mêmes semaines, un accord israélo-marocain dans le domaine de la “défense aérienne” [pour se prémunir des redoutables aviations sahraouie et palestinienne, NdT] a également été annoncé : le site spécialisé Israel Defence, rapportant des sources officielles du renseignement national, a révélé le transfert aux forces armées de Rabat d'un système top secret de guerre électronique et de collecte de signaux radar, produit par Elbit Systems.

 

Israel Defence a ajouté qu'en novembre 2021, le Royaume du Maroc avait également acheté des systèmes anti-drones à la société Skylock Systems Ltd de Kefar Sava (district central d'Israël).

 

Parallèlement, la coopération entre les deux pays dans le secteur de la formation s'est développée. En juillet 2022, trois officiers des forces armées israéliénnes ont participé en tant qu'“observateurs" au méga-exercice militaire African Lion, mené au Maroc sous le commandement de l’U.S. Africa Command et des forces armées marocaines. « La participation d'Israël à l'exercice représente une étape supplémentaire dans le renforcement des relations de défense entre les deux pays », écrivait alors Israel Defence. « Il s'agit également d'une continuation de la participation des unités antiterroristes des forces armées marocaines à l'exercice multinational qui s'est tenu en Israël l'année dernière ».

 

 

Toujours en juillet 2022, le général Aviv Kohavi s'est rendu au Maroc pour rencontrer l'inspecteur général des forces armées royales, Belkhir El Farouk. La visite du général Kohavi était la première visite officielle d'un chef d'armée israélien et a été suivie en septembre par le voyage du général Belkhir El Farouk en Israël à l'occasion de l’Operational Innovation, un événement organisé par les Forces de défense israéliennes.

 

Les deux rencontres - note l'agence Nanopress - ont eu lieu « dans un contexte où le Maroc est en conflit armé de basse intensité avec le Front Polisario, une organisation dont le principal allié et protecteur est l'Algérie ». "La tension entre les deux pays du Maghreb a atteint son point le plus sensible en novembre 2021, lorsque la présidence algérienne a publié un communiqué annonçant que trois civils algériens avaient été lâchement assassinés par un bombardement barbare alors qu'ils se rendaient en camion de la capitale mauritanienne, Nouakchott, à la ville algérienne de Ouargla. Les autorités d'Alger avaient pointé du doigt des armes sophistiquées achetées par le Maroc à Israël.

 

 

Les chefs de cyberguerre fraternellement réunis : Gabi Portnoy (Israël), Robert Silvers (USA), Mohamed Al Kuwaiti (ÉAU), Salman Ben Mohammed Ben Abdullah Al Khalifa (Bahreïn), Général El Mostafa Rabii (Maroc). Photo Gilad Kavalerchik. Vidéo du spectacle mis en scène :

 

Le 31 janvier 2023, le Cybertech Global 2023 s'est tenu à Tel-Aviv, une réunion sur les nouvelles technologies de cyberguerre parrainée par le gouvernement israélien et à laquelle ont participé des responsables de la cyberguerre d'Israël, du Maroc, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et des USA. « Nous formons désormais une équipe et ce partenariat est une grande réussite », a déclaré le directeur du Centre de veille de détection et de réponses aux cyber-attaques relevant de la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI) et directeur du maCERT (Moroccan Computer Emergency Response Team) le général El Mostafa Rabii, à l'issue de la réunion. « En raison de l'existence de criminels appartenant à différents groupes, les cybermenaces n'ont pas de frontières. Nous devons amener nos groupes à travailler ensemble sur des cas concrets afin de renforcer la confiance entre nous... ».  Bref, armes et cyberguerre au nom des accords d'Abraham.

 

Manifestation de soutien à la Palestine devant le parlement marocain à Rabat le 7 avril dernier. Vidéo Fadel Senna/AFP

28/05/2023

ANNAMARIA RIVERA
Produire de la viande

Annamaria Rivera, Comune-Info, 25/5/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pour aborder, même brièvement, un thème tel que celui que je propose, je pense qu’il convient de commencer par le concept de réification. En résumé, on peut dire qu’il s’agit d’une posture, d’une disposition, d’une pratique sociale routinière qui nous incite à traiter les sujets autres que nous-mêmes non pas d’une manière conforme à leurs qualités d’êtres sensibles, mais comme des objets inertes, voire comme des choses ou des marchandises.

Une autre ligne de pensée que j’ai essayé de rendre opérante est celle que l’on pourrait trivialement appeler animaliste : il s’agit en fait d’une réflexion sur la continuité des processus de domination et de réification. La dialectique négative proposée par Theodor W. Adorno, selon laquelle le moi de l’humain est produit par la négation active de l’autre-que-soi, liée à la domination sur la nature, ne concerne pas seulement le rapport hommes/femmes et nous/les /autres, mais aussi celui entre humains et animaux.

Dans le cas des animaux, la marchandisation est en effet totale, au point que les industries qui exploitent les non-humains « ne parlent plus seulement de reproduction mais de production de l’animal : comme si les animaux n’étaient qu’une matière corporelle qu’il appartient au travail humain de former, d’instrumentaliser et de reproduire », ainsi que de tuer (Melanie Bujok, 2008, Materialità corporea, “materiale-corpo”. Pensieri sullappropriazione del corpo di animali e donne ; orig. Körperliche Materialität, „Körper-Material“-Einige Gedanken zur Bemächtigung des Körpers von Tieren und Frauen, 2005).

 

Si abschlachten (“abattre, massacrer” : cf. Schlachter, boucher) était le verbe utilisé par les bouchers nazis pour nommer le massacre des prisonniers dans les camps, planifié et réalisé selon une stricte logique industrielle, aujourd’hui, élever, torturer et abattre des animaux s’appelle “produire de la viande”.

 

Pour subvertir ce modèle, il faut d’abord en montrer la partialité : bien qu’il se soit répandu dans des domaines disparates, il est issu d’une petite fraction de la pensée philosophique - l’occidentale moderne - qui tend à penser en termes de polarités opposées le rapport entre nature et culture, qui sépare, culturellement et moralement, les humains des non-humains, qui établit une fracture irrémédiable entre les sujets humains et les objets animaux, déniant à ces derniers la qualité de sujets, précisément, dotés de sensibilités, de biographies, de mondes, de cultures et d’histoires.


 Cette fraction de la pensée a produit une ontologie très particulière qui, à son tour, a généré une cosmologie et une éthique parmi d’autres. Pour bien comprendre son arbitraire, sa spécificité et donc sa non-universalité, il suffit de considérer que ce modèle dualiste n’a pas de sens pour la plupart des traditions culturelles non occidentales. Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui ont fait de la continuité entre les êtres vivants le paradigme constitutif de leurs ontologies et de leurs cosmologies.

 

La réification des non-humains s’est transformée en marchandisation massive avec les élevages intensifs et les abattoirs automatisés des sociétés industrielles-capitalistes : des structures de concentration, pourrait-on dire, qui, en favorisant le “saut d’espèce”, représentent, entre autres, l’une des causes de la dernière pandémie, comme de bien d’autres qui l’ont précédée.

 

Il suffit de mentionner le SRAS (“syndrome respiratoire aigu sévère”), qui s’est répandu entre 2002 et 2003, également causé par un coronavirus. Mais il ne faut pas oublier que l’Ebola, le sida, la grippe aviaire sont également d’origine zoonotique.

 

Tout cela est dialectiquement lié aux processus rapides et de plus en plus répandus de déforestation, d’urbanisation, d’industrialisation, voire d’agriculture, qui enlèvent progressivement des portions d’habitat aux animaux dits sauvages. Ceux-ci, s’ils survivent, ne peuvent que s’approcher des installations humaines et donc aussi des animaux dits “d’élevage”, parmi les plus vulnérables car immunologiquement déprimés en raison des conditions et des traitements extrêmes auxquels ils sont soumis : entre autres, l’administration de doses anormales d’antibiotiques, sans parler des pratiques de véritable torture.

 

Dans Homo sapiens et mucca pazza. Antropologia del rapporto con il mondo animale (Homo sapiens et vache folle. Anthropologie du rapport avec le monde animal), un livre que j’ai édité, publié par la maison d’édition Dedalo en 2000, et pourtant tragiquement d’actualité, j’ai écrit, entre autres, que ceux qui achètent, par exemple, « de la viande de veau ignorent ou veulent ignorer que la clarté de cette chair devenue viande est obtenue en forçant le veau à vivre sa courte vie dans l’immobilité absolue, bourré de toutes sortes de médicaments qui font vieillir rapidement ses organes, et emprisonné dans des espaces étroits et sombres".

 

Ce volume, auquel ont participé, outre moi-même, Mondher Kilani, Roberto Marchesini et Luisella Battaglia, était, en particulier dans le cas de ma contribution, largement inspiré par le grand anthropologue Philippe Descola (Par-delà nature et culture, Gallimard 2005), même s’il ne manquait pas de références explicites à d’autres penseurs importants tels que Jacques Derrida (L’animal  que  donc je suis, Galilée 2006).

 

Si les raisons de la propension à manger de la “viande” sont à chercher avant tout du côté du marché et des intérêts de l’industrie de l’élevage, il ne faut pas négliger l’importance de la raison symbolique : dès 1992, Derrida dans Points de suspension (Galilée, 1992) avait esquissé la figure d’une subjectivité “phallogocentrique de la viande”, propre au sujet masculin, détenteur du logos et, précisément, carnivore. À cela s’ajoute la manipulation cruelle des êtres vivants que constituent les expériences de transgénèse, de clonage, etc.

 

Avec les animaux de laboratoire, le cycle maudit atteint son paroxysme. Il n’est donc pas exagéré d’établir une analogie avec les pratiques nazies consistant à réduire les corps humains à l’état de mannequins, d’instruments, de cobayes pour la réalisation d’atroces expériences soi-disant “scientifiques”.

 

Et pourtant, au plus fort de la crise pandémique, la dernière en date, alors que la prise de conscience de la centralité de la question de notre relation perverse avec les écosystèmes et les non-humains aurait dû être largement partagée, a fortiori par les universitaires, voilà que certains d’entre eux se sont laissé aller à des déclarations déconcertantes. Je fais allusion au virologue Roberto Burioni qui, à la télévision, a souhaité que “nos amis à quatre pattes” puissent également contracter le Covid-19 car cela « nous donnera un avantage considérable dans l’expérimentation des vaccins ».

 

Pourtant, il est bien connu que le modèle des expériences sur les non-humains est non seulement inacceptable d’un point de vue éthique, mais qu’il est aujourd’hui si coûteux et dépassé qu’il rend très improbable la création de médicaments et de vaccins efficaces. Cela ne concerne pas seulement le sort des non-humains. Une idéologie et des pratiques similaires conduisent au sacrifice sélectif des humains, les plus vulnérables, les plus exposés, les plus précaires et/ou les plus altérisés, comme nous l’avons également vu lors de la récente pandémie.

 

Depuis près de trente ans, c’est-à-dire depuis que j’ai commencé à intégrer ce qu’on appelle improprement la “question animale” (ou la “question non humaine”) dans mes recherches, et donc dans des essais et des articles, la pensée et les travaux de Philippe Descola me sont devenus indispensables, au point que je le cite très fréquemment : extrêmement utiles, l’un et l’autre, pour montrer - comme il l’écrit lui-même dans Par-delà nature et culture - que « l’opposition entre la nature et la culture ne possède pas l’universalité qu’on lui prête».

 

«  Mener à bien une telle entreprise », ajoute-t-il «  exige que l’anthropologie se défasse de son dualisme constitutif et devienne pleinement moniste ».

 

C’est d’ailleurs grâce à ses recherches et à sa réflexion que j’ai trouvé le courage de mener plus d’une décennie d’enquêtes de terrain à Essaouira : une ville du sud-ouest du Maroc, exemplaire par son histoire de mixité, notamment par la longue cohabitation entre arabo-musulmans et juifs, sans parler d’autres minorités, mais aussi par la cohabitation dense et profonde entre les humains et certaines catégories de non-humains.

Ma recherche - comme je l’ai dit - inspirée de ce qu’on appelle aujourd’hui, un peu improprement, « l’ethnographie multi-espèces », qui a ensuite, dans mon cas, pris la forme d’un essai, publié par Dedalo en 2016 : La città dei gatti. Antropologia animalista di Essaouira (La ville des chats. Anthropologie animaliste d’Essaouira).

Dans cet essai, le thème de la convivialité interspécifique joue un rôle important : avec les chats, les mouettes et même les chiens. Je dis “même” parce que ces derniers ont longtemps été considérés, du côté musulman, comme des êtres impurs, comme on le sait. Il faut cependant préciser que cette distinction entre animaux purs et impurs n’est pas du tout propre au seul monde musulman. Et actuellement, à Essaouira notamment, les chiens sont également accueillis, protégés et intégrés dans le monde des humains.

 

Un autre aspect mérite d’être souligné : à Essaouira, les personnes qui prennent soin d’animaux libres comme les mouettes, les chats et même les chiens sont aussi, voire surtout, les personnes les plus démunies, qui pratiquent une éthique commune de la compassion et de la solidarité, élargie au-delà de l’“espèce” humaine. En s’adonnant au “luxe” du sens et du don, de l’affection et de l’attention les plus gratuites, elles échappent à la raison économique et utilitariste qui les a condamnés. Ils brisent ainsi la chaîne de la dépendance obligatoire à l’égard du besoin à laquelle la société les a liées et dont elle les imagine esclaves.


 

Toujours à propos de la convivialité interspécifique, il convient d’ajouter qu’elle a été pour moi non seulement un objet d’observation, mais aussi et surtout une expérience relationnelle personnelle : directe et durable. En effet, selon mon expérience de terrain, l’animalité, si elle ne permet pas de placer le non-humain dans le rôle classique de “l’informateur ”, le place cependant dans celui d’acteur et de témoin d’un contexte qui favorise les rencontres, les relations, voire les amitiés transpécifiques durables. Tout cela, j’ai pu l’expérimenter personnellement, notamment avec quelques mouettes et chats, auxquels me lie une amitié fidèle et constante depuis plusieurs années.

 

Pour conclure avec une dernière citation de Descola : « Bien des sociétés dites « primitives » […] n’ont jamais songé que les frontières de l’humanité s’arrêtaient aux portes de l’espèce humaine, elles qui n’hésitent pas à inviter dans le concert de leur vie sociale les plus modestes plantes, les plus insignifiants des animaux. »

 

“Humains, la vraie peste, c'est vous”