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13/09/2023

PABLO AZÓCAR
Bagatelles pour un massacre chilien

Pablo Azócar, La Tercera, 11/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Pablo Azócar (San Fernando, 1959) est un écrivain, poète et traducteur chilien, qui a longtemps été journaliste. Son dernier roman, El Silencio del Mundo, est une histoire d’amour sur fond de pandémie et d’explosion sociale au Chili en 2019. Son seul roman traduit en français est Natalia (Actes Sud, 2001)

Je me suis maintes fois demandé pourquoi Augusto Pinochet, dans le monde entier, figure dans toutes les listes des personnages les plus pervers de l’histoire universelle de l’infamie. La première réponse qui me vient à l’esprit est la cruauté. Peu de régimes ont exercé une cruauté aussi rigoureuse, froide et systématique. Le dictateur chilien a non seulement fait tuer plusieurs de ses amis et dirigeants auxquels il avait juré une fidélité éternelle, à commencer par le général Carlos Prats, qui l’avait élevé et hébergé comme on abrite son fils, mais il a aussi mis en place un appareil répressif qui a recouru aux cruautés les plus délirantes et inhumaines de mémoire d’homme.

Un célèbre auteur-compositeur-interprète s’est fait écrabouiller les mains pour qu’il puisse plus jouer de la guitare, une dirigeante étudiante s’est fait poser un fer à repasser brûlant sur le visage pour le déformer, deux adolescents ont été aspergés de paraffine et brûlés de fond en comble, un ouvrier s’est fait arracher les doigts au marteau pour qu’il ne puisse plus jamais exercer son métier, une infirmière s’est fait percer les mains avec des yatagans jusqu’au sang, un paysan de 16 ans s’est fait exploser le visage et a été retrouvé la bouche pleine d’excréments de cheval, un pianiste s’est fait arracher les ongles un par un, un leader politique s’est fait brûler la poitrine au chalumeau.

J’ai rencontré une adolescente enceinte parce qu’elle avait été sauvagement violée à plusieurs reprises dans une prison clandestine. J’ai rencontré un enfant à qui on avait mis de l’électricité dans l’entrejambe devant ses parents pour les faire “parler”. J’ai rencontré une femme qui ne pouvait pas avoir de relations sexuelles parce qu’on lui avait mis des rats dans le vagin, et une autre qui avait été entravée pour être pénétrée par un chien dressé.

Le rapport Rettig et surtout le rapport Valech - documents officiels de l’État chilien, rédigés par des autorités morales et des spécialistes de tout l’échiquier politique - contiennent certaines de ces atrocités. J’ai eu le courage de lire le rapport Valech d’un bout à l’autre, et l’expérience a été plus terrifiante que les pires romans d’horreur. Dans ce rapport, par exemple, on trouve une liste de plus d’un millier d’enfants ayant subi divers abus. Les personnes qui ont rédigé cet horrible rapport ont reçu des dizaines de milliers de témoignages, bien que de nombreuses victimes n’aient pas osé le faire pour ne pas revivre l’horreur, l’humiliation et la peur.

Le rapport Valech souligne que des millions de Chiliens ont également perdu leur emploi ou leur maison, ont été dénigrés, exclus et harcelés, des centaines de milliers ont dû s’exiler, et beaucoup de ceux qui sont restés ont dû endurer la stigmatisation et la persécution. Certains ont été arrêtés à plusieurs reprises et ont dû changer de ville. D’autres, dans leurs villages, ont connu le mépris de devoir vivre avec leurs propres tortionnaires. Plus de 700 casernes, postes de contrôle, commissariats de police, camps de concentration ou prisons secrètes - dans toutes les régions du pays - où les événements se sont déroulés, avec dates et détails, ont été consignés dans ce rapport terrifiant.

Malgré les années qui ont passé, les milliers de témoignages contenus dans le rapport Valech sont accablants. « Les fibres de mon anus ont été brisées lorsque des objets contondants ont été enfoncés dans mon corps ». « J’ai perdu la vue de l’œil droit à cause de coups de mitraillette ». « Puis un milicien a sorti son pénis et m’a forcé à le redresser avec ma bouche, puis il y en a eu un autre et un autre, le dernier est entré dans ma bouche, ma vie n’a plus jamais été la même, je n’avais alors que 15 ans ». « Ils m’ont appliqué le ‘téléphone’, me frappant à l’unisson sur les deux oreilles, m’éclatant l’oreille droite ». « Ils m’ont arraché les molaires sans anesthésie ». « Ils m’ont pendue par les pieds, m’ont fait manger des excréments et ont attrapé ma fille de neuf mois par le cou devant moi, en me disant qu’ils allaient la tuer ». « Ils m’ont écrasé les reins sous les coups et j’en garde encore des séquelles ». « Ils m’ont forcée à avoir des relations sexuelles avec mon père et mon frère ». « Ils m’ont tellement battue que j’ai perdu la mémoire et la vue ». « Ils nous ont fait nous déshabiller, en passant une barre entre nos coudes et l’arrière de nos genoux, la sensation était comme un démembrement ». « Mes testicules ont été déchirés par le courant ». « J’ai des traces de brûlures de cigarettes sur tout le corps ». « Mon vagin a été détruit, je n’ai pas pu déféquer sans douleur pendant des années. » « Ils m’ont laissée là et ma jambe s’est gangrenée ». « Mon utérus et mes ovaires ont dû être retirés en raison d’une hémorragie interne ». « Aujourd’hui, j’ai des problèmes cardiaques à cause du courant qu’ils m’ont appliqué ». « Je suis restée avec une terreur qui n’a jamais disparu, la paranoïa, la claustrophobie, l’angoisse ». « Je revois sans cesse ce que j’ai vécu à cette époque ». « Je pleure encore dans mon sommeil ».

Comment mesurer l’immensité de cette douleur ? Comment mesurer cette humanité outragée si massivement et, le plus souvent, si anonymement ? Quelles cicatrices peuvent rester dans la psyché d’un pays après une barbarie d’une telle ampleur ?

Ce qui est déconcertant, c’est le silence qui a suivi. Le pays officiel a tout simplement décidé d’étouffer l’affaire. Au nom de la “réconciliation” et de la stabilité politique, il a été décidé de ne plus jamais en parler. L’héroïque Vicariat de Solidarité a été fermé sans cérémonie, le cardinal Raúl Silva Henríquez a été effacé de l’histoire officielle, les rapports Valech et Rettig et les centaines de milliers de témoignages ont été consciencieusement cachés, il n’y a pas eu de politique de réparation et la presse n’en a pratiquement plus parlé. Les proches sont livrés à eux-mêmes. Comme dans les malédictions bibliques, les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants ont été laissés seuls avec ce kyste.

Un demi-siècle plus tard, les conséquences sont évidentes. Aujourd’hui encore, de nombreux hommes politiques et parlementaires continuent de déifier Pinochet et de nier l’existence de cette horreur dantesque. Les forces armées refusent toujours de révéler le sort de plus d’un millier de disparus, un mot entré dans le lexique universel depuis les régimes militaires chilien et argentin. Le leader d’extrême droite José Antonio Kast, désormais favori des sondages pour la prochaine élection présidentielle, s’est déclaré “ami personnel” et a participé aux hommages rendus au militaire Miguel Krassnoff, l’un des tortionnaires les plus sanguinaires, condamné à plus de 900 ans de prison pour de multiples cas de violations des droits humains. La droite politique chilienne ne s’est pas “dépinochétisée”. Il n’y a pas de mea culpa, pas de prise de conscience de la sauvagerie de la politique d’extermination menée par l’Etat chilien dans ces années-là. Dirigeants, intellectuels et leaders continuent de parler de “tombés des deux côtés” et soutiennent qu’il ne s’agit que de quelques “excès”.

Lorsque le président Gabriel Boric a remis en juillet une distinction honorifique en Espagne au juriste Baltazar Garzón - qui avait fait arrêter Pinochet à Londres en 1998 au nom de la justice universelle des Nations unies - la droite chilienne a réagi avec indignation et a déposé une plainte formelle auprès du ministère des Affaires étrangères. « La reconnaissance de Garzón est une honte », a déclaré un député. « C’est une provocation », a déclaré un autre. Ils ne pardonnent pas à Garzón : ils ne lui pardonnent pas d’avoir sali la figure du “tata” [papa, papy] Pinochet. Tout cela n’est pas l’apanage de la droite : tout a été caché pendant tant d’années, la mémoire a été si systématiquement fermée, qu’aujourd’hui on peut se livrer gratuitement au négationnisme, ou à la relativisation des faits, ou appliquer le vieux système des liens de connivence.

Le paradoxe est terrible : le Chili est probablement le seul pays au monde où l’on n’a pas encore conscience de la monstruosité du régime Pinochet. Toutes les limites imaginables du bien et du mal ont été repoussées, ni Caligula ni Néron ne sont allés aussi loin. Les Allemands ont consacré des décennies, jour après jour, mois après mois, année après année, à se souvenir de l’holocauste hitlérien, dans des films, des essais et des romans, dans des photographies, des peintures et des monuments, dans des musées, des cérémonies et des mémoriaux.

L’holocauste chilien, quant à lui, n’a même pas de nom. C’est une bagatellisation qui s’est installée avec le poids de la nuit, une broutille qui continue à serpenter aujourd’hui, comme si rien ne s’était jamais passé.

 

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Chili : célébrations en clair-obscur

Sergio Rodríguez Gelfenstein, Blog, 12/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

J’écris cette semaine depuis le Chili où j’ai participé à un séminaire international organisé par la municipalité de Recoleta, la Fundación Constituyente XXI et d’autres organisations pour marquer le 50e anniversaire de la chute au combat du président Allende et de l’intronisation de la dictature fasciste civile et militaire qui s’est installée dans ce pays pendant 17 ans.




Une atmosphère sombre plane sur un pays qui n’a pas réussi à surmonter la division et la confrontation imposées par la dictature. Cette date a fait l’objet de “célébrations ambivalentes” : certains se sont souvenus d’Allende, de ses actes, de sa loyauté envers le peuple et de son immolation héroïque pour défendre la démocratie, tandis que d’autres ont rappelé avec jubilation l’irruption violente des forces armées qui ont “libéré le Chili du cancer marxiste”.

Entretemps, le gouvernement s’est effacé, organisant une commémoration élitiste dépourvue de la participation massive que méritaient la date et le président Allende. La rhétorique antérieure du président Boric, assumant une neutralité honteuse, se réfère à la théorie controversée des “deux démons” qui rend Allende et la dictature également responsables du coup d’État.

Il ne peut en être autrement si l’on tient compte du fait que le Chili a un président faible, lâche, timide, hésitant et pusillanime, ce qui est exploité par la droite la plus récalcitrante pour passer à l’offensive et maintenir le peuple dans un immobilisme paralysant qui a commencé le 15 novembre 2019 lorsque les élites du pouvoir, dont Boric, ont signé un accord de gouvernance de coupole [sic] qui a immobilisé la protestation sociale qui avait mis Piñera et son gouvernement “dans les cordes” et était sur le point de le défenestrer,. Il faut dire que, malheureusement, la pandémie a aussi joué son rôle.


Boric a bénéficié de cet accord que beaucoup au Chili considèrent comme une trahison du peuple et une décision en faveur des hommes d’affaires et de la droite. Comme à la fin des années 1980, les pouvoirs occultes du pays ont eu recours à une issue médiatisée qu’ils pouvaient contrôler et gérer à leur guise afin d’éviter une alternative qui ferait du peuple le protagoniste et le moteur des transformations et qui conduirait le Chili à un véritable rétablissement de la démocratie, aujourd’hui légalement limitée par une constitution approuvée frauduleusement pendant la dictature.

L’accord du 15 novembre, qui a ensuite porté Boric à la présidence, a donné une continuité au modèle économique néolibéral et a approfondi la démocratie répressive imposée par ses prédécesseurs. La loyauté de Boric envers les USA est absolue. Son alignement surprenant sur Washington dans le conflit ukrainien est l’expression d’une décision semblable à celle d’un chien qui exécute les ordres de son maître. Même Pinochet avait fait preuve de plus d’autonomie en matière de politique étrangère.

Tout cela a conduit le gouvernement à minimiser la date et à la transformer en une célébration à huis clos dans un palais de la Moneda entouré de centaines de policiers et de rues vides et muettes, absentes du peuple qu’Allende a défendu jusqu’à la dernière minute de sa précieuse vie.

Les commémorations les plus importantes ont eu lieu dans la municipalité de Recoleta, où le maire Daniel Jadue [communiste, qui avait perdu les élections primaires pour le candidat de gauche au profit de Boric, NdT], son équipe et d’autres organisations populaires et sociales ont pris en charge la commémoration d’Allende dans sa véritable dimension, générant un véritable festival culturel et un grand débat d’idées pour contribuer au processus de formation politique nécessaire pour que le Chili retrouve le chemin d’une véritable démocratie participative avec un protagonisme populaire.


En ce qui me concerne, je faisais partie d’un panel au siège de la Confédération nationale des travailleurs municipaux de la santé (Confusam), un syndicat combatif de travailleurs de la santé, qui passait en revue les politiques publiques de l’Unidad Popular.  On m’a demandé de faire une présentation sur la politique internationale du gouvernement populaire et sur la pensée internationaliste du président Allende.

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De même, dans le cadre des événements organisés à Recoleta, j’ai eu l’occasion de présenter les différents niveaux d’analyse du conflit en Ukraine afin d’expliquer les répercussions internationales et la transformation que cet événement a sur le système international et le passage d’un modèle atlantiste à un modèle dont l’axe est le grand espace eurasien.

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Document annulant l'inscription de l'étudiant Ilia Rodríguez.
Gelfenstein, 2 mois après le coup d'État au Chili. Son crime : "Lors de la cérémonie inaugurale du 5 novembre, il s'est exprimé de façon grossière en se moquant de l'acte tenu dans la cour du lycée, au cours duquel hommage est rendu à la patrie et l'Hymne national est chanté"

Mais l’événement le plus émouvant et le plus beau auquel j’ai pu assister a été une réunion au lycée Andrés Bello où j’étudiais au moment du coup d’État de septembre 1973. Là, nous nous sommes souvenus et avons dévoilé une plaque portant les noms de six camarades du lycée assassinés et d’un disparu par la dictature. En parcourant les couloirs et les cours de l’école où j’ai commencé ma formation scolaire et politique de militant révolutionnaire, j’ai pu me remémorer ce jour fatidique, il y a 50 ans.

Alors que ces commémorations ont lieu, le pays est en proie à un nouveau piège de la droite que le président, son gouvernement et les partis qui le soutiennent observent comme des moutons du pouvoir qui dirige le pays. D’une main de maître, la droite fasciste élabore une nouvelle constitution si réactionnaire, si rétrograde et si conservatrice que même des secteurs allant de la droite un peu moins cavernicole à la gauche pro-gouvernementale ont appelé à son rejet, ce qui - il faut le dire - est encourageant au vu de l’énorme régression que représenterait l’approbation d’une constitution médiévale au XXIe siècle.

Mais l’essentiel est que cela finira par valider et légitimer la constitution actuelle de Pinochet, qui donne une continuité à un système d’économie néolibérale, de démocratie restreinte et de justice "dans la mesure du possible".

Plus d’ombres que de lumières ont été observées dans cette commémoration, bien que les dernières paroles du président Allende, qui n’ont jamais perdu leur validité, seront toujours entendues : « […] d’autres hommes surmonteront ce moment gris et amer où la trahison veut s’imposer. Continuez à savoir que tôt ou tard s’ouvriront les grandes avenues où les hommes libres passeront pour construire une société meilleure. Vive le Chili, vive le peuple, vive les travailleurs ! »

➤Images extraites de la BD Les années Allende, par Rodrigo Elgueta et Carlos Reyes, éditions Otium, 2019

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Allende, cinquante ans après

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopia, 11/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Cinquante ans ont passé et les idées du président Allende sont toujours pleinement valables au Chili comme en Amérique latine et dans une bonne partie de ce que l'on appelle le tiers-monde. Il y a des années, à Guadalajara, nous avons eu la chance de voir un magnifique enregistrement de ce discours devant les professeurs et les étudiants de sa prestigieuse université où le président chilien récemment élu a exposé sa pensée, qui était certainement révolutionnaire dans ses objectifs, ainsi que sans précédent dans sa promesse d'apporter des changements en matière de démocratie et de liberté.


Discours prononcé par Salvador Allende à l'université de Guadalajara, Mexique, le 2 décembre 1972
PDF en espagnol
Extrait en français

Un discours magistral où, en plus de défendre ses convictions, il a appelé les jeunes étudiants à s'atteler à une tâche qui, bien sûr, dépasse l'action d'un seul gouvernement ou d'une seule génération. Un discours prononcé dans la chaleur de ses valeurs inébranlables, sans recours à un texte ou à un aide-mémoire, démontrant comme souvent son grand talent et son verbe brillant. Un ensemble de propositions visant à ce que nos pays se réapproprient la propriété et la gestion de leurs richesses fondamentales, consolidant ainsi la souveraineté qui nous a été léguée par nos libérateurs, puis bafouée par l'impérialisme usaméricain. Dans notre cas, il s'agissait de la volonté de nationaliser, en plus, nos grandes mines de cuivre et de donner une valeur ajoutée à ces tonnes de métal qui partaient et continuent aujourd'hui à partir à l'étranger et dans lesquelles il est également possible de découvrir de l'or, de l'argent, du molybdène et d'autres matières premières importantes.

Il voulait aussi récupérer la souveraineté populaire dans nos campagnes ravagées par les grandes propriétés et l'exploitation de millions de paysans qui pouvaient à peine survivre avec leur salaire de misère. Diversifier notre production agricole, moderniser l'agriculture, mais surtout faire en sorte que ceux qui cultivent la terre en soient propriétaires et méritent de vivre dans des logements décents, afin que leurs enfants aient accès à une alimentation suffisante et à une éducation libératrice.

Promouvoir, bien sûr, la réforme de l'éducation à tous les niveaux, afin de rendre l'enseignement obligatoire pour les enfants et de permettre non seulement aux enfants des riches mais aussi aux Chiliens des classes moyennes et populaires d'accéder à l'université, alors que moins d'un pour cent d'entre eux avaient cette possibilité à l'époque.  En même temps, ils étaient déterminés à prendre des mesures importantes pour la formation continue des adultes et des travailleurs, où les niveaux d'analphabétisme étaient effrayants. À tel point qu'aujourd'hui encore, on reconnaît que plus de 50 % de notre population ne comprend pas ce qu'elle lit, ainsi que plus de 15 % des étudiants de l'enseignement supérieur.

La proposition d'Allende incluait également la possibilité d'entreprendre une réforme constitutionnelle qui modérerait le présidentialisme excessif et chercherait sérieusement à mettre fin au matabiche et autres pratiques qui empêchaient l'accès du peuple au Parlement et aux municipalités. Convoquer, dans les plus brefs délais, une Assemblée constituante pour rétablir notre cadre institutionnel, qui était en soi un simulacre, dans lequel le pouvoir de l'argent et des médias définissait l'agenda politique, économique, social et culturel du pays.

Un renversement annoncé

Personne ne peut désormais ignorer qu'avant que Salvador Allende ne prenne ses fonctions de chef d'État, des préparatifs étaient en cours à Washington pour déstabiliser son gouvernement et le remplacer par un autre qui serait docile aux intérêts impérialistes. Peu à peu, les énormes ressources allouées à l'encouragement de l'action séditieuse des grands corps nationaux, à l'encouragement du coup d'État de la droite politique et d'autres partis d'opposition, qui ont été décisives pour encourager les traîtres militaires et justifier les premières violations des droits humains, ont fait leur œuvre. Ce rôle est honteusement revenu aux démocrates-chrétiens, un parti qui promouvait jusqu'alors des changements en faveur de la justice sociale, mais dont les principaux dirigeants ont succombé à la corruption par Kissinger, de la Maison Blanche et du Pentagone. On est également au fait des millions de dollars alloués au journal El Mercurio, propriété d'Agustín Edwards, qui, en plus d'être un putschiste, était également vice-président de Pepsi Cola. Un individu abominable qui a conservé son pouvoir intact, voire l'a accru, tout au long de la période post-dictature, charmant les gouvernements successifs de la soi-disant Concertación Democrática, de la Nueva Mayoría et, bien sûr, de la droite elle-même, qui est revenue à La Moneda à deux reprises entretemps.

Les promesses d'Allende se sont même concrétisées pendant son bref gouvernement, comme la nationalisation des grandes mines de cuivre, la remise de milliers d'hectares de terres aux paysans et l'introduction de changements significatifs dans le système éducatif, ce qui a également été fortement combattu par les opposants qui ont été appelés à participer aux élections législatives qui ont suivi le triomphe de l'Unidad Popular et au cours desquelles, malgré tout, la gauche est redevenue la première majorité, en dépit des campagnes de terreur promues et financées également par les USA et le pouvoir économique national.

Bien que nous ne l'ayons pas du tout prévu à l'époque, le 11 septembre 1973 a été le jour du bombardement criminel de La Moneda, dans lequel les forces armées, poussées par la droite et l'impérialisme, ont joué le rôle principal, et dans lequel, dès la première heure, des centaines ou des milliers d'opposants ont été criblés de balles, les premiers camps de détention et de torture ont été créés, tandis que des milliers d'autres Chiliens ont été arrêtés et torturés lorsqu'ils ne parvenaient pas à s'enfuir en exil. Il s'agit sans aucun doute d'un processus sans précédent de trahison et d'insoumission à l'ordre établi, respecté par Allende jusqu'à sa dernière heure, au cours duquel la démocratie et les changements entrepris en faveur de la rédemption des opprimés ont volé en éclats en quelques heures.

Nous savons déjà que le corps du président a quitté La Moneda sans que l'on sache avec certitude s'il s'est réellement suicidé ou s'il a été assassiné par les premiers officiers qui sont entrés dans le palais présidentiel. Cela ne change pas vraiment le caractère criminel de l'attentat, même si les militaires, la droite et d'autres secteurs se sont efforcés, avec la complicité de certains juges, d'établir le suicide comme la vérité officielle. Une “vérité officielle” qui permettrait à Pinochet de recevoir la reconnaissance diplomatique de nombreuses nations qui, dit-on, n'auraient pas été en mesure de le faire si le président déchu avait été assassiné.

Entre parenthèses, certains ont été convaincus qu’il avait été assassiné après qu'un capitaine de l'armée a témoigné devant un groupe de détenus qu'il avait lui-même tiré sur la tempe du président et qu'il s'était vanté d'avoir exhibé la montre de ce dernier comme un trophée. Il existe plusieurs écrits et témoignages sur le sujet, ainsi qu'un documentaire du cinéaste Miguel Littín.

La chose la plus importante à enregistrer maintenant dans cette commémoration historique est le respect que l'exemple d'Allende, sa conséquence politique, sa trajectoire démocratique et sa résolution héroïque de payer de sa vie la loyauté de son peuple, comme il l'a promis dans son discours final, méritent dans tous les secteurs, ainsi que dans le monde entier.

Son gouvernement, l'Unité Populaire et la conduite de ses partis sont encore aujourd'hui une source de controverses et d'attaques de bas étage par ceux qui ont été ses opposants et qui continuent aujourd'hui à être des militants de droite. Cependant, personne ou presque n'ose le discréditer moralement et sa figure reste, 50 ans plus tard, celle du président et du leader politique le plus apprécié par le peuple chilien. À tel point qu'une étude intéressante réalisée en 2008 par Televisión Nacional (avec des centaines de témoignages recueillis auprès d'historiens, de journalistes et de divers intellectuels) a conclu que pour la grande majorité nationale, Allende est la figure la plus pertinente de notre histoire républicaine, égale ou supérieure à l'hommage rendu à nos pères de la nation, et supérieure au prestige de Pablo Neruda, Gabriela Mistral, Violeta Parra, Alberto Hurtado et d'autres Chiliens éminents.

Validité permanente

En ce sens, et malgré tout ce qui s'est passé, 50 ans, ce n’est vraiment rien. Les idées d'Allende sont toujours aussi présentes dans les manifestations qui réclament du pain, de la justice et de la liberté. Surtout lorsqu'elles insistent sur la récupération des gisements de cuivre et maintenant sur l'exploitation du lithium et d'autres ressources. Lorsque les enseignants défilent et paralysent leurs activités pour exiger plus de ressources pour l'éducation publique, ainsi que le paiement de la dette historique que l'État leur doit depuis tant d'années. Tandis que des centaines d'enseignants languissent sans récupérer ce droit qui leur a été arraché et leur dignité.

Les revendications actuelles en faveur d'un système de santé qui garantisse des soins adéquats à tous les Chiliens vont dans le même sens. La dictature et les gouvernements qui lui ont succédé ont consolidé l'opprobre du système privé des ISAPREs [sociétés d’assurances santé privées, au nombre de 13, NdT], qui refuse des soins adéquats aux pauvres et à la classe moyenne, en présentant de longues listes d'attente pour les soins médicaux, où il est avéré que, seulement au cours du dernier semestre, plus de 19 000 Chiliens qui avaient besoin d'opérations chirurgicales urgentes sont morts. Allende, en tant que médecin, soutiendrait sans aucun doute ces demandes aujourd'hui, ainsi que la fin des infâmes AFP [sociétés privées d’administration des fonds de pension ayant substitué en 1981 le système par répartition par un système par capitalisation, NdT] qui gèrent les cotisations de millions de travailleurs qui, à la fin de leur vie, reçoivent des pensions misérables et se voient obligés de continuer à travailler. Un système également privatisé par la dictature et qui a même fait l'objet de compliments à l'époque de la soi-disant transition vers la démocratie, où, en réalité, ceux qui ont intégré ces gouvernements ont fini par être enchantés par le néolibéralisme, le capitalisme sauvage et les inégalités provoquées par le marché. Sauf, bien sûr, quelques exceptions minimes, malgré les origines socialistes, social-chrétiennes ou social-démocrates de leurs protagonistes.

Il est parfaitement logique d'assurer qu'Allende soutiendrait aujourd'hui la lutte héroïque du peuple mapuche pour la reconnaissance de ses droits à l'autodétermination, la récupération de ses territoires occupés et la pleine reconnaissance de son patrimoine culturel. Tout cela ne sera possible qu'en neutralisant l'action écocide, par exemple, des entreprises forestières qui se sont emparées de la région. Le défunt président n'aurait certainement pas pu consentir à la militarisation de l'Araucanie imposée par des gouvernements se prétendant héritiers d'Allende, à la judiciarisation des causes de notre peuple fondateur et aux assassinats habituels et répétés de membres de la communauté, ainsi qu'à la répression qui s'abat aujourd'hui sur ceux qui, jusqu'à très récemment, étaient reconnus comme des leaders et même des héros par les partis et mouvements autoproclamés de gauche. Il est bien connu que ce qui se passe dans le sud du pays est très similaire aux événements tragiques de la soi-disant Pacification de l'Araucanie, il y a plus d'un siècle, dont les principaux auteurs sont encore reconnaissables dans les noms de rues et d'espaces publics. Même si la statue du général Cornelio Saavedra a été arrachée de son socle par des manifestants en 2020 et jetée dans la rivière Lumaco. Tout aussi récemment, le monument au général Baquedano, qui s'est également distingué dans ce sombre épisode d'usurpation des terres mapuches, a contraint les autorités à le retirer de la Plaza Italia, en plein centre de notre capitale.

Le peuple chilien a l'intuition qu'Allende serait aujourd'hui le leader qu'il a été des revendications socio-économiques de son époque.  Son nom est également reconnu comme celui e l'un des principaux combattants de notre époque. Lorsque l'inégalité sociale prévaut et que la marginalisation et le manque d'opportunités expliquent le développement de phénomènes tels que la criminalité et le trafic de drogue, des fléaux que même les politiciens qui se disent progressistes pensent qu'il faut combattre avec plus de pouvoirs pour la police, plus d'armes dissuasives et des peines punitives même pour les mineurs qui commettent des délits. Aujourd'hui, ils sont donc à nouveau tentés d'envoyer de plus en plus de militaires dans les rues et les villes du nord et du sud. Une fois de plus, ils sont au bord d'une nouvelle et juste explosion sociale, sans aucune autre pandémie en vue pour la contenir, comme cela s'est produit, empêchant ce qui était un effondrement institutionnel imminent.

“La gauche unie ne sera jamais vaincue” est l'un des slogans les plus connus et celui qui a été le plus longtemps brandi sur les banderoles des avant-gardes dans leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que c'était aussi l'aspiration et la réussite d'Allende lorsqu'il est arrivé au gouvernement et qu'il a pu devenir le porte-drapeau de la gauche, après la mesquinerie qui s'est manifestée entre partis pour obtenir une plus grande hégémonie dans l'influence sur les décisions présidentielles. Cependant, il est plus qu'évident que ce sont les controverses entre socialistes, communistes et autres qui ont affaibli le gouvernement de l'Unité Populaire et, dans une large mesure, encouragé le coup d'État. Comment ne pas se rappeler que, depuis le cœur même de la gauche, Allende a été qualifié de “social-démocrate” et accusé de défendre la démocratie “bourgeoise” par des dirigeants qui, pendant qu’Allende mourait à La Moneda, se cachaient déjà dans des ambassades et renonçaient à toute tentative de résistance au déchaînement militaire !

En disant cela, nous n'avons pas l'intention de justifier l'action des séditieux, qui ont commencé à comploter son renversement avant que ces contradictions ne se manifestent. Pour eux, Allende ne devait être renversé qu'en raison de sa proposition programmatique et de la possibilité que son expérience soit reproduite dans d'autres pays appartenant à la zone d'influence des USA, en pleine guerre froide. Il faut donc reconnaître que sa tentative de gagner le soutien de l'Union soviétique et du monde socialiste de l'Europe de l'Est a été vaine.

Ce qui est grave, c'est que cinquante ans après sa mort, la situation de la gauche chilienne n'a fait qu'empirer par rapport au slogan cité plus haut, et aujourd'hui le panorama est franchement désastreux quand les référents avant-gardistes se multiplient dans toutes sortes de collectifs et d'associations dont les idéologies et les intentions sont pratiquement incompréhensibles pour le pays. Des entités qui ne comptent généralement pas plus d'une centaine de militants actifs et qui manquent de pratiques démocratiques internes pour définir leurs dirigeants et leurs propositions. Une flopée de sigles, qui ne sont rien d'autre que des noms bizarres, composent le soi-disant Frente Amplio [Front Large], ainsi que l'autoproclamé socialisme démocratique. Tous exhibent leurs querelles à travers les médias, alors qu'ensemble ils n'ont pas été capables de remplir un théâtre ou un stade avec leurs adhérents et sympathisants depuis longtemps.

Il ne fait aucun doute que le principal objectif de ces camarillas est de placer leurs partisans inconditionnels au sein de l'appareil d'État et d'accéder aux ministères et aux sous-secrétariats, où les quotas sont le dénominateur commun. Et quand ils n'y parviennent pas, ils créent des fondations et d'autres entités pour recevoir des millions du Trésor public qui, bien sûr, servent à financer leurs ambitions électorales et, accessoirement, leur enrichissement illicite. Nous savons déjà que parmi tous les épisodes de corruption politique, la justice enquête actuellement sur la destination de quelque 30 milliards de pesos [= 30 millions d’€]. Ce qui est reconnu comme la fraude la plus grave contre le trésor national de toute la période post-dictature.


Le problème de la gauche :
-Sur le fond on est d'accord
-Mais d'innombrables nuances nous séparent

L'avantage de la droite:
-D'innombrables nuances nous séparent
-Mais sur le fond on est d'accord

Pour la consolation de cette gauche qui se dégrade et s'effrite, la droite souffre d'une atomisation similaire, tout comme les multiples scissions de la Démocratie chrétienne, du PPD et d'autres organisations qui, selon les sondages, obtiennent moins de trois ou quatre pour cent du soutien populaire. Le parti le plus voté est le Parti républicain d'extrême droite, mais avec moins de 5 % du soutien électoral.

Sans parler de la responsabilité politique qui doit être attribuée aux partis en ce qui concerne la disparition des anciennes références syndicales. De la faible importance aujourd'hui de la Central Unitaria de Trabajadores, ainsi que des associations professionnelles qui ont été à l'avant-garde de la lutte contre la dictature. Toutes ces organisations se morfondent dans la lutte de leur caudillisme interne et sont confrontées à des scandales de corruption qui se déclenchent précisément lorsqu'elles doivent “négocier” avec les gouvernements en place le montant du salaire minimum et l'application de certaines lois sur le travail.

Allende grandit définitivement dans la mémoire du peuple chilien, bien qu'il soit systématiquement ignoré par les dirigeants politiques et sociaux qui se réclament de lui. Tout cela s'explique par le manque d'idées et de programmes d'action et, surtout, par l'absence de médias qui favorisent le débat idéologique et la prise de conscience des Chiliens, en particulier des plus jeunes.

Il est bien connu que la lutte contre l'oppression de Pinochet a impliqué des organisations sociales et politiques spontanées, mais aussi les médias, dont la mission était de dénoncer les abus de la dictature et de promouvoir le retour à la démocratie. Au début, les timides efforts journalistiques ont gagné en influence et ont eu le mérite d'enregistrer toutes les horreurs commises contre la dignité humaine et les droits du peuple au sein de la dictature. Cependant, même aujourd'hui, on suppose que toutes ces références ont été exterminées par les premiers gouvernements de la Concertation, lorsque d'obscurs personnages comme Edgardo Boeninguer, Enrique Correa et d'autres ministres et opérateurs de La Moneda ont décidé qu'il serait trop risqué d'avoir des journaux, des magazines et des stations de radio qui pourraient exiger la réalisation des promesses faites par les nouvelles autorités et, ce faisant, déstabiliser les militaires, ainsi qu'embarrasser les grands hommes d'affaires pinochétistes qui ont pris leur place dans la nouvelle démocratie. D'ailleurs, dans l'impunité la plus totale en ce qui concerne les entreprises et les ressources de l'État accaparées sous la protection du tyran et du voleur qui gouvernait de facto.

Le temps nous a donné raison lorsque nous avons constaté que des missions diplomatiques envoyées en Europe ont averti les gouvernements qu'ils devaient s'abstenir de toute aide aux médias chiliens et au monde prolifique des organisations sociales et de défense des droits humains. Une demande sans doute écoutée par les pays qui soutenaient ces médias et envisageaient même de leur accorder une aide définitive et substantielle qui servirait à les consolider pendant la prétendue démocratie à venir. Malheureusement, la realpolitik s'est imposée à ces pays qui voulaient désormais faire des affaires dans notre pays et accéder à nos richesses naturelles. Tout cela se passait, rappelons-le, pendant que le gouvernement de Patricio Aylwin effaçait les dettes d'El Mercurio, de La Tercera et d'autres médias, tout en renouvelant les contrats publicitaires de plusieurs millions de dollars avec l'État qui les soutenait alors que leur déclin était imminent. Ces mêmes contrats publicitaires ont également été refusés à la presse indépendante qui, sans aucun doute, aurait continué à s'opposer à l'impunité et à plaider en faveur d'une démocratie solide et de ces réformes économiques et sociales, dont beaucoup sont encore en suspens aujourd'hui. Tout comme ils auraient dénoncé les premiers actes de corruption qui sont aujourd'hui si répandus dans notre vie politique.

S'il est vrai que ces médias indépendants et dignes ont réussi à briser le blocus de l'information imposé par la dictature, nous devrions aujourd'hui être reconnaissants et applaudir le fait qu'il existe un nombre infini de sites web libres sur l'internet, ce qui rend très difficile pour la classe politique de continuer à commettre ses inepties, et maintenant même la presse de droite elle-même est incapable de les éviter.

Des centaines de milliers, voire des millions de Chiliens vivent aujourd'hui dans le désenchantement, à cause de ce qui aurait pu être et n'a pas été. Nous sommes déçus par la trahison idéologique et la corruption morale de ceux qui ont accédé au gouvernement de notre nation. Nous craignons que le pays ne soit à nouveau au bord de l'effondrement et que les heures amères de notre coexistence ne reviennent. Mais ce sur quoi nous sommes d'accord et qui nous anime est  le fait que, malgré tout, les idées et les objectifs de Salvador Allende sont toujours valables et que son nom est un cri et un ferment d'espoir.

12/09/2023

Chili, le coup d’État et les gringos, par Gabriel García Márquez (1974)

 Gabriel García Márquez, Alternativa, 1974
Original
Traduit par Tlaxcala, 11/9/2023

Ce texte, publié en 1974, reste d’actualité car il explique avec simplicité et clarté, en particulier pour la jeune génération, la chute du gouvernement Allende et désigne les exécutants directs et indirects du coup d’État.

Fin 1969, trois généraux du Pentagone ont dîné avec quatre officiers militaires chiliens dans une maison de la banlieue de Washington. L’hôte était alors le colonel Gerardo Lopez Angulo, attaché aérien à la mission militaire chilienne aux États- Unis, et les invités chiliens étaient ses collègues des autres armes. Le dîner était organisé en l ’honneur du directeur de l’école d’aviation chilienne, le général Toro Mazote, arrivé la veille pour une visite d ’étude. Les sept soldats ont mangé de la salade de fruits, du rôti de bœuf et des petits pois, bu les vins chaleureux de leur lointaine patrie méridionale où les oiseaux brillaient sur les plages tandis que Washington faisait naufrage dans la neige, et parlé en anglais de la seule chose qui semblait intéresser les Chiliens à ce moment-là : les élections présidentielles de septembre prochain. Au dessert, l’un des généraux du Pentagone a demandé ce que ferait l’armée chilienne si le candidat de gauche Salvador Allende remportait les élections. Le général Toro Mazote lui répond : « Nous prendrons le palais de la Moneda en une demi-heure, même si nous devons y mettre le feu ».

L’un des invités était le général Ernesto Baeza,  ’actuel directeur de la sécurité nationale du Chili, qui a mené l’assaut contre le palais présidentiel lors du récent coup d’État et qui a donné l’ordre d’y mettre le feu. Deux de ses subordonnés de l’époque sont devenus célèbres le même jour : le général Augusto Pinochet, président de la junte militaire, et le général Javier Palacios, qui a participé à la dernière échauffourée contre Salvador Allende. Le général de brigade aérienne Sergio Figueroa Gutiérrez, actuel ministre des travaux publics, et ami proche d’un autre membre de la junte militaire, le général d’aviation Gustavo Leigh, qui a donné l’ordre de bombarder le palais présidentiel à l’aide de roquettes, était également présent à la table. Le dernier invité était l ’actuel amiral Arturo Troncoso, aujourd’hui gouverneur naval de Valparaíso, qui a procédé à la purge sanglante des officiers progressistes de la marine et a déclenché le soulèvement militaire aux premières heures du 11 septembre.

Ce dîner historique fut le premier contact du Pentagone avec les officiers des quatre armes chiliennes. Au cours d’autres réunions successives, tant à Washington qu’à Santiago, il a été convenu que les militaires chiliens les plus dévoués à l’âme et aux intérêts des États-Unis prendraient le pouvoir en cas de victoire de l’Unité Populaire aux élections. Ils l’ont planifié à froid, comme une simple opération de guerre, et sans tenir compte des conditions réelles au Chili.

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Chile, el golpe y los gringos
Texto de Gabriel García Márquez (1974)

Gabriel García Márquez, Alternativa, 1974

Aunque escrito hace tiempo, el presente texto no pierde validez ya que explica con sencillez y claridad, sobre todo a las jóvenes generaciones, la caída del Gobierno Allende, y señala a los ejecutores directos e indirectos del golpe de Estado.

A fines de 1969, tres generales del Pentágono cenaron con cuatro militares chilenos en una casa de los suburbios de Washington. El anfitrión era el entonces coronel Gerardo López Angulo, agregado aéreo de la misión militar de Chile en los Estados Unidos, y los invitados chilenos eran sus colegas de las otras armas. La cena era en honor del Director de la escuela de Aviación de Chile, general Toro Mazote, quien había llegado el día anterior para una visita de estudio.

Los siete militares comieron ensalada de frutas y asado de ternera con guisantes, bebieron los vinos de corazón tibio de la remota patria del sur donde había pájaros luminosos en las playas mientras Washington naufragaba en la nieve, y hablaron en inglés de lo único que parecía interesar a los chilenos en aquellos tiempo: las elecciones presidenciales del próximo septiembre.

A los postres, uno de los generales del Pentágono preguntó qué haría el ejército de Chile si el candidato de la izquierda Salvador Allende ganaba las elecciones. El general Toro Mazote contestó:

«Nos tomaremos el palacio de la Moneda en media hora, aunque tengamos que incendiarlo»

Uno de los invitados era el general Ernesto Baeza actual director de la Seguridad Nacional de Chile, que fue quien dirigió el asalto al palacio presidencial en el golpe reciente, y quien dio la orden de incendiarlo. Dos de sus subalternos de aquellos días se hicieron célebres en la misma jornada: el general Augusto Pinochet, presidente de la Junta Militar, y el general Javier Palacios, que participó en la refriega final contra Salvador Allende.

También se encontraba en la mesa el general de brigada aérea Sergio Figueroa Gutiérrez, actual ministro de obras públicas, y amigo íntimo de otro miembro de la Junta Militar, el general del aire Gustavo Leigh, que dio la orden de bombardear con cohetes el palacio presidencial.

El último invitado era el actual almirante Arturo Troncoso, ahora gobernador naval de Valparaíso, que hizo la purga sangrienta de la oficialidad progresista de la marina de guerra, e inició el alzamiento militar en la madrugada del once de septiembre.

Aquella cena histórica fue el primer contacto del Pentágono con oficiales de las cuatro armas chilenas. En otras reuniones sucesivas, tanto en Washington como en Santiago, se llegó al acuerdo final de que los militares chilenos más adictos al alma y a los intereses de los Estados Unidos se tomarían el poder en caso de que la Unidad Popular ganara las elecciones. Lo planearon en frío, como una simple operación de guerra, y sin tomar en cuenta las condiciones reales de Chile.

El plan estaba elaborado desde antes, y no sólo como consecuencia de las presiones de la International Telegraph & Telephone (I.T.T), sino por razones mucho más profundas de política mundial. Su nombre era «Contingency Plan». El organismo que la puso en marcha fue la Defense Intelligence Agency del Pentágono, pero la encargada de su ejecución fue la Naval Intelligency Agency, que centralizó y procesó los datos de las otras agencias, inclusive la CIA, bajo la dirección política superior del Consejo Nacional de Seguridad.

Era normal que el proyecto se encomendara a la marina, y no al ejército, porque el golpe de Chile debía coincidir con la Operación Unitas, que son las maniobras conjuntas de unidades norteamericanas y chilenas en el Pacífico. Estas maniobras se llevaban a cabo en septiembre, el mismo mes de las elecciones y resultaba natural que hubiera en la tierra y en el cielo chilenos toda clase de aparatos de guerra y de hombres adiestrados en las artes y las ciencias de la muerte.

Por esa época, Henry Kissinger dijo en privado a un grupo de chilenos: “No me interesa ni sé nada del Sur del Mundo, desde los Pirineos hacia abajo”. El Contingency Plan estaba entonces terminado hasta su último detalle, y es imposible pensar que Kissinger no estuviera al corriente de eso, y que no lo estuviera el propio presidente Nixon.

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Hortensia Bussi difundió su causa por el mundo
La viuda de Allende, “mujerona que nunca dijo no puedo más”

Reyes Martínez Torrijos, La Jornada, 11/9/2023

La filósofa Fernanda Navarro recuerda los tres años que acompañó a la profesora y activista en su misión

Luego de la muerte de Salvador Allende, su esposa, Hortensia Bussi, viajó por el mundo representando al mandatario chileno, fallecido durante la asonada militar de 1973. Ella persiste en la historia de América Latina y el mundo por su fidelidad a su causa democrática y pacífica. Así lo relata la filósofa Fernanda Navarro, quien durante tres años acompañó en esa misión a quien también fuera profesora y activista.

 

El primer destino de Bussi, luego de aquel fatídico 11 de septiembre, fue Estados Unidos, la nación que estuvo vinculada a los golpistas chilenos. Navarro dijo a La Jornada que ese viaje aparentemente fue una contradicción, pues se trataba del país enemigo. Ahí la traduje al inglés y vimos a la maravillosa mujer que es Angela Davis.

Fernanda Navarro (Ciudad de México, 1941) asegura que Allende, ese hombre tan cabal, sigue vivo porque a estas personas no logran matarlas. Estarán vivas no en la metafísica, sino en la historia que registra la verdad de todos los países en el mundo.

La escritora describió a Hortensia Bussi (Valparaíso, Chile, 1914-2009) como “una mujerona. Nunca se puso a llorar en un rincón ni a decir ‘no puedo más’. Roto el corazón por su amor, Salvador Allende, fue por el mundo representándolo a él y a su causa”.

En esa lid, continuó Navarro, ella mostró una gran “dignidad que se veía en su andar. Nunca fue con la cabeza baja ni dijo ‘pobre de mí’, en cambio, asumió el ‘yo represento a mi Chile’, con autenticidad. Nunca pretendió ser lo que no era, pero valía oro por ser tal como era.


Berlín, RDA, 19 de octubre de 1975: Hortensia Bussi (izq.) y Angela Davis son recibidas por Ilse Thiele, presidenta de la Liga Democrática de Mujeres de Alemania, en el Congreso Mundial de la Federación Democrática Internacional de Mujeres con motivo del Año Internacional de la Mujer.

Hortensia siempre estuvo a la altura de sí misma. La admiré siempre y a veces tuvimos que dormir en el mismo cuarto cuando viajábamos. Ella no hablaba otros idiomas, pero sí desde su corazón y yo podía traducirle todo. Me enriqueció tanto su cercanía, que no hay alfabeto para describirlo.

Fernanda Navarro, doctora en filosofía por la Universidad Nacional Autónoma de México, aprendió inglés, francés, ruso y alemán. Colaboró con el filósofo británico Bertrand Russell y fue cercana al poeta español León Felipe, al teórico francés Louis Althusser y al escritor José Revueltas. Fue pareja del también pensador y activista Luis Villoro.

Es reconocida por su trayectoria académica y su compromiso con los movimientos sociales, como el zapatismo. Ha contribuido al desarrollo de la filosofía y del pensamiento crítico, por ejemplo, en su obra Filosofía y marxismo: entrevista a Louis Althusser, además de que dio clases de filosofía maya en la UNAM.

La intelectual recordó que cuando se enteró del arribo al poder del gobierno de la Unidad Popular viajó a finales de 1970 a Chile para conocer de primera mano ese proceso, al que describió como una posibilidad de humanismo, un paso adelante por la vía pacífica. Cinco partidos, hasta la izquierda cristiana. Nunca había visto eso, y colaboró con la Editorial Nacional Quimantú.

Navarro salió del país tras el golpe de Estado, en el avión mexicano que también trajo a México a la viuda de Allende. La filósofa recordó que “por aras del destino y gracias a que estudié muchas lenguas fui su traductora, me adoptó. Me dijo ‘ayúdame’, porque llegando a México había periodistas de todo el mundo. De ahí me llevó consigo tres años a Europa y más allá”.

Navarro se encontró con Hortensia Bussi poco antes de que ésta regresara a Chile, siempre fiel a lo que su patria le significaba.

 

11/09/2023

Quand un fasciste juif s'installe dans votre quartier

 Esther Solomon, Haaretz, 10/9/2023
Rédactrice en chef, Haaretz English
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pour les libéraux israéliens en difficulté mais nouvellement combatifs, la lutte contre l'autoritarisme et l’ethnonationalisme se déroule désormais non seulement à la Knesset et à la Cour suprême, mais aussi dans les bus, sur les places des ville et dans les rues résidentielles tranquilles.

Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre du développement de la Périphérie, du Néguev et de la Galilée [sic], Yitzhak Wasserlauf (à gauche). Photo : Ohad Zwigenberg

C’était un tableau parfait d’Israël à l’époque du coup d’État judiciaire de Netanyahou.

Dans un quartier majoritairement laïc et libéral, des manifestants pro-démocratie, brandissant des drapeaux israéliens et arc-en-ciel, des klaxons et des pancartes, se sont assis sur la route devant l’immeuble d’habitation du nord de Tel-Aviv dans lequel un ministre d’extrême droite particulièrement virulent du gouvernement Netanyahou venait d’emménager. Il se trouve que cet immeuble se trouve au coin de la rue où j’habite.

Les voisins d’Yitzhak Wasserlauf avaient orné leurs balcons d’immenses banderoles reprenant les principaux refrains du mouvement de protestation, l’une déclarant leurs habitants “fidèles à la Déclaration d’indépendance” et l’autre “peuple libre sur notre terre” (une citation de l’hymne national, “Hatikva”). Des autocollants apposés sur les réverbère le long de la rue proclamaient : “Coercition religieuse, racisme, homophobie : pas dans notre quartier”. “Les Israéliens laïques ne sont pas des esclaves”. Et, s’adressant à Netanyahou : “Nous ne servirons pas un dictateur”.

À quelques mètres de là, des policiers bousculaient avec force une autre foule de manifestants, tandis que leur commandant - connu pour avoir lancé des grenades assourdissantes sur les manifestants au début des rassemblements contre le coup d’État - leur criait de “tenir la ligne”.

La “ligne” n’avait aucun sens : il y avait des manifestants devant, derrière et sur les côtés. La démonstration de force était une démonstration de police performative. Un effort bruyant, inutilement antagoniste mais aussi pitoyable pour apaiser le patron ultime du commandant, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. Ben-Gvir dirige Otzma Yehudit, le parti extrémiste et kahaniste auquel appartient Wasserlauf.

Wasserlauf, ministre de la Périphérie d’Israël qui ne montre même pas un intérêt périphérique pour la vie en dehors de la grande ville, était déjà connu pour son sectarisme et son ethnonationalisme avant de pousser plus loin l’idée d’un activisme aggravé, en s’installant dans une région ouvertement et historiquement hostile à ses vues.

Son bilan est explicite. Il a déclaré que les juifs réformés “se moquaient de la religion”, tout en se moquant d’eux parce qu’ils “célébraient des bar-mitsvahs pour les chiens”- une insulte éculée. Il s’oppose aux défilés de la Fierté, il veut expulser les demandeurs d’asile et incite à la xénophobie, il tente de refuser des budgets aux citoyens arabes et il refuse de s’engager à respecter l’État de droit si la Cour suprême annule la première tranche de la réforme judiciaire du gouvernement.

Il s’est installé dans le sud de Tel-Aviv il y a des années en tant que membre d’un garin torani [Noyau de la Torah] - un groupe de nationalistes religieux juifs financé par l’État, peut-être mieux compris comme une cellule d’endoctrinement théocratique, souvent implanté dans des zones à populations laïques ou dans des villes mixtes arabes et juives, en tant que stratégie démographique et d’intimidation.

Soudain, alors que la tension monte en Israël, Wasserlauf décide de déménager au nord de Tel-Aviv pour vivre avec les mêmes libéraux qu’il méprise si bruyamment.

L’un de ses voisins a installé des panneaux sur les barrières du parking de Wasserlauf avec une variante des Dix Commandements, dont l’une se lit comme une référence aux colons violents qui constituent la base d’Otzma Yehudit : « Tu ne commettras pas de meurtre : pas à Huwara [scène d’un pogrom de colons], pas à Douma [où un extrémiste juif a incendié une famille palestinienne], nulle part ».



Arrestation de l’architecte Yoav Anderman : traité comme un vulgaire palestinien ou réfugié érythréen : il a eu de la chance, il a pu continuer à respirer


"Le détenteur de la pancarte a été capturé"

Il est scandaleux que le voisin ait été arrêté pour un délit mineur de vandalisme - un délit qui donne généralement lieu à une amende, et non à des policiers qui frappent à votre porte en plein shabbat. Lors de sa libération, le voisin a fait un commentaire : « Voilà à quoi ressemble la désintégration de la démocratie ».

De l’extérieur, on peut parfois avoir l’impression que le débat sur la réforme judiciaire de Netanyahou penche vers la théorie : parité entre les branches du gouvernement, signification du contrôle judiciaire, nature de la démocratie. Mais l’acte de provocation spectaculaire de Wasserlauf permet de ramener ce débat sur terre. Il y a deux Israël, divisés par leur adhésion (au moins en principe) soit à la démocratie libérale, soit à l’ethnonationalisme juif.

Le centre ne tient pas, et même si les semaines à venir ne débouchent pas sur une crise constitutionnelle et des troubles civils, le gouffre ne sera pas comblé. Il continuera de s’envenimer, car les deux parties considèrent qu’il s’agit d’une lutte existentielle.

Pour les libéraux israéliens en difficulté mais nouvellement combatifs, il s’agit d’une lutte contre l’autoritarisme, d’une lutte pour l’âme du pays, qui se déroule désormais non seulement à la Knesset et à la Cour, mais aussi dans les bus, sur les places de la ville et dans les rues résidentielles tranquilles.