04/07/2024

GIDEON LEVY
La réaction à la libération du médecin de Gaza Mohammed Abu Salmiya révèle l’état effroyable de la société israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 3/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Quiconque veut savoir ce qui est arrivé aux Israéliens depuis le 7 octobre est invité à regarder comment s’est passée la libération de prison du directeur de l’hôpital Al-Shifa. Le Dr Mohammed Abu Salmiya est resté en prison pendant sept mois, sans contrôle judiciaire, sans inculpation, sans culpabilité.


Le docteur Mohammed Abu Salmiya, directeur de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza, en novembre 2023. Photo AFP

 

Mohammed Abu Salmiya après sa libération, à l’hôpital Nasser de Khan Younès, lundi. Photo Mohammed Salem/ REUTERS

Il a été enlevé par Israël de la même manière que le Hamas avait enlevé les otages israéliens et a été jeté en prison. Comme pour les otages israéliens, sa famille ne savait rien de son sort, et ni les représentants de la Croix-Rouge ni son avocat n’ont été autorisés à lui rendre visite.

Le Dr Issam Abu Ajwa, chirurgien, a été libéré avec lui lundi et a raconté les horribles sévices qu’il a subis. Sa photo avant et après ne laisse aucun doute sur la véracité de ses dires.

Les 50 autres Palestiniens libérés n’ont pas été montrés dans les médias israéliens, bien sûr, mais les spectateurs étrangers ont vu des adultes qui sont devenus des coquilles brisées : décharnés, timides, au corps osseux et aux jambes grêles, blessés, meurtris et pleins de blessures.

Abu Salmiya, heureusement pour lui, n’a pas été jeté dans le goulag de Sde Teiman, et n’a donc pas été torturé à mort comme ses deux collègues, le Dr Adnan Al-Bursh, chirurgien gazaoui de renom, et le Dr Iyad Rantisi, qui dirigeait un hôpital pour femmes, faisant partie de l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahiya.

Pour les Israéliens qui s’émeuvent de sa libération, Israël a eu tort de ne pas le tuer lui aussi, par les coups, la famine, la maladie ou d’autres formes de torture. Israël veut voir les médecins, comme tout le monde à Gaza, mourir d’une mort atroce.

03/07/2024

REBECCA RUTH GOULD
Effacer la Palestine
Liberté d’expression et liberté palestinienne

 Rebecca Ruth Gould, 2023

Ci-dessous une traduction du prologue du livre Erasing Palestine (Verso 2023), par Layân Benhamed, éditée par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Je suis... un Juif par la force de ma solidarité inconditionnelle avec les persécutés et les exterminés »
— Isaac Deutscher, « Qui est juif ? » (1966)

Prologue : Sur l’accusation d’antisémitisme (p. 1-11)

Février 2017 a marqué un tournant dans l’histoire de l’activisme pour la Palestine au Royaume-Uni. Ce mois tumultueux a vu les Palestiniens et les militants propalestiniens submergés par une vague sans précédent d’annulations d’événements et d’attaques contre leur droit de protester contre l’occupation. Février 2017 a également marqué un tournant dans mon propre engagement envers la Palestine et la liberté d’expression. J’étais arrivée au Royaume-Uni à l’été 2015 pour commencer à enseigner à l’Université de Bristol. Ma carrière académique itinérante m’avait menée de Damas à Berlin, et finalement en Palestine et en Israël. De 2010 à 2011, j’ai fait la navette entre la Palestine et Israël plusieurs fois par semaine. J’ai vécu à Bethléem en Cisjordanie, en face du mur de l’apartheid, le long duquel je marchais sur le chemin de l’Institut Van Leer où j’étais chercheuse postdoctorale1.

L’Institut Van Leer est situé au cœur du quartier historique de Talbia à Jérusalem-Ouest. À une autre époque, treize ans avant la fondation de l’État d’Israël en 1948, le critique palestino-américain Edward Said est né dans ce quartier. Son cousin a abandonné la maison familiale en 1948, juste après sa chute aux mains de la milice paramilitaire sioniste Haganah, coupant à jamais les liens de Said avec sa patrie.2 Maintenant, des décennies plus tard, l’Institut Van Leer a joué un rôle central dans les débats autour des définitions de l’antisémitisme. En 2020, il a servi de lieu virtuel et physique pour la rédaction de la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA) et a accueilli de nombreux événements pour soutenir sa diffusion.3


Bethléem-Jérusalem : un parcours du combattant de moins de 9 petits km


En rouge, le tracé de la “barrière de séparation” ou “clôture de sécurité” israélienne (Geder Habitahon), ou encore Mur de l’apartheid (جدار الفصل العنصري جدار الفصل العنصري, jidar alfasl aleunsurii) entre Bethléem et Jérusalem

 

Un labyrinthe de béton et d'acier. Source : Alexandra Rijke & Claudio Minca, “Inside Checkpoint 300: Checkpoint Regimes as Spatial Political Technologies in the Occupied Palestinian Territories”, Antipode, March 2019

Bien que l’Institut Van Leer fût situé à seulement quelques kilomètres de mon domicile, le trajet depuis Bethléem prenait plusieurs heures. Chaque matin, lorsque je devais me rendre à Jérusalem, je faisais la queue avec des travailleurs palestiniens fébriles et privés de sommeil au tristement célèbre Checkpoint 300 [poste de contrôle]. En attendant dans la file, j’observais souvent le traitement préférentiel que moi, en tant qu’étrangère, recevais de la part des soldats de l’armée israélienne (FDI) gardant le checkpoint. Le contraste entre la manière dont ils me traitaient et celle dont ils traitaient les autochtones de la Palestine était impossible à ignorer. Les soldats israéliens me permettaient, ainsi qu’aux autres détenteurs de passeports étrangers, de passer rapidement à travers les détecteurs de métal, tandis que les travailleurs palestiniens devaient souvent rester des heures, ce qui les retardait pour leur travail et leur faisait perdre un revenu vital.

Le deux poids deux mesures était visible partout. Les barrières métalliques derrière lesquelles nous attendions avaient des rangées séparées pour les étrangers et les Palestiniens. Des politiques différentes s’appliquaient à chaque rangée. À certaines heures, seuls les étrangers pouvaient attendre dans la file. Il n’était pas difficile de deviner quelles rangées nécessitaient le plus d’attente.

J’avais rarement vu une discrimination aussi flagrante. J’évoquais ces scènes dans quelques strophes que j’ai écrites à l’époque :

Les travailleurs saluent l'aube
derrière les barreaux du poste de contrôle 300,
en attendant de construire les maisons des colons
avec du calcaire volée
.4

J’ai appelé ce poème « Calcaire volé », en référence aux façades en albâtre des nombreux bâtiments qui brillaient sur les collines de Bethléem et de la ville voisine de Beit Jala, sur mon chemin vers Jérusalem. Ces bâtiments avaient été construits par des ouvriers palestiniens mal rémunérés, qui devaient attendre des heures aux checkpoints juste pour atteindre les bus qui les emmèneraient au travail.5 « Calcaire volé » réfléchit sur ma complicité au sein du système d’apartheid qui se développait à l’époque de ma résidence à Bethléem, et qui est devenu encore plus enraciné depuis mon départ.

Mon salaire était financé par une bourse établie par un philanthrope israélien. En acceptant cette bourse, je violais le boycott des institutions académiques israéliennes auquel participaient nombre de mes amis et collègues. Avant de l’accepter, j’ai débattu de l’éthique de cette décision avec des amis. Je voulais voir la Palestine – et y vivre – de première main. Une bourse de cinq ans à Jérusalem me permettrait de vivre en Palestine, spécifiquement à Bethléem en Cisjordanie, à quelques kilomètres seulement. Une amie proche venait de rentrer de Bethléem et elle a arrangé un appartement où je pourrais rester. C’était potentiellement une opportunité de changer ma vie à long terme en vivant en Palestine. Je sympathisais avec le boycott, mais je sentais aussi que je pourrais mieux contribuer à ces questions en étant témoin direct de l’occupation et en la vivant – même si ce n’était que temporairement.

Lorsque l’Institut Van Leer m’a attribué la bourse, il n’avait aucune idée que je prévoyais de vivre en dehors d’Israël et de faire la navette vers Jérusalem. Lorsque je suis arrivée à Jérusalem et leur ai dit que je vivrais en Palestine, il était trop tard pour qu’ils refusent ma demande. À la différence des Israéliens, j’étais légalement autorisée à résider dans les Territoires occupés. Contrairement aux Palestiniens, je pouvais entrer à Jérusalem sans demander de permission spéciale. Ces fréquentes navettes à travers des checkpoints encombrés et l’exposition à deux géographies radicalement différentes qui se jouxtaient m’ont amenée à voir l’occupation d’une manière complètement différente. Cette expérience directe de l’occupation a intensifié et justifié mon soutien au boycott. Jusqu’à mon arrivée en Palestine, mon soutien était basé sur des informations de seconde main.

C’est en vivant à Bethléem durant l’été 2011 que j’ai fini par écrire un article polémique qui condensait toute ma frustration face à tout ce que j’avais observé en Israël, en faisant la navette entre Bethléem et Jérusalem, en parlant avec des Israéliens qui n’avaient jamais visité les Territoires occupés – ce que la loi israélienne leur interdisait de faire – en observant et en habitant la bulle dans laquelle vivent les Israéliens tandis que leurs voisins palestiniens subissent des niveaux infiniment plus élevés de privation économique, de chômage et de violence en raison des politiques et préjugés israéliens.

Je vivais à quelques rues du mur que construisait Israël sous prétexte de sécurité, bien qu’il traversât directement le territoire palestinien. Des maisons avaient été coupées en deux par cette construction de pierre. Des plaques commémoratives avaient été érigées sur les décombres. Quelques années après mon départ de Bethléem, ces murs bifurqués seraient immortalisés dans le Walled Off Hotel, un édifice initialement créé par l’artiste de rue Banksy basé en Angleterre comme une exposition temporaire, devenant finalement un élément permanent de l’occupation. J’ai été témoin de patrouilles lourdement armées des FDI dans les rues, remplissant les Palestiniens de peur. Je ne pouvais plus justifier de vivre dans – et de recevoir un revenu de – ce système corrompu et discriminatoire. Bien que j’aie été témoin du carnage de la guerre de première main – j’avais visité Grozny peu après que la ville eut été rasée par des frappes aériennes russes en 2004 – les insultes et humiliations quotidiennes des Palestiniens que j’ai observées dans les Territoires occupés me rendaient malade. J’ai décidé de mettre fin à ma bourse pour le bien de ma propre santé mentale.

C’est à cette époque que j’ai écrit une courte polémique provocante intitulée « Beyond Antisemitism » (« Au-delà de l’antisémitisme »). Ce travail allait me hanter de nombreuses années plus tard, en me propulsant dans des circonstances qui ont conduit à la rédaction de ce livre. J’étais furieuse contre moi-même – entre autres – de ne pas pouvoir arrêter les abus historiques qui avaient normalisé la censure des voix palestiniennes. Je l’ai envoyé au magazine radical de gauche Counterpunch. J’ai reçu une réponse dans les heures qui ont suivi de la part du journaliste et rédacteur Alexander Cockburn, décédé l’année suivante. Cockburn l’a apprécié et m’a dit qu’il le publierait dans l’édition imprimée.6

Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un chèque de 100 dollars dans ma boîte aux lettres à l’Institut Van Leer, avec une courte note me remerciant pour ma contribution. Nous n’avions jamais discuté des termes de paiement, et je n’avais jamais partagé mon adresse avec Cockburn, donc l’argent fut une surprise.

Rétrospectivement, je peux voir comment le titre « Beyond Antisemitism » pouvait avoir semblé incendiaire, surtout sorti de son contexte. Il était calculé pour provoquer. Le titre a également été choisi pour critiquer l’utilisation politique du discours sur l’antisémitisme pour faire taire les discussions sur l’occupation de la Palestine. J’ai écrit sur ce que j’avais observé de première main pendant ma résidence en Palestine et mes trajets réguliers en Israël. Je n’aurais pas utilisé un tel titre si j’avais vécu n’importe où en Europe, où les sites de la plus grande atrocité du XXe siècle forment un sous-texte perpétuel à chaque discussion sur l’antisémitisme aujourd’hui. Mais je n’écrivais pas depuis l’Europe, ni d’ailleurs depuis le Royaume-Uni. Je n’avais jamais mis les pieds en Angleterre à ce moment de ma vie. J’écrivais depuis la Palestine après avoir travaillé un an en Israël, et par frustration de ma complicité avec le système injuste dans lequel je vivais et travaillais. On pourrait se demander : quel rapport l’antisémitisme a-t-il avec cela ? Indirectement, sinon explicitement, l’antisémitisme était le prétexte pour les injustices que j’observais chaque jour contre les Palestiniens. La peur d’être accusé d’antisémitisme rend difficile de s’exprimer, et c’est pourquoi tant d’entre nous qui témoignons de la discrimination anti-palestinienne – Israéliens et non-Israéliens – gardent le silence. Notre silence est une complicité. Cette complicité réduit également les Palestiniens au silence, cachant leurs expériences à la vue du public.

« Beyond Antisemitism » soutenait que la longue histoire de l’antisémitisme et de l’Holocauste constitue la toile de fond contre laquelle des vies palestiniennes sont sacrifiées. L’idée ne m’était pas venue quand je vivais à Berlin, avant d’accepter la bourse de Jérusalem. J’ai découvert cette dynamique intégrée dans la vie quotidienne des Israéliens en faisant la navette entre mon bureau en Israël et ma maison palestinienne. L’amnésie dans laquelle vivent les Israéliens me rappelait grandement ma propre éducation aux USA. Le génocide des Amérindiens était complètement supprimé de nos programmes scolaires, et l’esclavage était un sujet délicat que nos enseignants évitaient de discuter directement. Les traumatismes de l’histoire juive, et la peur compréhensible que cette histoire puisse un jour se répéter, avaient également conduit à des distorsions et des suppressions du passé. Les mémoires traumatiques et la peur de leur répétition hantaient mes conversations avec les Israéliens. Ces peurs remplissent les ondes radio israéliennes et façonnent la mémoire culturelle du peuple israélien. L’État israélien fait tout ce qu’il peut pour maintenir l’accent sur le traumatisme historique des Juifs. Pourtant, comme l’a remarqué Isaac Deutscher en 1967, même lorsque les dirigeants israéliens « surexploitent Auschwitz et Treblinka... Nous ne devrions pas permettre des invocations d’Auschwitz pour nous faire du chantage afin que nous soutenions une mauvaise cause. »7 « Beyond Antisemitism » était une polémique contre les silences forcés imposés par les traumatismes du XXe siècle, qui détournent l’attention de l’occupation des terres palestiniennes et de la dépossession du peuple palestinien. Après un an de résidence à la frontière entre Israël et la Cisjordanie, j’étais certaine qu’il n’y avait aucune justification pour les checkpoints discriminatoires et le système de bus ségrégué, ni pour le système archaïque de laissez-passer et de règlements qui restreignent grandement l’accès des Palestiniens à l’emploi et les maintiennent dans la pauvreté.

01/07/2024

AHMED NADHIF
Comment nous avons perdu l’Inde : pourquoi New Delhi est-elle devenue une partisane d’Israël ?

Ahmed Nadhif, Hiber, 9/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Ahmed Nadhif est un journaliste et chercheur tunisien, traducteur au Courrier de l’UNESCO à Paris.

Il y a 85 ans, le Mahatma Gandhi finalisait la position du Parti du Congrès indien sur les intentions du mandat britannique de céder la Palestine aux Juifs. En novembre 1938, Gandhi écrivait : « Ma sympathie pour le sort des Juifs ne me rend pas aveugle aux exigences de la justice. La revendication d’un foyer national pour les Juifs ne m’intéresse pas beaucoup. La Palestine appartient aux Arabes au même titre que l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il est erroné et inhumain d’imposer les Juifs aux Arabes. Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine ne peut être justifié par aucun code de conduite moral. Ce serait certainement un crime contre l’humanité que de réduire le nombre d’Arabes pour faire de la Palestine, en partie ou en totalité, une patrie juive ». La position de Gandhi était motivée, outre les impératifs de justice, par l’ennemi commun des Arabes et des Indiens, la Grande-Bretagne. L’homme avait depuis longtemps fait l’expérience des machinations des Anglais et des tragédies du colonialisme de peuplement. La position pionnière de Gandhi a caractérisé les positions du Parti du Congrès, même après le départ du Mahatma en 1947 et la naissance d’Israël en 1948.

 

Il y a deux mois, le Premier ministre indien Narendra Modi a dénoncé sur Twitter l’opération Déluge d’Al Aqsa : « Profondément choqué par les attaques terroristes en Israël. Nos prières accompagnent les victimes innocentes et leurs familles. Nous sommes solidaires d’Israël en ces temps difficiles ». Bien que la solidarité internationale avec Israël ait commencé à s’émousser quelques jours après l’attaque, qui a été suivie par les représailles brutales d’Israël contre les civils à Gaza, Modi a continué à se ranger du côté d’Israël lorsqu’il a écrit quelques jours plus tard, à la suite d’un appel téléphonique avec Netanyahou : « Le peuple de l’Inde se tient fermement du côté d’Israël : le peuple indien soutient fermement Israël en ces temps difficiles. L’Inde condamne fermement et sans équivoque le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations ». Le 19 octobre, le ministère indien des Affaires étrangères a réitéré son soutien à la guerre contre le terrorisme.

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Entre la position de Gandhi et du Parti du Congrès et celle de Modi, le leader du Bharatiya Janata Party (BJP), il y a un large fossé qui révèle les changements radicaux qui ont eu lieu en Inde au cours des huit dernières décennies, pendant lesquelles nous, Arabes, ou plus précisément la Palestine, avons perdu un allié fort qui non seulement a cessé de soutenir notre cause, mais est passé dans le camp opposé, en soutenant l’entité d’occupation. Comment cela s’est-il produit, dans quel contexte, et tous les Arabes sont-ils responsables de ce changement ?

Comment avons-nous perdu l’Inde ?

La naissance de l’Inde indépendante en 1947 a coïncidé avec l’intensification du conflit en Palestine et l’expansion des bandes sionistes. Jawaharlal Nehru, successeur de Gandhi et premier Premier ministre, a rejeté les décisions du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine (UNSCOP), qui appelait à la partition de la Palestine entre Arabes et Juifs. L’Inde a également voté contre l’admission d’Israël aux Nations unies en 1949. Vingt ans plus tôt, Nehru avait défendu la même position aux côtés des nationalistes arabes lors du Congrès des nationalités opprimées de Bruxelles en 1927, qui avait vu la création de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. En 1947 à l’ONU, ‘Inde, soutenue par l’Iran et la Yougoslavie, a proposé la création d’un Palestine fédérale assortie d’une autonomie interne pour les Juifs, mais la proposition a été rejetée.

En mai 1960, Nehru visite la Bande de Gaza (alors administrée par l’Égypte) et passe en revue les soldats indiens de la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) créée en 1956 durant la crise de Canal de Suez. L’avion de l’ONU qui le ramène à Beyrouth subit une tentative d’interception de l’aviation israélienne. Voir vidéo de la visite

La minorité musulmane de l’Inde était un élément clé de la politique de Nehru, mais ce n’était pas le seul motif de ce parti pris indien pour le côté arabe. À partir des années 1950, Nehru s’oriente vers l’établissement d’une ligne de non-alignement, dont le président égyptien Gamal Abdel Nasser est une figure clé. Bien que le gouvernement indien ait reconnu l’État hébreu en septembre 1950, il a refusé d’établir des relations diplomatiques avec lui. Ce soutien indien n’a cependant pas empêché les Arabes de se ranger du côté de la Chine lors de la guerre sino-indienne de 1962 pour le contrôle des régions frontalières de l’Aksai Chin et de l’Arunachal Pradesh. Lors des guerres pakistano-indiennes de 1965 et 1971, l’allié égyptien est resté neutre, tandis que le reste des capitales arabes s’est rangé du côté d’Islamabad. En 1969, le Pakistan a réussi à dissuader l’Organisation de la conférence islamique (OCI), dont un tiers des membres appartient à la Ligue arabe, d’admettre l’Inde au sein de l’organisation, alors que le pays compte plus de musulmans que certains pays arabes.

Six mois dans une dystopie néolibérale
Cannibalisme social contre entraide et résistance en Argentine

crimethInc., 17 /6/ 2024
Traduit par
Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

 En décembre 2023, Javier Milei est arrivé au pouvoir en Argentine, introduisant des mesures radicales d’austérité et de déréglementation. En promettant d’écraser les mouvements sociaux au nom d’un capitalisme débridé, son administration ouvre la voie à un effondrement social complet et à l’émergence d’une narco-violence à grande échelle. Dans le récit qui suitnotre correspondant dresse un tableau saisissant des forces et des visions rivales qui se disputent l’avenir de l’Argentine, dont le point culminant le plus récent ont été les affrontements du 12 juin, lorsque des manifestants militants ont affronté près de trois mille policiers encerclant un congrès barricadé.

Le bloc antifasciste, anarchiste et autonome lors de la manifestation du 24 mars : « Contre la violence d'État – autodéfense populaire ».

Instantanés

Fin janvier 2024, mouvements sociaux, assemblées de quartier et organisations de gauche se rassemblent devant le congrès pour protester contre le paquet massif de réformes néolibérales qui y sont débattues. L’État répond en mobilisant des milliers de policiers. On peut voir un officier se promener en arborant en écusson un drapeau de Gadsden « Ne me marchez pas dessus » sur sa veste.


 À la fin de la soirée, même si rien de particulier ne s'est produit, les policiers se déplacent par deux sur des motos, tirant des balles en caoutchouc sans distinction dans la foule.

Quelques jours plus tard, Sandra Pettovello, ministre du « Capital humain », refuse de rencontrer les organisations sociales pour discuter de la distribution d’aide alimentaire aux milliers de comedores populares (soupes populaires de quartier). S’inspirant de Marie-Antoinette, elle déclare : « S’il y a quelqu’un qui a faim, je le rencontrerai en tête-à-tête », mais sans l’intermédiaire des organisations sociales.

Le lendemain, des milliers de personnes acceptent son offre, faisant la queue devant son ministère. Elle refuse de les rencontrer.


La queue au centre-ville s'étend sur 20 pâtés de maisons au lendemain de la déclaration de la ministre du Capital humain qu'elle accueillerait individuellement ceux qui avaient faim.

Début mars, Télam, l'agence de presse publique, a été fermée. Il en va de même pour l'INADI, l'institut national contre les discriminations. Des vagues de licenciements déciment presque toutes les institutions publiques, y compris la bibliothèque nationale. On parle de privatiser la Banque nationale. Alors que les travailleurs se mobilisent pour défendre les institutions publiques et leur lieu de travail, ils trouvent les bâtiments barricadés et encerclés par la police anti-émeute. Des militants dits « libertariens » organisent une séance photo pour célébrer les fermetures et les licenciements.


Des policiers encerclent le bâtiment fermé de l'agence de presse publique Télam

Ursula est interviewée en direct par un journaliste d'une chaîne pro-gouvernementale. « Je suis veuve, je reçois une aide du gouvernement et je vis avec ma mère, qui est à la retraite. » Elle raconte qu'elle a trois filles, dont l'une se tient dans la rue, dans le froid, à côté d'elle pendant l'interview. Elle dit avoir récemment perdu son emploi. Alors qu'elle explique qu'elles tentent de survivre en vendant des paquets d'autocollants dans la rue, elle fond en larmes devant sa fille adolescente.

Quelques minutes avant l'interview d'Ursula, une autre femme avait été interviewée dans la rue. « J'ai trois boulots pour joindre les deux bouts. » Aucune des deux n'a mentionné les décisions politiques et économiques qui les ont conduites à ces situations.

Le coût de la vie a explosé. L’inflation est désormais « sous contrôle » – si l’on peut qualifier de sous contrôle un taux d’inflation mensuel de 9 % – uniquement parce que la demande des consommateurs s’est effondrée. Le coût des services publics, des médicaments et des produits alimentaires de base a explosé avec des augmentations de prix bien supérieures à 100 % dans toutes ces catégories. Dans le même temps, les contrats de location ont été complètement déréglementés.

Le résultat n'est pas surprenant. La valeur réelle des salaires s'effondrant, les ventes sont en chute libre. Ce ne sont pas seulement les fonctionnaires, stigmatisés par les ultralibéraux comme des «parasites vivant aux crochets de la société», qui perdent leur emploi. Les petites entreprises et les usines ferment les unes après les autres. Au cours du mois de mai, 300 000 «comptes salaires», comptes bancaires utilisés exclusivement pour recevoir les salaires mensuels, ont été fermés.

Dans une usine de la province de Catamarca, les travailleurs n'ont pas accepté la perte de leur poste de travail. Les 134 travailleurs de l'usine textile Textilcom, soupçonnant la fermeture imminente de celle-ci, ont occupé l'usine en guise de résistance contre la fermeture et comme moyen de pression pour s'assurer qu'ils ne seraient pas privés de leurs arriérés de salaire.

Mais même ici, les travailleurs qui mènent des actions collectives, qui occupent une usine et qui subissent les conséquences concrètes de la logique capitaliste du marché, mettent un point d’honneur à se distancer des chômeurs, des travailleurs informels et des personnes marginalisées qui constituent la majeure partie des mouvements sociaux. « Nous ne dépendons pas de l’aide de l’État, nous ne voulons pas d’aide, nous ne sommes pas comme les piqueteros. »

Un inconnu affronte le président Milei dans la rue en criant : « Les gens n'arrivent pas à joindre les deux bouts ! »

Milei répond : « Si les gens ne parvenaient pas à joindre les deux bouts, ils mourraient dans les rues, donc c'est faux. »

Même la presse pro-gouvernementale et de droite qualifie sa déclaration de « méprisable ».

En même temps, les organisations sociales dénoncent le refus du ministère du Capital humain de distribuer plus de cinq mille tonnes de produits alimentaires. Le ministère accuse le vaste réseau de soupess populaires gérées par les organisations sociales de pratiquer l'extorsion et affirme qu'un audit a révélé que la moitié de ces soupes populaires n'existent pas, alors que toute cette nourriture pourrit dans leurs entrepôts.

Un juge ordonne au gouvernement de commencer à distribuer la nourriture. Plutôt que d'obtempérer, celui-ci fait appel de la décision judiciaire.

Pendant ce temps, 49 % du pays vit dans la pauvreté, et 11,9 % de la population vit dans l’extrême pauvreté, définie comme « les personnes incapables de subvenir à leurs besoins alimentaires de base ».


Des manifestants devant le lieu où le ministère du Capital humain bloque des milliers de tonnes d'aide alimentaire.

30/06/2024

GIDEON LEVY
L’armée israélienne affirme que Wissam Hanoun a été tué lors d’un raid sur Jénine. Sa famille ne le croit pas

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 28/6/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Wissam Hanoun a-t-il été tué il y a 7 mois par les FDI, comme l’a déclaré l’armée, ou est-il la personne photographiée gisant inconsciente à l’hôpital Hadassah longtemps après, comme l’affirment ses parents ? L’habitude d’Israël de ne pas rendre les corps laisse les familles déchirées entre le désespoir et l’espoir.

Iyad Hanoun chez lui, cette semaine, dans le camp de réfugiés de Jénine

 

Le clip vidéo, qui a apparemment été tourné clandestinement, montre un jeune homme barbu, inconscient, allongé dans une unité de soins intensifs, un tube inséré dans sa gorge pour qu’il puisse respirer, un autre dans son nez pour l’alimenter. Son regard est vide. Les draps portent le nom de l’hôpital : Centre médical Hadassah, Aïn Karem, Jérusalem.

 

S’agit-il de Wissam, le fils d’Iyad et de Kifah Hanoun, qui en sont “sûrs à 150 % ”? Ou est-ce quelqu’un d’autre ? Wissam a-t-il été hospitalisé ici sous un autre nom - Hadassah a informé Haaretz cette semaine que, selon les registres de l’hôpital, personne du nom de Wissam Hanoun n’y a jamais été patient - ou s’agit-il d’une erreur d’identité et l’homme n’est pas Wissam ?

 

Les forces de défense israéliennes ont déclaré il y a sept mois que Wissam avait été tué lors d’une incursion dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Quelques jours plus tard, cependant, le doute a commencé à ronger les parents. Leurs doutes sur la mort de Wissam se sont accrus au cours des derniers mois, et ils sont maintenant absolument convaincus que leur fils est vivant. Ils ont déjà dépensé des dizaines de milliers de shekels en avocats pour tenter de retrouver Wissam, mais en vain. Le temps presse pour sa mère, Kifah, 50 ans : elle souffre d’un cancer du poumon à un stade avancé.

 

Jusqu’à la guerre de Gaza, le couple avait deux fils et une fille. Wiam, 28 ans, a été tué en octobre 2023 par un missile tiré sur lui par un avion israélien dans le camp de réfugiés de Jénine ; son frère aîné, selon les FDI, a été tué lors d’un raid de l’armée dans le camp cinq semaines plus tard, le 29 novembre. Le seul enfant qui leur reste, si c’est le cas, est leur fille, Rahil, une étudiante en ingénierie de 24 ans. Mais la mère et le père insistent sur le fait qu’il n’en est rien. xyz


Le squelette d’une jeep accidentée, ornée d’un drapeau palestinien et d’une couronne de fleurs, reste muet à l’entrée de la maison où nous avons rencontré Iyad, 54 ans, cette semaine. Ce marchand de légumes vit avec sa famille dans le camp de Jénine et possède un magasin de légumes dans la ville voisine de Qabatiyah. Quatre jeunes hommes ont été tués dans ce véhicule pendant le Ramadan, au printemps dernier, lorsqu’il a été touché par un missile.

 

L’homme qui murmure à l’oreille des présidents demande à Uncle Joe de prendre sa retraite

Thomas Friedman, l’éditorialiste star du New York Times, vient de publier l’édito suivant, qui reflète l’état de consternation du camp démocrate. Traduit avec jubilation par Fausto Giudice, Tlaxcala  et illustré par les meilleurs dessins de la presse US. Le débat de jeudi soir sur CNN a été du pain bénit pour les dessinateurs, qui s'en sont donné à cœur joie.
Ossama Hajjaj

Biden est un homme bon et un bon président. Il doit se retirer de la course.

Thomas L. Friedman, The New York Times, 28/6/2024

J’ai regardé le débat Biden-Trump seul dans une chambre d’hôtel de Lisbonne, et cela m’a fait pleurer. Je ne me souviens pas d’un moment plus déchirant de campagne présidentielle usaméricaine de mon vivant, précisément en raison de ce qu’il a révélé : Joe Biden, un homme bon et un bon président, n’a pas intérêt à se représenter. Et Donald Trump, un homme malveillant et un président mesquin, n’a rien appris ni rien oublié. Il est le même canon à eau de mensonges qu’il a toujours été, obsédé par ses doléances - bien loin de ce qu’il faudra pour que l’Amérique soit à la tête du XXIe siècle [sic].

-La wifi déconne: l'image est glauque, gelée et le son est inaudible
-C'est pas la wifi: tu es en train de regarder Joe Biden en débat

Christopher Weyant

La famille Biden et son équipe politique doivent se réunir rapidement et avoir la plus difficile des conversations avec le président, une conversation d’amour, de clarté et de détermination. Pour donner à l’Amérique la meilleure chance possible de dissuader la menace Trump en novembre, le président doit déclarer qu’il ne se représentera pas et qu’il libère tous ses délégués pour la convention nationale du parti démocrate.

Le parti républicain, si ses dirigeants avaient une once d’intégrité, exigerait la même chose, mais il ne le fera pas, parce qu’ils ne veulent pas. Il est donc d’autant plus important que les démocrates fassent passer les intérêts du pays en premier et annoncent le lancement d’un processus public permettant aux différents candidats démocrates de concourir pour l’investiture : assemblées publiques, débats, réunions avec les donateurs, etc. Oui, cela pourrait être chaotique et désordonné lorsque la convention démocrate débutera le 19 août à Chicago, mais je pense que la menace Trump est suffisamment grave pour que les délégués puissent rapidement se rallier à un candidat consensuel.


-Mon handicap est meilleur !
- Mon handicap est meilleur !
-OK, vous êtes tous les deux handicapés

Rick MacKee

 Si la vice-présidente Kamala Harris veut concourir, elle doit le faire. Mais les électeurs méritent un processus ouvert à la recherche d’un candidat démocrate à la présidence qui puisse unir non seulement le parti mais aussi le pays, en offrant ce qu’aucun homme sur cette scène d’Atlanta n’a fait jeudi soir : une description convaincante de la situation actuelle du monde et une vision convaincante de ce que l’USAmérique peut et doit faire pour continuer à le diriger - moralement, économiquement et diplomatiquement [resic].

 
Jeffrey Koterba

Car nous ne nous trouvons pas à une charnière historique ordinaire. Nous sommes au début des plus grandes ruptures technologiques et du plus grand dérèglement climatique de l’histoire de l’humanité. Nous sommes à l’aube d’une révolution de l’intelligence artificielle qui va TOUT changer POUR TOUS - comment nous travaillons, comment nous apprenons, comment nous enseignons, comment nous commerçons, comment nous inventons, comment nous collaborons, comment nous menons des guerres, comment nous commettons des crimes et comment nous les combattons. Cela m’a peut-être échappé, mais je n’ai pas entendu l’expression “intelligence artificielle” mentionnée par l’un ou l’autre des participants au débat.

S’il est un moment où le monde a besoin d’une USAmérique à son meilleur niveau, dirigée par son meilleur niveau, c’est bien maintenant, car de grands dangers et de grandes opportunités se présentent à nous. Un Biden plus jeune aurait pu être ce leader, mais le temps l’a finalement rattrapé. C’est ce qui est apparu douloureusement et inéluctablement jeudi.

M. Biden est l’un de mes amis depuis que nous avons voyagé ensemble en Afghanistan et au Pakistan après le 11 septembre 2001, alors qu’il était président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, et c’est donc avec une grande tristesse que je dis tout ce qui précède.

Je suis plus SUPER que toi !, par KAL
 Mais s’il met fin à sa présidence maintenant, en reconnaissant qu’en raison de son âge, il n’est pas en mesure d’effectuer un second mandat, on se souviendra de son premier et unique mandat comme l’une des meilleures présidences de notre histoire. Il nous a évité des mandats consécutifs de Trump, et rien que pour cela, il mérite la médaille présidentielle de la liberté, mais il a également promulgué une législation importante, cruciale pour faire face aux révolutions climatiques et technologiques qui nous attendent.

Jusqu’à présent, j’étais prêt à accorder à M. Biden le bénéfice du doute, car les fois où je me suis engagé avec lui en tête-à-tête, je l’ai trouvé à la hauteur de sa tâche. Il est clair qu’il ne l’est plus. Sa famille et son équipe devaient le savoir. Cela faisait des jours qu’ils se terraient à Camp David pour préparer ce débat capital. Si c’est la meilleure performance qu’ils ont pu obtenir de lui, il devrait préserver sa dignité et quitter la scène à la fin de ce mandat.

S’il le fait, les USAméricains salueront Joe Biden pour avoir fait ce que Donald Trump ne ferait jamais : faire passer le pays avant lui-même.

S’il insiste pour se présenter et qu’il perd face à Trump, Joe Biden et sa famille - ainsi que son équipe et les membres du parti qui l’ont soutenu - ne pourront que voiler leur face.

Ils méritent mieux. L’USAmérique a besoin de mieux. Le monde a besoin de mieux.


L'heure de la retraite a sonné, par Bob Englehart

 

29/06/2024

JOHN CATALINOTTO
Le plus grand rôle de Donald Sutherland (1935-2024)

John Catalinotto, Workers World, 26/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Donald Sutherland est mort le 21 juin à l’âge de 88 ans. L’acteur d’origine canadienne ayant été une star du cinéma au cours des six dernières décennies, il n’a fallu que quelques jours pour que beaucoup de choses soient écrites, entendues ou diffusées sur tous les types de médias au sujet de son travail au cinéma et de sa vie. On a moins parlé de son militantisme politique et des activités qu’il a menées pour résister à la guerre des USA au Viêt Nam.

Pour moi, il s’agit de son plus grand rôle.

Sutherland a joué dans au moins 87 films, notamment dans des succès populaires comme "The Dirty Dozen" en 1967, "M*A*S*H" en 1970 et, au cours de ce siècle, "The Hunger Games". Mes souvenirs les plus forts sont ses rôles de père aimant dans "Ordinary People" (1980), de fasciste extrêmement détestable dans "1900" (1976) de Bernardo Bertolucci, et de professeur blanc se rendant compte des injustices de l’apartheid en Afrique du Sud dans "A Dry White Season" (1989). Tous ses personnages étaient crédibles.

Avoir des compétences et du talent et s’efforcer de les améliorer est une chose ; la façon dont on utilise ces compétences, la façon dont on utilise sa célébrité en est une autre. Au début des années 70, Sutherland a contribué au développement d’un mouvement anti-guerre au cœur de l’armée impérialiste usaméricaine.

Je ne suis pas loin de croire que ce que Sutherland et ses collègues artistes ont fait dans le cadre d’une tournée appelée FTA a contribué à la libération du Viêt Nam. C’est énorme. C’est plus important que de gagner un Oscar.

FTA

Pour ceux qui ne l’ont jamais su ou qui l’ont oublié, FTA était un jeu de mots sur la publicité de l’armée américaine qui promettait aux nouvelles recrues “Freedom, Travel and Adventure” [Liberté, Voyages et Aventure], mais qui leur apportait la misère, le racisme et la mort. Les militaires usaméricains ont donné leur propre signification à FTA, à savoir “Fuck the Army”. Les artistes de la troupe FTA disaient, en rigolant, que ça signifiait “Libérez l’armée” (Free the Army).


Une partie de la troupe FTA : Sutherland, Jane Fonda, Len Chandler, Pamela Dinegan et Nina Simone

Sutherland et Jane Fonda - tous deux ayant déjà atteint le statut de star en 1971 - et d’autres artistes professionnels ont mis leurs talents au service de la tournée FTA. Ils se sont produits sur des bases militaires ou à proximité, devant 60 000 soldats, d’abord sur le territoire continental des USA, puis sur les bases du Pacifique à Hawaï, aux Philippines, au Japon et à Okinawa.