04/03/2022

OSKAR LAFONTAINE
La guerra no es un medio de la política

 Oskar Lafontaine , NachDenkSeiten, 24-2-2022
Traducido por
Miguel Álvarez Sánchez, Tlaxcala

Todo el que quiera la paz debe actuar de acuerdo con esta máxima. Por lo mismo, el ataque de Rusia a Ucrania se debe condenar con la misma firmeza que las otras guerras de agresión que se han librado en los últimos años. No debemos olvidar nunca: Las víctimas de esta guerra no son Putin o Biden, sino los ucranianos y rusos que se ven todos los días en la televisión, muriéndose de hambre o de frío y sin saber a dónde huir. Rusia debe cesar inmediatamente las hostilidades y volver a la mesa de negociaciones. Escribe Oskar Lafontaine

Un manifestante con un cartel diciendo “No a la guerra” [Niet Voinie] es detenido por la policía durante una protesta contra el ataque de Rusia a Ucrania en Moscú, Rusia, el 24 de febrero de 2022 [Denis Kaminev/AP Photo]

A los estados beligerantes no se deben enviar armas. Por lo tanto, es de agradecer que el gobierno federal alemán, a pesar del creciente belicismo, se mantenga a ello. Los que suministran armas a las facciones beligerantes aumentan el sufrimiento del pueblo y prolongan la guerra.

El derecho internacional se aplica a todos. La brutal violación del derecho internacional por parte de Vladimir Putin no puede justificarse aludiendo a las guerras de Estados Unidos y sus aliados que violan el derecho internacional.

Las sanciones no afectan a Putin y sus oligarcas, sino que empeoran la vida de los rusos y ucranianos y de muchas personas de otros países afectadas por la guerra económica, incluida la gente de Alemania con menores ingresos que ya apenas puede pagar sus facturas de combustible y calefacción. Los belicistas de la política y el periodismo pueden hacer frente a la subida de los precios de la energía. Pero mucha gente en Alemania no lo puede. E incluso las decisiones correctas tomadas ayer por el gobierno federal no son suficientes para evitar que muchas personas tengan grandes dificultades para financiar su vida diaria.

Las sanciones revelan la doble moral y la hipocresía de los “valores” occidentales, es decir, de la comunidad de la mentira. Uno estaría tentado de exigir: ahora tenemos que castigar a Putin de la misma manera que castigamos a Clinton, Bush y Obama por sus guerras que violaron el derecho internacional. Ahora debemos castigar a los oligarcas rusos igual que hemos castigado a los oligarcas usamericanos en el pasado por sus guerras por petróleo y gas. Y así sucesivamente. Los que más se indignan ahora son los que han justificado todas las guerras de agresión con millones de muertos del pasado que violaron el derecho internacional.

La primera víctima de la guerra es siempre la verdad. Putin comenzó esta guerra con mentiras al igual que los presidentes usamericanos comenzaron sus guerras con la mentira de Tonkin, la mentira de la incubadora o la mentira sobre las supuestas armas de destrucción masiva.

El fuego de la guerra hay que extinguirlo lo antes posible. Es precisamente ahora cuando se puede demostrar la valía de la verdadera política de paz. Sólo si seguimos la norma ética: “No hagas lo que no quieras lo que te hagan a ti”, tendremos una oportunidad para restablecer la paz.

Al observar la “cobertura de la guerra” en los medios de comunicación, me gustaría escribir en los álbumes de familia de muchos periodistas lo que Stefan Zweig señaló en vísperas de la Primera Guerra Mundial y lo que Gabor Steingart nos recordó recientemente:

“Habían hecho redoblar el tambor del odio con fuerza, hasta penetrar en el oído de los más imparciales y estremecerles el corazón. Casi todos servían obedientemente a la “propaganda de guerra” en Alemania, Francia, Italia, Rusia y Bélgica y, por lo tanto, al delirio y el odio colectivos de la guerra, en vez de combatirla”.

Quienes ahora siembran el odio preparan ya la próxima guerra.

 

LAWRENCE WRIGHT
L'éléphante dans la salle d'audience : la bataille juridique pour la libération de Happy, prisonnière du zoo du Bronx

Lawrence Wright, The New Yorker, 28/2/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Lawrence Wright
(Oklahoma City, 1947), est un journaliste usaméricain. Membre de la New York University School of Law, il travaille pour le magazine The New Yorker depuis 1992. Il a remporté le prix Pulitzer de l'essai en 2007 pour son livre The Looming Tower: Al Qaeda and the Road to 9/11 à propos des attentats du 11 septembre 2001 et leurs suites. Son livre le plus récent est «The Plague Year: America in the Time of COVID». Bibliographie

 

Une curieuse croisade juridique visant à redéfinir la notion de personne soulève de profondes questions sur l'interdépendance des règnes animal et humain.

Les défenseurs des droits des animaux veulent que le zoo du Bronx relâche Happy, une éléphante suffisamment intelligente pour se reconnaître dans un miroir. Illustration de Gérard DuBois, The New Yorker

Selon le code civil de l'État de New York, une ordonnance d'habeas corpus peut être obtenue par toute "personne" qui a été détenue illégalement. Dans le comté du Bronx, la plupart de ces demandes arrivent au nom des prisonniers de Rikers Island. Les pétitions d'habeas corpus ne sont pas souvent entendues par les tribunaux, ce qui n'est qu'une des raisons pour lesquelles l'affaire portée devant la juge Alison Y. Tuitt de la Cour suprême de New York - Nonhuman Rights Project v. James Breheny, et al [Projet Droits des non-humains contre James Breheny et autres] - était extraordinaire. L'objet de la requête était Happy, une éléphante d'Asie du zoo du Bronx. La loi usaméricaine considère tous les animaux comme des "choses" - la même catégorie que les pierres ou les patins à roulettes. Cependant, si le juge accédait à la demande d'habeas corpus pour transférer Happy du zoo vers un sanctuaire, aux yeux de la loi, elle serait une personne. Elle aurait des droits.

L'humanité semble s'acheminer vers un nouvel accommodement radical avec le règne animal. En 2013, le gouvernement indien a interdit la capture et l'enfermement des dauphins et des orques, car il a été prouvé que les cétacés sont sensibles et très intelligents, et qu'ils « devraient être considérés comme des "personnes non humaines" » ayant « leurs propres droits spécifiques ». Les gouvernements de Hongrie, du Costa Rica et du Chili, entre autres, ont émis des restrictions similaires, et la Finlande est allée jusqu'à rédiger une déclaration des droits des cétacés. En Argentine, un juge a décidé qu'une orang-outan du parc écologique de Buenos Aires, nommé Sandra, était une "personne non humaine" et avait droit à la liberté - ce qui, en pratique, signifiait être envoyée dans un sanctuaire en Floride. Le juge en chef de la Haute Cour d'Islamabad, au Pakistan, a affirmé que les animaux non humains ont des droits lorsqu'il a ordonné la libération d'un éléphant nommé Kaavan, ainsi que d'autres animaux de zoo, dans des sanctuaires ; il a même recommandé l'enseignement du bien-être animal dans les écoles, dans le cadre des études islamiques. En octobre, un tribunal usaméricain a reconnu qu'un troupeau d'hippopotames initialement amené en Colombie par le baron de la drogue Pablo Escobar était une "personne intéressée" dans un procès visant à empêcher leur extermination. Le Parlement du Royaume-Uni examine actuellement un projet de loi, soutenu par le Premier ministre Boris Johnson, qui prendrait en compte les effets de l'action gouvernementale sur tout animal sensible.

Bien que la question immédiate posée à la juge Tuitt concernait l'avenir d'une éléphante isolée, l'affaire a soulevé la question plus large de savoir si les animaux représentent la dernière frontière dans l'expansion des droits en USAmérique - une progression marquée par la fin de l'esclavage et par l'adoption du suffrage des femmes et du mariage homosexuel. Ces jalons ont été le résultat de campagnes âprement disputées qui ont évolué sur de nombreuses années. Selon un sondage Gallup de 2015, un tiers des USAméricains pensent que les animaux devraient avoir les mêmes droits que les humains, contre un quart en 2008. Mais une telle protection des animaux aurait des conséquences considérables, notamment l'abandon d'un paradigme séculaire de lois sur le bien-être animal.

Les plaidoiries dans l'affaire Happy ont véritablement commencé le 23 septembre 2019, dans une salle d'audience en chêne peuplée de journalistes, de défenseurs et d'avocats du zoo. Kenneth Manning, représentant la Wildlife Conservation Society, qui gère le zoo du Bronx , a fait une brève plaidoirie d'ouverture. Il a souligné que le plaignant - le Nonhuman Rights Project, ou NhRP - avait déjà rebondi dans le système judiciaire de New York avec une demi-douzaine de pétitions similaires au nom des chimpanzés. Toutes avaient échoué. M. Manning a lu à haute voix un extrait de l'une de ces décisions, selon laquelle "les capacités cognitives et linguistiques affirmées d'un chimpanzé ne se traduisent pas par la capacité ou l'aptitude d'un chimpanzé, comme les humains, à assumer des obligations légales ou à être tenu légalement responsable de ses actes", et que l'animal ne pouvait donc pas avoir droit à l'habeas corpus. Le NhRP a rétorqué que "probablement dix pour cent de la population humaine de l'État de New York a des droits, mais ne peut pas assumer de responsabilités, soit parce qu'il s'agit de nourrissons ou d'enfants, soit parce qu'ils sont fous ou dans le coma ou autre".

Manning a exhorté la juge Tuitt à suivre les précédents : « La loi reste bien établie qu'un animal à New York n'a tout simplement pas accès à l'habeas-corpus, qui est réservé aux humains. Donc, il n'y a rien dans cette affaire qui traite d'une quelconque plainte pour mauvais traitement ou malnutrition ou quoi que ce soit concernant Happy l’éléphante ». Manning a résumé, « En bref, Votre Honneur, Happy est heureuse là où elle est ».

L'enclos de Happy, dans la section Wild Asia du zoo du Bronx, illustre l'esthétique de la conception des zoos de la fin du XXe siècle : créer l'illusion d'un habitat naturel et dissimuler, autant que possible, la réalité de la captivité. Il y a un chemin de terre battue, que Happy a emprunté seule au cours des seize dernières années, qui entoure un petit étang avec des nénuphars, où elle peut se baigner et se vautrer. Des arbres feuillus entourent un enclos d'un hectare, qui est dominé par un tronc d'arbre artificiel mort, habilement façonné avec des creux et une écorce écaillée. L'enclos doit être nettoyé en permanence, car une éléphante femelle d'Asie peut manger jusqu'à quatre cents livres [= 181 kg] de végétation par jour et en excréter environ soixante pour cent. Un autre éléphant, Patty, vit dans un enclos adjacent. De novembre à mai, lorsque le climat new-yorkais peut être froid, les animaux sont, selon ce qu’on sait, enfermés dans des stalles séparées faisant à peine deux fois la longueur de leur corps.

03/03/2022

ANTONIO MAZZEO
Fragatas y aviones de combate italianos para Colombia : el ex líder comunista Massimo D'Alema actúa de intermediario en las duquerías de Leonardo

Antonio Mazzeo, 2-3-2022
Original : Fregate e caccia da guerra per la Colombia. Ci pensa Massimo D’Alema

Traducido por María Piedad Ossaba, Tlaxcala

Cuatro corbetas, dos submarinos y un número indeterminado de cazas interceptores producidos por las principales empresas del complejo industrial militar italiano (Fincantieri y Leonardo SpA), que se venderán a las fuerzas armadas de Colombia, país señalado por Amnistía Internacional y Human Rights Watch por gravísimas violaciones de los derechos humanos.

Una transacción de nueve cifras en la que trabaja desde al menos septiembre de 2021 un conocido bufete jurídico-comercial de Miami, Florida, que representa a uno de los políticos más conocidos de Italia, Massimo D'Alema, presidente del Consejo de Ministros desde octubre de 1998 hasta abril de 2000 y luego jefe de la Copasir, la comisión parlamentaria de control de los servicios secretos desde 2010 hasta 2013.

Sin embargo, el asunto de las armas se habría desvanecido (por ahora) debido a la oposición de algunos miembros de la berlusconiana Forza Italia, presumiblemente celosos de la iniciativa del antiguo líder político de la FGCI (la Federación de la Juventud del Partido Comunista), luego secretario nacional del Partido Democrático de la Izquierda, después presidente de los Demócratas de la Izquierda y finalmente diputado del Partido Democrático y cofundador de Artículo Uno [una escisión del PD en 2017].

 

Massimo D'Alema: detrás de él, el lema «Unidos por la paz»

“He intentado ayudar a las empresas italianas a recibir un pedido importante”, admitió Massimo D'Alema al diario Repubblica. "Me contactaron personalidades colombianas que dijeron estar dispuestas a apoyar esta hipótesis. Obviamente, alguien se molestó e intervino para evitarlo. Tanto el gobierno como la embajada colombiana habían sido claramente advertidos de todo. Me parece increíble lo fácil que es reclutar a alguien en Italia que esté dispuesto a perjudicar a nuestro país". En cambio, los directivos de Leonardo y Fincantieri prefirieron atrincherars) tras un embarazoso silencio, aunque nunca habían ocultado que tenían en la mira a Colombia como cliente principal en América Latina.

El grupo Leonardo S.p.A., en particular, ya ha suministrado al país sudamericano helicópteros, sistemas de defensa y radares de control del tráfico aéreo. Hace menos de un año, firmó un contrato con la Fuerza Aérea Colombiana (FAC) para la entrega de un helicóptero de transporte VIP AW139 al presidente de la República.

La aeronave sustituye al helicóptero Bell 412 que se estrelló el 25 de octubre de 2019 en un accidente en el que perdieron la vida seis militares que iban a bordo. "La elección recayó en el helicóptero italiano por considerarse perfectamente compatible con la misión de transporte del Presidente de la República", informa la nota emitida por la FAC. El helicóptero AW13 fue configurado por Leonardo para acomodar hasta ocho pasajeros, con una suite especial de autoprotección y sofisticados sistemas de seguridad.

“Con el suministro de este helicóptero, la Fuerza Aérea Colombiana se convierte en el primer cliente militar del país, al tiempo que la flota del AW139 se amplía en Colombia, donde este modelo ya ha alcanzado el éxito para las operaciones de transporte civil en apoyo a la industria del Petróleo y el Gas, con la entrada en servicio de cinco helicópteros con el importante operador Helistar S.A.S.”, comentó la dirección de Leonardo SpA. “La variante militar del AW139M también se propone para satisfacer los requisitos polivalentes de la Fuerza Aérea, el Ejército, la Policía y la Armada de Colombia (...) Con más de 400 helicópteros civiles y militares en servicio en América Latina hoy en día, Leonardo es uno de los mayores actores en el mercado de referencia en toda la región”.

También en la primavera de 2021, con motivo de un ejercicio aeronaval en el que participaron Colombia, USA y Perú, el grupo Leonardo suministró, con carácter experimental, el DART-Strales, un sistema compuesto por una antena de radar que genera un haz de radiofrecuencia que guía los proyectiles DART (Driven Ammunition Reduced Time Of Flight) de calibre 76/62 hacia los objetivos. El DART-Strales se montó a bordo de la fragata Independencia de la Armada colombiana (clase Almirante Padilla) y se utilizó para disparar a objetivos que simulaban misiles antibuque entrantes.



La firma del Memorandum of Understanding  (como dicen en "italiano") Leonardo-CODALTEC

Kwame Anthony Appiah
Psychologie de la libération
Comment Frantz Fanon en est venu à considérer la violence comme une thérapie

Kwame Anthony Appiah, The New York Review of Books, 24/2/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

  Kwame Anthony Appiah (Londres, 1954), de père ghanéen et de mère anglaise, enseigne la philosophie à l'université de New York. Ses derniers livres sont As If: Idealization and Ideals et The Lies That Bind: Rethinking Identity.

 Compte rendu de lecture de:
The Wretched of the Earth (Les damnés de la terre)
by Frantz Fanon, translated from the French by Richard Philcox, with a preface by Jean-Paul Sartre, a foreword by Homi K. Bhabha, and an introduction by Cornel West. Grove, 251 pp., $17.00 (paper)

Ils voulaient l'attraper. C'était à la fois une source de terreur et une forme d'hommage. Frantz Fanon était visé en tant que révolutionnaire algérien, mais il était aussi psychiatre, et il savait comment les émotions pouvaient être liées à leurs contraires.

En mai 1959, pour ne citer qu'un incident marquant, il se rendait en voiture près d'une base que des insurgés algériens avaient installée à la frontière marocaine lorsque le conducteur a perdu le contrôle de la voiture et Fanon en a été éjecté, se blessant gravement au dos. Certains ont soupçonné que la route avait été minée, d'autres que le véhicule avait été saboté.

Il a été transporté par avion à Rome pour y être soigné. Il l'a échappé belle : ses compagnons du Front de libération nationale (FLN) d'Algérie ont fait en sorte qu'une voiture vienne le chercher à l'aéroport, voiture que leurs adversaires ont piégée avec des explosifs. Fanon n'a été épargné que parce que la balle perdue d'un enfant a déclenché la bombe prématurément. Ensuite, un journal local a annoncé l'arrivée d'un responsable du FLN blessé, auquel l'explosion semblait liée, et a même donné le nom de l'hôpital qui le soignait - où, comme prévu, deux hommes armés ont fait irruption dans la chambre qui lui avait été attribuée. Ils dégainent leur arme vers un lit vide, Fanon s'étant furtivement fait déplacer.

Frantz Fanon, par Johnalynn Holland, NYB

 Un an plus tard, il se trouvait à l'aéroport de Monrovia, au Liberia, dans l'attente d'un vol pour Conakry, en Guinée, lorsque lui et ses compagnons du FLN ont appris que l'avion était plein. Des employés d'Air France, faisant preuve d’une merveilleuse sollicitude, lui assurent que la compagnie les réservera sur un vol partant le lendemain et prendra en charge leurs frais de nuit. Fanon était sur ses gardes : tout le monde se souvenait de la capture du chef du FLN, Ahmed Ben Bella, quatre ans plus tôt, alors que son vol Rabat-Tunis, avec équipage français, avait fait une escale imprévue à Alger. Alors que Fanon et ses camarades partent pour Conakry en voiture, le vol sur lequel ils ont été replacés, est détourné vers Abidjan et fouillé par la sécurité française. Encore une fois, ils l'ont échappé belle.

Comment un psychiatre s'est-il retrouvé au milieu d'une telle folie ? Comment un fils des Antilles est-il devenu un révolutionnaire algérien ? Et comment une figure autrefois obscure a-t-elle pu devenir l'intellectuel révolutionnaire « le plus pertinent pour le XXIe siècle », comme l'écrit Cornel West dans une introduction énergique à l'édition du soixantième anniversaire de The Wretched of the Earth ? Pour comprendre où Fanon a fini, il est utile de comprendre comment il a commencé.

C'est un fait historique gênant que nos leaders anticolonialistes les plus féroces soient généralement issus de la bourgeoisie éduquée. Né en 1925 sur l'île antillaise de la Martinique, une possession française, Fanon a été élevé dans une famille qui avait des domestiques, des leçons de musique privées pour ses sœurs et, en plus d'une maison confortable dans la capitale, une maison de campagne avec des jardins luxuriants. Son père était un fonctionnaire qui travaillait au bureau des douanes ; sa mère, qui avait manifestement des ancêtres alsaciens, avait un magasin et - selon David Macey, l'auteur de la biographie la plus fouillée et la plus judicieuse de Fanon1 - le sens des affaires. Il a reçu une excellente éducation au lycée Schoelcher, où le poète Aimé Césaire enseignait la littérature.

Mais la liberté, selon Fanon, « était indivisible » et, en 1944, il s'est engagé dans les Forces françaises libres de Charles de Gaulle, ce qui lui a donné une autre formation. Stationné en Afrique du Nord, il est confronté à la hiérarchie raciale sous une forme plutôt nue. Fanon devait peut-être faire face à ses propres préjugés - les habitants des Antilles françaises étaient élevés dans le mépris des habitants de l'Afrique subsaharienne - mais il s'est avéré que les Arabes détestaient les Noirs sans distinction, tandis que les Français blancs, même s'ils plaçaient les Antillais au-dessus des Arabes et des Subsahariens, étaient convaincus de leur supériorité sur tous les peuples de couleur.

Lorsque le bataillon de Fanon est envoyé dans le nord de la France et sur le Rhin, où il reçoit des éclats d'obus dans la poitrine, son désenchantement s'accentue. Il s'était mis en danger pour « des paysans qui n'en ont rien à faire ». Au milieu des festivités qui ont marqué la libération de la France, les Françaises n'osent pas danser avec un Noir qui a risqué sa vie pour elles. C'était un Français cultivé, un étudiant de ses trésors civilisationnels. Pourquoi n'était-il pas traité comme tel ?

Pourtant, ses états de service lui permettent d'accéder gratuitement à l'enseignement supérieur, et il se retrouve à Paris, à l'école de dentisterie. « Il y a trop de nègres à Paris », écrit-il à son frère Joby, faisant manifestement référence aux Africains dans le mépris desquels il a été élevé, « et moins je les vois, mieux je me porte ». Après quelques semaines, il s'installe à Lyon, suit quelques cours de qualification en sciences et entreprend des études de médecine. Entre-temps, il lit beaucoup, assiste aux cours de philosophie de Maurice Merleau-Ponty et a une fille avec une camarade de la faculté de médecine. (Après avoir reconnu sa paternité, il a décidé qu'il ne voulait plus rien avoir à faire avec cette femme ni avec leur fille). Il a écrit des pièces de théâtre, peut-être en partie parce que Jean-Paul Sartre, le parangon de l'intellectualisme français, l'a fait. Mais Fanon a toujours eu le sens du drame, dans les grandes comme dans les petites choses : écrivant à sa chère maman de Lyon, il déclarait : « Sans café, je crois que je vais mourir ».

Il allait aussi au cinéma. Ce n'est pas un fait accessoire à son sujet. Fanon était un cinéphile - "cinéphile" est un terme trop fastidieux pour quelqu'un qui aimait les films populaires et aimait s'en plaindre. Un ami qui s'était engagé dans l'armée avec lui se souvient qu'il s'était fait avoir en regardant un film affreux pendant une permission, après que Fanon lui eut assuré qu'il s'agissait d'une "merveilleuse comédie musicale américaine". Les spécialistes ont beaucoup à dire sur l'influence de Merleau-Ponty sur Fanon, et assez peu sur celle des films. Pourtant, le grand écran parlait à Fanon ; c'est pourquoi il se plaisait à dialoguer avec lui.

02/03/2022

ANNAMARIA RIVERA
Des droits humains aux droits des vivants: l'inscription de la protection animale dans la constitution italienne

Annamaria Rivera, Comune-Info, 28/2/2022
Original : Dai diritti umani a quelli dei viventi
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Rarement, comme ces jours-ci, nous avons pu mesurer pleinement la chance de ceux qui sont nés dans un pays dont la Constitution répudie la guerre (que cette répudiation soit parfois ignorée de façon désastreuse est une autre paire de manches, quoique sacro-sainte). Il ne serait pas si étrange que les enfants nés cette année - en supposant que l'espèce humaine ne s'éteigne pas - puissent un jour se considérer comme chanceux parce que leur Constitution répudie le mauvais traitement et la mise à mort des animaux sans distinction d'espèce. Y a-t-il un lien entre ces deux déclarations ?

Pour Pythagore, c'est certainement le cas : tant que l'homme continuera à détruire toutes les formes de vie qu'il considère comme inférieures, il ne trouvera pas la vraie paix, aurait dit ce mathématicien faisant autorité. Deux mille ans plus tard, il sera repris par l'écrivain pacifiste allemand Edgar Kupfer-Koberwitz, arrêté par la Gestapo à Ischia et déporté à Dachau jusqu'en 1945 : « Je pense que tant que l'homme torturera et tuera des animaux, il torturera et tuera aussi des êtres humains - et il y aura des guerres - parce que tuer s'exerce et s'apprend petit à petit ». Bien sûr, comme nous ne le savons que trop bien, ce qui est écrit sur papier prend au mieux des décennies et a du mal à être transféré dans la pratique quotidienne réelle. Et pourtant, ces quelques mots pour défendre la vie des non-humains, finalement ajoutés le 8 février aux articles 9 et 41 de la Constitution italienne, pourraient avoir une petite signification d'époque. Comme l'écrit ci-dessous Annamaria Rivera, qui possède une certaine expertise en matière de droits bafoués, pour s'en être occupée pendant des décennies, il dépendra de l'engagement et de la lutte des associations et des personnes (et des juristes) antispécistes, défenseurs des animaux et écologistes que ces déclarations ne restent pas sur le papier. Mais surtout, peut-être aujourd'hui plus que jamais, cela dépendra de tous ceux qui pensent que tuer ou torturer pour quelque raison que ce soit n'est pas licite, jamais, pour quiconque, quel que soit le nombre de ses jambes.-NDLR Comune-Info

 

Comme vous devez le savoir, le 8 février dernier, la Chambre des députés a voté un amendement qui, par le biais d'un projet de loi, vise à modifier notre Constitution, en insérant dans les articles 9 et 41 la protection, sur notre territoire, non seulement de l'environnement, de la biodiversité et des écosystèmes, mais aussi des animaux, sans aucune distinction d'espèce et de « rôle ». Cela impliquerait que les animaux dits « de chasse » soient également protégés, ainsi que les animaux élevés pour l'alimentation ou pour la production de peaux et de fourrures, qui aujourd'hui sont pour la plupart destinés, après d'indicibles mauvais traitements et tortures, à devenir de la « viande », c'est-à-dire des cadavres marchandisés.

Je vous rappelle que l'article 13 du titre II du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule déjà que « l'Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles ».

Il existe également une directive de 1998 qui fixe des critères généraux pour la protection des animaux élevés pour l'alimentation, la laine, la peau, la fourrure ou d'autres fins, y compris les poissons, les reptiles et les amphibiens. Elle se fonde à son tour sur la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages de 1978, qui stipulait déjà à l'article 3 que « Tout animal doit bénéficier d'un hébergement, d'une alimentation et de soins qui (...) sont appropriés à ses besoins physiologiques et éthologiques ». 

Aujourd'hui, enfin, la protection et la préservation des non-humains font partie des principes fondamentaux de la République italienne. Cependant, on ne peut pas considérer comme acquis que la constitutionnalisation de la protection de tous les animaux affectera l'horreur de l'agriculture intensive et des abattoirs automatisés, typiques des sociétés industrialo-capitalistes. À moins d'une bataille politique et juridique constante et difficile ; à moins que les associations et les juristes ne soient prêts à s'engager pour que cet instrument constitutionnel prenne un sens et des effets concrets, et serve à inspirer des lois nationales qui conduisent à l'abolition progressive des lager [camps de concentration] pour les non-humains ainsi que de la chasse.

Il faut notamment savoir que, selon une étude publiée le 1er février dernier dans la revue Plos Climate, l'élimination totale de l'élevage intensif au cours des quinze prochaines années et son remplacement par une végétation indigène et spontanée entraînerait une réduction nette de 68 % des émissions de dioxyde de carbone au niveau mondial.   

ANTONIO MAZZEO
Des frégates et des avions de chasse italiens pour la Colombie : l’ancien dirigeant communiste Massimo D'Alema joue les intermédiaires

 Antonio Mazzeo, 2/3/2022
Original : Fregate e caccia da guerra per la Colombia. Ci pensa Massimo D’Alema
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Quatre corvettes, deux sous-marins et un nombre indéterminé de chasseurs d'interception produits par les principales entreprises du complexe militaro-industriel italien (Fincantieri et Leonardo SpA), seront vendus aux forces armées de Colombie, un pays mis à l’index par Amnesty International et Human Rights Watch pour de très graves violations des droits humains. Une transaction à neuf chiffres sur laquelle un célèbre cabinet juridico-commercial de Miami, en Floride, travaille depuis au moins septembre 2021, représentant l'un des hommes politiques les plus connus d'Italie, Massimo D'Alema, président du Conseil des ministres d'octobre 1998 à avril 2000, puis chef de la Copasir, la commission parlementaire de contrôle des services secrets de 2010 à 2013. Toutefois, l'affaire des armes aurait été suspendue (pour l'instant) en raison de l'opposition de certains membres de Forza Italia, vraisemblablement jaloux de l'initiative de l'ancien dirigeant politique de la FGCI (Fédération des jeunes du Parti communiste), puis secrétaire national du Parti démocratique de la gauche, ensuite président des Démocrates de la gauche et enfin député du Parti démocratique et cofondateur du parti Articolo Uno [une scission du PD de 2017].

Massimo d’Alema : derrière lui, le slogan « Unis pour la paix »

« J'ai essayé de donner un coup de main aux entreprises italiennes pour qu'elles prennent une commande importante », a admis Massimo D'Alema au quotidien Repubblica. « J'ai été contacté par des personnalités colombiennes qui se sont dites prêtes à soutenir cette hypothèse. De toute évidence, quelqu'un a été contrarié et est intervenu pour l'empêcher. Le gouvernement et l'ambassade de Colombie avaient été clairement avertis de tout. Je trouve incroyable la facilité avec laquelle il est possible de recruter en Italie quelqu'un qui est prêt à nuire à notre pays ». De leur côté, les dirigeants de Leonardo et de Fincantieri ont préféré se retrancher derrière un silence embarrassé, bien qu'ils n'aient jamais caché qu'ils visaient de très près la Colombie en tant que client de premier plan en Amérique latine.

Le groupe Leonardo S.p.A., en particulier, a déjà fourni au pays sud-américain des hélicoptères, des systèmes de défense et des radars de contrôle du trafic aérien. Il y a moins d'un an, il a conclu un contrat avec les Forces aériennes colombiennes (FAC) pour la livraison d'un hélicoptère AW139 dans sa version «  transport de VIP » au président de la République. L'appareil a remplacé l'hélicoptère Bell 412 qui s'est écrasé le 25 octobre 2019 dans un accident au cours duquel six militaires à bord ont perdu la vie. « Le choix s'est porté sur l'hélicoptère italien car il a été jugé parfaitement compatible avec la mission de transport du Président de la République », rapporte la note publiée par les FAC. L'hélicoptère AW139 a été configuré par Leonardo pour accueillir jusqu'à huit passagers, avec une suite spéciale d'autoprotection et des systèmes de sécurité sophistiqués.

« Avec la fourniture de cet hélicoptère, l'armée de l'air colombienne devient le premier client militaire du pays, tandis que la flotte d'AW139 s'agrandit en Colombie, où ce modèle a déjà connu le succès pour les opérations de transport civil en soutien à l'industrie du pétrole et du gaz, avec cinq hélicoptères entrant en service chez l'important opérateur Helistar S.A.S. », a commenté la direction de Leonardo SpA. « La variante militaire de l'AW139M est également proposée pour répondre aux exigences multi-rôles de l'armée de l'air, de l'armée de terre, de la police et de la marine colombiennes (...) Avec plus de 400 hélicoptères civils et militaires en service en Amérique latine aujourd'hui, Leonardo est l'un des plus grands acteurs du marché de référence dans toute la région ».

Toujours au printemps 2021, à l'occasion d'un exercice aéronaval auquel ont participé la Colombie, les USA et le Pérou, le groupe Leonardo a fourni, à titre expérimental, le DART-Strales, un système composé d'une antenne radar qui génère un faisceau de radiofréquences guidant vers des cibles des projectiles DART (Driven Ammunition Reduced Time Of Flight) de calibre 76/62. Le DART-Strales a été monté à bord de la frégate Independiente (classe Amiral Padilla) de la marine colombienne et a été utilisé pour tirer sur des cibles simulant des missiles antinavires entrants.

La signature du Memorandum of Understanding (comme on dit en "italien") Leonardo-CODALTEC

À l'occasion de la foire internationale de Bogota entièrement dédiée aux systèmes d'armes et de sécurité Expodefensa, qui s’est tenue du 29 novembre au 1er  décembre 2019, les responsables de Leonardo ont signé un protocole d'accord avec le groupe de construction navale colombien CODALTEC (COrporación De ALta TECnologia para la defensa), afin de " promouvoir la commercialisation de solutions dans le domaine des systèmes de défense aérienne, C4I, cybersécurité et systèmes de protection des infrastructures nationales ».

01/03/2022

GIDEON LEVY
La bouilloire israélienne et la marmite russe

 Gideon Levy, Haaretz, 27/2/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël n'a pas le droit de critiquer la Russie. Un pays qui a plus d'une fois agi exactement comme la Russie, en se déchaînant, n'a pas le droit de critiquer l'agression et l'invasion. Un pays qui a imposé une occupation violente pendant plus de 50 ans ne peut pas critiquer une occupation de trois jours.

Des civils ukrainiens ajustent leurs armes pour repousser les forces russes à Kiev, en Ukraine, samedi. Photo : Mikhail Palinchak /AP

La justification d'une invasion par la Russie, la propagande et les mensonges, semblent tirés du cahier de stratégie d'Israël chaque fois qu'il a envahi Gaza ou le Liban. Israël se sent toujours menacé, tout comme la Russie, et tous deux nient les droits nationaux des peuples qu'ils occupent. Les Ukrainiens ne sont pas un peuple, les Palestiniens non plus. Israël a un droit ancestral sur la Cisjordanie, et la Russie a un droit similaire sur l'Ukraine - et aux yeux des deux, cela signifie le droit fallacieux à la souveraineté. La diabolisation est également similaire : les Ukrainiens sont des nazis, les Palestiniens sont des terroristes ; ce sont tous deux des mensonges de propagande.

Le soulagement comique dans cette guerre maudite a été fourni par le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid : « L'attaque russe contre l'Ukraine est une grave violation de l'ordre international », a-t-il déclaré. Lapid, semble-t-il, n'éprouve aucune honte à prononcer ces mots. Se pourrait-il que sa conscience de soi soit si faible, ou peut-être est-ce le cynisme, l'hypocrisie et le deux poids-deux mesures qui a atteint de nouveaux sommets ?

Quoi qu'il en soit, l'ordre international selon Israël est très flexible. Une invasion russe de l'Ukraine est évidemment une violation de l'ordre international. En revanche, l'invasion et l'occupation du Liban par Israël il y a 18 ans constituent l'ordre international dans ce qu'il a de meilleur. L'ordre international, ce sont les invasions fréquentes de Gaza, sans parler de l'ordre international évident dans lequel Israël contrôle un autre peuple et détient par la force des territoires occupés pendant des décennies, contrairement à la position de toutes les institutions internationales, en fait, du monde entier.