NdT
Originaire du village de Lioubavitchi, dans l’oblast de Smolensk, en Russie (aujourd’hui en Belarus), la secte des Loubavitch (appelée Habad, acronyme hébraïque désignant les trois facultés intellectuelles traditionnelles : ‘hokhmah – la sagesse, binah – la compréhension et daat – la connaissance) est une dynastie hassidique établie au XVIIIème siècle. Elle a commencé à acquérir une dimension mondiale à partir de l’installation du, sixième rebbe du mouvement, Yossef Yitzchok Schneersohn, à Brooklyn dans les années 1940. Son beau-fils Menachem Mendel Schneerson (1902-1994), considéré par ses adeptes comme « le Roi Messie », en a fait une multinationale florissante présente sur toute la planète, avec des milliers de centres, écoles, entreprises, boutiques, camps de vacances, centres aérés et sites ouèbe. Résolument modernistes et pragmatiques, les Loubavitch ne s’embarrassent pas des interdits promulgués par les autres sectes hassidiques et utilisent tous les moyens technologiques pour diffuser leur message et recruter des adeptes. Et surtout, à la différence d’autres sectes hassidiques comme les Neturei Karta, ils considèrent que l’État sioniste est parfaitement cacher. Très présents et actifs en Israël, ils y possèdent trois villes : Kfar ‘Habad (fondée en 1948), Na’halat Har ‘Habad (1969) et Kiryat ‘Habad (1979) et, comme ils le disent, « la relation spéciale entre ‘Habad et les Forces de Défense d’Israël est légendaire ». On assiste depuis plusieurs années à une mutation du sionisme : mouvement politique créé par des Juifs bourgeois de langue allemande entièrement laïques ou même athées, mis en pratique par des Juifs ashkénazes non-religieux de langue russe, polonaise et/ou yiddish, et généralement socialistes ou communistes (les fondateurs de l’État d’Israël), le sionisme est aujourd’hui majoritairement religieux. Incapable de se légitimer par des arguments rationnels, il s’est rabattu sur l’invocation d’une mission divine et messianique, en tripatouillant les textes fondateurs du judaïsme. Les Loubavitch ont joué un rôle décisif dans cette involution. D’où l’intérêt du texte ci-dessous, toujours actuel -FG
Le côté obscur du Rabbi de Loubavitch
Michael Lesher, Gilad Atzmon’s webpage, 15/4/2017
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L’article ci-dessous a été publié sur le blog du site du Time Of Israel le 14 avril 2017. Il a rapidement été supprimé par ce média sioniste. C’est la première fois que je publie un article de Michael Lesher qui est un juif orthodoxe ainsi qu’un courageux lanceur d’alerte. Dans cet article, Lesher examine le militarisme, le racisme et la sionisation qui sont devenus dominants au sein de l’orthodoxie juive contemporaine. À lire et à diffuser largement.-GA
Le 18 avril marque le 115e anniversaire de la naissance de Menachem Mendel Schneerson, le défunt Lubavitcher Rebbe. Schneerson, qui a pris la tête d’une secte hassidique en difficulté à Brooklyn en 1951, était à sa mort en 1994 sans doute « le Juif le plus influent depuis Maïmonide », et c’est sur cette influence que je souhaite écrire - en particulier parce que, au cours des quelque 20 années qui ont suivi sa mort, les souvenirs du charisme personnel du Rebbe ont largement éclipsé le compte rendu de son enseignement réel.
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Je note d’emblée que je n’ai ni les compétences ni le désir d’essayer d’analyser l’ensemble de la doctrine religieuse du Rebbe. De son rôle en tant que prêtre et chef de communauté, je n’ai pas grand-chose à dire, n’ayant jamais vécu dans une enclave à prédominance loubavitch. De plus, n’ayant pas eu de contact avec lui, je ne suis pas en mesure d’écrire sur ses qualités personnelles ; je suis prêt à admettre qu’elles étaient impressionnantes.
Je m’intéresse davantage au côté sombre de l’enseignement du Rabbi.
Car ce côté sombre – un fatras de messianisme apocalyptique et de racisme manifeste au cœur de l’enseignement du Rebbe - est probablement sa contribution durable au monde juif, dans lequel son prestige (en grande partie grâce aux hagiographies populaires de Joseph Telushkin et d’Adin Steinsaltz) continue d’augmenter alors même que les discussions sérieuses sur son héritage ont pratiquement disparu.
Pire encore, l’enseignement du Rebbe a de graves conséquences pratiques. Certains de ses sermons les plus véhéments ont été consacrés à la promotion du militarisme au Moyen-Orient. Alors que la violence d’Israël contre ses Untermenschen palestiniens s’intensifiait et que ses attaques contre les pays voisins atteignaient de nouveaux sommets de sauvagerie, le Rebbe rationalisait l’occupation et encourageait l’assaut militaire d’Israël contre le Liban en 1982, tout comme il allait encourager le carnage mené par les USAméricains en Irak neuf ans plus tard. Il est certain qu’un religieux musulman qui prêcherait des choses similaires serait frappé d’anathème dans tout le monde occidental. Pourquoi, dans ce cas, le Rebbe bénéficie-t-il d’un passe-droit pour son bellicisme en faveur de l’oppression de la Palestine - certainement la plus vilaine tache sur la tradition juive à l’époque moderne ?
La question ne peut être éludée. Le Rebbe n’a pas seulement toléré l’oppression israélienne. Il l’a encouragée.
Dans Eyes Upon the Land, un livre explicitement « basé sur les déclarations publiques et les écrits du Lubavitcher Rebbe», le lecteur apprend que « chaque pouce de territoire en Israël », y compris « les terres prises lors de la Guerre des Six Jours », doit être tenu par l’utilisation de la force militaire juive, sans tenir compte du droit international ou des conséquences pour la population non-juive. Pourquoi ? Parce que « l’Arabe ordinaire de la rue » ne cherche rien de moins que « la domination arabe sur toute la terre de Palestine » et considère tous les Israéliens avec « une haine profonde ». Le Rebbe n’a jamais apporté la preuve qu’une armée palestinienne inexistante submergerait d’une manière ou d’une autre les forces militaires massives d’Israël - il n’y en a pas - mais la question plus sombre est de savoir pourquoi l’insistance du Rebbe sur la domination juive sur la même terre, et la haine profonde des Palestiniens et des autres Arabes qu’il encourageait (pendant le massacre par Israël de plus de 17 000 personnes au Liban en 1982, le Rebbe a critiqué à plusieurs reprises les Israéliens pour leur trop grande timidité) ne justifiait pas l’utilisation de la force par les Arabes contre leurs agresseurs juifs. La seule réponse possible est la réponse évidente : Les Juifs sont différents des non-Juifs par définition. Les objectifs juifs importaient au Rebbe. Les vies arabes ne comptaient pas.
Et l’occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza par Israël ? Au cours de la première Intifada, le Rebbe a prêché avec insistance contre le moindre assouplissement des conditions d’oppression qui avaient déclenché la révolte populaire désespérée (et non violente dans son écrasante majorité). « Les concessions convainquent les Arabes de la faiblesse d’Israël », affirmait-il. « Même le simple fait d’évoquer d’éventuelles concessions est préjudiciable car ça encourage l’activité terroriste ». Meir Kahane lui-même n’aurait pas pu le dire plus brutalement.
“Habad de Hébron a lancé un programme “Adoptez un soldat”. Les shluchim [missionnaires] Rabbi Danny Cohen et Rabbi Mordechai Hellinger achètent le repas auprès d'entreprises locales en difficulté, car le tourisme dans la ville sainte, où se trouve le Tombeau des Patriarches, a pratiquement disparu en raison de la pandémie, et le remettent aux troupes de Tsahal stationnées dans la région en guise de remerciement pour leur service.”
Le lecteur ordinaire entend rarement parler de tout cela : une grande partie de ce qui passe pour des commentaires sur l’œuvre du Rebbe n’est que de la propagande. Dans Toward a Meaningful Life, un livre qui se veut une distillation des enseignements du Rebbe, Simon Jacobson affirme que « le Rabbi a enseigné - et incarné - un message nettement universel, appelant toute l’humanité à mener une vie productive et vertueuse, et appelant à l’unité entre tous les peuples ». En fait, Schneerson a fondé son enseignement sur le texte traditionnel hassidique connu sous le nom de Tanya, un ouvrage profondément raciste selon lequel seuls les Juifs sont dotés d’une âme pleinement humaine. Certes, Schneerson était loin d’être le seul prédicateur raciste au monde, mais il est difficile d’imaginer que des panégyriques comme ceux de Jacobson puissent circuler à propos, par exemple, de David Duke [suprémaciste blanc US, ancien Grand Sorcier du Ku Klux Klan, devenu trumpiste, NdT].
Les fidèles ne sont pas les seuls à jouer à de tels jeux. Dans sa critique de deux biographies récentes de Schneerson pour le Wall Street Journal, Dara Horn - après avoir décrit les efforts des émissaires du Rebbe pour persuader les hommes juifs de porter des phylactères et les femmes juives d’allumer les bougies du vendredi soir - insiste sur le fait que, bien que « tout cela ressemble étrangement à une secte », ces « enthousiastes barbus ne cherchent pas à convertir qui que ce soit ». Vraiment ? Il est vrai que les seules cibles des activités missionnaires de Lubavitch sont les Juifs - mais nier qu’ils « cherchent à convertir qui que ce soit » n’a de sens que si l’on accepte la prémisse sous-jacente que tous les Juifs devraient être des Juifs orthodoxes, sinon des hassidim de Loubavitch, une position qui aligne Mme Horn sur une position théologique très tendancieuse qu’elle ne reconnaît pas, et encore moins qu’elle ne justifie pas.
Le bellicisme de Schneerson était en partie le produit de son chauvinisme juif doctrinal, mais il s’appuyait également sur son insistance fanatique sur le fait que la fin des temps approchait rapidement. « Nous sommes maintenant très proches des pas du Messie, nous sommes même à la fin de cette période » affirmait-il déjà en 1951. Samuel Heilman et Menachem Friedman, dans une analyse relativement lucide de la carrière du Rebbe, l’appellent « l’histoire de la façon dont un homme et certains de ses disciples ont été emportés par ses croyances et ses attentes et ont été amenés à penser que la mort pouvait être niée et que l’histoire pouvait être manipulée ».
Un juif ultra-orthodoxe salue après qu’un graffeur espagnol a peint à la bombe un grand portrait du rabbin Schneerson, à l’extérieur d’un abri anti-bombes du centre Haabad dans la ville de Sderot, au sud d’Israël, voisine de la bande de Gaza, le 27 avril 2010. Un groupe d’artistes urbains étrangers se trouve en Israël pour décorer les abris anti-bombes de Sderot, une ville fréquemment visée par des roquettes artisanales en provenance de la bande de Gaza voisine. Photo MENAHEM KAHANA/AFP
Mais les médias occidentaux méprisent généralement les fanatiques religieux qui croient pouvoir défier la mort et inverser le cours de l’histoire. Seul le Lubavitcher Rebbe est traité avec des gants, même si la violence est l’un des outils qu’il a utilisés pour changer la réalité. En témoigne le silence qui a suivi son éloge funèbre par le rabbin Shmuley Boteach dans The Observer :
« Son autorité morale et son humanité sans pareille ont inspiré à tous ceux qui l’ont rencontré le désir d’être meilleurs.. [...] En voyant la dignité qu’il accordait à tous ceux qui venaient chercher sa bénédiction, ses admirateurs ont cessé de juger les gens qui étaient différents ».
Ces beaux sentiments seront une nouveauté pour les Palestiniens, pour lesquels le Rebbe n’a exprimé que dégoût et mépris. Et l’ « humanité sans pareille » du Rebbe n’a eu aucun problème à exalter les massacres israéliens au Liban et les massacres d’Irakiens en 1991.
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