19/10/2024

ALAN MACLEOD
‘Beurk Rabid’ & Co.: ces espions israéliens qui écrivent les “news” aux USA

 Alan Macleod, MintPress News, 16/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Un an après les attentats du 7 octobre, Netanyahou est sur une lancée victorieuse » : tel est le titre d’un récent article d’ Axios décrivant le Premier ministre israélien sur une vague imbattable de triomphes. Ces « succès » militaires stupéfiants, note l’auteur Barak Ravid, comprennent le bombardement du Yémen, l’assassinat du chef du Hamas Ismail Haniyeh et du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, ainsi que les attentats aux bipeurs contre le Liban.


Le même auteur est récemment devenu viral pour un article affirmant que les attaques israéliennes contre le Hezbollah « n’ont pas pour but de mener à la guerre mais sont une tentative de “désescalade par l’escalade” ». Les utilisateurs des médias sociaux se sont moqués de Ravid pour ce raisonnement bizarre et orwellien. Mais ce qui a échappé à presque tout le monde, c’est que Barak Ravid est un espion israélien - ou du moins il l’était  jusqu’à récemment. Ravid [né en 1980] est un ancien analyste de l’agence d’espionnage israélienne Unité 8200. Jusqu’en mars 2023, il était réserviste des Forces de défense israéliennes.

L’Unité 8200 est l’organisation d’espionnage la plus importante et peut-être la plus controversée d’Israël. Elle est responsable de nombreuses opérations d’espionnage et de terreur très médiatisées, dont le récent attentat aux bipeurs qui a blessé des milliers de civils libanais. Comme le révélera cette enquête, Ravid est loin d’être le seul ancien espion israélien à travailler dans les principaux médias usaméricains, s’efforçant de susciter le soutien de l’Occident aux actions de son pays.

L’initié de la Maison Blanche

Ravid est rapidement devenu l’une des personnalités les plus influentes du corps de presse du Capitole. En avril, il a remporté le prestigieux prix des correspondants de presse de la Maison-Blanche « pour l’excellence globale de sa couverture de la Maison-Blanche », l’une des plus hautes distinctions du journalisme usaméricain. Les juges ont été impressionnés par ce qu’ils ont décrit comme « des niveaux profonds, presque intimes, d’approvisionnement en sources aux USA et à l’étranger » et ont sélectionné six articles comme étant des travaux journalistiques exemplaires.

La plupart de ces articles consistaient simplement à publier des sources anonymes de la Maison Blanche ou du gouvernement israélien, à les mettre en valeur et à distancier le président Biden des horreurs de l’attaque israélienne contre la Palestine. Ainsi, il n’y avait pratiquement aucune différence entre ces articles et les communiqués de presse de la Maison Blanche. Par exemple, l’un des articles retenus par les juges était intitulé « Scoop : Biden dit à Bibi qu’une pause de trois jours dans les combats pourrait aider à obtenir la libération de certains otages », et présentait le 46e président des USA comme un humanitaire dévoué, déterminé à réduire les souffrances. Un autre article décrivait la « frustration » de Biden à l’égard de Netanyahou et du gouvernement israélien.

Des protestataires avaient appelé les journalistes à bouder l’événement par solidarité avec leurs confrères tombés à Gaza (ce qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, représente au moins 128 journalistes). Non seulement l’événement n’a pas été boycotté, mais les organisateurs ont décerné leur prix le plus prestigieux à un fonctionnaire des services de renseignement israéliens devenu reporter, qui s’est forgé la réputation d’être peut-être le sténographe le plus consciencieux du pouvoir à Washington.

Ravid s’est vu remettre personnellement le prix par le président Biden, qui l’a embrassé comme un frère. Le fait qu’un (ancien) espion israélien connu puisse serrer Biden dans ses bras de cette manière en dit long non seulement sur les relations intimes entre les USA et Israël, mais aussi sur la mesure dans laquelle les médias de l’establishment sont redevables au pouvoir politique.


Ravid s’est fait un nom en publiant sans esprit critique des informations flatteuses qui lui sont communiquées par le gouvernement usaméricain ou israélien et en les faisant passer pour des scoops. En avril, il a écrit que « le président Biden a lancé un ultimatum au premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lors de leur conversation téléphonique de jeudi : Si Israël ne change pas de cap à Gaza, « nous ne serons pas en mesure de vous soutenir » », et qu’il “ exerçait sa plus forte pression pour mettre fin aux combats à Gaza après six mois de guerre, et avertissait pour la première fois que la politique américaine sur la guerre dépendrait de l’adhésion d’Israël à ses demandes”, qui incluaient “un cessez-le-feu immédiat”. En juillet, il a répété que des sources anonymes lui avaient dit que Netanyahou et Israël s’efforçaient de trouver « une solution diplomatique »,  une autre affirmation très douteuse.

D’autres articles de Ravid suivent le même schéma :

Cet acharnement à blanchir l’administration Biden a suscité de nombreuses moqueries en ligne.

« AXIOS EXCLUSIF : Après avoir vendu à Netanyahou des millions de dollars d’armes, Biden a joué - à haute voix – ‘Bad Blood’ de Taylor Swift. Tout le monde pouvait l’entendre, dit une source proche de Biden », a tweeté l’ utilisateur X David Grossman. « Je continue à donner des tas d’argent et d’armes, mais je secoue la tête pour que tout le monde sache que je ne suis pas d’accord », a écrit le comédien Hussein Kesvani, en réponse au dernier article de Ravid suggérant que Joe Biden est devenu “de plus en plus méfiant” à l’égard du gouvernement israélien.

Tout au long de cette prétendue rupture entre les USA et Israël, l’administration Biden a continué à soutenir avec enthousiasme les offensives israéliennes, à bloquer les résolutions de cessez-le-feu et la création d’un État palestinien à l’ONU, et a envoyé pour 18 milliards de dollars d’armes à Israël au cours des 12 derniers mois. Ainsi, aussi discutables que soient les rapports d’Axios, ils jouent un rôle vital pour Washington, en permettant à l’administration Biden de se distancier de ce que les organismes internationaux ont qualifié de génocide. La fonction de Ravid a été de fabriquer un consentement pour le gouvernement parmi les élites libérales qui lisent Axios, leur permettant de continuer à croire que les USA sont un honnête courtier pour la paix au Machrek plutôt qu’un complice clé d’Israël.

Ravid ne cache pas son mépris affiché pour les Palestiniens. En septembre, il a retweeté un message dans lequel on pouvait lire : « C’est le PaliNazi : C’est la méthode des PaliNazis... ils empochent des concessions sans rien donner en retour et utilisent ensuite ces concessions comme base de référence pour le prochain cycle de négociations. Les PaliNazis ne savent pas dire la vérité ».

Moins d’une semaine plus tard, il a fait la promotion de l’ affirmation très douteuse du ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, selon laquelle les forces de défense israéliennes avaient trouvé une photo des enfants du chef des Brigades al-Qassam, Mohammed Sinwar, célébrant devant une immense photo d’avions frappant le World Trade Center. Gallant a déclaré qu’ils avaient trouvé cette photo - essayant clairement d’associer faussement les Palestiniens au 11 septembre - dans un tunnel « où les frères Sinwar se cachaient comme des rats ».

Une agence d’espionnage tristement célèbre

Fondée en 1952, l’Unité 8200 est la division la plus importante et la plus controversée de l’armée israélienne.

Responsable des opérations secrètes, de l’espionnage, de la surveillance et de la cyberguerre, le groupe est au centre de l’attention mondiale depuis le 7 octobre 2023. Il est largement identifié comme l’organisation à l’origine du tristement célèbre attentat aux bipeurs au Liban, qui a fait au moins neuf morts et environ 3 000 blessés. Alors que beaucoup en Israël (et Ravid lui-même) ont salué l’opération comme un succès, elle a été condamnée dans le monde entier comme un acte de terrorisme flagrant, y compris par l’ancien directeur de la CIA, Leon Panetta.

L’Unité 8200 a également établi une liste de personnes à abattre pour Gaza, alimentée par l’intelligence artificielle, suggérant des dizaines de milliers d’individus (y compris des femmes et des enfants) à assassiner. Ce logiciel a été le principal mécanisme de ciblage utilisé par les FDI au cours des premiers mois de leur attaque contre cette bande densément peuplée.

Décrite comme le Harvard israélien, l’Unité 8200 est l’une des institutions les plus prestigieuses du pays. Les parents dépensent des fortunes pour que leurs enfants suivent des cours de sciences et de mathématiques, dans l’espoir qu’ils soient choisis pour y servir, ce qui leur ouvrirait les portes d’une carrière lucrative dans le secteur florissant de la haute technologie en Israël.

L’unité sert également de pièce maîtresse à l’appareil d’État répressif futuriste d’Israël. En utilisant des quantités gigantesques de données compilées sur les Palestiniens en suivant leurs moindres mouvements grâce à des caméras de reconnaissance faciale, en surveillant leurs appels, leurs messages, leurs courriels et leurs données personnelles, l’Unité 8200 a créé un filet dystopique qu’elle utilise pour surveiller, harceler et réprimer les Palestiniens.

L’Unité 8200 constitue des dossiers sur chaque Palestinien, y compris ses antécédents médicaux, sa vie sexuelle et ses recherches, afin que ces informations puissent être utilisées ultérieurement à des fins d’extorsion ou de chantage. Si, par exemple, un individu trompe son conjoint, a désespérément besoin d’une opération médicale ou est secrètement homosexuel, ces informations peuvent être utilisées pour transformer des civils en informateurs et en espions pour le compte d’Israël. Un ancien agent de l’Unité 8200 a déclaré que, dans le cadre de sa formation, il devait mémoriser différents mots arabes pour « gay » afin de pouvoir les repérer dans les conversations.

Les agents de l’Unité 8200 ont ensuite créé certaines des applications les plus téléchargées au monde et un grand nombre des programmes d’espionnage les plus tristement célèbres, dont Pegasus. Pegasus a été utilisé pour surveiller des dizaines de dirigeants politiques dans le monde entier, dont Emmanuel Macron en France, Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud et Imran Khan au Pakistan.

Le gouvernement israélien a autorisé la vente de Pegasus à la Central Intelligence Agency, ainsi qu’à certains des gouvernements les plus autoritaires de la planète. L’Arabie saoudite, notamment, a utilisé le logiciel pour surveiller le journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi avant qu’il ne soit assassiné par des agents saoudiens en Turquie.

Une récente enquête de MintPress News a révélé qu’une grande partie du marché mondial des VPN est détenue et exploitée par une société israélienne dirigée et cofondée par un ancien élève de l’Unité 8200.

En 2014, 43 réservistes de l’Unité 8200 ont rédigé une déclaration commune dans laquelle ils déclaraient ne plus vouloir servir dans cette unité en raison de ses pratiques contraires à l’éthique, qui consistaient notamment à ne pas faire de distinction entre les citoyens palestiniens ordinaires et les terroristes. La lettre indiquait également que leurs renseignements étaient transmis à des politiciens locaux puissants, qui les utilisaient comme bon leur semblait.

Cette déclaration publique a hérissé Ravid de colère à l’égard de ses collègues. À la suite de ce scandale, Ravid s’est rendu à la radio de l’armée israélienne pour attaquer les dénonciateurs. Il a déclaré que s’opposer à l’occupation de la Palestine revenait à s’opposer à Israël lui-même, l’occupation étant une « partie » fondamentale d’Israël. « Si le problème est vraiment l’occupation, a-t-il dit, alors vos impôts sont aussi un problème - ils financent le soldat au poste de contrôle, le système éducatif... et 8200 est une belle blague ».

Si l’on met de côté les commentaires de Ravid, une question se pose : est-il vraiment acceptable que des membres d’un groupe conçu pour infiltrer, surveiller et cibler des populations étrangères, qui a produit un grand nombre des technologies d’espionnage les plus dangereuses et les plus invasives de la planète, et qui est largement considéré comme étant à l’origine d’attaques terroristes internationales sophistiquées, écrivent les news des USAméricains sur Israël et la Palestine ? Quelle serait la réaction si des personnalités des médias usaméricains s’avéraient être des agents de renseignement du Hezbollah, du Hamas ou du FSB russe ?

Nouvelles d’Israël, livrées par Israël

Ravid est loin d’être le seul journaliste influent aux USA à entretenir des liens étroits avec l’État israélien. Shachar Peled a passé trois ans en tant qu’officier de l’unité 8200, à la tête d’une équipe d’analystes spécialisés dans la surveillance, le renseignement et la cyberguerre. Elle a également travaillé comme analyste technologique pour le Shin Bet, le service de renseignement israélien. En 2017, elle a été engagée comme productrice et rédactrice par CNN et a passé trois ans à préparer des segments pour les émissions de Fareed Zakaria et Christiane Amanpour. Google l’a ensuite engagée pour devenir sa spécialiste principale des médias.


L’ancienne espionne israélienne Shachar Peled a travaillé pour la chaîne israélienne i24 News avant d’être embauchée par CNN, puis par Google.

Tal Heinrich est un autre agent de l’Unité 8200 qui a travaillé pour CNN. Heinrich a passé trois ans en tant qu’agent de l’Unité 8200. Entre 2014 et 2017, elle a été productrice sur le terrain et à la rédaction du bureau de CNN à Jérusalem, notoirement pro-israélien, où elle a été l’une des principales journalistes à façonner la compréhension par l’USAmérique de l’opération « Bordure protectrice », le bombardement israélien de Gaza qui a tué plus de 2 000 personnes et laissé des centaines de milliers de personnes déplacées. Heinrich a ensuite quitté CNN et est aujourd’hui la porte-parole officielle du Premier ministre Benjamin Netanyahu.


La tendance de CNN à l’embauche de personnalités de l’État israélien se poursuit encore aujourd’hui. Tamar Michaelis, par exemple, travaille actuellement pour la chaîne et produit une grande partie de son contenu sur Israël et la Palestine. Elle a pourtant
été porte-parole officielle des Forces de défense israéliennes (FDI).

Anat Schwartz avait liké un gazouillis d'un autre sioniste appelant à "transformer la bande de Gaza en abattoir", exemple cité par l'Afrique du Sud dans sa plainte à la CIJ contre Israël pour génocide. Elle a finalement été virée par le New York Times

Le New York Times, quant à lui, a embauché Anat Schwartz, une ancienne officière de renseignement de l’armée de l’air israélienne sans aucune expérience journalistique. Schwartz a coécrit le fameux article« Screams Without Words », aujourd’hui discrédité, qui affirmait que des combattants du Hamas avaient systématiquement violé des Israéliennes le 7 octobre. Le personnel du Times lui-même s’est révolté devant l’absence de preuves et de vérification des faits dans l’article.

Plusieurs employés du New York Times, dont l’éditorialiste vedette David Brooks, ont des enfants qui servent dans les forces de défense israéliennes ; alors même qu’ils font des reportages ou émettent des opinions sur la région, le Times n’a jamais révélé ces conflits d’intérêts flagrants à ses lecteurs. Il n’a pas non plus révélé qu’il avait acheté pour sa cheffe de bureau Jodi Rudoren une maison à Jérusalem qui avait été volée à la famille de l’intellectuelle palestinienne Ghada Karmi en 1948.

"Comment réussir dans le journalisme sans vraiment prendre un diplôme" : BD à la gloire de Jeff Goldberg sur le site ouèbe de l'Université de Pennsylvanie

MintPress News a interviewé Ghada Karmi l’année dernière à propos de son dernier livre et des tentatives israéliennes de la faire taire. Jeffrey Goldberg (un USAméricain), ancien rédacteur du New York Times Magazine et actuel rédacteur en chef de The Atlantic, avait abandonné ses études à l’université de Pennsylvanie pour se porter volontaire en tant que gardien de prison des FDI pendant la première Intifada (soulèvement) palestinienne. Dans ses mémoires, Goldberg a révélé que, lorsqu’il servait dans les FDI, il a aidé à dissimuler les mauvais traitements infligés aux prisonniers palestiniens.

Les entreprises de médias sociaux sont elles aussi remplies d’anciens agents de l’Unité 8200. Une étude réalisée par MintPress en 2022 a révélé que pas moins de 99 anciens agents de l’Unité 8200 travaillaient pour Google.


Marine Le Pen jeune ? Non, Emi Palmor

Facebook emploie également des dizaines d’anciens espions de cette unité controversée. C’est le cas d’Emi Palmor, qui siège au conseil de surveillance de Meta. Ce comité de 21 personnes décide en dernier ressort de l’orientation de Facebook, d’Instagram et des autres offres de Meta, en se prononçant sur les contenus à autoriser, à promouvoir et à supprimer. Human Rights Watch a formellement condamné Meta pour sa suppression systématique des voix palestiniennes sur ses plateformes. L’organisation a recensé plus de 1 000 cas de censure ouvertement anti-palestinienne pour les seuls mois d’octobre et de novembre 2023. Une mesure de cette partialité est mise en évidence par le fait que, à un moment donné, Instagram a automatiquement inséré le mot « terroriste » dans les profils des utilisateurs qui se disaient palestiniens.


Malgré les affirmations répandues par des politiciens usaméricains selon lesquelles elle est un foyer de racisme anti-israélien et antisémite, TikTok emploie également de nombreux anciens agents de l’Unité 8200 à des postes clés de son organisation. Par exemple, en 2021, elle a embauché Asaf Hochman en tant que responsable mondial de la stratégie des produits et des opérations. Avant de rejoindre TikTok, Hochman a passé plus de cinq ans en tant qu’espion israélien. Il travaille aujourd’hui pour Meta.

Censure pro-israélienne de haut en bas

Lorsqu’il s’agit de l’attaque d’Israël contre ses voisins, les médias capitalistes ont toujours fait preuve d’un parti pris pro-israélien. Le New York Times, par exemple, s’abstient régulièrement d’identifier l’auteur des violences lorsqu’il s’agit de l’armée israélienne et décrit le génocide de 750 000 Palestiniens en 1948 comme une simple « migration ». Une étude de la couverture du journal a révélé que des mots tels que « massacre » et « horrible » apparaissent 22 fois plus souvent lorsqu’il est question des morts israéliens que des morts palestiniens, malgré la disparité gigantesque du nombre de personnes tuées dans les deux camps.

Pendant ce temps, dans un reportage sur la façon dont les soldats israéliens ont tiré 335 balles sur une voiture dans laquelle se trouvait une enfant palestinienne et ont ensuite tiré sur les secouristes venus la sauver, CNN a imprimé le titre « Five-year-old Palestinian girl found dead after being trapped in car with dead relatives » (une fillette palestinienne de cinq ans retrouvée morte après avoir été piégée dans une voiture avec des parents décédés) - un titre qui pourrait être interprété comme signifiant que sa mort était un accident tragique.

Ce type de reportage n’est pas le fruit du hasard. En fait, il vient directement du sommet de la hiérarchie. Une note de service du New York Times datant de novembre et ayant fait l’objet d’une fuite révèle que la direction de l’entreprise a explicitement demandé à ses journalistes de ne pas utiliser des mots tels que « génocide », « massacre » et « nettoyage ethnique » lorsqu’ils évoquent des actions d’Israël. Le personnel du Times doit s’abstenir d’utiliser des mots tels que « camp de réfugiés », « territoire occupé » ou même « Palestine » dans ses reportages, ce qui rend presque impossible la transmission de certains des faits les plus élémentaires à son public.

Le personnel de CNN est soumis à des pressions similaires. En octobre dernier, le nouveau directeur général Mark Thompson a envoyé une note de service à l’ensemble du personnel, lui demandant de veiller à ce que le Hamas (et non Israël) soit présenté comme responsable de la violence, de toujours utiliser l’expression « contrôlé par le Hamas » lorsqu’il est question du ministère de la santé de Gaza et de ses chiffres de mortalité civile, et lui interdisant de rendre compte du point de vue du Hamas, dont le directeur principal des normes et pratiques en matière d’information a déclaré au personnel qu’il n’était « pas digne d’intérêt » et qu’il s’agissait de « rhétorique incendiaire et de propagande ».

Le Times et CNN ont tous deux licencié de nombreux journalistes en raison de leur opposition aux actions israéliennes ou de leur soutien à la libération de la Palestine. En novembre, Jazmine Hughes, du Times, a été renvoyée après avoir signé une lettre ouverte s’opposant au génocide en Palestine. L’année précédente, le journal avait mis fin au contrat de Hosam Salem à la suite d’une campagne de pression menée par le groupe pro-israélien Honest Reporting. Et le présentateur de CNN Marc Lamont Hill a été brusquement licencié en 2018 pour avoir appelé à la libération de la Palestine dans un discours aux Nations unies.

Les grandes organisations comme Axios, CNN et le New York Times savent évidemment qui elles embauchent. Il s’agit de certains des emplois les plus recherchés dans le journalisme, et des centaines de candidats postulent probablement pour chaque poste. Le fait que ces organisations choisissent de sélectionner des espions israéliens avant tout autre candidat soulève de sérieuses questions quant à leur crédibilité journalistique et leur objectif.

Engager des agents de l’unité 8200 pour produire des news usaméricaines devrait être aussi impensable que d’employer des combattants du Hamas ou du Hezbollah comme reporters. Pourtant, d’anciens espions israéliens sont chargés d’informer le public usaméricain sur les offensives en cours de leur pays contre la Palestine, le Liban, le Yémen, l’Iran et la Syrie. Qu’en est-il de la crédibilité et de la partialité de nos médias ?

Étant donné qu’Israël ne pourrait pas poursuivre cette guerre sans l’aide des USA, la bataille pour le contrôle des cerveaux yankees est aussi importante que les actions sur le terrain. Et au fur et à mesure que la guerre de propagande se poursuit, la frontière entre journaliste et combattant s’estompe. Le fait que nombre des principaux journalistes qui nous fournissent des informations sur Israël et la Palestine soient littéralement d’anciens agents des services de renseignement israéliens ne fait que le souligner.


Le Prix Pulitzer au New York Times pour sa couverture du génocide de Gaza: une grosse farce

18/10/2024

ALI ABUNIMAH
La police britannique perquisitionne le domicile du journaliste Asa Winstanley et saisit ses appareils

Ali Abunimah, The Electronic Intifada, 17/10/2024
Traduit par Tlaxcala

La police antiterroriste britannique a effectué ce jeudi 17 octobre une descente au domicile d’Asa Winstanley, rédacteur en chef adjoint de The Electronic Intifada, et a saisi plusieurs appareils électroniques lui appartenant.

 

Une dizaine d’agents sont arrivés au domicile de Winstanley, dans le nord de Londres, avant 6 heures du matin, et ont remis au journaliste des mandats et autres documents les autorisant à fouiller sa maison et son véhicule à la recherche d’appareils et de documents.

Une lettre adressée à Winstanley par le « Counter Terrorism Command » du Metropolitan Police Service indique que les autorités sont « conscientes de votre profession » de journaliste mais que « nonobstant, la police enquête sur de possibles infractions » en vertu des sections 1 et 2 du Terrorism Act (2006). Ces dispositions définissent le délit présumé d’« encouragement au terrorisme ».

Un agent dirigeant  la descente de police de jeudi a informé Winstanley que l’enquête était liée aux publications du journaliste sur les médias sociaux. Les tentatives de contact avec le Metropolitan Police Service pour obtenir des commentaires sur cet article ont été infructueuses.

Bien que ses appareils aient été saisis, Winstanley n’a pas été arrêté et n’a été inculpé d’aucune infraction.

Winstanley est actif sur plusieurs plateformes de médias sociaux et compte plus de 100 000 adeptes sur Twitter/X, où il partage fréquemment des articles, des opinions d’autres personnes et ses propres commentaires sur les crimes d’Israël contre le peuple palestinien, le soutien du gouvernement britannique à ces crimes et la résistance palestinienne à l’occupation, à l’apartheid et au génocide israéliens.

Les dispositions vaguement formulées relatives à « l’encouragement du terrorisme » violeraient clairement le premier amendement de la Constitution des USA garantissant la liberté d’expression, mais le Royaume-Uni ne dispose pas de protections constitutionnelles similaires pour la liberté d’expression.

Selon Andrew Cornford, professeur de droit à l’université d’Édimbourg, cette législation draconienne « restreint toute une série de libertés », notamment « la liberté de discuter ouvertement de sujets controversés et de partager des opinions morales, politiques et religieuses ».

Human Rights Watch a appelé le gouvernement britannique à abroger les dispositions répressives de la loi sur le terrorisme (2006), notant que « la définition de l’infraction d’encouragement au terrorisme est trop large, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à une atteinte injustifiée à la liberté d’expression ».

En août, le Crown Prosecution Service [procureur] britannique a lancé un avertissement au public britannique, l’invitant à « réfléchir avant de poster » et le menaçant de poursuivre toute personne qu’il jugerait coupable de ce qu’il appelle la « violence en ligne ».

« Le journalisme n’est pas un crime »

La descente de police au domicile de Winstanley et la saisie de ses appareils semblent être la dernière utilisation par les autorités britanniques de la législation répressive sur la « lutte contre le terrorisme » pour réprimer les journalistes et les militants qui dénoncent les crimes d’Israël, notamment le génocide en cours dans la bande de Gaza, ou qui protestent contre ces crimes.

En décembre, Winstanley a rapporté pour The Electronic Intifada comment la police antiterroriste britannique avait arrêté Mick Napier et Tony Greenstein, deux militants de premier plan, pour avoir dit qu’ils soutenaient le droit des Palestiniens à résister à Israël - un droit inscrit dans le droit international.

Dans le cadre de sa mise en liberté sous caution, Greenstein, auteur et collaborateur de The Electronic Intifada, a reçu l’ordre de « ne pas publier sur X (anciennement Twitter) de messages relatifs au conflit en cours à Gaza ».

À la mi-août, le journaliste britannique Richard Medhurst a été arrêté à son arrivée à l’aéroport londonien de Heathrow, détenu en vertu de la loi sur le terrorisme (2000), et s’est vu confisquer son téléphone et les appareils d’enregistrement qu’il utilisait dans le cadre de ses activités journalistiques.

« L’arrestation et la détention de Richard Medhurst pendant près de 24 heures en vertu de la législation sur le terrorisme sont profondément préoccupantes et auront probablement un effet dissuasif sur les journalistes au Royaume-Uni et dans le monde entier, qui craignent d’être arrêtés par les autorités britanniques simplement pour avoir fait leur travail », ont déclaré à l’époque Michelle Stanistreet, secrétaire générale de la National Union of Journalists du Royaume-Uni, et Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, dans un communiqué commun.

« La NUJ et la FIJ sont toutes deux choquées par l’utilisation accrue de la législation sur le terrorisme par la police britannique de cette manière », ont ajouté Stanistreet et Bellanger. « Le journalisme n’est pas un crime. Les pouvoirs contenus dans la législation antiterroriste doivent être déployés de manière proportionnée - et non pas utilisés contre les journalistes d’une manière qui étouffe inévitablement la liberté de la presse ».

Néanmoins, plus tard en août, la police antiterroriste britannique a perquisitionné le domicile de Sarah Wilkinson, une militante de la solidarité avec la Palestine qui compte de nombreux adeptes, également en rapport avec le contenu qu’elle a publié en ligne.

Solidarité totale avec Asa Winstanley

La lettre remise à Asa Winstanley par la police mentionne la descente à son domicile comme faisant partie de l’opération « Incessantness » [= « incessance », sic, NdT], ce qui est peut-être révélateur d’une vaste campagne de répression contre ceux qui critiquent les crimes d’Israël soutenus par les Britanniques.

L’article d’investigation le plus récent de Winstanley, « Comment Israël a tué des centaines de ses propres citoyens le 7 octobre », rassemble un an de reportages de The Electronic Intifada, ainsi que de nouvelles informations, détaillant l’utilisation par Israël de la directive Hannibal - un ordre secret qui permet aux forces israéliennes de tuer leurs propres citoyens plutôt que de permettre qu’ils soient faits prisonniers.


Keir Starmer, le PM travailliste

Winstanley est l’auteur de Weaponising Anti-Semitism : How the Israel Lobby Brought Down Jeremy Corbyn, un livre qui constitue le point culminant de ses années de reportage sur le Parti travailliste britannique lorsqu’il était dans l’opposition.

Depuis 2019, le Parti travailliste a lancé une enquête et a proféré des menaces juridiques en représailles apparentes au journalisme de Winstanley.

Maintenant que le parti travailliste est au pouvoir au Royaume-Uni, il a la possibilité d’utiliser l’appareil de l’État contre ceux qu’il considère comme ses propres ennemis politiques - ou ceux d’Israël.

La descente au domicile de Winstanley a clairement pour but de l’intimider et de le réduire au silence, ainsi que d’autres journalistes et militants.

En ce qui concerne The Electronic Intifada, elle n’aura que l’effet inverse. Notre collègue Asa Winstanley peut compter sur notre soutien total et notre solidarité, et en tant que publication, nous continuerons à poursuivre avec vigueur toute histoire documentant la complicité britannique dans les crimes d’Israël.

 

 

16/10/2024

MEHDI HASAN
Israël est un État voyou : il devrait être exclu des Nations unies


Mehdi Hasan, The Guardian, 15/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Un État voyou ne peut pas déclarer impunément la guerre à l’ONU

Ramses, Cuba

Au cours de l’année écoulée, Israël a lancé des attaques contre de nombreux pays et territoires occupés : la bande de Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, le Yémen et l’Iran.

Pourtant, pays et territoires mis à part, Israël a également ciblé une organisation spécifique avec une série d’attaques rhétoriques et violentes sans précédent.

Oui, les Nations unies. Nous avons tous vu Israël déclarer la guerre à l’ONU.

Il suffit de regarder ce qui s’est passé ces dernières semaines et ces derniers mois :

  • Le Premier ministre israélien, à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies, a dénoncé cet organe comme étant « méprisable », une « maison des ténèbres » et un « marécage de bile antisémite ».

  • L’ambassadeur sortant d’Israël aux Nations unies a déchiqueté un exemplaire de la charte des Nations unies avec une déchiqueteuse miniature alors qu’il se trouvait également à la tribune de l’assemblée générale, et a déclaré plus tard que le siège des Nations unies à New York « devrait être fermé et rayé de la surface de la Terre ».

  • Le ministre israélien des Affaires étrangères a accusé à tort le secrétaire général des Nations unies de ne pas avoir condamné les attaques de l’Iran contre Israël, l’a déclaré « persona non grata en Israël » et a annoncé qu’il lui avait « interdit d’entrer dans le pays ».

  • Le gouvernement israélien a activement fait obstruction à une commission d’enquête mandatée par l’ONU qui tentait de recueillir des preuves sur les attaques du 7 octobre.

  • Le parlement israélien est en train de désigner une agence de l’ONU de longue date, l’UNRWA, comme « organisation terroriste ».

  • L’armée israélienne a bombardé des écoles, des entrepôts et des camps de réfugiés de l’ONU à Gaza pendant 12 mois consécutifs, tuant au passage un nombre record de 228 employés de l’ONU. « Il s’agit de loin du nombre le plus élevé de membres de notre personnel tués dans un seul conflit ou une seule catastrophe naturelle depuis la création des Nations unies », selon les termes du secrétaire général de l’ONU.

  • L’armée israélienne s’en prend désormais également aux soldats de la paix de l’ONU dans le sud du Liban. Selon l’ONU, « cinq Casques bleus de la FINUL au Liban ont été blessés par les forces israéliennes qui ont endommagé des positions de l’ONU proches de la “Ligne bleue” ».

En quoi tout cela est-il acceptable ? Acceptable ? Légal?

La question la plus importante est peut-être la suivante : comment Israël peut-il encore rester membre de l’ONU ? Pourquoi n’a-t-il pas encore été expulsé d’une organisation qu’il attaque et sape sans relâche et sans vergogne ? Bien sûr, d’autres auteurs de violations des droits de l’homme restent membres de l’ONU - la Syrie, la Russie et la Corée du Nord, pour n’en citer que quelques-uns - mais aucun d’entre eux n’a tué en masse des employés de l’ONU ; aucun n’a envoyé des chars pour envahir une base de l’ONU; aucun n’a « refusé de se conformer à plus de deux douzaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ». Cela fait plus de 60 ans qu’aucun pays au monde n ‘a osé déclarer un secrétaire général de l’ONU « persona non grata ».

Soyons clairs : ce n’est pas comme s’il n’existait pas de mécanisme permettant d’expulser un État membre de l’ONU. L’article 6 de la charte des Nations unies stipule : « Un membre des Nations unies qui a violé de manière persistante les principes énoncés dans la présente Charte peut être exclu de l’Organisation par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ».

D’aucuns pourraient faire remarquer qu’aucun État membre n’a jamais été expulsé de l’ONU en vertu de l’article 6. De plus, les USA, qui ont opposé leur veto à plus de 50 résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU critiquant Israël depuis le début des années 1970, ne permettraient jamais qu’une telle « recommandation du Conseil de sécurité » soit formulée.

L’objection est valable. L’histoire nous enseigne toutefois qu’il existe des solutions pour contourner les vetos du Conseil de sécurité. Comme l’a souligné Thomas Grant, professeur de droit international et ancien conseiller du département d’État usaméricain, en octobre 2022, alors qu’il plaidait pour l’expulsion de la Russie des Nations unies à la suite de l’invasion illégale de l’Ukraine par Vladimir Poutine, « les membres de l’ONU ont jugé à deux reprises par le passé qu’une délégation particulière n’était plus apte à s’asseoir à la table de l’organisation. À chaque fois, l’ONU a improvisé une solution ».

En 1971, les nations socialistes et non alignées du Sud ont voté à l’assemblée générale des Nations unies pour reconnaître la République populaire de Chine comme « le seul représentant légitime de la Chine aux Nations unies », remplaçant ainsi les représentants de la République de Chine (Taïwan), qui avait été un membre fondateur des Nations unies. La RdC était exclue, la RPC était admise - et c’est l’assemblée générale, et non le conseil de sécurité, qui en a décidé ainsi.

Trois ans plus tard, s’appuyant à nouveau non pas sur la charte des Nations unies mais sur ses propres « règles de procédure », comme l’a noté l’avocat spécialiste des droits humains et ancien fonctionnaire des Nations unies Saul Takahisi, l’assemblée générale des Nations unies « a voté le refus de reconnaître les pouvoirs de la délégation sud-africaine » et « a interdit à l’Afrique du Sud de participer à l’AG de l’ONU » jusqu’en 1994.

Et les deux principales raisons invoquées par l’assemblée générale des Nations unies pour suspendre l’adhésion de l’Afrique du Sud ? Sa pratique de l’apartheid à l’encontre de la population noire indigène et son occupation illégale de la Namibie voisine. Cela vous rappelle quelque chose ?

Comme l’a écrit Thomas Grant, « l’action contre l’Afrique du Sud n’a suivi aucune procédure précise dans la charte des Nations unies ou dans la pratique existante des Nations unies » et les Nations unies ont montré comment « une éthique d’improvisation prévaut, lorsque les États membres jugent qu’une question est suffisamment importante pour qu’ils agissent ».

Qu’est-ce qui est plus « important » pour les États membres de l’ONU en ce moment que des attaques contre l’ONU elle-même par un État membre ? Contre l’autorité, le personnel, le siège et la charte de l’ONU ? Samedi, 40 pays ont publié une déclaration commune condamnant l’attaque effrontée et continue d’Israël contre les soldats de la paix de l’ONU au Liban, mais les paroles ne valent pas grand-chose. Les États membres de l’ONU doivent agir.

Le gouvernement israélien peut vouloir prétendre que les Nations unies, et l’assemblée générale en particulier, ne sont pas pertinentes, impuissantes et remplies de préjugés antisémites, mais Israël n’existe aujourd’hui que grâce à une résolution de l’assemblée générale des Nations unies. La déclaration d’indépendance de 1948 du pays fait sept références différentes aux Nations unies, toutes très positives et toujours très reconnaissantes.

L’expulsion d’Israël des Nations unies, ou du moins la suspension de sa participation à l’assemblée générale dans un premier temps, enverrait donc un message fort, tant au peuple israélien qu’au reste du monde, pour dire que l’autorité des Nations unies a encore de l’importance ; que la vie du personnel de l’ONU et des forces de maintien de la paix compte également. Et qu’un État voyou ne peut pas déclarer la guerre à l’ONU elle-même et continuer à s’en tirer à bon compte.

Le message de Netanyahou au monde, par Kamal Sharaf

 

Après avoir volé l’entreprise CITGO au Venezuela, les vautours yankees l’ont reprise à Juanito, le crétin de service qui n’a jamais rien compris


Le fonds vautour Elliott remporte les enchères pour les actifs de CITGO, l’entreprise publique vénézuélienne basée au Texas, qui avait été « confiée » à Guaidó par Trump

 

Andy Robinson, La Vanguardia, 14/10/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Andy Robinson (Liverpool, 1960) est un journaliste et écrivain britannique de langue espagnole. Il écrit dans le quotidien barcelonais La Vanguardia depuis 2002. Il a consacré une grande partie de son travail à suivre les capitalistes à la trace, de Davos à Las Vegas, dans ses articles, ses chroniques de blog et ses livres.

De nombreuses personnes au Venezuela, tant au sein du gouvernement que de l’opposition, parlaient déjà du « casse du siècle » après l’annonce, plus tôt cette année aux USA, que la compagnie pétrolière nationale CITGO, basée à Houston, serait vendue aux enchères pour dédommager les fonds d’investissement et les multinationales lésés par la faillite de l’État vénézuélien [sic] et les nationalisations chavistes.


Aujourd’hui, la décision préliminaire d’un tribunal du Delaware d’autoriser la vente de CITGO à une filiale du fonds controversé Elliott Investments semble confirmer les pires craintes. Après tout, Elliott est le plus agressif des fonds dits « vautours », de puissants véhicules financiers qui achètent la dette des pays pauvres en défaut de paiement et attaquent ensuite leurs gouvernements en justice pour en tirer le maximum de profits. C’est ce que le magazine The New Yorker a appelé « une façon de faire des affaires particulièrement conflictuelle et immensément lucrative ».

Si le plan du tribunal du Delaware est mis en œuvre, Elliott, dirigé par le milliardaire et donateur républicain Paul Singer - qui a réalisé de juteux profits en intentant des procès contre des pays comme l’Argentine, la République démocratique du Congo, le Pérou et le Liberia - paiera 7,3 milliards de dollars pour les actifs usaméricains de CITGO. Ceux-ci comprennent trois grandes raffineries au Texas, en Louisiane et dans l’Illinois, qui produisent plus de 800 000 barils d’essence par jour, ainsi qu’un important réseau de stations-service. Cette somme est bien inférieure à la valeur estimée de CITGO, filiale de la compagnie pétrolière nationale Petróleos de Venezuela (PDVSA), dont le logo en forme de triangle rouge a été une présence incongrue aux USA pendant des décennies de confrontation entre Caracas et Washington.

Mais Elliott doit faire face aux poursuites judiciaires d’une vingtaine de multinationales, principalement des sociétés minières et énergétiques, ainsi que des fonds d’investissement cherchant à obtenir des compensations pour les défauts de paiement de la dette vénézuélienne et les nationalisations d’entreprises privées effectuées sous les gouvernements d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro.

La frénésie des entreprises demanderesses, toutes déterminées à obtenir leur part de CITGO, est telle que même Elliott pourrait se sentir mal à l’aise.  Les détenteurs d’obligations se sont tournés vers d’autres tribunaux pour obtenir des décisions en faveur de leurs propres revendications. Un groupe de détenteurs d’obligations, qui a acheté des titres vénézuéliens garantis par des actifs de CITGO en 2020 pour un prix équivalant à 20 % de leur valeur d’émission, réclame à présent plus de 90 %. Menés par le fonds Gramercy, spécialisé dans l’achat d’obligations de pacotille auprès d’entités en faillite, ils veulent devancer les autres demandeurs, qu’il s’agisse d’entreprises énergétiques ou minières, dans la file d’attente pour être indemnisés en cas de défaut de paiement ou de nationalisation de leurs actifs. Le remboursement de ces investisseurs rendrait l’opération d’Elliott non viable.

Selon Paul Sankey, analyste pétrolier basé à Houston, avant la vente aux enchères, la valeur de CITGO - aux mains de l’État vénézuélien depuis 1990 - avait été estimée entre 32 et 40 milliards de dollars. En 2011, lorsque Chávez a tenté de vendre l’entreprise, elle était évaluée à 13,5 milliards de dollars.

« CITGO a perdu 50 % de sa valeur », a déclaré l’analyste pétrolier vénézuélien Einstein Millán. C’est « la remise du joyau de la couronne à des intérêts étrangers rassemblés autour du capital-risque », a-t-il ajouté.

Le gouvernement vénézuélien et l’opposition s’opposent tous deux à la vente de CITGO, qui non seulement générait des milliards de dollars de revenus pour le Venezuela, mais raffinait également le pétrole brut lourd extrait par PDVSA dans le bassin de l’Orénoque.

Mais la victoire contestée [on sait par qui, NdT] de Nicolás Maduro aux élections de juillet fait qu’il est presque impossible pour l’administration Biden d’arrêter la vente aux enchères. « S’il y avait un changement de gouvernement au Venezuela, peut-être que le gouvernement de Washington retirerait la licence, mais il semble que ce soit déjà fait », a déclaré l’économiste vénézuélien Francisco Rodriguez, qui vit aux USA.

C’est ironique. Car, pour de nombreux analystes de l’histoire alambiquée de CITGO, c’est l’opposition vénézuélienne, en collaboration avec les faucons néoconservateurs de l’administration de Donald Trump, qui a donné aux multinationales l’occasion en or de s’emparer de CITGO.

Trump a émis un décret en 2017, dans le cadre d’un embargo total sur la vente de pétrole vénézuélien, par lequel CITGO ne pouvait plus transférer ses bénéfices à Caracas. Puis, après avoir reconnu comme chef d’État le jeune leader parlementaire Juan Guaidó autoproclamé président en janvier 2019, le président usaméricain de l’époque a remis tous les actifs vénézuéliens à l’étranger, le plus précieux étant CITGO, au nouveau gouvernement « fantôme » de Guaidó. Le résultat - par erreur ou intentionnellement - serait l’éviscération des actifs de CITGO au profit de fonds et d’entreprises multinationaux.

Les actifs de CITGO équivalaient à 10 % du PIB vénézuélien, soit 13,5 milliards de dollars, selon l’estimation de la vente par Chávez en 2012.

Il y avait « une motivation cachée derrière le plan de changement de régime qui a échoué », affirme la journaliste usaméricaine Anya Parampil dans son nouveau livre Corporate coup (OR Books, 2024). « Il s’agissait d’une conspiration visant à voler l’actif international le plus convoité du Venezuela ». Avec l’arrivée d’Elliott - connu pour ses procès agressifs contre des pays en faillite qui sont allés jusqu’à forcer la saisie d’un navire militaire argentin en 2011 afin de collecter 2,6 milliards de dollars auprès du gouvernement de Cristina Kirchner - la manœuvre était peut-être déjà au point.

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Le livre « Corporate Coup » révèle le complot visant à voler les actifs de PDVSA

En prenant le contrôle du précieux réseau de distribution et des raffineries de CITGO aux USA, Guaidó et ses collaborateurs - menés par Luisa Palacios [nommée PDG de CITGO par Guaidó en 2019, elle a démissionné 20 mois plus tard, NdT], épouse d’un haut dirigeant de JP Morgan à Wall Street vivant dans le New Jersey - ont fait un cadeau aux avocats des multinationales pétrolières et des fonds mondiaux qui avaient subi des revers au Venezuela.

Ce but contre son camp s’est déroulé de la manière suivante. Pendant 20 ans, les gouvernements chavistes, conseillés par de grands avocats d’affaires, ont créé des structures administratives pour « maintenir une distance de sécurité entre CITGO, PDVSA et l’État vénézuélien », explique Parampil. Il était donc difficile de prouver, à l’aide d’arguments juridiques, que CITGO était un instrument de Maduro. Aucun créancier n’a réussi à convaincre les juges usaméricains qu’il avait le droit de percevoir ses indemnités grâce à la saisie de CITGO.

Mais, après que l’entreprise a été remise à l’équipe « gouvernementale » de Guaidó qui a nommé de nouveaux membres du conseil d’administration pour PDVSA et CITGO, le juge Leonard Stark du Delaware a accepté pour la première fois en 2023 l’argument selon lequel CITGO était un soi-disant « alter ego » de l’État vénézuélien.

En vertu de ce schéma juridique alambiqué, toute entreprise s’estimant lésée par les actions de l’État vénézuélien était en droit de demander réparation en saisissant les actifs de CITGO. Et c’est exactement ce qui s’est passé. M. Stark a tranché en faveur de l’argument selon lequel l’équipe de Guaidó « a utilisé les ressources de PDVSA à ses propres fins (ce qui) a permis aux créanciers de la république vénézuélienne (et pas seulement de PDVSA) de saisir CITGO », explique M. Rodriguez.

Les avocats consultés par La Vanguardia dans l’entourage du « gouvernement parallèle » de Guaidó répondent que la décision est due à un changement de position des juges usaméricains. « En 2023, la cour du Delaware et la cour d’appel du troisième circuit ont modifié les critères utilisés pour définir l’alter ego », dit José Ignacio Hernández, le principal représentant juridique du « gouvernement parallèle » de Guaidó. Les juges ont décidé à tort que les « contrôles normaux » - tels que la nomination du conseil d’administration - « constituaient une preuve d’“alteregoïté” et que ces contrôles étaient imputés au gouvernement intérimaire ». En tout état de cause, ajoute Hernández, la responsabilité de la perte de CITGO n’incombe pas au “gouvernement” Guaidó, mais à « la dette publique de 170 milliards de dollars, héritage d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro », qui a fait du Venezuela une cible pour les réclamations des créanciers et des fonds vautours [c’est une manière de voir les choses, NdT].

Qu’il s’agisse de l’erreur des avocats de Guaidó, des critères changeants des tribunaux usaméricains ou de l’héritage de l’endettement des gouvernements chavistes, le résultat est le même : CITGO - dont les actifs équivalaient à pas moins de 10 % du PIB vénézuélien - sera saisie au profit d’un groupe de fonds vautours, d’investisseurs en obligations de pacotille de Wall Street ainsi que de multinationales du secteur de l’énergie et de l’exploitation minière.

 Ne serait-ce qu’en raison de la coïncidence temporelle, il est difficile de séparer la débâcle de CITGO de la mauvaise gestion du “gouvernement” Guaidó. Parampil se demande même si le pillage de CITGO était un objectif explicite du plan ourdi en 2019 par l’administration Trump pour renverser Maduro.  « S’agissait-il d’un effet secondaire du plan de changement de régime ou d’une conséquence intentionnelle de celui-ci ? », demande-t-elle dans son livre.

Bien entendu, les bénéficiaires probables de la vente forcée de CITGO sont les alliés des faucons - dont beaucoup sont basés à Miami - qui ont organisé le coup d’État de Guaidó. Outre Elliott, il s’agit des multinationales pétrolières ConocoPhillips, l’un des principaux donateurs de la campagne de Trump, Vitol et Koch Industries, dont les partenaires, les frères Koch du Kansas, soutiennent le réseau Atlas de groupes ultraconservateurs latino-américains, dont l’actuelle opposition vénézuélienne (Pedro Urruchurtu, le conseiller de Corina Machado, la candidate de facto à l’élection présidentielle de juillet, est un activiste des réseaux libéraux liés à Atlas).

La société canadienne d’extraction d’or Crystallex, dont la concession d’extraction d’or dans le sud du Venezuela a été retirée par Chavez en 2008, est également candidate à la saisie des actifs de CITGO. Une autre société minière canadienne, Gold Reserve, est également impliquée, de même que le fabricant de verre usaméricain Owens-Illinois, qui a été nationalisé par le gouvernement Chavez et qui cherche à empocher près de 450 millions de dollars. Siemens Energy est un autre plaignant. Au total, il y a quelque 19 actions en justice dont les réclamations s’élèvent à environ 20 milliards de dollars, soit 40 % du PIB du Venezuela, ce qui représente presque trois fois ce qu’Elliott paierait pour CITGO.

L’histoire de Crystallex est essentielle pour comprendre l’issue grotesque de la tragédie de CITGO. Suite à la décision du gouvernement Chávez de lui retirer la concession de sa mine Las Cristinas, cette entreprise canadienne a poursuivi l’État vénézuélien en 2016 devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un tribunal d’arbitrage affilié à la Banque mondiale et basé à Washington, utilisé dans le passé par des fonds vautours comme Elliott. Comme c’est souvent le cas, ce tribunal multilatéral a statué en faveur de la multinationale et a ordonné à l’État vénézuélien de verser 1,2 milliard de dollars de compensation à Crystallex. Le tribunal du Delaware ayant reconnu que CITGO est l’« alter ego » de l’État vénézuélien, Crystallex a désormais le feu vert pour obtenir tout ou partie de cette indemnisation par la saisie et la vente des actifs de CITGO, même si elle devra se mesurer à Elliott.

Un fait qui a éveillé les soupçons selon lesquels le plan Guaidó était effectivement un « coup d’État » est que le conseiller juridique susmentionné de l’équipe de Guaidó, José Ignacio Hernández, avait déjà été l’avocat de Crystallex et d’Owens-Illinois lorsqu’ils ont essayé de récupérer leurs investissements perdus au Venezuela en saisissant les actifs pétroliers de l’État vénézuélien. Bien que Hernández n’ait pas utilisé la notion d’« alter ego » dans les poursuites engagées contre le Venezuela, il a souligné que les gouvernements chavistes avaient rompu l’indépendance juridique de PDVSA et que, par conséquent, une saisie serait légale.  « J’ai déjà dit à plusieurs reprises que Maduro et Chávez avaient violé l’autonomie de PDVSA, ce qui est évident, mais il est totalement faux que j’aie soutenu la thèse de l’alter ego », a insisté Hernández dans un entretien avec votre serviteur.

Cependant, une partie de l’opposition vénézuélienne demande une enquête sur le rôle de Hernández ainsi que sur celui de Carlos Vecchio, un autre avocat qui a été nommé chargé d’affaires du “gouvernement” Guaidó aux USA, Vecchio ayant représenté la compagnie pétrolière usaméricaine Exxon.  « Il faut respecter la présomption d’innocence, mais il peut y avoir des conflits d’intérêts et c’est suffisant pour mériter une enquête », dit Francisco Rodriguez.

CITGO n’est pas le seul actif de l’État vénézuélien en faillite à avoir été exproprié pendant les années Trump. L’usine de Barranquilla (Colombie) de l’entreprise publique vénézuélienne d’engrais Monómeros - une autre filiale de PDVSA - a également été remise au “gouvernement” Guaidó. Après l’effondrement de l’entreprise suite à des allégations de corruption, Gustavo Petro, le président colombien, a restitué Monómeros à l’État vénézuélien. De même, les lingots d’or vénézuéliens conservés dans les coffres de la Banque d’Angleterre ont été soustraits au contrôle de l’État vénézuélien à la suite de l’opération Guaidó. Sans légitimité et sans le soutien des forces de sécurité, le gouvernement virtuel créé par Trump a rapidement perdu sa crédibilité. Il est aujourd’hui accusé de détournement de fonds et d’autres délits de corruption.  Guaidó s’est installé à Miami [où il attend en priant Saint-Antoine le versement du bakchich de consolation pour ses bons et loyaux services par ces messieurs les vautours d’Elliott , les Singer père et fils, NdT]

 NdT

CITGO a une capacité de traitement de 769 000 barils par jour répartis entre ses trois raffineries de l'Illinois, de la Louisiane et du Texas. Elle possède également un réseau de pipelines et plus de 4 000 stations-service, principalement sur la côte est des USA.

 

15/10/2024

REINALDO SPITALETTA
Qui se soucie que des Palestiniens soient tués ?

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 15/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Qu'est-ce que cela peut nous faire, même si nous assistons à un « génocide en temps réel », que des hordes de soldats, qui en plus se prennent en selfies devant les villes et les villages qu'ils rasent, tuent des Palestiniens. Peu importent leurs coups de canons, leurs bombardements, leurs snipers. Tout ça semble aller pour le mieux, car ce sont les bâtiments, les rues, les hôpitaux, les écoles, les habitants de Gaza qui tombent sous le feu sacro-saint du « peuple élu », de la « fureur de Yahvé », ou peut-être, également en temps réel, de deux héros de mauvais augure qui font couler le sang par tous leurs pores : Joe Biden et Benjamin Netanyahou.

Que nous importe qu'une jeune fille décharnée, transpercée par toutes les angoisses, crie sur le caméraman qui filme tout ce malheur d'un peuple, si cela n'intéresse personne. Et, à la longue, qui se soucie, par exemple, qu'un Palestinien arbitrairement emprisonné par des soldats israéliens soit déshabillé, dégradé, forcé de se tourner face contre terre et qu'on lui verse un liquide sur les fesses. Ensuite, ils lâchent un énorme chien qui, excité par l'odeur d'une substance qui l'excite démesurément, viole la victime sans défense.

Ceux d'entre nous qui ont vu le documentaire Gaza, réalisé par Al Jazeera, pourraient rester sans voix, même si, dis-je, ces barbaries ne semblent importer à personne, malgré toute l'infamie qui y est montrée, malgré cette sauvagerie qui a toutes les teintes, les contours et les essences d'un génocide. On pourrait dire, pourquoi pas, que les souffrances anciennes du peuple palestinien, qui remontent au moins à 1948, n'intéressent aujourd'hui, selon l'insensibilité de cette atrocité qu'on appelle « l'Occident », ni les cours et tribunaux internationaux, ni personne d'autre.

Qui s'émouvra, par exemple, lorsque des petits cons d'Israéliens enregistrent une série de singeries sur Tik Tok pour se moquer des enfants palestiniens qui, au milieu de grimaces moqueuses, s'enduiraient de sauce ou d'encre rouge, autrement dit simuleraient des blessures pour poser devant les caméras. Ou ce que font les soldats israéliens, avec des gestes satisfaits, en rasant des cuisines, des salons, des vitrines, des maisons civiles, puis en posant avec toute la « grâce » du « mannequinat » devant leurs photographes portraitistes propagandistes.

Ce terrible documentaire questionne, parmi tant d’infamies de l'armée israélienne, l'utilisation des réseaux sociaux sur lesquels les militaires partagent des photos et des vidéos de leurs actions sans cœur à Gaza. Bien qu’on le sache déjà, Gaza montre comment les USA, l'Allemagne, le Royaume-Uni et d'autres pays occidentaux soutiennent la boucherie israélienne. Mais, comme on le sait, aucun organisme de défense des « droits humains » ni aucun tribunal international ne les condamnera.

Le documentaire est déchirant, provocateur, voire larmoyant, et, pourquoi pas, on peut même lancer des filsdeputes bruyants contre les meurtriers en uniforme, mais, pour en revenir à notre mépris traditionnel pour ce qui arrive aux autres, on s'en moque. C'est du moins ce que semble comprendre Susan Abulhawa, écrivaine et journaliste palestinienne : « Les Palestiniens savent qu'ils ont été abandonnés, que le monde qui parle de droits de l'homme et de droit international ment, que ces concepts sont destinés aux Blancs ou aux Occidentaux, que l'obligation de rendre des comptes n'est pas destinée à obliger les oppresseurs à rendre des comptes, qu'ils ont en fait été jetés comme des ordures ».

Et oui, cet « Occident » civilisé, celui qui, au cours des deux seules guerres mondiales, a causé un nombre de morts sans précédent dans l'histoire, celui qui a depuis longtemps démoli l'édifice de la raison pour ériger des monuments à la barbarie, regarde avec complaisance la destruction de Gaza, la brutalité à l'encontre des Palestiniens. Ah, et pas seulement : il les promeut. C'est comme si le mot d'ordre était d'anéantir ce peuple. De les exterminer. Le documentaire d'Al Jazeera, qui rend également hommage aux journalistes morts, témoigne de la manière terrifiante dont un peuple, une culture, est en train d’être dévasté.

Il permet aussi de déceler certaines sophistications dans le génocide. L'intelligence artificielle au service de la destruction. Grâce à un système appelé « Where's Daddy », des personnes sont suivies à la trace, un niveau de menace leur est attribué et leur domicile est ciblé avec une grande précision. Des familles entières ont ainsi été annihilées.

Quoi qu'il en soit, ce sont des images douloureuses dans ce documentaire, qui constitue un puissant réquisitoire. À quoi cela servira-t-il ? Au moins à dire au monde qu’on ne s’en sortira pas, après tout, avec l'excuse qu’on ne savait rien de ce qui se passait dans ces régions (pour certains très éloignées). Oh oui, des Palestiniens ont été et sont encore tués. Point barre. Ce n'est pas de notre truc. C'est leur affaire.

Autre chose : la plupart des victimes, sur les plus de 41 000 tués par Israël, étaient des femmes et des enfants. Le droit international a été déchiqueté par Israël et ses parrains. Comment faire pour que nous nous en soucions ?

14/10/2024

GIDEON LEVY
Le retour de la morgue : l’arrogance démesurée d’Israël est une recette pour le désastre

Gideon Levy, Haaretz, 13/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 L’arrogance israélienne est de retour, pour de bon. Qui aurait cru qu’un an après le 7 octobre, elle reviendrait, et à une telle échelle. Après avoir vaincu le Hamas et détruit la bande de Gaza, nous sommes en train de vaincre le Hezbollah et de détruire le Liban - et nous nous tournons déjà vers l’Iran.

Le dialogue israélien évoque déjà un changement de régime dans ce pays, discute de l’assassinat de l’ayatollah Ali Khamenei et délibère entre des frappes sur des installations nucléaires et des frappes sur des installations pétrolières. Israël est dans un état d’orgueil démesuré. Du fond du gouffre et de l’esprit brisé de la déroute du 7 octobre - elle a été comparée à l’Holocauste - aux sommets de l’arrogance du changement de régime et du déplacement des peuples dans tout le Moyen-Orient. Et tout cela en l’espace d’un an. Cela se terminera dans les larmes et le sang.

C’est dans la nature de l’orgueil démesuré, par définition, que de se terminer par un désastre. C’est dans la nature d’une volatilité aussi extrême, d’un holocauste fictif à une victoire fictive, de s’effondrer.

Pendant ce temps, des millions de personnes fuient l’armée israélienne pour sauver leur vie, déplacées, réfugiées, démunies, désespérées, blessées, orphelines et estropiées dans des cortèges de souffrances sans fin à Gaza et au Liban. Bientôt en Cisjordanie et peut-être aussi en Iran. Jamais autant de personnes n’ont fui la terreur d’Israël, pas même lors de la Nakba de 1948. Elles n’oublieront jamais ce qu’Israël leur a fait. Jamais. Pour Israël et les Israéliens, cela apporte non seulement de la joie, de la satisfaction et de la fierté nationale, mais aussi un trip de toute-puissance comme ils n’en ont jamais vu, certainement pas depuis 1967.

Les succès militaires, aussi impressionnants soient-ils, rendent Israël fou. La façon dont nous avons fait sauter les bipeurs et dont nous avons tué leurs chefs : tout le monde se congratule. L’attaque contre l’Iran risque d’en faire la démonstration. Mais les succès militaires ne sont pas le plus important. Qu’est-ce qui va suivre ?

Israël estime que le ciel est la limite de ses attaques, de ses conquêtes, des tueries et des destructions qu’il est capable de semer. Et rien ne l’arrêtera. Jamais auparavant il ne s’est tenu ainsi devant un but vide, convaincu qu’il a reçu l’occasion de donner le coup de pied de sa vie. L’un après l’autre, nous avons vu s’écrouler les châteaux de cartes que l’on craignait tant : les roquettes de Gaza, les missiles du Liban, les missiles de croisière du Yémen et les missiles balistiques de l’Iran n’impressionnent plus personne.

L’impuissance de la communauté internationale, et notamment des USA, renforce le sentiment d’ivresse. Tout est possible. Il semble qu’Israël puisse poursuivre sans entrave ses campagnes de conquête et de punition à la Genghis Khan. L’USAmérique le supplie d’arrêter ; ses supplications ne font aucune impression sur les Israéliens. Et pour cause.

Mais Israël pourrait découvrir que ses étonnantes victoires ne sont rien d’autre qu’un piège à miel fatal, comme la victoire enivrante de 1967, dont nous mangeons encore aujourd’hui les fruits pourris. Ce qui est présenté comme des capacités militaires illimitées risque de se terminer par une victoire à la Pyrrhus. À Gaza, Israël continue de maltraiter des millions de malheureux, même après avoir annoncé que le Hamas avait été militairement vaincu. Pourquoi continuer ? Parce qu’il le peut. Bientôt au Liban aussi.

Le châtiment inutile et dangereux de l’Iran est discuté publiquement depuis des jours, comme s’il n’y avait pas d’autre pays qu’Israël, pas de limite à ses possibilités et personne qui puisse arrêter sa soif de pouvoir. En l’absence d’un véritable ami qui le ferait, il ne s’arrêtera jamais de lui-même, jusqu’à ce qu’un désastre le frappe. Et cela risque de se produire. Les succès militaires ont tendance à être trompeurs et éphémères.

Les masses du monde finiront par être rejointes dans leur aversion par leurs gouvernements, et un jour (lointain), tout le monde en aura sa claque. Israël ne bénéficie d’aucun soutien international, à l’exception des USA et de l’UEurope. Il est vrai que ceux-ci n’ont pas encore bougé le petit doigt, mais un jour, leur opinion publique pourrait changer la donne.

L’histoire est pleine de pays ivres de puissance qui n’ont pas su s’arrêter à temps. Israël s’en approche. En attendant, la pensée de millions de personnes au Moyen-Orient fuyant dans la terreur devant lui, souffrant d’une douleur et d’une humiliation indescriptibles sous nos bottes, devrait faire reculer de honte et de peur chaque Israélien. Au lieu de cela, ce spectacle remplit le cœur des Israéliens de fierté et les encourage à en redemander. Et il n’y a pas moyen d’arrêter ça.