Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

12/08/2023

RAÚL ZIBECHI
Un camp de concentration appelé El Salvador

Raúl Zibechi, La Jornada, 11/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le philosophe italien Giorgio Agamben a probablement fait preuve d’euphémisme en affirmant que le paradigme de la vie contemporaine n’est pas la ville, mais le camp de concentration. Si nous observons ce qui se passe dans différents coins de l’Amérique latine, nous sommes confrontés à un saut qualitatif et quantitatif dans l’expansion des camps d’enfermement.


Le président salvadorien, Nayib Bukele, a décrété le bouclage de tout un département (équivalent des provinces ou des états dans d’autres pays) agro-pastoral, habité par 160 000 personnes et situé dans le centre-nord du pays. Il s’agit de Cabañas, assiégé par 8 000 militaires et policiers qui seraient à la chasse d’une petite bande criminelle.

Pour de nombreux Salvadoriens, le siège actuel rappelle les opérations de “terre brûlée” lancées par l’armée contre les guérillas pendant la guerre civile qui s’est intensifiée dans les années 1980. Aujourd’hui, dans le cadre de l’état d’urgence, des municipalités et des villes se sont retrouvées en état de siège, mais c’est la première fois que tout un département est bouclé.

L’état d’urgence est en vigueur depuis mars 2022, accepté par un parlement et un pouvoir judiciaire soumis à la volonté du président. Durant cette période, plus de 70 000 personnes ont été arrêtées et emprisonnées, enfournées dans des prisons de haute sécurité où leur humanité est systématiquement violée, comme l’attestent les photos et vidéos diffusées par le gouvernement lui-même. Six organisations de défense des droits humains ont publié un rapport dans lequel elles affirment que cet État policier a fait 5 490 victimes de violations des droits humains en seulement 15 mois, soit une moyenne de 12 violations par jour.

Il s’agit notamment d’arrestations arbitraires, de menaces, de blessures, d’agressions et de viols, ainsi que de la mort de 173 personnes détenues par l’État. Le gouvernement multiplie les actions. Une récente réforme judiciaire autorise les procès de masse de groupes allant jusqu’à 900 personnes, au mépris des garanties légales minimales.

Un éditorial de l’Asociación de Radiodifusión Participativa de El Salvador (Arpas), basé sur un rapport du journal El Faro, affirme que le gouvernement de Bukele « négocie une réduction des homicides et un soutien électoral au parti Nuevas Ideas en échange d’avantages pour les membres des gangs et leurs familles ». Il ajoute que certains analystes considèrent que le pacte de Bukele avec les gangs n’est pas comme les trêves des gouvernements précédents, et pourrait être une « alliance stratégique pour la gouvernabilité » (Arpas, 4/22).

El Faro affirme, sur la base de documents officiels, que Bukele négocie depuis des années avec la Mara Salvatrucha 13 (MS-13) pour obtenir un soutien électoral à sa candidature, en libérant les chefs de gangs (El Faro, 3/9/20). De telles alliances sont courantes dans le monde entier et sont en fait créées avec un double objectif : stabiliser la gouvernance et détruire les organisations de la société, cet objectif étant peut-être le plus cher aux gouvernements d’aujourd’hui.

Dans une période de soulèvements et de révoltes populaires dans toute l’Amérique latine, attiser le crime organisé contre les peuples en lutte semble être une excellente “affaire” pour ceux d’en haut. Il est très probable que le gouvernement Lasso en Équateur et les gouvernements mexicains qui ont lancé la « guerre contre la drogue » ont eu et ont encore de tels accords avec le crime organisé, même s’ils sont mieux protégés de la couverture médiatique.

La militarisation et les attaques contre les peuples visent à libérer les territoires afin que le capital puisse transformer les biens communs en marchandises. Au Salvador, le Cabañas a été l’épicentre de la résistance à l’exploitation minière transnationale et une région d’intérêt pour les grandes entreprises qui cherchent à exploiter l’or et l’argent. Entre 2000 et 2017, des entreprises canadiennes et australiennes se sont heurtées à l’opposition des communautés concernées.

En Cabañas, les dirigeants communautaires font état de persécutions, de menaces, de harcèlement judiciaire et de surveillance. Plusieurs dirigeants ont été assassinés et emprisonnés ces dernières années. On peut conclure que le siège de Cabañas vise à affaiblir la résistance des communautés, qui savent très bien que l’exploitation minière finirait par porter un coup définitif à leur survie, car la crise de l’eau qui touche toute l’Amérique centrale s’aggrave au Salvador.

Dans le couloir sec de l’Amérique centrale, les longues sécheresses, les tempêtes et les pluies diluviennes aggravent la pauvreté en affectant les cycles de production de la terre. Près de 70 % du territoire salvadorien souffre d’une sécheresse importante ou grave. Les migrants de cette région, peuplée de 10 millions de personnes, peuvent être considérés comme des réfugiés climatiques.

Bukele boucle la boucle de la guerre de dépossession contre le peuple : il a créé un État policier, militarisé de grandes parties du pays, déplacé des populations et ouvert de nouveaux territoires à l’accumulation par dépossession. Un pays transformé en camp de concentration, que les autres classes dirigeantes veulent imiter.


Les Sept cercles de l’enfer : Bukele visite le tout nouveau “Centre de confinement du terrorisme » « digne du premier monde » (dixit le directeur nommé… Osiris Luna), qui, avec une capacité d’enfermement de 40 000 personnes, promet d’être la plus grande prison du monde. Plus de 70 000 personnes ont été emprisonnées en 18 mois dans ce pays comptant 6,3 millions d’habitants.

 

 

GIDEON LEVY
Maria a miraculeusement survécu à une frappe de missile israélienne. 17 ans plus tard, un incident à un poste de contrôle a réveillé son traumatisme

Gideon Levy, Haaretz, 12/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Enfant, Maria Aman a été gravement blessée et a perdu la plupart des membres de sa famille lorsqu’un missile israélien a touché leur voiture à Gaza. Après une rééducation miraculeuse en Israël, mais paralysée et ventilée, elle a récemment revécu son traumatisme à un poste de contrôle.

 

Maria Aman avec son père Hamdi  Photo : Moti Mirlod

 

 Un SMS, il y a deux semaines : « Je ne peux pas supporter ce qui m’est arrivé hier. Parle à mon père ». Un message vocal le même soir, après minuit : « Bonjour Gideon, je voulais juste te dire que je suis allée à la police. Je suis allée les voir et je leur ai dit. Je leur ai raconté tout ce qui m’était arrivé au poste de contrôle et ils m’ont dit  “il n’y a rien eu de tel, nous devons vérifier ton histoire” ».

 

Retour en arrière, il y a 17 ans. 20 mai 2006, Gaza. La famille Aman achète une Mitsubishi Lancer d’occasion pour 7 000 dinars jordaniens (environ 9 000€ à l’époque) et entame joyeusement son premier voyage - parents, enfants, grand-mère, oncle - dans les rues principales de la ville. Maria, une petite fille de 3 ans et demi, se tient entre sa mère et son père dans la voiture et chante une chanson joyeuse.

 

C’était la dernière fois qu’elle se tenait debout. Un missile tiré par un pilote de l’armée de l’air israélienne sur la voiture d’un individu recherché a également endommagé le véhicule des Aman et tué presque tous ses occupants : Muhand, 7 ans, sa mère et celle de Maria, Naima, 27 ans, et leur grand-mère, Hanan, 46 ans. L’oncle, Nahed, 33 ans, mourra environ un mois plus tard. Maria, la petite fille chantante qui a perdu quatre membres de sa famille, était dans un état critique et a été plongée dans un coma artificiel et placée sous respirateur. Elle a d’abord été transportée à l’hôpital Shifa de Gaza, mais quelques jours plus tard, dans un effort apparemment ultime, elle a été transférée au centre médical Sheba de Ramat Gan.

 

Quelques jours plus tard, j’ai visité la maison familiale dans le quartier Tel al-Hawa de la ville de Gaza. Le silence sinistre qui régnait dans la maison n’était rompu que par les pleurs du père de famille, Hamdi Aman, qui avait alors 28 ans et avait perdu presque tous les êtres qui lui étaient chers. Il avait été blessé à la jambe lors de l’attaque et boitait sur le sable dans la cour, serrant dans ses bras Muaman, le fils de deux ans qui lui restait, le petit survivant qui pleurait sa mère, son frère et sa grand-mère, qui avaient disparu de sa vie. Au centre médical de Sheba, Maria était en grande difficulté.

 

Dans un premier temps, Hamdi a refusé de nous parler et nous a jeté un regard hostile. Par la suite, il nous a demandé de traduire un fax qu’il avait reçu de l’hôpital. Les médecins devaient pratiquer une petite intervention sur la trachée de Maria afin de l’aider à respirer ; son père devait signer un formulaire de consentement de toute urgence. Les autorités israéliennes avaient refusé d’accorder au père endeuillé un permis d’entrée pour être au chevet de sa fille.

 

Après la visite à Gaza, j’ai écrit dans ces pages, le 1er juin 2006 : « “Je ne déteste pas les Israéliens”, dit ce jeune homme qui a grandi [en travaillant] au marché du Carmel à Tel-Aviv et dont la famille a été ainsi détruite par Israël. Hamdi n’a rien mangé depuis la tragédie - seulement des larmes et des cigarettes, l’une après l’autre » De manière scandaleuse, le porte-parole des Forces de défense israéliennes a exprimé des doutes sur le fait que quelqu’un dans la famille ait réellement été tué par le missile de précision, mais a annoncé froidement : « Si des Palestiniens ont été tués par des tirs des Forces de défense israéliennes, des leçons opérationnelles seront tirées ».

Dix jours plus tard, j’ai fait un rapport de l’hôpital : « L’enchevêtrement de tubes et le respirateur artificiel fixé directement sur sa trachée ne peuvent cacher sa beauté. Petite fille de 3 ans allongée dans l’unité de soins intensifs pédiatriques du centre médical de Sheba, Maria Aman a de tristes yeux bruns en amande grands ouverts, ses lèvres murmurent : “De la nourriture, je veux manger”, mais tous ses membres sont paralysés, pour toujours ». Puis, le 15 juin, lors d’une visite à l’hôpital Alyn, un centre de rééducation pédiatrique à Jérusalem, j’ai écrit : « Une fin heureuse ? Ce n’est pas une fin et elle n’est pas heureuse. Maria Aman, une petite fille paralysée et ventilée, a été transférée cette semaine à l’hôpital Alyn de Jérusalem, alors qu’Israël s’apprêtait déjà à la renvoyer à Gaza ».


 Maria Aman avec son père à l’hôpital Alyn de Jérusalem en 2011. Photo : Emil Salman

 Un silence pesant, renforcé par la peur de l’inconnu, régnait dans l’ambulance de soins intensifs qui l’a transportée de Sheba à Jérusalem, où je les attendais. Son père, qui avait enfin été autorisé à entrer en Israël, et un parent de Jaffa l’accompagnaient dans l’ambulance. L’accueil à Alyn, par un médecin portant une kippa, a été chaleureux et professionnel. La bataille publique acharnée menée par quelques Israéliens pour obtenir des autorités qu’elles l’autorisent à rester en Israël pour un traitement médical a été couronnée de succès, cette fois-ci. Tous deux ont passé les cinq années et demie suivantes dans une petite chambre d’Alyn - Maria et son père, Hamdi, qui est resté à ses côtés sans relâche, jour et nuit.

Maria, qui a aujourd’hui 21 ans, peut parler et a appris à utiliser sa bouche pour faire avancer son fauteuil roulant électrique sophistiqué - tout ce qui est arrivé à Alyn, il y a plus de dix ans, était miraculeux. Grâce à la pression exercée par les quelques bons Israéliens qui se sont mobilisés pour l’aider, la bureaucratie israélienne a dérogé à la coutume et s’est comportée avec une humanité et une générosité dignes d’éloges - à grande échelle : Maria a reçu presque tout ce qu’un Israélien blessé lors d’une attaque hostile aurait reçu.

 

Elle et son frère ont le statut de résident permanent dans le pays - leur père est encore un résident temporaire - et ils vivent dans un appartement loué dans le beau quartier de Sharafat à Jérusalem-Est. La maison dans laquelle ils ont emménagé il y a quelques mois a été adaptée à son handicap, ils disposent d’un véhicule spécialement conçu, et l’équipement médical et de rééducation mis à la disposition de Maria ne ferait pas honte à un établissement médical de pointe. Aujourd’hui, Hamdi, le jeune père endeuillé et en colère de Tel al-Hawa, peut rivaliser en termes de connaissances médicales avec pratiquement toutes les infirmières et quelques médecins.


« Je dors en fonction du niveau de saturation [en oxygène, dans le respirateur de Maria] » a-t-il raconté cette semaine, assis dans le joli salon de la famille. Sa fille et lui partagent une chambre : Maria dans un lit d’hôpital sophistiqué ; lui, en bas, dans un lit de campagne. Hamdi, qui est aux côtés de sa fille 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 depuis 17 ans - nous savons tous que les Palestiniens n’aiment pas leurs enfants, n’est-ce pas ? - sait que si le respirateur se met à biper, Dieu nous en préserve, il dispose d’exactement 50 secondes pour sauver la vie de sa fille. Il sait comment changer les piles de la machine, comment faire fonctionner un dispositif d’inhalation manuelle si nécessaire, comment drainer le mucus qui s’accumule fréquemment dans les poumons de Maria, comment prendre soin de ses cheveux et de ses ongles. En général : comment s’occuper de son corps jour et nuit, comment répondre à tous ses besoins.

 

Il décrit le pacemaker implanté dans ses poumons et les médicaments qu’elle prend pour entretenir ses muscles et éviter les crampes. Sa Maria est une jeune femme extrêmement soignée, avec un bijou en or éblouissant à la main droite - qu’elle ne peut pas bouger, tout comme ses autres membres - acheté par son père à Hébron. Les murs du salon sont ornés de superbes peintures de paysages qu’elle réalise avec sa bouche. Il y a quelques années, elle a exposé à la galerie Ben Ami de Tel Aviv. Elle utilise fréquemment son téléphone portable spécialement conçu pour envoyer des messages vocaux et écrits, et pour avoir des conversations, par l’intermédiaire d’une petite tige qu’elle place dans sa bouche.

 

Au fil des ans, la maison des Aman s’est israélisée. L’arabe et l’hébreu sont entendus alternativement, la télévision est réglée sur les chaînes israéliennes. Le petit frère, Muaman, qui a été à nouveau blessé au bras par l’armée israélienne quatre mois après la catastrophe de Gaza, alors qu’il était encore coupé de son père et de sa sœur, a finalement été autorisé à les rejoindre en Israël. Il a aujourd’hui 20 ans et parle l’hébreu sans accent, plus couramment que l’arabe. Il étudie l’optométrie au Hadassah Academic College de Jérusalem, travaille comme caissier dans un supermarché et a un look tout à fait israélien. Lorsqu’il s’est avancé vers nous cette semaine, dans la rue où il vit, je n’ai pas reconnu le petit garçon effrayé que j’avais rencontré à l’époque.

 

Maria dit rêver de pouvoir poursuivre sa scolarité comme son frère et de trouver ensuite un emploi adapté à sa condition. Jusqu’à l’âge de 21 ans, elle était inscrite dans une école en tant qu’élève en éducation spéciale ; aujourd’hui, elle cherche un autre cadre pour poursuivre ses études.

 Maria Aman avec son père, Hamdi, et son frère Muaman, chez elle cette semaine à Jérusalem-Est. Photo : Moti Milrod

 

De temps en temps, la famille se rend à la plage de Bat Yam, au sud de Tel Aviv, qui est accessible aux personnes en fauteuil roulant. Au début, les médecins voulaient utiliser une sonde d’alimentation reliée directement à l’estomac, pour le reste de sa vie. Mais Hamdi a refusé. Aujourd’hui, Maria mange de tout. « Il n’y a rien que je n’aime pas manger », nous dit cette jeune femme pleine de joie de vivre.

 

Mais il y a deux semaines, tout semblait sur le point de s’effondrer. Hamdi est bénévole au sein de Road to Recovery, une organisation à but non lucratif dont les membres conduisent les Palestiniens des points de contrôle de Cisjordanie et du point de contrôle d’Erez, à la frontière de Gaza, vers les hôpitaux israéliens et vice-versa. Parfois, il aide également les patients de la bande de Gaza qui le contactent directement, comme il l’a fait le 26 juillet avec Dunya Arafat, une jeune Gazaouie qui s’était rendue à l’hôpital El-Ahli d’Hébron pour soigner son fils Fares, âgé de moins d’un mois, qui avait besoin d’une opération du cœur. Lorsqu’ils sont sortis de l’hôpital, Hamdi, avec Maria dans la voiture bien sûr, est venu les chercher pour les conduire au point de passage d’Erez. Ce qui leur est arrivé en route, au poste de contrôle de Tarkumiya, a été décrit en détail par Orly Vilnai au début du mois, dans l’édition hébraïque de Haaretz.

 

Selon Hamdi, les gardes du poste de contrôle ont exigé que Maria sorte de la voiture et soit soumise à un contrôle de sécurité, et que tout son équipement, y compris son ventilateur, sa machine de drainage et son cathéter, soit passé au scanner. Maria a commencé à avoir une crise de panique et son a pris sa défense.

 

« Faites-moi ce que vous voulez, mais ne touchez pas à Maria. Cette fille est paralysée et sous respirateur - et n’oubliez pas qu’elle est résidente permanente de l’État et que le véhicule appartient également à l’État », a-t-il dit aux gardes.

 

Hamdi et Maria décrivent l’incident comme une expérience intimidante. À un moment donné, un garde a pointé son arme sur Maria. « Vous devriez avoir honte de pointer une arme sur une jeune fille handicapée », lui a dit Hamdi. « Nous sommes une famille endeuillée, vous avez tué toute une famille, sa mère et son frère, sa grand-mère et son oncle. Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? »

 

Des fonctionnaires du ministère de la défense ont démenti l’affirmation selon laquelle une arme aurait été pointée sur Maria et ont expliqué que les gardes sont tenus de porter des armes au poste de contrôle.

 

Yael Noy, directrice de l’organisation Road to Recovery, qui connaît très bien Hamdi et Maria et s’est rendue chez eux après l’incident, s’est également efforcée de donner une image plus douce de ce qui s’est passé. « Nous tenons à souligner que nous [notre organisation] recevons régulièrement un excellent traitement et une réponse immédiate à toutes les demandes que nous adressons aux autorités qui supervisent les postes de contrôle. Grâce au dévouement et à l’attention des autorités, nous sommes en mesure d’apporter aux patients palestiniens l’aide dont ils ont besoin dans la réalité complexe dans laquelle nous vivons ».

 

Maria Aman avec son père, Hamdi. Photo  : Moti Milrod

Il semble qu’une certaine insensibilité des gardes et l’anxiété d’un père attentionné se soient opposées au poste de contrôle, mais il n’y avait apparemment pas de malice.

 

Un porte-parole du ministère de la défense a donné la réponse suivante à Haaretz cette semaine : « M. Hamdi est arrivé sans coordination préalable, comme l’exigent les procédures, avec une femme de Gaza et son fils en bas âge. Lors d’une vérification en temps réel avec la Road to Recovery, il s’est avéré qu’ils n’avaient aucune connaissance du sujet et qu’il n’avait pas été coordonné avec eux. Malgré l’absence de coordination, il a été décidé de les accueillir et de les prendre en charge sur place.

 

« Le chef d’équipe [du poste de contrôle] a demandé à la Palestinienne de Gaza de sortir avec ses affaires pour un contrôle rapide et la saisie de son permis de transit, comme l’exige le protocole. À ce stade, M. Hamdi a commencé à expliquer qu’il avait avec lui sa fille, placée sous respirateur, et le chef d’équipe lui a dit qu’elle pouvait bien sûr rester dans le véhicule et qu’elle serait traitée dans le véhicule selon une procédure de contrôle simplifiée et rapide, ce qui a effectivement été fait.

 

« Au même moment, M. Hamdi a commencé à faire des allégations agressives et a essayé de faire sortir sa fille [du véhicule], malgré nos demandes claires de ne pas le faire. À un moment donné, M. Hamdi a commencé à prendre des photos dans l’enceinte du centre de transit. On lui a dit qu’il le faisait en violation de la loi et on a attiré son attention sur un panneau situé à proximité [indiquant] qu’il était interdit de prendre des photos sur le site.

 

« Nous notons que le comportement de M. Hamdi a retardé la conclusion du traitement de la situation, lorsqu’il lui a été demandé à plusieurs reprises de retirer les effets personnels du passager gazaoui et qu’il a tenté d’en laisser dans le véhicule, ce qui a entraîné un retard dans la conclusion du contrôle.

 

« L’allégation selon laquelle un garde aurait pointé une arme est totalement infondée et déconnectée de la réalité. Ce n’est pas notre façon d’opérer, ni professionnellement, ni moralement. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle ‘un contrôle a été effectué sur le corps de Maria et sur son matériel médical’, le contrôle a été effectué selon une procédure simplifiée, en veillant à la sécurité de la patiente et en s’assurant que le matériel médical restait intact ».

 

Pour sa part, Maria dit qu’elle ne dort toujours pas la nuit depuis l’incident. Tout est remonté à la surface. Pendant qu’elle parle, il y a une accumulation de mucus dans ses poumons et Hamdi plonge rapidement le tube de drainage au fond de sa gorge pour le retirer. Son corps est parcouru de tremblements involontaires, mais quelques minutes plus tard, tout est redevenu comme avant.

 

 

06/08/2023

GIDEON LEVY
Yigal Amir, le tabou le plus intouchable d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 6/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Aucun tabou dans la société israélienne n’est plus grand ou plus sacro-saint que celui de Yigal Amir.

Il est interdit de parler de lui ou même de mentionner son nom. Il n’y a pas de sujet qui, apparemment - seulement apparemment – unisse la gauche et la droite plus que l’assassin d’Yitzhak Rabin. Le pont Yigal Amir s’étend des confins de la droite aux confins de la gauche, étant entendu qu’aucun mot ne doit être prononcé sur le sujet.

Yigal Amir, vu par David Tartakover

Amir sert de feuille de vigne aux deux camps. La gauche se considère comme une victime de l’odieux assassinat politique qui lui a fait perdre son chemin, tandis que la droite démontre son opposition à la violence politique et répudie Amir, pour marquer sa légitimité.

Ce qui s’est passé la semaine dernière dans l’émission “Les Patriotes” de Canal 14 est révélateur de la situation : Ari Shamai, l’ancien avocat d’Amir, a osé dire que la loi interdisant effectivement la grâce ou la libération conditionnelle du meurtrier d’un premier ministre était une loi personnalisée - comment pourrait-on soutenir le contraire - ajoutant qu’il était temps qu’Amir soit libéré. Même le plus grand détecteur de sentiments populistes, le journaliste Yinon Magal, sest empressé, comme un possédé, de faire taire les applaudissements du public. Shamai a été licencié le soir même par la chaîne de droite.

Comme tous les tabous, celui-ci fait naître le soupçon que la dissimulation zélée cache un coin sombre que personne ne veut voir éclairé. Il est évident que lacte dAmir était ignoble et méprisable, comme nimporte quel meurtre et peut-être bien plus encore.

Alors pourquoi est-il interdit d’exprimer des opinions légèrement différentes ?

Étonnamment, le tabou autour d’Amir n’a fait que croître au fil du temps. Autrefois, il était encore possible de se demander pourquoi il avait dû rester en isolement pendant tant dannées, ou de se demander si son crime était bien le plus odieux commis en Israël - pire que nimporte quel tueur en série, violeur denfants ou tueur à gages, juste derrière Adolf Eichmann. Après tout, même la condamnation à mort dEichmann a suscité un débat public, quoique marginal, et personne na accusé ceux qui se sont opposés à son exécution dapprouver ses crimes.

Il n’y a aucune légitimité à poser de telles questions en ce qui concerne Amir. Il est devenu lennemi public par excellence. La droite le fuit comme le feu, de peur que son crime ne lentache. À cela s’ajoute peut-être la crainte de légitimer le meurtre politique par des personnes du camp adverse.

La gauche, pour sa part, a fait d’Amir la racine de tous les maux. Tout est de sa faute. Sil navait pas assassiné Rabin, la paix naurait pas été assassinée, Israël serait différent, il ne se serait pas effondré et nous vivrions dans un monde différent. Amir a tout gâché, et sil a tout gâché, la gauche na rien à se reprocher. Résultat : un intérêt commun à le rendre tabou.

Les protestations [contre la refonte judiciaire] ont rendu les frontières entre les camps plus claires. Tout est blanc ou noir. Vous êtes avec nous ou contre nous, et Amir est leur diable commun. Mais la salve dapplaudissements du public du studio la semaine dernière a prouvé que dautres sentiments bouillonnaient sous la surface. Ceux-ci ne doivent pas non plus être ignorés. Certains Israéliens considèrent Amir comme un héros qui a sauvé son pays du désastre. Les faire taire ne les fera pas changer davis.

Il est intéressant de constater que c’est Canal 14, qui fulmine contre ce qu’elle considère comme un silence de la part de la gauche, qui s’est jointe à ce silence d’une manière aussi extrême. Même cette chaîne a ses lignes rouges en matière dintérêts, dannonceurs et dargent. Pour le conglomérat alimentaire Strauss Group, le seul fait d’appeler à la libération d’Amir justifie le retrait de ses publicités sur Canal 14.

Mais Amir ne quittera jamais l’ordre du jour : il planera comme une ombre sombre, et une explosion occasionnelle comme celle de Shamai nous rappellera son existence. Amir est un assassin politique qui mérite une peine particulièrement sévère. Il na pas changé le cours de lhistoire et tous les intérêts politiques, quils soient de gauche ou de droite, doivent être tenus à lécart du débat sur son sort.

De même, l’apparence de consensus entre eux ne peut servir à éluder des questions telles que celle de savoir s’il était juste de voter une loi taillée sur mesure pour lui et d’affirmer ensuite que les lois personnalisées n’ont pas leur place dans une démocratie, et si, un jour, il pourra lui aussi bénéficier de la même humanité que n’importe quel criminel méprisable, et se voir accorder une libération conditionnelle sur ses vieux jours. Oui, vous avez bien lu.

ROMARIC GODIN
Karl Korsch, descongelar el marxismo

Romaric Godin , Mediapart, 3/8/2023
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

Hace cien años, “Marxismo y filosofía”, el libro de un profesor de Derecho alemán, causó sensación en la izquierda. Marcó el inicio de una singular trayectoria intelectual en oposición a las ideologías marxistas de todo pelaje, llamando a valorar las luchas sobre el terreno, y que sigue tan vigente como siempre.


Ilustración Simon Toupet 

Hace poco menos de cien años, el 16 de octubre de 1923, un profesor de Derecho de la Universidad de Jena de 37 años, Karl Korsch, fue nombrado Ministro de Justicia del Estado federado de Turingia. Fue todo un acontecimiento en la política alemana, ya que era miembro del Partido Comunista de Alemania, el KPD, y se incorporó, junto con otros dos compañeros, a un gobierno dirigido por un socialdemócrata del SPD, August Frölich.

Este último habia decidido formar un gabinete de unidad de izquierdas, siguiendo los pasos de su homólogo en la vecina Sajonia, Ernst Ziegler, que incluyó a dos comunistas en su gobierno. Sin embargo, desde hace cuatro años, el KPD, que se adhirió a la IIIa Internacional bolchevique , y el SPD, que dirigió numerosos gobiernos en la República de Weimar, parecen irreconciliables.

Pero en 1923, el país parecía sumido en el caos. La hiperinflación y la invasión francesa y belga del Ruhr habían destruido la economía alemana. El gobierno federal del liberal Gustav Stresemann se embarcó en una política de severa austeridad, que provocó tentaciones separatistas en Baviera y Renania y golpes de extrema derecha, como el que intentaron los nazis en Múnich el 8 de noviembre.

Seguir leyendo