Un
discours de Hassan Nasrallah du Hezbollah est diffusé à Téhéran, le 3 novembre
2023. Photo : Morteza Nikoubazl/NurPhoto via Getty.
Lundi, les
vols à l’aéroport de Beyrouth ont été annulés, le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahu ayant promis de mener une attaque militaire “sévère” contre
le Liban, à la suite de l’attaque meurtrière de samedi contre une communauté
druze syrienne dans la ville de Majdal Shams, située dans le Golan occupé par
Israël. L’horrible incident a tué 12 enfants sur un terrain de football.
Israël et
les USA ont immédiatement accusé le Hezbollah d’avoir frappé la ville avec une
roquette Falaq-1 lancée depuis le Sud-Liban. Le Hezbollah a nié être à l’origine
de l’attaque et le gouvernement libanais et lui-même ont demandé aux Nations
unies de mener une enquête indépendante.
La manière
dont les responsabilités de cet incident se sont publiquement manifestées se
prête à des théories divergentes. Plus tôt dans la journée de samedi, le
Hezbollah avait annoncé qu’il avait lancé une série d’attaques contre des
installations militaires israéliennes situées à proximité, en représailles à la
mort de quatre combattants du Hezbollah lors d’une frappe aérienne israélienne contre
le Sud-Liban. Lorsque la nouvelle des morts survenues sur le terrain de
football a commencé à être connue, le Hezbollah a rapidement publié un
communiqué indiquant qu’il n’avait « aucun lien avec l’incident [de Majdal
Shams] et qu’il démentait catégoriquement toutes les fausses allégations ».
Le Hezbollah a affirmé qu’un missile d’interception du Dôme de fer israélien
avait manqué sa cible et touché la ville. Israël a affirmé avoir identifié le
commandant du Hezbollah à l’origine de la frappe.
« Malgré
les dénégations [du Hezbollah], il s’agit de leur roquette, elle a été lancée
depuis une zone qu’ils contrôlent », a déclaré lundi John Kirby,
porte-parole de la Maison Blanche chargé de la sécurité nationale.
Depuis
samedi, Netanyahou et d’autres hauts responsables israéliens ont utilisé les morts
survenues sur le plateau du Golan pour justifier, à titre préventif, une
attaque de plus grande envergure contre le Liban. « Nous sommes tous
druzes », proclamait samedi un message sur le compte Twitter/X officiel de
l’État d’Israël. « Ces enfants sont nos enfants », a déclaré
Netanyahou lors de sa visite à Majdal Shams lundi, bien que la grande majorité
des quelque 20 à 25 000 résidents druzes du Golan occupé aient rejeté la
citoyenneté israélienne et aient régulièrement protesté contre les guerres et
les politiques d’Israël. Aucune des 12 victimes n’avait la nationalité
israélienne. « Israël ne laissera pas et ne pourra pas laisser passer cela »,
a déclaré Netanyahou. « Notre réponse viendra, et elle sera sévère ».
Une foule d’habitants
s’est rassemblée pour affronter Netanyahou, scandant parfois en hébreu qu’il
devait s’en aller. D’autres ont scandé « Tueur ! Tueur ! » et ont
accusé Netanyahou de venir « danser sur le sang de nos enfants ».
Certains habitants ont déclaré aux journalistes qu’ils ne voulaient pas être
utilisés par l’un ou l’autre camp pour alimenter une guerre entre Israël et le
Hezbollah et se demandaient pourquoi l’un ou l’autre attaquerait leur ville.
Les familles
des victimes de Majdal Shams ont refusé de rencontrer. Netanyahou, selon Ha’aretz.
La visite a été soumise à la censure des médias jusqu’à ce que Netanyahou
quitte la ville. Ronen Bar, le directeur de l’agence de renseignement Shin Bet,
accompagnait Netanyahou lors de ce voyage et le ministre de la défense Yoav
Gallant s’était rendu sur le site un jour plus tôt.
Israël a
occupé pour la première fois de larges portions de la région du Golan, dans le
sud-ouest de la Syrie, en 1967 et a officiellement annexé le plateau du Golan
en 1981. En vertu du droit international, il reste un territoire syrien. En
2019, le président Donald Trump a inversé des décennies de politique usaméricaine
et a officiellement reconnu le plateau du Golan comme territoire israélien.
Aucun autre pays n’a fait de même.
Bien que les
dirigeants de la communauté de Majdal Shams aient demandé par écrit qu’aucun
fonctionnaire israélien n’assiste aux funérailles, le ministre des finances d’extrême
droite, Bezalel Smotrich, et une poignée d’autres fonctionnaires israéliens se
sont présentés dimanche aux funérailles de 10 des victimes. Les personnes en
deuil les ont chassés et ont exigé qu’ils partent. Certains ont dénoncé
Smotrich comme étant un “meurtrier”.
La montée en
puissance de l’Axe de la Résistance introduit une série d’autres forces qui
pourraient rejoindre le Hezbollah dans une guerre contre Israël.
L’administration
Biden-Harris, tout en affirmant publiquement qu’Israël serait justifié d’attaquer
le Liban en réponse à l’incident de Majdal Shams, a affirmé qu’elle ne voulait
pas d’un conflit régional plus large ou d’une guerre à grande échelle entre
Israël et le Liban. Lors d’une conférence de presse, Kirby a déclaré qu’il
était “exagéré” de parler d’une guerre plus large, ajoutant : « Je suis
convaincu que nous serons en mesure d’éviter une telle issue ». Le
Hezbollah et Israël ont tous deux mené des frappes militaires depuis les
attaques du 7 octobre 2023 menées par le Hamas, mais jusqu’à présent, il n’y a
pas eu d’escalade qui ait déclenché le type de batailles terrestres et
aériennes qui avaient eu lieu en 2006, lorsqu’Israël et le Hezbollah s’étaient
livrés une guerre de 34 jours.
Depuis
samedi, Israël a lancé une série d’attaques contre le Sud-Liban, lesquelles ont
cependant été d’une ampleur similaire à celle des frappes précédentes au cours
des dix derniers mois. Dimanche, Gallant a déclaré : « Le Hezbollah paiera
cher pour ça ».
Alors que le
régime de Netanyahou n’a cessé de menacer de guerre le Liban au cours des dix
derniers mois, et plus particulièrement le Hezbollah, de nombreux analystes
régionaux de premier plan estiment qu’une telle action entraînerait une
catastrophe pour Israël, tant sur le plan militaire que sur le plan politique.
Le Hamas et le Jihad islamique palestinien, des groupes beaucoup moins
sophistiqués et armés, ont réussi à mener une insurrection de près de dix mois
contre les forces terrestres israéliennes à Gaza, tout en subissant des
bombardements soutenus avec des armes fournies par les USA.
L’Iran a
également manifesté sa volonté d’attaquer Israël. La montée en puissance de l’axe
de la résistance, qui, outre l’Iran, comprend Ansar Allah (les Houthis) au
Yémen, le Hamas et le Jihad islamique palestinien, ainsi que le gouvernement
syrien et la Résistance islamique en Irak, introduit un éventail d’autres
forces qui pourraient se ranger du côté du Hezbollah dans une guerre contre
Israël.
J’ai discuté
de tout cela aujourd’hui avec Amal Saad Ghorayeb, l’une des principales
expertes du Hezbollah et de l’axe de la résistance. Elle enseigne les relations
internationales et la politique à l’université de Cardiff, au Royaume-Uni, et
est l’auteure de Hizbu’llah : Politics and Religion et The Iran
Connection : Understanding the Alliance with Syria, Hizbu’llah and Hamas.
Elle se trouve actuellement au Liban.
Mon
entretien avec Amal Saad Ghorayeb ci-après.
Jeremy
Scahill :
Vous avez laissé entendre que vous ne pensiez pas que le Hezbollah était
derrière cet attentat dans le Golan syrien occupé.
Amal Saad
Ghorayeb
: Oui. J’ai donc dit qu’il était très peu probable que le Hezbollah soit
derrière cet attentat, et pas seulement parce qu’il a fait une déclaration.
Oui, c’était inhabituel, et c’était la première fois qu’il faisait une telle
déclaration - je ne sais pas si c’était pour toujours - mais il n’avait pas
fait une telle déclaration depuis le 8 octobre [lorsque le Hezbollah avait
annoncé qu’il s’engagerait dans des frappes de “solidarité” contre Israël en
soutien aux attaques du 7 octobre menées par le Hamas]. Cela indique donc, de
toute évidence, la gravité de la situation et le fait que le Hezbollah nie
toute responsabilité dans l’attaque.
Mais au-delà
de cela, sur la base de la logique et des précédents, etc. Tout d’abord, cette
ville, Majdal Shams, n’est pas un territoire israélien. C’est un territoire
syrien occupé et ses habitants sont des Druzes syriens. La majorité d’entre eux
ont refusé de prendre la nationalité israélienne et de servir dans l’armée. Ils
sont de fervents partisans de l’axe de la résistance. Ils ont soutenu le
gouvernement de Bachar al Assad en Syrie. Ils ont soutenu le Hezbollah et le
Hamas. Il serait donc extrêmement absurde que le Hezbollah attaque ses propres
alliés.
Au-delà de
cela, je ne pense pas que le Hezbollah attaquerait des civils israéliens de
manière délibérée. Il ne les attaquerait pas parce que cela conduirait à une
guerre totale. C’est très, très provocateur. Et je sais que [le secrétaire
général du Hezbollah, Hassan] Nasrallah a récemment menacé Israël de telles
représailles, en disant que si vous continuez à cibler nos civils, nous devrons
faire la même chose. Mais même dans ce cas, je ne pense pas que le Hezbollah
chercherait des civils et les massacrerait de la sorte. Il ciblerait
probablement des objets civils, ce qui est très différent de cibler des civils,
et nous n’avons pas encore vu cela, pour être honnête. Nous n’avons pas vu de
véritables victimes civiles en Israël [à la suite d’attaques du Hezbollah] - il
y en a eu très peu. Sur la base de ces facteurs, je pense donc qu’il est très
peu probable qu’il s’agisse d’une frappe délibérée.
Mohamed Afefa, Palestine [Majdal Shams signifierait "La Tour du Soleil" en araméen, shams sognifiant soleil en arabe]
JS : Il semble que les
théories dominantes soient les suivantes : soit il s’agit d’un tir erroné ou d’une
erreur de la part du Hezbollah, soit il s’agit d’une défaillance du système
Dôme de fer israélien et l’une des munitions israéliennes a touché le terrain
de football. J’ai aussi vu des gens suggérer qu’il s’agissait d’une fausse
bannière, qu’Israël avait intentionnellement frappé la ville et qu’ils voulaient
rejeter la faute sur le Hezbollah.
ASG : Il y a plusieurs
théories, mais je pense que celle qui est moins une théorie et plus empirique
est qu’il s’agit d’un missile d’interception israélien qui a raté son tir, qui
essayait d’intercepter une roquette qui arrivait. Et je dis qu’il y a des
preuves empiriques parce que sur les chaînes de télévision arabes, et bien sûr,
nous n’avons pas vu cela dans les médias occidentaux, mais nous avons vu
plusieurs reportages de témoins oculaires qui ont dit qu’ils avaient
effectivement vu ce missile d’interception du Dôme de fer frapper la cible. Une
correspondante a déclaré qu’un secouriste israélien le lui avait dit, mais qu’il
n’avait pas pu le dire à l’antenne sous peine d’être arrêté. Il y a donc eu
plusieurs rapports de ce type, et cela semble être l’explication la plus
probable.
Mais il est
également possible que d’autres groupes [de résistance anti-Israël] soient à l’origine
de cet acte. Le Hezbollah n’est pas le seul à combattre Israël. Depuis qu’il a
créé ce soi-disant front de solidarité, il y a eu plusieurs autres groupes,
certains laïques, d’autres islamistes. L’un d’entre eux est, par exemple, Jamaa
Al-Islamiya, le groupe islamique [sunnite libanais], qui a été impliqué
récemment dans ces frappes transfrontalières. Et ses membres ont souvent été
pris pour cible par Israël. Il est donc possible qu’ils aient touché cette
cible par erreur. S’il s’agit d’un autre groupe, c’est évidemment une erreur.
Il ne s’agissait pas d’une cible délibérée pour qui que ce soit.
JS : S’il s’agit d’une
erreur de tir du Hezbollah, existe-t-il un précédent dans lequel le Hezbollah aurait
pris la responsabilité de tuer des civils par inadvertance ?
ASG : Oui, c’est une bonne
question parce qu’en 2006, il y a eu un incident de ce genre pendant la guerre
de juillet, lorsqu’une roquette du Hezbollah a atterri par erreur dans une
ville palestinienne. Non seulement le Hezbollah a publié une déclaration dans
laquelle il assumait sa responsabilité et présentait ses excuses, mais
Nasrallah lui-même s’est excusé personnellement à la télévision et a présenté
ses condoléances à la famille de la victime. [Lors de cet incident, des
roquettes du Hezbollah ont tué deux enfants arabes à Nazareth. « En mon
nom et au nom de mes frères, je présente mes excuses à cette famille », avait
déclaré Nasrallah lors d’une interview diffusée sur Al Jazeera. « Bien
sûr, le mot “excuses” n’est pas suffisant. J’en porte l’entière responsabilité.
Ce n’était pas du tout l’intention »]. Le Hezbollah a donc l’habitude de
revendiquer sa responsabilité, d’admettre de telles erreurs. Et je pense que
cela donne plus de crédibilité à son argument, ou plutôt à son affirmation, qu’il
n’était pas derrière tout cela.
Je pense qu’un
autre point que nous devons examiner est le moment choisi pour le faire. La
semaine dernière, le Hezbollah a diffusé la troisième d’une série de vidéos
filmées par des drones. Il surveillait une base militaire spécifique au-dessus
d’Israël et menaçait Israël de prendre cette base militaire pour cible. Dans
les vidéos précédentes, le Hezbollah menaçait d’autres cibles, non seulement
militaires, mais aussi civiles. Pourquoi le Hezbollah aurait-il fait tout cela
pour dissuader Israël de le frapper, si c’est pour le provoquer quelques jours
plus tard avec cette vidéo ? Cela n’a absolument aucun sens, car le Hezbollah
sait qu’Israël, s’il a décidé de lancer une guerre totale, si cette décision a
été prise, et nous supposons tous que ce n’est pas un scénario probable, mais
il y a toujours une possibilité qu’une telle décision ait été prise. Si c’est
le cas, pourquoi le Hezbollah voudrait-il donner à Israël des munitions pour
poursuivre l’escalade ? Même si ce n’est pas pour lancer une guerre totale, mais
pour poursuivre l’escalade contre lui-même, cela n’a absolument aucun sens. L’objectif
de cette vidéo était de dissuader une telle attaque. Il est donc absurde qu’elle
soit délibérément prise pour cible.
Pourquoi le
Hezbollah aurait-il fait tout cela pour dissuader Israël de le frapper, si c’est
pour le provoquer quelques jours plus tard avec cette vidéo ?
Maintenant,
revenons à la question de savoir s’il s’agissait d’une erreur. Vous savez,
certains ont dit que le Hezbollah, quelques secondes plus tôt, avait publié un
communiqué dans lequel il se déclarait responsable d’avoir frappé quelque chose
dans le Golan, à 3 km de Majdal Shams. J’ai essayé d’aller au fond des choses.
C’est très difficile à dire, mais il est peu probable qu’ils se soient trompés
de si loin. J’ai parlé à des experts militaires qui - et je pense que c’est
beaucoup plus convaincant - ont dit que s’il s’agissait du [missile] Falaq-1,
parce que le Hezbollah a utilisé le Falaq-1 pour frapper la cible qu’ils ont
annoncée dans la déclaration, une brigade israélienne. S’ils avaient utilisé le
Falaq-1, nous aurions vu un cratère beaucoup plus grand, et le cratère était
beaucoup plus petit que ce que l’on pourrait attendre d’une ogive aussi lourde,
qui pèse 53 kilos. Le cratère aurait été beaucoup plus grand et les
destructions auraient été beaucoup plus importantes.
JS : Pourquoi alors Israël
est-il si prompt à s’emparer de cette affaire et à accuser le Hezbollah ?
Croyez-vous vraiment qu’Israël souhaite une guerre totale avec le Hezbollah ?