Reinaldo
Spitaletta, El
Espectador, 21/6/2022
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Du discours de victoire, dans lequel Gustavo Petro a prévenu qu'il ne trahirait pas l'électorat, il faut retenir les slogans de ne pas gouverner avec haine ou sectarisme. Ces sentiments, dans une longue histoire de désastres, ont fait couler du sang et des larmes, surtout pour les gens ordinaires, toujours chair à canon et éternelles victimes du pouvoir.
Après la victoire. Photo : DANIEL MUNOZ
Le princier et féodal « quoi que dise Uribe », maître d'une sorte de pays-hacienda pendant plus de 20 ans, semble s'être effondré peut-être pour toujours. Plus de 6 402* raisons ont été répandues pour mettre en échec une domination féroce dans laquelle les droits des travailleurs étaient violés, le pays a été bousillé, des accords de libre-échange léonins ont été signés, le secteur agricole s’est étiolé et le pouvoir latifundiste a eu le champ libre.
Le naufrage de ce navire de pirates, passés maîtres dans la dépossession de milliers de personnes et le maintien de privilèges pour une poignée de caïds oligarchiques, donne la sensation que le jouet du « messie » [Uribe] désormais has been a été réduit en miettes après 40 ans d’outrages.
Avec le triomphe du Pacte historique, un empire de « sortilèges autoritaires », de corruption, de politicaillerie et autres pourritures officielles s'est effondré, du moins en apparence.
On peut dire qu'une période est terminée, même si son influence méphitique n'est pas entièrement morte et que ses tentacules n'ont pas été coupés. Mais le début d'un temps différent est évident, qui, selon les vainqueurs de ces élections débridées, est l'écriture d’« une nouvelle histoire ». Le triomphe électoral de Gustavo Petro et du Pacte historique, avec un vote écrasant, a été le coup de grâce (du moins, c'est ce qu'il semble) à l'uribisme agonisant, dont les râles d’agonie se sont manifestés au cours de cette période infâme de quatre ans.
Pour le seigneur féodal, ça a dû être un direct à la mâchoire. D'échec en échec avec ses « filleuls », d'abord Óscar Iván Zuluaga, qu'il a renvoyé sans ménagement pour le remplacer par Fico [Federico Gutiérrez], un mannequin de ventriloque (semblable à celui qui est encore président de la Colombie, Iván Duque) qui, ayant été battu sans appel, s'est métamorphosé en péquenaud jouant au playboy, admirateur d'un génocidaire et à qui, à ce qu’on a vu, la Vierge (et pas vraiment une Vierge de minuit [titre d’un célèbre boléro]) a fait payer pour ses divagations blasphématoires**.
Que l'on soit d'accord ou non avec le vainqueur de l'élection, dimanche dernier a marqué un chapitre différent de l'histoire électorale colombienne. Un mouvement différent et un candidat différent ont gagné (bien qu'ils aient été rejoints par des personnages aux références moins recommandables), mettant fin à une longue succession de présidents de système, marionnettes d'intérêts étrangers et dont le bilan se résume à ne pas avoir promu de réformes agraires et à avoir maintenu le statu quo au détriment des plus pauvres et des plus oubliés.
Du discours de victoire, dans lequel Gustavo Petro a prévenu qu'il ne trahirait pas l'électorat, il convient de retenir les slogans de ne pas gouverner avec haine ou sectarisme. Ces sentiments, dans une longue histoire de catastrophes, ont fait couler du sang et des larmes, surtout pour les gens ordinaires, toujours chair à canon et éternelles victimes du pouvoir.
Et quand on s'attend le moins à ce qu'un homme politique, et plus encore sous nos latitudes, brandisse des bannières de prédicateurs et de santons, le président élu a parlé d'amour. La nécessité d'une compréhension, d'un dialogue, d'une entente entre les uns et les autres. Et puis, comme un prêtre de village, il a souhaité la bienvenue à l’espérance, une vertu théologique.
Sa position sur le développement du capitalisme en Colombie est en tout cas intéressante, alors qu'en fait, surtout dans les campagnes, il n'y a eu que des expressions d'arriération et d'arriération féodale. « Nous allons développer le capitalisme non pas parce que nous le vénérons, mais parce que nous devons d'abord surmonter la pré-modernité en Colombie, le féodalisme en Colombie, les nouveaux servages et le nouvel esclavage ».
Pour mettre en œuvre le capitalisme et avoir les possibilités d'un marché intérieur, il faut promouvoir la paix. « Plus jamais de guerre ! » ont crié les milliers de personnes présentes à la cérémonie de victoire, tandis que le candidat vainqueur a évoqué la nécessité d'un grand accord national pour construire « un consensus maximal pour une vie meilleure » et pour des réformes, notamment en faveur des jeunes, des femmes et des personnes âgées. « La paix doit être construite comme une garantie des droits des personnes », a-t-il déclaré.
L'ambiance était à l'optimisme collectif, à la liesse populaire, à l'idée qu'une nouvelle ère était en train de naître. Il y a eu des pétards et des sifflets dans de nombreux endroits, ainsi que des blagues sur ceux qui annonçaient qu'ils quitteraient le pays si Petro gagnait. Mais, pas question. Tout le monde restera sûrement, car, comme on le disait en chœur, ici tout le monde gagne du « flouss » et les banquiers, par exemple, ont déjà salué cette élection et « un grand accord national ».
Rien n'a été dit sur la défense de la souveraineté nationale, ni sur le fait que ce pays continuera à être une néo-colonie, ce qui n'est pas une mince affaire. Mais il a été indiqué que ce sera « le gouvernement de la vie, de la paix, de la justice sociale et environnementale ». Le nouveau gouvernement a un énorme défi à relever : combattre l'énorme pauvreté, le chômage, l'informalité, le trafic de drogue et d'autres maux qui frappent le pays. Et un engagement, comme il l'a dit, en faveur de la liberté afin que « plus jamais un gouvernement n'assassine ses jeunes ».
NdT
*6 402 : c’est le nombre, établi par la Juridiction spéciale pour la paix, des « faux positifs » commis par l’armée colombienne entre 2002 et 2008, autrement dit des exécutions extrajudiciaires de personnes présentées comme des guérilléros.
** En avril dernier, « Fico » était allé à Boyacá demander la bénédiction de la Vierge « miraculeuse » de la Basilique de Notre Dame du Rosaire de Chiquinquirá, censée être la sainte patronne du pays.
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