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03/02/2023

GIDEON LEVY
La femme soldat “modèle” d'Israël

Gideon Levy, Haaretz, 1/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Orna Barbivai est une générale de réserve de Tsahal, une ancienne ministre de l'économie et le deuxième membre le plus important de Yesh Atid [Il y a un futur, le parti de Yair Lapid, de “centre-gauche”, NdT]. Dans un parti où une seule personne prend les décisions, il n'est pas très important d'être le numéro 2, mais quoi qu'il en soit, elle est la cheffe adjointe, une voix importante dans son parti et dans le camp de centre-gauche qui, malheureusement, est la seule alternative à la droite.

Orna Barbivai lors d'une réunion du cabinet à Jérusalem, l'année dernière

Cette semaine, Orna Barbivai a publié un clip vidéo sur Twitter, montrant une femme lieutenant-colonel participant à la mise sous scellés honteuse de la maison de la famille d'un terroriste à Shuafat. Notre générale de réserve a écrit : « Une femme officier participant à la mise sous scellés de la maison d'un terroriste est une réponse puissante à un gouvernement qui dévalorise, ségrègue et exclut les femmes uniquement parce qu'elles sont des femmes ».

Puissante ou non, c'est effectivement une réponse appropriée à la droite : il n'y a pas de différence entre vous et nous. C'est la réponse féministe de l'opposition, qui a déclaré la guerre au gouvernement. Si quelqu'un essayait de se consoler en croyant qu'il existe une certaine opposition en Israël aux crimes de guerre, à l'occupation et à l'apartheid, Barbivai est arrivée et a prouvé qu'il n'y en avait pas. Quand il s'agit de crimes de guerre, nous sommes une nation unie.

Au début, je pensais que c'était une déclaration ironique faisant référence au féminisme. Mais la Barbie de Barbivai s'est vite avérée être réelle. Une femme officier qui commet un crime de guerre est pour elle une source de fierté et un sujet à utiliser dans une campagne féministe. Hier, elles brûlaient des soutien-gorge et aujourd'hui, elles scellent des maisons. Hier, elles avaient honte de ces crimes et tentaient de les cacher, aujourd'hui elles les brandissent comme une source de fierté. Il suffit de faire venir davantage de femmes scelleuses de maisons pour que les femmes se tiennent debout. Que diraient Shulamit Aloni, Eleanor Roosevelt et Betty Friedan ?

Ce n'est pas seulement le féminisme tordu et malade qui croit que l'égalité dans l'exécution des meurtres et des démolitions est un objectif désiré, c'est le blanchiment et même l'applaudissement au crime. Le fait que les femmes ne soient pas encore pleinement complices de la rapacité exhibée dans les territoires est tout à leur honneur. Le fait qu'elles ne participent pas aux bombardements et aux tirs d'obus comme le font les hommes à la guerre est pour elles une marque d'honneur. Ce qui est condamnable, c'est l'ambition de nombreuses femmes d'atteindre l'égalité dans l'armée, avec toute la violence qu'elle comporte. Elles n'auront de cesse d'avoir un chef d'état-major féminin, ou au moins une cheffe de commando. Et si cela s'applique à l'armée, pourquoi pas aux organisations criminelles ? Là aussi, les hommes sont les seuls à commander.

Barbivai estime que sceller la maison d'une famille innocente est une source de fierté, un grand héroïsme, et que la participation d'une femme officier à une telle opération attache un grand honneur aux femmes. Regardez comment, dans la vidéo, l'officière caresse doucement la feuille de métal, vérifiant qu'elle scelle complètement la maison. Ce n'est pas seulement une maison qui est scellée, c'est la vie des parents, des enfants et des personnes âgées qui y vivent, la maison étant tout leur monde et la seule chose qu'ils possèdent. Comment peut-on avoir le cœur froid pour participer à la réalisation de cette action cruelle, et comment peut-on être à ce point insensible qu’on peut en être fier ? Que sait Barbivai de la terrible tragédie qui a frappé les occupants de la maison, qui n'ont rien fait de mal, et dont le monde s'est soudainement effondré autour d'eux ? Que sait-elle du droit international, ce bourdonnement embêtant pour la plupart des Israéliens, qui interdit les punitions collectives ? Y a-t-il une punition plus collective que de demander aux parents, aux grands-parents et aux enfants de rendre compte des actions d'un fils ? Existe-t-il un acte plus terrible et discriminatoire à l'égard des femmes que la démolition d'une famille comptant de nombreuses femmes, uniquement parce qu'un fils a péché ? Y a-t-il une preuve plus définitive du suprémacisme juif lorsque cette peine horrible est imposée uniquement aux Palestiniens et jamais aux terroristes juifs, y compris les plus meurtriers d'entre eux, comme Baruch Goldstein ?

Barbivai n'est pas une aberration dans son camp. Elle a juste dit ce que la plupart de ses membres, hommes et femmes, pensent. Le chemin de l'égalité passe par les bulldozers de l'armée et les champs de bataille des hommes. Si c'est ça le féminisme, peut-être que le chauvinisme est préférable ? Au moins, ce n'est pas hypocrite. Et si c'est le centre, qu'est-ce qu'il y a de si mal avec la droite ? Quand on a Barbivai, on n'a pas besoin de députés extrémistes comme Almog Cohen [député de Otzma Yehudit, Force juive, le parti kahaniste d’Itamar Ben Gvir, qui a vu son compte twitter suspendu pendant 11 heures pour avoir gazouillé après le massacre de Jénine : « Bon travail professionnel des soldats de Jénine, continuez à les tuer », NdT]

 

 

02/02/2023

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
En commémoration du 80e anniversaire de la victoire de Stalingrad

 

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 1/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Aujourd'hui 2 février marque le 80e  anniversaire de la victoire de l'Union soviétique (URSS) à la bataille de Stalingrad. Cet exploit a marqué le début de la fin de la tentative allemande de construire le Troisième Reich et le point de départ de la défaite finale du nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale (Grande Guerre patriotique pour l'Union soviétique). Ce fut la bataille la plus importante de l'histoire de l'humanité. Je ne voulais pas laisser passer cette date sans m'en souvenir et sans rendre hommage aux centaines de milliers de citoyens russes et autres qui ont donné leur vie pour libérer l'humanité du cancer du fascisme.

 

Au cours des derniers mois de 1942, il était déjà devenu évident que l'“opération Barbarossa” lancée par Hitler contre l'Union soviétique en juin de l'année précédente commençait à s'affaiblir et que l'armée allemande - tôt ou tard - devrait passer à la défense stratégique après plus d'un an d'offensive ininterrompue.

 

Avance allemande vers Stalingrad, 1942

La résistance colossale à Stalingrad, Moscou et Leningrad, villes que les troupes nazies ne parviendront jamais à occuper, présage l'effondrement des tentatives nazies de vaincre l'Union soviétique. Cependant, cette fin est encore loin au milieu de l'année 1942. Stalingrad est la plaque tournante de la région du Caucase, située dans le sud-ouest de la Russie, que Hitler convoite pour l'immense production de pétrole dont les forces armées allemandes ont besoin pour mobiliser leur gigantesque machine de guerre. Elle possédait également une importante industrie d'armement et constituait un nœud ferroviaire d'importance stratégique reliant Moscou à la mer Noire et au Caucase, ainsi qu'une importante voie de navigation sur la Volga. La résistance héroïque de la ville paralyse l'armée allemande et rend impossible la réalisation de ses plans opérationnels. Si tel n'avait pas été le cas, la guerre aurait pris un autre cours et l'histoire aurait été différente.

Pour cette raison, le haut commandement allemand est contraint de réajuster ses plans, de se préparer à la défense et d'essayer d'obtenir une victoire définitive en 1943. Les objectifs stratégiques d'Hitler visant à occuper et à vaincre l'Union soviétique sont tombés à l'eau. Selon le maréchal Georgy Joukov, le plus éminent commandant militaire soviétique de l'époque, l'Allemagne manquait de réserves stratégiques et son moral était bas.

Selon Joukov en novembre 1942, les Allemands « disposaient sur le front germano-soviétique de 266 divisions avec un effectif de 6 200 000 hommes, environ 51 700 canons et mortiers, 5 080 chars et canons d'assaut, 3 500 avions de combat et 194 navires de guerre. À cette époque, les troupes de campagne de l'Union soviétique comptaient 6 600 000 hommes, 77 800 canons et mortiers, 7 350 chars, 4 544 avions de combat ». L'URSS possédait également d'importantes réserves stratégiques. En termes absolus, le rapport des forces et des moyens commence à tourner en sa faveur. L'industrie militaire avait réussi à se réinstaller plus à l'est et était déjà en pleine production. Au vu de ces chiffres, le conflit actuel en Ukraine semble n'être qu'une escarmouche.

D'autre part, la question des intentions du Japon (il occupait la Mandchourie chinoise depuis 1931) avait été éclaircie et l'on savait déjà qu'il n'attaquerait pas l'Union soviétique, ce qui avait permis de déplacer d'importants contingents militaires de l'Extrême-Orient vers l'Ouest où se déroulait la partie la plus importante de la guerre. En outre, le haut commandement soviétique a commencé à utiliser le renseignement, le contre-espionnage et la désinformation avec beaucoup d'efficacité au fur et à mesure que la guerre se déroulait.

Dans ce contexte, le Grand Quartier Général (GQG) soviétique commence, dans le plus grand secret, à planifier la contre-offensive stratégique attendue qui doit conduire à la libération du territoire soviétique et à la défaite de l'Allemagne. Les services de renseignement de l'armée nazie n'ont jamais pu découvrir les plans soviétiques, qui prévoyaient le déplacement d'un énorme contingent de troupes, d'armements et d'équipements “sous leur nez” vers Stalingrad.

Au début de la contre-offensive de l'Armée rouge, le rapport des forces entre les belligérants était très égal, avec une légère supériorité soviétique en matière de chars. La préparation minutieuse des actions a été effectuée depuis le GQG, en passant par l'état-major général, les fronts, les armées, les corps, les divisions et les régiments jusqu'aux petites unités de combat et de logistique. L'idée derrière ces actions était d'établir un double encerclement (externe et interne) afin d'isoler et d'anéantir les troupes allemandes dans la poche créée.

Dans le déroulement des actions, le rôle décisif a été joué par des soldats, des officiers et des généraux « avec leurs attaques audacieuses, leurs tirs précis, leur intrépidité, leur courage et leur habileté [qui] se sont battus jusqu'à la mort avec l'ennemi », comme le raconte le maréchal Joukov dans ses mémoires.

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
En conmemoración del 80 aniversario de la Victoria de Stalingrado

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 1/22023

Hoy 2 de febrero se conmemoran 80 años de la victoria de la Unión Soviética (URSS) en la Batalla de Stalingrado. Esta gesta marcó el inicio del fin del intento alemán de construir el III Reich y el punto de partida para la derrota definitiva del nazismo durante la segunda guerra mundial (Gran Guerra Patria para la Unión Soviética). Ha sido la batalla más importante en la historia de la humanidad. No quise dejar pasar esta fecha sin recordarla y honrar a los cientos de miles de ciudadanos rusos y de otras nacionalidades que dieron su vida por liberar a la humanidad del cáncer del fascismo.


Durante los meses finales de 1942 ya se había evidenciado que la “Operación Barbarroja” que Hitler había lanzado contra la Unión Soviética en junio del año anterior comenzaba a debilitarse y el ejército alemán -más temprano que tarde- tendría que pasar a la defensa estratégica después de más de un año de ofensiva ininterrumpida.

Avance alemán hacia Stalingrado. 1942


La colosal resistencia en Stalingrado, Moscú y Leningrado, ciudades que las tropas nazis nunca pudieron ocupar, presagiaba el colapso de los intentos nazis de derrotar a la Unión Soviética. No obstante, ese fin todavía se visualizaba muy lejano a mediados de 1942. Stalingrado era el eje fundamental de la región del Cáucaso, ubicada en la zona sudoccidental de Rusia, era ambicionada por Hitler por la gran producción de petróleo que las fuerzas armadas alemanas necesitaban para movilizar su gigantesca máquina de guerra. Así mismo, poseía una gran industria de armamento y era un cruce ferroviario de importancia estratégica toda vez que comunicaba a Moscú con el mar Negro y el Cáucaso, de igual manera era una vía fluvial de primer orden para la navegación por el río Volga. La heroica resistencia de la ciudad paralizó al ejército alemán e hizo imposible cumplir sus planes operativos. Si no hubiera así, la guerra habría tenido otro curso y la historia sería distinta.

Por esta razón, el alto mando alemán se vio obligado a readecuar sus planes, prepararse para la defensa e intentar lograr una victoria definitiva en 1943. Los objetivos estratégicos trazados por Hitler para ocupar y derrotar a la Unión Soviética habían quedado en el intento. Según el Mariscal Gueorgui Zhúkov, el más destacado jefe militar soviético de la época, Alemania carecía de reservas estratégicas y su estado moral era bajo.

Según Zhúkov en noviembre de 1942, los alemanes “tenían en el frente soviético-germano 266 divisiones con efectivos de 6.200.000 hombres, cerca de 51.700 cañones y morteros, 5.080 tanques y cañones de asalto, 3.500 aviones de combate y 194 buques de guerra. Por aquel tiempo, las tropas en campaña de la Unión Soviética contaban con 6.600.000 hombres, 77.800 cañones y morteros, 7.350 tanques, 4.544 aviones de combate”. Así mismo la URSS poseía grandes reservas estratégicas. En términos absolutos la correlación de fuerzas y medios comenzaba a tener un cambio a su favor. La industria militar había logrado reinstalarse más hacia el oriente y ya se encontraba en plena producción. Vistas estas cifras, el conflicto actual en Ucrania pareciera ser solo una escaramuza.

Por otro lado, se había despejado la incógnita sobre las intenciones de Japón (que ocupaban la Manchuria china desde 1931) y ya se sabía que no atacaría a la Unión Soviética, lo cual había permitido trasladar grandes contingentes militares desde el Lejano Oriente a Occidente donde se desarrollaba la parte más sustancial de la guerra. A esto habría que sumarle el gran trabajo de inteligencia, contra inteligencia y desinformación que el alto mando soviético empezó a utilizar con gran éxito en el desarrollo de la contienda.

En este contexto, el Gran Cuartel General (GCG) soviético, con el mayor sigilo comenzó a planificar la esperada contraofensiva estratégica que debía llevar a la liberación del territorio soviético y a la derrota de Alemania. La inteligencia del ejército nazi nunca pudo descubrir los planes soviéticos que incluyeron trasladar a Stalingrado un enorme contingente de tropas, armamento y equipos “en sus propias narices”.

Al comenzar la contraofensiva del ejército rojo, la correlación de fuerzas entre los contendientes era muy pareja con una leve superioridad soviética en tanques. La exhaustiva preparación de las acciones se realizaron desde el GCG, pasando por el Estado Mayor General, los Frentes, ejércitos, cuerpos de ejércitos, divisiones y regimientos hasta las pequeñas unidades de combate y aseguramiento logístico y combativo. La idea de las acciones se proponía establecer un doble cerco (exterior e interior) para aislar y aniquilar a las tropas alemanas en el bolsón creado.

En el desarrollo de las acciones, el papel decisivo le correspondió a soldados, oficiales y generales “con sus audaces ataques, certero fuego, intrepidez, valor y pericia [quienes] se batieron a muerte con el enemigo” según lo relata el mariscal Zhúkov en sus memorias.

01/02/2023

CARMELA NEGRETE
Oskar Lafontaine, leader historique de la gauche allemande : “La préoccupation fondamentale des Européens doit être de savoir comment se libérer de la tutelle usaméricaine”

Carmela Negrete, ctxt.es, 28/1/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Italiano Lafontaine: “La preoccupazione fondamentale degli europei è come liberarsi dalla tutela degli Stati Uniti”


Carmela Negrete (Nerva, Espagne, 1984) est une journaliste indépendante espagnole basée à Berlin depuis 2009, où elle réalise des reportages sur le précariat allemand, dont elle fait elle-même partie. Elle écrit régulièrement pour Junge Welt, Neues Deutschland, ctxt es, eldiario.es et l’hebdomadaire Diagonal, entre autres publications.@carmelanegrete

Entretien avec Oskar Lafontaine, leader historique de la gauche allemande, ancien président du parti social-démocrate, ancien ministre des Finances, fondateur de Die Linke, ancien président de la Sarre.

L’Allemagne a annoncé qu’elle allait envoyer des chars Leopard en Ukraine, bien que le chancelier Olaf Scholz ait lui-même assuré en mars qu’une telle décision pourrait conduire le pays et ses partenaires de l’OTAN directement à la guerre. Nous avons parlé à l’homme politique Oskar Lafontaine (Sarre, Allemagne, 1943), ancien ministre des finances, ancien président du parti social-démocrate SPD et fondateur du parti de gauche Die Linke, qu’il a quitté en mars. Lafontaine a écrit un livre intitulé Ami, it’s time to go (Ami, il est temps de partir : Ami en argot allemand désigne les yankees), dans lequel il réfléchit à la guerre en Ukraine et au rôle de l’Allemagne et de l’Europe dans le conflit. Cette interview pour le portail espagnol CTXT a été réalisée par téléphone au cours de la première semaine de janvier.

Pourquoi pensez-vous qu’il est important de s’opposer aux livraisons d’armes à l’Ukraine ?

L’envoi continu d’armes à l’Ukraine ne fait que prolonger les souffrances, la mort des gens et la destruction de l’Ukraine. La guerre en Ukraine n’est pas une guerre de la Russie contre l’Ukraine ou vice versa, mais une guerre des USA contre la Russie. Il s’agit d’une confrontation géostratégique qui était déjà annoncée dans les années 1990 par des politiciens comme Henry Kissinger. Les Ukrainiens ne sont que les victimes de cet affrontement stratégique, qui le paient de leur vie et de la destruction de leur pays.

Le réarmement de l’Allemagne doit-il nous inquiéter en tant qu’Européens, s’agissant du pays qui a conduit l’Europe à la Seconde Guerre mondiale ?

Cette crainte n’est pas fondée. La question de savoir si l’Allemagne veut rester un protectorat des USA est bien plus importante, car les décisions militaires impliquant le danger d’une guerre nucléaire sur le territoire européen sont prises uniquement par les USA, et les Européens n’ont pas voix au chapitre. La préoccupation fondamentale des Européens doit être de savoir comment se libérer de la tutelle usaméricaine.

C’est la thèse que vous défendez dans votre livre Ami, il est temps de partir, qui est devenu un best-seller. Les médias nous répètent pourtant sans cesse que les USA dépensent plus pour leur défense et que cela nous protège de nos adversaires potentiels. Est-ce une idée fausse ?

Les États ont des intérêts et défendent ces intérêts. L’intérêt des USA n’est pas de défendre l’Europe, mais d’avoir l’Europe comme avant-poste disponible pour leurs intérêts en tant que puissance mondiale. Pour l’instant, les USA sont les grands gagnants de la guerre d’Ukraine. Ils fournissent des armes en grande quantité à leurs partenaires, comme les Allemands et les Polonais ; ils ont évincé le gaz russe bon marché de l’Europe et peuvent enfin réaliser ce qu’ils souhaitaient depuis des années : vendre en Europe leur gaz de schiste, obtenu par des techniques très dommageables pour l’environnement. Et ils ont réalisé ce que Kissinger avait proposé il y a de nombreuses années : confronter l’Europe à la Russie sel”n le principe “diviser pour régner" afin d’assurer leur pouvoir. Croire que les USAméricains veulent nous protéger n’est pas seulement naïf, c’est aussi nuisible. Pour l’Allemagne, l’énergie plus chère des terminaux de gaz liquéfié affecte son industrie, et pas mal d’entreprises veulent donc déplacer leur production vers d’autres pays, y compris les USA eux-mêmes.

Ami, il est temps de partir - Plaidoyer pour l’affirmation de soi de l’Europe”, le best-seller de Lafontaine

Le gaz russe est très important pour l’Allemagne et l’Europe. Pourtant, l’attaque contre les pipelines russes Nord Stream a disparu du discours public avant même d’avoir été clarifiée.

Il n’y a rien de plus à clarifier. Nous pouvons croire le président Joe Biden, qui a déclaré que si les Russes marchaient sur l’Ukraine, ils mettraient fin au pipeline. Toutes les spéculations selon lesquelles un autre pays aurait provoqué ces explosions sont risibles et montrent l’état dans lequel se trouve l’Europe. L’attaque du gazoduc était un acte terroriste qui pourrait être considéré comme un acte de guerre, et le gouvernement allemand vassal est silencieux à ce sujet.

Entre-temps, un ministre vert a décrété la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires et rouvert des dizaines de centrales à charbon. Comment en est-on arrivé à cette situation absurde ?

C’est une conséquence directe de la décision de l’Allemagne de soutenir la politique agressive des USA, qui a conduit à la guerre économique contre la Russie, préparée de longue date, empêchant l’expédition de gaz vers l’Allemagne. En 2017, un embargo sur le gaz russe avait déjà été conçu. En ce sens, la tentative de transformer l’économie allemande afin de couvrir ses besoins avec des énergies renouvelables, avec une période de transition basée sur le gaz naturel, a échoué lamentablement. Nous sommes maintenant obligés de produire de l’électricité à partir du charbon. Il est incompréhensible que le parti des Verts (Die Grünen), qui est né du mouvement pacifiste et avait pour bannière la protection de l’environnement, soit devenu le parti de la guerre.

À quel point la situation en Ukraine est-elle dangereuse pour nous, Européens ?

Le danger pour les Européens est que l’escalade de la guerre continue à augmenter parce que les USA ont décidé qu’ils voulaient poursuivre cette guerre jusqu’à ce que la Russie soit clairement affaiblie. Cet aspect est important lorsqu’il s’agit de prévisions, car lorsque les USA affirment vouloir que cette guerre se termine bientôt, cela n’est guère crédible. Joe Biden a été vice-président sous Barack Obama, qui est le président qui a financé le coup d’État de Maidan. D’autre part, son propre fils semble être impliqué dans de la corruption en Ukraine. Les collaborateurs du ministère des affaires étrangères de Biden, dont Victoria Nuland, poursuivent leur stratégie de provocation de la Russie et n’écoutent apparemment même pas le Pentagone. Le président des chefs d’état-major interarmées lui-même, Mark Milley, la plus haute autorité militaire après le président, a proposé de rechercher des négociations de paix, mais n’est apparemment pas écouté à la Maison-Blanche.

Malheureusement, il y a plus d’un politicien aux USA qui croit qu’une guerre nucléaire serait justifiable et qu’il serait également possible de la circonscrire à l’Europe. C’est pourquoi il est si nécessaire que l’Europe mène sa propre politique de défense et se libère de la politique d’agression fatale des USA. Il faut rappeler chaque jour aux Européens qu’il n’y a pas de troupes russes ou chinoises à la frontière usaméricaine avec le Mexique ou le Canada, mais que ce sont les troupes usaméricaines qui sont partout aux frontières russes et chinoises.

Les accords de Minsk n’étaient-ils qu’une stratégie visant à gagner du temps, comme l’a laissé entendre l’ancienne chancelière Angela Merkel dans une interview accordée à Die Zeit ?

Ces déclarations d’Angela Merkel ont été fatales, car avec elles, elle a reconnu publiquement que les efforts de paix en Ukraine, dont la guerre a commencé dès 2014, n’étaient pas sérieux. Mme Merkel, comme l’oligarque Porochenko, a admis qu’elle n’avait soutenu ces négociations de paix que pour donner à l’Ukraine le temps de s’armer. Ces déclarations insensées aggravent les relations avec la Russie et amènent le président et les politiciens russes à conclure qu’avec les Européens, on ne peut pas signer d’accords, car ils ne font que mentir et tricher.

Quel bilan tirez-vous des seize années de mandat de l’ancienne chancelière Merkel ?

Il suffit d’écouter les plaintes de son propre parti maintenant qu’il est dans l’opposition au Bundestag. Ils se plaignent que l’infrastructure de l’Allemagne s’effrite et cette plainte est justifiée. Un pays industrialisé qui laisse ses infrastructures, y compris la culture, les écoles et les universités, se délabrer fait une mauvaise politique et n’assure pas l’avenir de son pays et de sa population.

Mme Merkel est également coresponsable de la politique ultra-libérale menée vis-à-vis de l’Europe du Sud. A-t-on appris quelque chose à cet égard ?

Les problèmes en Europe ont commencé avec l’introduction de l’euro, car il était trop faible pour les pays du nord, comme l’Allemagne, et trop fort pour les pays du sud. Cela a entraîné des désavantages concurrentiels pour les pays d’Europe du Sud et l’Allemagne a pu dominer le marché européen des exportations. Il serait important que tous les pays de l’union monétaire aient des chances égales, mais ce n’est pas le cas pour l’instant.

Pendant la crise de l’euro, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne s’est formé. Peut-on parler de fascisme dans ce cas ?

Il y a plusieurs politiciens dans le parti dont les idées peuvent être qualifiées de fascistes. En Allemagne, l’AfD s’est initialement formée contre l’union monétaire européenne. La question du fascisme est donc beaucoup plus large : sommes-nous sur la voie du fascisme dans le monde entier ? Je pense aux USA, mais aussi à l’Allemagne, et la question est de savoir si nous sommes sur la voie du totalitarisme. Nous observons certainement des tendances très problématiques. Le prix de la paix du secteur du livre allemand a été décerné à Serhiy Viktorovych Zhadan, un auteur ukrainien qui a traité les Russes d’"ordures" et d’"animaux", de "porcs qui devraient brûler en enfer". C’est pourquoi la question du fascisme doit être envisagée de manière plus large et pas seulement comme l’arrivée des partis d’extrême droite, car l’extrémisme en Europe s’installe au centre de la société. La ministre allemande des Affaires étrangères a affirmé que les sanctions devraient "ruiner" la Russie. C’est un langage fasciste.

Quel espoir y a-t-il pour la gauche en Europe et particulièrement en Allemagne ?

Dans toute l’Europe, la gauche doit réfléchir à ce que signifie une politique de gauche. En version simplifiée : défendre les personnes qui ne disposent pas de revenus et de richesses élevés. Au cours des dernières décennies, les questions relatives au système économique, la question marxiste de la contradiction fondamentale entre le capital et le travail, ont été reléguées au second plan. La conséquence est que la concentration des richesses s’est accrue de plus en plus et que l’écart salarial a continué à se creuser. Cette question a été déplacée par d’autres débats, tels que le racisme, l’orientation sexuelle ou la diversité. Toutes ces questions sont importantes, mais elles ont été privilégiées, comme on peut le voir dans les multinationales usaméricaines, au détriment des questions fondamentales sur notre système économique en relation avec la répartition des richesses.

C’est un problème que l’on peut observer très clairement dans les partis sociaux-démocrates. Le SPD, dont j’étais président, était un parti pour la paix, le désarmement et le développement de l’État-providence. Aujourd’hui, le chancelier Scholz, du parti social-démocrate, donne la priorité au réarmement et à la guerre en Ukraine, et préconise le démantèlement de l’État-providence des années 1990, qui a conduit à ce qu’un retraité allemand gagne en moyenne 800 euros de moins par mois qu’un retraité autrichien. Le plus important en ce moment est le prix de l’énergie, qui joue un rôle clé pour les entreprises et la population allemandes. Nous devons revenir aux faibles prix de l’énergie qui ont été bénéfiques pour le bien-être de l’Allemagne et de l’Europe dans son ensemble. Pour ce faire, pendant un certain temps, il sera inévitable que nous devions à nouveau compter sur le gaz russe.

 Oskar Lafontaine au-dessus de la Boucle de la Sarre en 2015

 

Minéraux des fonds marins : les grandes ressources du plateau continental norvégien

Oljedirektoratet, 27/1/2023

La Direction norvégienne du pétrole (NPD) a préparé une évaluation des ressources en minéraux des fonds marins sur le plateau norvégien. Le rapport conclut que d'importantes ressources sont en place.

Pour plusieurs des métaux, les ressources minérales correspondent à de nombreuses années de consommation mondiale.

Le ministère du Pétrole et de l'Énergie (MPE) a chargé le NPD d'évaluer les minéraux des fonds marins lorsque le processus d'ouverture des activités minières a débuté en 2020.

Le MPE a la responsabilité administrative des minéraux des fonds marins, et dirige les travaux sur le processus d'ouverture. Le rapport s'inscrit dans le cadre du processus d'ouverture [voir note ci-dessous] de l'exploitation des minéraux des fonds marins.

«  Le NPD a développé une expertise depuis de nombreuses années, notamment par le biais de plusieurs expéditions. Nous avons cartographié les zones concernées, collecté des données et prélevé de grandes quantités d'échantillons de minéraux » commente Kjersti Dahle, directrice du service Technologie, analyses et coexistence.

« Dans l'évaluation des ressources, nous avons fait des estimations de la quantité des différents minéraux présents dans les fonds marins de la zone d'étude. À l'avenir, nous continuerons à renforcer la base de données et la manière dont nous évaluons ces ressources ».

Kjersti Dahle montre un échantillon de sulfure, prélevé lors de l'expédition 2020 du NPD sur la dorsale de Mohns, en mer de Norvège. Photo : Arne Bjørøen/OD

Important dans la transition énergétique

La transition vers une société à faible taux d'émission accroît le besoin de certains éléments. Ces éléments se trouvent, par exemple, dans des dépôts au fond de la mer. Ce sont des matières premières importantes pour la transition énergétique, et elles sont demandées par l'industrie.

Mme Dahle souligne que le développement technologique, associé à des données plus nombreuses et de meilleure qualité, permettra de mieux comprendre le potentiel des ressources.  

« La quantité de ressources récupérables dépend de la technologie et de l'économie. Il reste à voir si les zones s'ouvriront et si l'extraction peut être économiquement rentable ».

La collecte, la gestion et la mise à disposition des données du plateau continental norvégien est l'une des tâches les plus importantes du NPD.

Depuis 2011, le NPD collecte des données dans les zones d'eau profonde des mers de Norvège et du Groenland en collaboration avec l'Université de Bergen (UiB), et à partir de 2020 également avec l'Université de Tromsø (UiT).

Au cours de la période 2018-2021, le NPD a mené quatre expéditions pour collecter des données haute résolution sur les fonds marins des gisements minéraux les plus intéressants, en plus des opérations de forage et de la collecte d'échantillons de minéraux.

Les données de ces expéditions, complétées par les données des institutions scientifiques, constituent la base de cette évaluation des ressources.

« Nous avons une longue expérience de la cartographie du sous-sol et de l'évaluation des ressources pétrolières. Je suis heureux que nous puissions, grâce à notre expertise, contribuer à l'identification des ressources qui peuvent être importantes pour la transition énergétique », a déclaré Mme Dahle.

Sulfures et encroûtements de manganèse

Les gisements minéraux des fonds marins sont divisés en trois types : les nodules de manganèse, les encroûtements de manganèse et les sulfures [voir notes ci-dessous]. Ces trois types contiennent plusieurs métaux et se trouvent à de grandes profondeurs, principalement entre 1500 et 6000 mètres. Sur le plateau continental norvégien, des encroûtements et des sulfures de manganèse ont été découverts à des profondeurs d'environ 3000 mètres.

FRANCO “BIFO” BERARDI
On a perdu ?

Franco “Bifo” Berardi, Nero, 26/1/2023

Original: Abbiamo perso?

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En ces temps de Lützerath, alors que quelques milliers de filles et de garçons, capuchons de laine rabattus sur les oreilles, jouaient à cache-cache avec la police d’État allemande pour empêcher l’ouverture d’une mine de charbon, je regardais le documentaire Lotta Continua de Tony Saccucci sur la RAI. Il regorge d’images extraordinaires sur les luttes à la Fiat, et offre des perspectives différentes, voire contradictoires, sur l’histoire de cette organisation et le paysage social des années post-68. Je tiens à préciser que je n’ai pas participé à l’expérience de Lotta Continua, parce qu’à partir de 1967 je me suis reconnu dans les positions de Potere Operaio, mais je tiens aussi à préciser qu’à partir de ces années-là je me suis souvent senti plus proche du spontanéisme de Lotta Continua que du sévère léninisme tardif qui, après l’automne 69, a pris le dessus à Potere Operaio.


Parmi les nombreuses choses intéressantes, j’ai été frappé par une phrase de Vicky Franzinetti : « Nous avons perdu, et ceux qui ont perdu ont une dette immense envers les générations suivantes ». Ça m’a fait réfléchir, ça me fait réfléchir encore.

« Nous avons perdu ». Phrase problématique. Aurions-nous pu gagner ? Et comment aurions-nous pu gagner ? En nous transformant en une force politique parlementaire (une tentative qui a été faite et qui a échoué) ou en prenant les armes par centaines de milliers jusqu’au bain de sang ? Ou peut-être en initiant un processus de sécession pacifique d’une génération entière ? Nous les avons plus ou moins tous essayés, ces chemins, et aucun n’a été à la hauteur du problème.

Mais lorsque nous parlons de processus historiques, l’alternative de gagner ou de perdre n’explique pas grand-chose, car dans le devenir réel, il n’y a pas de symétrie entre les objectifs que l’on se fixe et ce qui se passe pour les atteindre : c’est ce qu’on appelle l’hétérogenèse des fins. Dans la sphère humaine, il existe des jeux finis, dans lesquels il est possible d’établir qui gagne sur la base de règles communes. Et il existe des jeux infinis, dans lesquels les règles elles-mêmes sont sujettes à des conflits et à des marchandages, de sorte qu’il n’est jamais possible d’établir un gagnant. Il en est ainsi dans le jeu de l’amour, il en est ainsi dans le jeu de l’histoire des luttes de classes, il en est ainsi dans le jeu de la guerre.

Mais ça, c’est du bavardage philosophique. La vérité factuelle est que nous nous sommes battus pour l’égalité et qu’aujourd’hui un pour cent de la population mondiale détient 70 pour cent des richesses, nous nous sommes battus pour la liberté du travail et l’esclavage est de retour partout, et la semaine de 40 heures est un souvenir. Nous voulions la paix et partout aujourd’’hui il y a la guerre. Nous voulions une démocratie radicale et partout le nazi-libéralisme domine.

Il n’y a donc aucun doute : nous avons perdu. Mais qui est ce “nous” qui parle ? Ce ne sont pas les militants de telle ou telle organisation, ni le mouvement, mais la société dans son ensemble qui a perdu. Et peut-être que, dans la perspective qui se dessine maintenant que la civilisation sociale se désintègre, nous pourrions dire que c’est l’humanité civilisée qui a perdu. Nous disions de fait : socialisme ou barbarie.

Mais y avait-il une chance d’éviter cette défaite ? Et le socialisme aurait-il pu éviter l’abîme dans lequel nous sommes maintenant en train de plonger ?

Peut-être avons-nous attribué à la volonté un pouvoir qu’elle ne possède pas : la volonté peut très peu. L’imagination peut un peu plus : mais peut-être avons-nous imaginé un possible qui n’était pas possible.

La solution finale qui se dessine aujourd’hui aurait-elle pu être évitée ? Le mouvement de 68 aurait-il pu effacer l’héritage de cinq siècles de violence contre la terre ? J’apprécie l’honnêteté omplacable de Vicky Franzinetti, mais je pense que ses propos sont symptomatiques d’une foi disproportionnée dans le pouvoir de la volonté.

Le mouvement auquel nous avons participé affirmait que l’égalité et la fraternité sont les seules méthodes qui peuvent permettre au monde d’échapper à l’horreur. C’est tout. Nous n’avions pas tort de dire cela. C’était vrai, et c’est encore vrai aujourd’hui. Mais c’est une vérité inopérante, car les conditions culturelles, psychiques et environnementales rendent l’égalité utopique et la fraternité impossible.

Après le 68 mondial, l’égalité et la fraternité ont été attaquées et détruites par les troupes idéologiques mais surtout militaires et techno-financières du nazi-libéralisme. Nous avons perdu et Pinochet a gagné, et avec lui le système financier occidental qui a ouvert la voie à la Réaction mondiale, à l’extractivisme du capitalisme mondial.

Les innombrables expériences de lutte dans l’ère qui a suivi la défaite du communisme sont des expériences désespérées parce qu’elles manquent d’un horizon réaliste : il n’y a plus d’issue politique à la spirale destructive sans limites du nazi-libéralisme. Nous avons la dernière preuve de cette impossibilité, encore une fois, au Chili entre 2019 et 2022.

Devons-nous donc penser que sur nos épaules pèse, comme le dit Vicky, une dette immense ? Je me pose vraiment la question, sans avoir de réponse, maintenant que je vois les scènes à Lutzerath, maintenant que je vois les filles et les garçons de la dernière génération se battre sur cette lande gelée comme des moineaux légèrement déplumés attaqués par l’énorme monstre de l’économie fossile et l’appareil policier de l’État allemand. Comme leurs pairs de Téhéran, ils sont confrontés à une tempête que nous n’avons pas pu éviter.

J’ai également vu The Swimmers [Les Nageuses] le film de Sally El Hosaini, une cinéaste britannique d’origine égyptienne : il raconte l’histoire de deux sœurs nageuses qui, fuyant la guerre en Syrie, risquent le naufrage et finissent par traîner leur canot déglingué dans les eaux de la mer séparant la Turquie de l’île de Lesbos. Sur le canot pneumatique tiré par les sœurs Yasra et Sara, assis de façon précaire, se trouvent des Bengalis et des Syriens aux côtés de Nigérians et d’Afghans. À mon avis, ce film mérite lui aussi d’être vu : il évoque la tragédie qui se poursuit aux frontières de l’Europe, et qui est amplifiée par les guerres et le changement climatique. Le communisme aurait-il pu empêcher cette tragédie, comme on le pensait dans les années 68 ?

The Curse of the Nutmeg [La malédiction de la noix de muscade, inédit en fr.,NdT], le dernier livre d’Amitav Gosh (roman et essai philosophique, anthropologique et historique) me fait penser que non, nous n’aurions pas pu éviter l’épreuve de force avec la Terre. Selon Gosh, le capitalisme mondial trouve son origine dans une guerre biopolitique prolongée que les puissances colonialistes ont déclenchée contre l’écosystème de la planète. Les peuples indigènes qui faisaient partie intégrante de l’écosystème planétaire ont été exterminés par les guerres biopolitiques. De cette dévastation, le capitalisme industriel a tiré son énergie, provoquant une mutation climatique et biologique que la volonté politique ne peut plus gouverner. Le processus de terraformation qui a rendu possible la création de l’industrie moderne a déclenché des processus irréversibles qui ont des effets dévastateurs sur la continuité de la vie associée.

Gosh écrit :

« Les similitudes entre la crise planétaire actuelle et les bouleversements environnementaux qui ont détruit le mode de vie d’innombrables peuples amérindiens et australiens ont quelque chose de petrurbant ».

Nous avons longtemps entretenu l’illusion que la civilisation pouvait survivre aux ravages causés par l’extractivisme, la surexploitation du système nerveux et la pollution de l’environnement physique et mental. Mais au cours de ce nouveau siècle, nous commençons à nous rendre compte que ce n’est pas le cas : si des groupes d’humains survivront peut-être, l’humanité ne le pourra pas. En fait, en observant le paysage psycho-politique contemporain, on peut penser que l’humanité n’existe déjà plus. Mes anciens camarades de Lotta Continua, ou du moins leurs anciens dirigeants, croient peut-être en l’existence de guerres nationales justes : presque tous ont pris position en faveur de la guerre nationale ukrainienne, et soutiennent l’envoi d’armes à ces combattants. Ils disent que c’est comme l’époque du Vietnam, mais rien de cela n’est vrai : pour nous tous (et pour mes camarades de LC), celle-là était une guerre internationaliste contre l’impérialisme d’un pays lointain. Aujourd’hui, c’est un carnage nationaliste armé et exploité par le nazi-libéralisme atlantique, qui utilise cyniquement la vie de millions d’Ukrainiens pour les intérêts des grands fabricants d’armes et le partage du marché des combustibles fossiles. Mes anciens camarades ont perdu le bien de l’intellect, mais ce n’est pas pour cela que j’ai cessé de les aimer, car tout cela (même l’extermination du peuple ukrainien ou l’extermination du peuple palestinien) ne sont que des détails de l’Holocauste mondial en cours. C’est le sujet du livre de Gosh, dans lequel apparaît un nouvel acteur, que les historiens modernes n’ont pas su voir comme une subjectivité : la Terre, à laquelle l’écrivain attribue une agence, une intentionnalité que nous ne sommes ni capables de comprendre ni de gouverner :

« Qui sait si les entités et les forces artificielles et naturelles non humaines ne poursuivent pas des buts qui leur sont propres, dont les humains ne savent rien ».

L’héritage de la colonisation semble irréversible non seulement sur le plan physique et biologique, mais aussi sur le plan social et anthropologique. Sur le plan social, le mode de production capitaliste n’aurait jamais pu s’établir sans l’extermination, la déportation et l’esclavage. 

Gosh écrit :

« L’ère des conquêtes militaires a précédé de plusieurs siècles l’émergence du capitalisme. Ce sont précisément ces conquêtes et les systèmes impériaux qui en sont découlés qui ont favorisé la montée imparable du capitalisme ».

Et selon Cedric Robinson, « la relation entre le travail des esclaves, la traite des esclaves et l’émergence des premières économies capitalistes est évidente ».

En outre, sur le plan  niveau anthropologique

« c’est la transformation des êtres humains en ressources muettes qui a permis le saut conceptuel à la suite duquel il est devenu possible de réduire la Terre et tout ce qu’elle contient à l’inertie... Ce n’est qu’après l’avoir imaginée comme morte que nous avons pu nous consacrer à la rendre telle » (Gosh encore).

L’ensemble du mouvement historique de la modernité a atteint son point de désintégration : tel est le sens du XXIe siècle. Nous n’aurions pas pu éviter cette désintégration si nous avions gagné. Que Vicky Franzinetti soit rassurée

La guerre mondiale asymptotique dans laquelle nous sommes embarqués depuis le 24 février 2022, ne fait qu’accélérer la catastrophe écologique ultime : c’est une guerre nationale contre l’impérialisme fasciste russe, qui a été instiguée et armée par l’impérialisme nazi-libéral atlantique. Cette guerre, qui multiplie de manière effrayante la catastrophe climatique et les migrations qui en découlent, est un signe indéniable de l’effondrement mental et de la démence sénile dont souffre l’espèce humaine.

Au-delà de la rhétorique obscène du nationalisme (tant russe qu’ukrainien), à l’origine de cette guerre se trouve la question énergétique (North Stream 2 et la volonté usaméricaine de rompre ce lien entre l’Allemagne et la Russie). Le résultat de cette guerre est une relance de l’économie des combustibles fossiles, au moment même où la fonte des glaciers, la montée des océans et mille autres signes nous avertissent que le temps est compté et que la poursuite de l’économie des combustibles fossiles signifie le suicide de la civilisation humaine. Lützerath nous le rappelle, et entre-temps le charbon est de retour.

Gosh observe :

« Les combustibles fossiles sont la base sur laquelle repose l’hégémonie stratégique de l’Anglosphère » et « la militarisation est l’activité qui contribue le plus à la dévastation de l’environnement ».

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : les efforts productifs de l’avenir proche seront plus que jamais consacrés à la construction d’armes toujours plus puissantes. Pas le financement du système de santé que le nazi-libéralisme a détruit partout, pas le financement des systèmes éducatifs, qui ont été mis en pièces par l’offensive privée et le chaos info-nerveux : la guerre sera le principal engagement des Etats et des systèmes productifs.

« Il y a un risque très sérieux que notre civilisation touche à sa fin. D’une manière ou d’une autre, l’espèce humaine survivra, mais nous détruirons tout ce que nous avons construit au cours des deux mille dernières années », déclare Hans Joachim Schellnhuber (cité par Amitav Gosh).

Et voici que des groupes de déserteurs quittent la scène de l’histoire pour vivre dans les ruines de la modernité, comme des champignons qui poussent là où tout se décompose, comme le dit Anna Lowenhaupt Tsing dans Le champignon de la fin du monde, Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme.  C’est vers là que notre réflexion doit se déplacer : au-delà de l’individu, au-delà de l’espèce, parmi les ruines en décomposition.

Références

Anna Lowenhaupt Tsing Le champignon de la fin du monde, Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte 2017 

Amitav Gosh : The Nutmeg's Curse: Parables for a Planet in Crisis,John Murray 2022

Cedric Robinson : Black Marxism : The Making of the Black Radical Tradition, Zed Books 1983, North Carolina Press, 2021.

Sally El Hosaini, The Swimmers, 2022