Rich Willed,
16/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
S’il y a une
chose qui commence vraiment à m’agacer ces derniers temps, c’est la façon dont
les Occidentaux privilégiés regardent avec mépris les Palestiniens ou les
Iraniens « non civilisés », sans la moindre goutte d’introspection.Nous parlons de ces personnes en termes binaires.
Antisémites. Théocratie. Axe du mal.
Pas d’histoire. Pas de contexte. Aucune
reconnaissance de notre propre rôle dans cette histoire.
En écoutant Netanyahou expliquer ces derniers
jours les raisons qui le poussent à attaquer l’Iran, je ne peux m’empêcher de
penser qu’il existe une forme particulière d’hypocrisie réservée aux puissants.
Une hypocrisie qui ne se nourrit pas du silence, mais des discours.
Elle se dissimule derrière le langage de la
démocratie, de la liberté et de la moralité, tout en commettant les crimes qu’elle
prétend condamner. Peu de personnalités illustrent mieux cette inversion que
Benjamin Netanyahou. Ces derniers temps, je me surprends à inverser le sens de
ses propos en temps réel. Ce serait presque drôle s’il ne traînait pas le monde
au bord de la guerre nucléaire.
Le titre d’aujourd’hui en est un parfait exemple :
« L’Iran a tenté d’assassiner Trump – à deux reprises ». Aucune preuve. Aucun
détail. Juste : « Faites-moi confiance ».
Comme s’il allait de soi que nous devions croire
un homme qui a menti plus de fois qu’on ne peut compter. Un homme actuellement
jugé pour corruption dans son propre pays. Un homme sous le coup d’un mandat d’arrêt
de la Cour pénale internationale.
Et pourtant, Netanyahou monte sans cesse sur la
scène internationale pour dépeindre l’Iran comme un régime tyrannique. Une
théocratie brutale qui menace la stabilité régionale, la paix mondiale et l’ordre
moral des nations « civilisées ». Il parle de répression, d’autoritarisme
religieux, d’ambitions nucléaires...
Et pourtant, pendant qu’il parle, des enfants
palestiniens gisent sous les décombres israéliens. Dans son propre pays, les
juges sont privés de leur indépendance. Les manifestants envahissent Tel-Aviv
pour mettre en garde contre la descente d’Israël vers l’autocratie. Et
pourtant, les médias et les politiciens occidentaux répètent ses paroles comme
s’ils n’en voyaient pas la fausseté.
C’est l’astuce séculaire de l’empire : présenter
la résistance comme un danger et la domination comme la paix. Traiter son
ennemi de tyran tout en larguant des bombes, en construisant des murs et en
réduisant au silence toute dissidence. Il s’agit d’un renversement
psychologique si profondément ancré dans la psyché occidentale que nous ne le
remarquons même plus.
Mais que se passerait-il si nous inversions les
rôles ?
Et si la vraie question n’était pas de savoir ce
qui ne va pas en Iran, mais ce qui s’est passé la dernière fois que l’Iran a
tenté de se libérer ?
Car derrière chaque accusation portée contre l’Iran
se cache une histoire que nous ne sommes pas censés nous rappeler. Une histoire
qui n’est pas celle du fanatisme, mais celle de la démocratie. Non pas celle de
l’extrémisme, mais celle de l’autodétermination nationale. Et c’est cette
histoire, et non les missiles ou les milices, que des hommes comme Netanyahou
redoutent le plus.
Il est révélateur que si peu de gens connaissent
cette histoire. Mais je suppose que c’est le but recherché.
Car si le monde se souvenait de ce qui s’est passé
en Iran en 1953, le discours de Netanyahou commencerait à s’effriter. Toute la
supériorité morale de l’Occident commencerait à s’écrouler.
Il y a soixante-dix ans, l’Iran n’était pas une
théocratie. C’était une démocratie. Et son Premier ministre, Mohammad
Mossadegh, n’était pas un religieux extrémiste ou un fanatique anti-occidental.
C’était un réformateur laïc et instruit, largement respecté dans tout l’Iran et
même dans certaines régions d’Europe.
Il était également profondément attaché à une idée
révolutionnaire : les ressources naturelles de l’Iran devaient profiter à son
propre peuple.
À l’époque, les entreprises britanniques
contrôlaient le pétrole iranien, notamment l’Anglo-Iranian Oil Company (BP).
Les travailleurs iraniens vivaient dans la pauvreté tandis que les élites
britanniques engrangeaient les profits. Mossadegh voyait cela pour ce que c’était
: un vol colonial. C’est pourquoi, en 1951, il a fait ce que tout dirigeant qui
se respecte aurait dû faire. Il a nationalisé le pétrole iranien.
Cet acte a scellé son destin.
Mossadegh porté en triomphe par la foule après la nationalisation de l'Anglo-Iranian
Les Britanniques étaient furieux. Mais leur empire
déclinant, ils avaient besoin d’aide. Ils se sont donc tournés vers leur
partenaire d’après-guerre dans le contrôle mondial : les USA. Ensemble, la CIA
et le MI6 ont lancé l’opération Ajax, un coup d’État secret qui a renversé
Mossadegh et rétabli le Shah, un monarque aligné sur l’Occident qui a dirigé l’Iran
d’une main de fer pendant les 26 années qui ont suivi.
Oui, vous avez bien entendu. Et non, ce ne sont
pas des rumeurs. Tout cela est accessible à quiconque souhaite s’informer.
Dans les années 1950, l’Iran était une démocratie
qui fonctionnait. Son dirigeant était élu au suffrage universel. Ce dirigeant
agissait dans l’intérêt de son peuple. Et pour cela, l’Occident l’a écrasé.
Pourquoi ? Pas à cause de la tyrannie. Mais à
cause de la souveraineté.
Parce qu’un Iran libre qui contrôlait son propre
pétrole était bien plus dangereux pour les intérêts occidentaux qu’un régime
brutal qui se pliait aux règles de l’empire.
Avant de juger ces pays comme arriérés ou mauvais,
nous devrions peut-être prendre le temps de réfléchir. Et faire un peu d’introspection.
Car l’Iran n’était pas le seul.
Le renversement de Mossadegh n’était pas une
anomalie. C’était un modèle. Un coup de semonce à toute nation, en particulier
celles riches en ressources, qui osait imaginer l’indépendance. Au cours des
décennies qui ont suivi, le schéma est devenu indéniable : chaque fois qu’un
pays du Sud tentait d’affirmer sa souveraineté, en particulier sur ses propres
ressources, les puissances occidentales intervenaient. Non pas pour défendre la
démocratie, mais pour la démanteler.
Au Chili, ce fut Salvador Allende. Élu
démocratiquement en 1970, il entreprit de nationaliser l’industrie du cuivre,
contrôlée en grande partie par des sociétés usaméricaines. Trois ans plus tard,
avec le soutien de la CIA, l’armée chilienne organisa un coup d’État violent.
Allende fut tué. À sa place, le dictateur Pinochet prit le pouvoir, torturant
et faisant disparaître des milliers de personnes. Washington qualifia cela de
victoire pour la stabilité.
Au Congo, c’était Patrice Lumumba. Jeune,
charismatique et déterminé à se libérer de l’exploitation belge, il a été élu
Premier ministre en 1960. En quelques mois, il a été renversé puis exécuté, son
assassinat ayant été orchestré avec la complicité de la CIA. Le pays a été
livré à Mobutu, un homme fort corrompu qui l’a saigné à blanc pendant des
décennies.
En Irak, Saddam Hussein a été armé et soutenu par
les USA jusqu’à ce qu’il se retourne contre les intérêts de l’empire. Lorsqu’il
a osé vendre du pétrole en dehors du système pétrodollar et laissé entendre qu’il
souhaitait exercer un leadership régional échappant au contrôle usaméricain, le
mensonge des armes de destruction massive a vu le jour. La guerre a été
présentée comme une libération. Elle s’est transformée en occupation, en chaos
et en mort.
En Libye, Mouammar Kadhafi était peut-être un
personnage complexe, mais une chose est sûre : sa proposition d’une monnaie
panafricaine adossée à l’or constituait une menace directe pour la domination
des systèmes financiers occidentaux. Quelques mois après avoir lancé cette
idée, il a été pris pour cible, bombardé et brutalement exécuté. Son pays n’a
plus connu la paix depuis.
Et ce ne sont là que quelques exemples parmi les
plus connus.
Le scénario de l’empire se répète sans cesse. Les
dirigeants qui servent les intérêts occidentaux, aussi brutaux soient-ils, sont
tolérés, voire soutenus. Mais ceux qui remettent en cause l’ordre économique,
qui revendiquent le contrôle de leur pétrole, de leur eau, de leurs terres ou
de leur monnaie, sont qualifiés de fous, d’extrémistes ou de terroristes. Leurs
démocraties sont déstabilisées. Leurs pays sont sanctionnés, envahis ou réduits
en ruines.
Il ne s’agit pas de liberté. Cela n’a jamais été
le cas.
Il s’agit d’obéissance.
Et nous revoilà dans le présent, où le scénario
continue de se dérouler, presque mot pour mot. Même si, peut-être enfin, il
commence à s’effriter.
L’Iran est une fois de plus présenté comme le
grand méchant. Netanyahou, Trump, les politiciens occidentaux et les médias
parlent d’une voix presque unanime. L’Iran est un État voyou, une force
déstabilisatrice, le premier sponsor mondial du terrorisme. Israël a mené une «
frappe préventive ». Il a le droit de se défendre. Le monde doit défendre
Israël contre la théocratie vicieuse qui ne vit que pour le détruire. Le
langage est clinique. Répété. Incontesté.
Mais arrêtons-nous un instant.
Qu’a fait exactement l’Iran ? A-t-il envahi un
voisin ? Renversé des gouvernements ? Commis des assassinats ciblés sur le sol
étranger ? Posé des bombes dans des hôpitaux et des écoles ?
Ou son véritable crime est-il tout autre, bien
plus familier et bien moins pardonnable ?
L’Iran soutient la résistance palestinienne. Il
était l’un des sept pays cités dans le désormais tristement célèbre plan du
Pentagone visant à « éliminer » certains pays après le 11 septembre. Le seul
qui soit encore debout...
L’Iran refuse de s’incliner devant Israël. Il ne
se soumettra pas aux USA. Il détient d’immenses réserves de pétrole et de gaz
et a insisté, à maintes reprises, pour tracer sa propre voie. Et pour cela, il
est présenté comme un grand danger pour la paix mondiale.
Pendant ce temps, Israël, un régime d’apartheid
doté de l’arme nucléaire et se livrant à un génocide sans vergogne, est en
quelque sorte considéré comme l’acteur responsable.
Il s’agit là d’un renversement d’une ampleur
presque incompréhensible.
C’est la tyrannie vendue comme démocratie. La
résistance qualifiée de terrorisme.
Posez-vous la question suivante : si la guerre
nucléaire était vraiment la préoccupation qui motive les actions d’Israël,
pourquoi personne ne s’inquiète-t-il du pacte de défense conclu entre l’Iran et
l’une des deux plus grandes puissances nucléaires de la planète, la Russie ?
Ou peut-être que les menaces nucléaires ne sont
des menaces que lorsqu’elles proviennent de ceux qui ne suivent pas les ordres
?
Et pendant ce temps, Netanyahou, qui a passé des
décennies à démanteler les institutions démocratiques d’Israël, à inciter à la
haine raciale et à entraîner son peuple dans un état de guerre sans fin, se
tient à la tribune et donne des leçons de liberté au monde entier.
Ce serait risible si ce n’était pas aussi mortel.
La vérité profonde est la suivante : l’Occident ne
craint pas l’extrémisme religieux. Il ne craint pas l’autoritarisme. S’il le
craignait, il aurait sanctionné Israël depuis longtemps. Ce qu’il craint, ce qu’il
a toujours craint, c’est l’indépendance. Une nation qui pense par elle-même,
défend sa dignité et refuse de vendre son âme à l’empire.
C’est là la véritable menace.
Et peut-être que la question la plus importante
que nous devons nous poser est la suivante : qui a le droit d’être libre ?
Car c’est là le cœur du problème. Pas seulement en
Iran, à Gaza ou en Libye, mais partout où le joug de l’empire a écrasé ceux qui
ont osé rêver d’autre chose.
Qui a le droit de revendiquer sa souveraineté ?
Qui a le droit de nationaliser son pétrole, son eau, ses terres ? Qui a le
droit de répondre aux puissances qui dominent le monde ?
Est-ce que je vis vraiment dans un pays
démocratique si le simple fait de poser ces questions me met en danger ? Est-ce
cela que nous prétendons être la liberté ?
Car les preuves sont claires : l’Occident
applaudira une dictature tant qu’elle respectera ses règles. Et il écrasera une
démocratie dès qu’elle sortira du rang.
L’Iran n’est pas devenu une dictature parce qu’il
était tyrannique. Il est devenu ce qu’il est parce qu’il a osé être libre. La
théocratie est née des cendres d’un rêve qui n’a jamais pu se réaliser.
Il ne s’agit pas ici de romancer le régime actuel
de l’Iran. Il est brutalement répressif. Les dissidents sont réduits au
silence, les femmes sont asservies et la violence d’État est bien réelle. Mais
si nous nous arrêtons là, si nous isolons cette vérité du contexte qui l’a fait
naître, nous ne nous livrons pas à une réflexion honnête. Nous nous livrons à
une morale sélective.
La République islamique n’est pas apparue dans le
vide. Elle s’est élevée des décombres d’une démocratie écrasée par l’Occident,
comme beaucoup de dictatures qui l’ont suivie. Et tant que nous ne serons pas
prêts à nous demander comment nous en sommes arrivés là, nous continuerons à
commettre la même erreur : réagir aux flammes tout en ignorant l’étincelle.
Il en va de même pour le 7 octobre. Cette journée
a été horrible. Des vies innocentes ont été perdues. Mais l’isoler, le traiter
comme une explosion inexplicable du mal, c’est participer à une amnésie
narrative. Car l’horreur ne survient jamais de manière isolée. Elle éclate sous
la pression. Et si nous parlons du sang versé ce jour-là sans parler du siège,
de l’occupation, de la dépossession, des décennies de déshumanisation qui l’ont
précédé, nous ne recherchons pas la vérité. Nous préservons le pouvoir.
Netanyahou peut parler de menaces autant qu’il
veut. Il peut battre les tambours de guerre, se draper dans le langage de la
liberté et appeler au feu au nom de la civilisation.
Mais il ne craint pas l’Iran parce que c’est une
théocratie. Il le craint parce que c’est une mauvaise théocratie, une
théocratie qui ne se plie pas à ses règles et ne se soumet pas à son agenda.
Et au final, tout semble toujours revenir à la
Palestine.
En 2001, sept pays de la région soutenaient
ouvertement la cause palestinienne. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un, qui
est désormais dans le collimateur d’Israël.
Il est difficile de ne pas se poser la question
suivante : si le monde avait agi plus tôt, s’il avait combattu l’injustice au
cœur du conflit israélo-palestinien au lieu de la laisser perdurer pendant des
décennies, en serions-nous là aujourd’hui ? Cette guerre serait-elle également
nécessaire ?
Car peut-être, juste peut-être, que résoudre la
blessure la plus ancienne du Moyen-Orient pourrait commencer à en guérir d’autres.
L’histoire jugera ce moment avec beaucoup plus de
clarté que nous ne pouvons le faire aujourd’hui.
Mais je ne peux m’empêcher de penser que nous
avons peut-être le luxe du recul.
L’avenir de l’humanité exige peut-être que nous
allions droit au cœur du problème, dès maintenant.
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