Alors que les négociations sur le nucléaire piétinent, les autorités usaméricaines nient que Washington ait été impliqué dans les frappes
Murtaza
Hussain,
Drop Site News,
13/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Israël a attaqué l’Iran tôt
vendredi matin, ciblant la capitale Téhéran et d’autres parties du pays avec de
multiples frappes aériennes dans le cadre d’une escalade dramatique de sa
guerre régionale. Des explosions ont été signalées dans des villes abritant des
sites majeurs liés au programme nucléaire iranien. Les premiers rapports
indiquent qu’Israël pourrait avoir visé les domiciles de responsables
politiques et militaires iraniens, ainsi que des personnalités liées à son
programme nucléaire. La télévision d’État iranienne a indiqué qu’un certain
nombre de hauts responsables avaient été tués, dont le commandant en chef du
corps des gardiens de la révolution islamique, Hossein Salami.
Selon le New York Times,
les attaques ont visé au moins six bases militaires autour de Téhéran, dont le
complexe militaire iranien de Parchin. La télévision d’État iranienne a montré
que deux immeubles résidentiels s’étaient effondrés, faisant de nombreux morts
et blessés, dont au moins un enfant.
Le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahou a qualifié l’attaque, baptisée “Opération Lion dressé”*, de “frappe
préventive”, avant de déclarer l’état d’urgence général en Israël en prévision
d’une probable riposte iranienne. Dans un discours prononcé jeudi soir, Netanyahou
a détaillé une opération militaire de grande envergure visant les
infrastructures nucléaires et de missiles iraniennes, affirmant qu’elle était
nécessaire pour empêcher l’Iran de fabriquer des armes nucléaires et promettant
que les frappes se poursuivraient « pendant autant de jours qu’il le
faudra ». Netanyahou a affirmé que les attaques avaient permis de frapper
la principale installation d’enrichissement d’uranium de l’Iran à Natanz, les
scientifiques nucléaires iraniens impliqués dans le développement d’armes,
ainsi que le programme de missiles balistiques de l’Iran.
*Baptisée en anglais “Rising Lion”, l'opération a été appelée en hébreu “Im Klavi”, “Avec Caleb”, tiré des paroles de Balaam ben Beor : “Voici, le peuple de Caleb se lèvera et se couchera comme un lion ; il ne se couchera pas avant d'avoir dévoré sa proie et bu le sang de l'innocent” (Nombres, chapitre 23, verset 24). Caleb était le seul des 12 éclaireurs-espions envoyés par Moïse à Canaan lors de la sortie d'Égypte estimant que cette terre était colonisable. [NdT]
« Suite à l’attaque
préventive de l’État d’Israël contre l’Iran, une attaque de missiles et de
drones contre l’État d’Israël et sa population civile est attendue dans l’immédiat »,
a également déclaré Katz dans un communiqué. Des responsables israéliens ont
indiqué que le pays pourrait subir « une attaque importante en provenance
de l’est » dans les prochaines heures, probablement sous la forme d’un tir
de barrage de missiles iraniens en représailles. Israël a fermé son espace
aérien et l’aéroport international Ben Gourion de Tel Aviv a interrompu les
vols à l’arrivée et au départ. L’agence de presse iranienne Tasnim a rapporté
que les autorités avaient suspendu les vols à l’aéroport international Imam-Khomeini,
qui n’a pas été touché par les attentats.
Les attentats surviennent après
que les USA ont annoncé le retrait du personnel de leurs ambassades et
consulats au Moyen-Orient et que le président Donald Trump a laissé entendre qu’une
attaque israélienne contre l’Iran pourrait avoir lieu dans un avenir proche.
Malgré ces préparatifs, le secrétaire d’État Marco Rubio a déclaré jeudi que « les
USA n’étaient pas impliqués dans les frappes ». Pourtant, selon le Times
of Israel, l’armée israélienne affirme qu’elle coordonne ses actions avec
les USA. Dans sa déclaration, Rubio a indiqué qu’ »Israël nous a fait
savoir qu’il pensait que cette action était nécessaire à son autodéfense »,
ajoutant un avertissement à l’Iran pour qu’il « ne prenne pas pour cible
les intérêts ou le personnel USA ».
L’attaque israélienne intervient
après que les pourparlers entre les USA et l’Iran se sont enlisés en raison des
nouvelles exigences des USA concernant le démantèlement total du programme
nucléaire iranien. Bien que les responsables usaméricains aient nié avoir
participé aux frappes actuelles, l’opération risque maintenant d’entraîner les USA
dans une guerre plus vaste, Israël se préparant à de probables représailles
iraniennes tout en étendant sa propre campagne d’attaques à l’ensemble de l’Iran.
Bien que l’objectif déclaré de l’opération
israélienne soit de faire reculer les efforts nucléaires iraniens, il y a des
raisons d’être sceptique quant à cet objectif. Bien avant la vague actuelle de
frappes, les services de renseignement usaméricains et d’autres analystes
avaient souligné la capacité limitée des frappes israéliennes à détruire ou à
faire reculer de manière significative le programme nucléaire iranien.
Contrairement aux installations nucléaires qu’Israël a frappées par le passé en
Irak et en Syrie, le programme iranien est plus avancé, fortifié et réparti sur
un territoire beaucoup plus vaste. Les principales installations nucléaires
iraniennes, comme Natanz et Fordow, sont également construites sous des couches
de béton et de granit fortifiés - dans certains cas, elles sont littéralement
encastrées dans des montagnes - ce qui les rend impossibles à détruire par
toute capacité militaire israélienne conventionnelle connue.
L’incapacité probable d’Israël à
détruire complètement le programme, malgré sa capacité à frapper diverses
cibles en Iran, a conduit certains experts militaires à conclure que le
véritable objectif de toute attaque est simplement de donner le coup d’envoi d’une
guerre régionale de plus grande ampleur, dont l’issue n’est pas déterminée. Une
telle guerre pourrait entraîner les USA en tant que participants, notamment
pour défendre Israël contre les représailles iraniennes, même à un moment où
des segments de l’administration Trump et de sa base politique intérieure
expriment une frustration intense à l’égard de la poursuite des conflits au
Moyen-Orient.
« Les gouvernements
israélien et américain, ainsi que nos services militaires et de renseignement
respectifs, sont pleinement conscients que les frappes aériennes israéliennes
sur l’Iran ne vont pas réussir à détruire le programme nucléaire iranien. Il s’agit
d’installations souterraines dispersées dans un vaste pays et d’un capital
humain qui sait comment reconstruire les choses. Tout au plus, de telles
attaques retarderaient les progrès pendant plusieurs mois, voire moins d’un an »,
a déclaré Harrison Mann, ancien major de l’armée usaméricaine et ex-directeur
exécutif de la Defense Intelligence Agency (DIA) pour le centre régional
Moyen-Orient/Afrique. « La seule chose que l’on peut réellement obtenir en
essayant de bombarder les sites nucléaires iraniens est de provoquer des
représailles de la part de l’Iran, ce qui contribuerait à faire dégénérer la
situation en une guerre plus importante et à attirer les USA. C’est ce à quoi
tend tout effort supposé POUR bombarder le programme nucléaire iranien ».
Mann, qui a démissionné de son
poste à la DIA l’année dernière pour protester contre la politique usaméricaine
à Gaza, a ajouté qu’une campagne aérienne visant le programme nucléaire iranien
nécessiterait probablement l’envoi de troupes au sol pour vérifier si le
programme a effectivement été détruit. Elle pousserait également l’Iran à se
retirer de son engagement actuel envers le traité de non-prolifération
nucléaire (TNP) et à mettre au point une bombe, une mesure dont les
responsables iraniens ont déclaré ces derniers jours qu’elle était envisagée au
cas où ils seraient attaqués.
« L’Iran n’a jamais fabriqué
d’arme nucléaire. C’est un choix que les dirigeants successifs de ce pays ont
fait », a déclaré Mann. « Mais le moyen de s’assurer qu’ils essaient
de se doter d’une arme nucléaire est de leur faire sentir qu’ils n’ont pas d’autre
choix ».
Une guerre éternelle
La guerre actuelle a commencé
après que les négociations nucléaires entre les USA et l’Iran ont commencé à s’enliser
sur la question de l’autorisation pour l’Iran de maintenir l’enrichissement
nucléaire à des fins énergétiques civiles. En avril, l’émissaire usaméricain
pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a indiqué publiquement qu’un tel
arrangement pourrait être acceptable pour les USA, à condition que l’exigence
de Trump que l’Iran ne développe pas d’arme nucléaire soit respectée. Après que
les Iraniens ont exprimé leur accord avec ces conditions dans des déclarations
publiques, la position usaméricaine a commencé à changer rapidement. Ces
derniers jours, Witkoff et d’autres membres de la faction néoconservatrice de l’establishment
de la politique étrangère de Washington ont commencé à exiger à la place un
démantèlement à la libyenne de l’ensemble du programme nucléaire iranien - une
question que Téhéran avait déjà indiquée comme une ligne rouge qui détruirait
la possibilité d’un accord diplomatique.
« Les USA récoltent ce qu’ils
ont semé en 2018. Nous avions un accord - pas un accord parfait, mais un bon
accord que les Iraniens mettaient pleinement en œuvre », a déclaré Sina
Azodi, spécialiste des relations internationales et de la politique du
Moyen-Orient à l’université George Washington. « Mais Donald Trump est
arrivé, s’est retiré de l’accord et a calculé à tort que l’Iran reviendrait et
supplierait pour un meilleur accord. Tout ce qu’il pensait s’est avéré faux ».
En fonction de la manière dont le
cycle d’attaques et de représailles se déroule, un conflit avec l’Iran pourrait
dominer le programme politique de la seconde administration Trump. Les
responsables israéliens de la sécurité étaient divisés sur la question de
savoir s’il fallait procéder à une attaque sans le soutien des USA, mais ils s’attendent
depuis longtemps à ce qu’une confrontation militaire prolongée avec l’Iran
nécessite une aide importante des USA, que ce soit sous la forme d’opérations
militaires directes, de soutien en matière de renseignement, de logistique ou d’aide
à la défense et à la dissuasion contre les contre-attaques de l’Iran et de ses
alliés.
Les frappes actuelles, dont le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré qu’elles se poursuivraient « aussi longtemps que nécessaire », pourraient bien déclencher le processus d’une guerre plus vaste. Un rapport publié cette année par le Washington Institute for Near East Policy (WINEP), un organisme néoconservateur, a reconnu que les frappes aériennes ne seraient que la première phase d’un conflit beaucoup plus vaste, affirmant que « des actions secrètes et des frappes militaires visant à perturber et à retarder les efforts de reconstruction pourraient s’avérer nécessaires dans les mois et les années suivant une première attaque ».
Effets de représailles
L’année dernière, l’Iran a lancé
deux barrages de missiles contre Israël à la suite d’autres attaques
israéliennes. Mais les analystes de la sécurité affirment que ces attaques ont
été soigneusement calibrées et télégraphiées à l’avance afin de gérer le niveau
d’escalade et d’éviter qu’une véritable guerre n’éclate.
À la suite des graves attaques
israéliennes contre son programme nucléaire, l’Iran est désormais confronté à
un choix : capituler, riposter ou se retirer du TNP et se précipiter vers l’arme
nucléaire. Compte tenu de la nature des capacités militaires de l’Iran, qui
reposent d’une part sur le parrainage de milices non étatiques qui mènent une
guerre sous-conventionnelle et d’autre part sur une flotte massive de missiles
balistiques et hypersoniques, la capacité de l’Iran à riposter d’une manière
mesurée qui crée un effet dissuasif sans entraîner une escalade vers une guerre
majeure est limitée.
« Les capacités de frappe de
l’Iran sont fortement optimisées pour deux scénarios : des opérations discrètes
en deçà du seuil des grandes campagnes militaires, ou une confrontation totale.
En avril dernier, son attaque était très performante, alors qu’en octobre, il a
décidé de montrer certaines de ses capacités haut de gamme », a déclaré
Shahryar Pasandideh, un analyste de la sécurité spécialisé dans les questions
de défense. « Mais cette fois, si Israël attaque l’Iran, les Iraniens
pourraient riposter en s’attaquant à des cibles qualitativement différentes ».
L’Iran peut également choisir de
ne pas riposter de manière soutenue aux attaques d’Israël s’il décide qu’une
meilleure riposte serait de se retirer du TNP, d’expulser les inspecteurs
nucléaires et de se doter d’une arme nucléaire. Cela signifierait que la
réaction cinétique immédiate de l’Iran pourrait être limitée, tandis que le
pays se préparerait plutôt à développer une bombe en dehors de toute
surveillance internationale.
« Si les sites nucléaires
iraniens font l’objet d’attaques de grande envergure et non symboliques, et que
les Iraniens décident de se doter d’une arme nucléaire en réponse, il n’est pas
très logique de procéder à des attaques de missiles en représailles », a
ajouté Pasandideh. « On en revient aux capacités de frappe. Si vous voulez
utiliser une arme nucléaire en réponse à une attaque, il serait préférable de
limiter vos représailles à une campagne de frappes de missiles d’un ou deux
jours, puis de garder le reste de vos forces pendant plusieurs mois ou un an,
jusqu’à ce que vous ayez reconstruit ce que vous avez perdu et que vous soyez
en mesure d’utiliser une arme nucléaire ».
En fonction de sa durée, la
guerre pourrait finir par provoquer des scissions au sein de la coalition de
Trump, divisée entre les partisans de l’Amérique d’abord, opposés à de
nouvelles guerres au Moyen-Orient, et les néoconservateurs, pour qui l’attaque
de l’Iran est un objectif de longue date. Si la guerre se poursuit pendant une
longue période, la capacité des USA à éviter un conflit plus important
diminuera, et la pression exercée par Israël sur les USA pour qu’ils
interviennent et l’aident à poursuivre sa campagne ne fera qu’augmenter.
« Il n’y a pas d’option
israélienne viable sans une étroite coordination avec les USA. Toute campagne
israélienne de longue durée a besoin des USA dans un rôle central», dit Trita
Parsi, vice-présidente exécutive du Quincy Institute for Responsible Statecraft
(Institut Quincy pour une gestion responsable des affaires publiques). « Les
Israéliens ne sont pas en train de vendre seulement la guerre aux USA, ils leur
vendent une guerre sans fin ».
Ismael Hammad, Jordanie