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06/10/2023

GIDEON LEVY
Israël crache à la gueule du monde, pas seulement sur les églises et les chrétiens

 Gideon Levy, Haaretz, 5/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est facile d’être choqué par les Juifs qui crachent sur les ecclésiastiques chrétiens à Jérusalem. C’est dégoûtant et abominable. Mais il n’y a aucune raison d’être surpris.

Il ne s’agit pas seulement d’une probable ancienne coutume juive, comme l’a affirmé Elisha Yered, soupçonné d’avoir entravé une enquête sur un meurtre. Il s’agit également d’une coutume israélienne acceptable et normale, qui reflète la manière dont le pays se comporte. Israël n’a rien à cirer des crachats lancés contre les chrétiens. Ne jouons pas les vertus offensées.

Ancienne coutume juive ou pas, il y avait dans notre enfance des enfants dans la Tel Aviv laïque qui disaient cracher chaque fois qu’ils passaient devant une église. Cela ne nous dérangeait pas le moins du monde. La plupart d’entre nous n’osaient pas entrer dans une église, de peur d’être punis. Le signe de croix était encore plus effrayant. Nous voyions des joueurs de football se signer et, de temps en temps, nous mettions notre courage à l’épreuve : nous nous signions en cachette et attendions de voir ce qui se passerait.

Dans le lycée laïque de mon enfance, il était obligatoire de porter une kippa en cours de Bible, et nous embrassions le livre saint chaque fois qu’il tombait par terre. Dans cette atmosphère, les chrétiens suscitaient l’effroi et la répulsion. Aujourd’hui encore, j’ai une pile de Bibles que j’ai reçues au fil des ans et je n’ai pas le courage de les jeter dans la poubelle de recyclage comme je le ferais avec d’autres livres dont j’ai plus d’un exemplaire.

Dans l’Israël laïque des années 1960, qui était horriblement religieux, on nous a inculqué la croyance que le judaïsme était la religion supérieure à toutes les autres et que ses croyants étaient les élus. Toutes les autres religions étaient considérées comme arriérées et leurs croyants comme des adorateurs d’idoles, des primitifs, comme s’il y avait une différence entre adorateurs d’idoles et adorateurs de Dieu. Et nous, les enfants du peuple juif, qui n’étions soi-disant pas des adorateurs d’idoles, étions considérés comme l’incarnation du progrès et des Lumières.

Toutes les autres religions et nations avaient tout appris de nous, uniquement de nous. C’est ce qu’on nous a dit. Lorsque vous commencez de cette manière dans les années fondatrices du pays, 75 ans plus tard, vous avez des gens qui crachent sur les chrétiens. C’est une ligne droite entre eux et ce qu’on nous a appris à l’école laïque. Mais aujourd’hui, nous nous considérons comme des gens éclairés et ouverts sur le monde, et nous avons donc été choqués par les crachats.

Et qu’en est-il de l’État, dont l’une des langues officielles est le crachat ? Comment décrire la façon dont Israël traite les institutions internationales dont il bafoue toutes les décisions depuis des décennies ? Ne crache-t-il pas en réponse à chaque résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, du Conseil de sécurité et de la Cour internationale de Justice de La Haye ?

Israël crache sur tous les rapports de toutes les organisations de défense des droits humains, ainsi que, de fait, sur la position de la majorité absolue du monde. Il crache sur tout le monde. Israël est la victime ultime, toujours. La seule victime de l’histoire de l’humanité, ce qui lui permet de faire n’importe quoi. Même cracher. Personne ne nous prêchera comment nous comporter. Nous avons inventé l’irrigation au goutte-à-goutte, n’est-ce pas ? Et quiconque ose nous faire la leçon se heurtera à un barrage de crachats.

Au fond d’eux-mêmes, de nombreux Israéliens participent aux crachats contre les chrétiens à Jérusalem. Nous sommes meilleurs, plus forts et plus sages que le monde entier. Lorsque de jeunes Israéliens ignorants se rendent dans le monde, en Amérique du Sud ou en Extrême-Orient, ils traitent les locaux avec condescendance, comme aucune autre nation n’ose le faire. Les Américains sont naïfs, les Suédois sont carrés, les Allemands sont secs et les Chinois sont étranges. Il n’y a que nous qui soyons les plus grands.

Quiconque assiste à des contacts entre Israéliens et étrangers peut ressentir cet esprit de condescendance dans chaque conversation. Il s’accompagne d’un rôle constant de victime, non seulement à cause de l’Holocauste, mais aussi à cause du présent. Nous sommes si tolérants et si malheureux. Ils nous tirent dessus et menacent de nous éliminer, la terreur règne et il est dangereux et difficile de vivre ici, disent les membres d’un des peuples les plus gâtés de l’univers, qui vivent dans le décile supérieur des nations.

Et après tout cela, nous ne devrions pas cracher sur les chrétiens qui polluent notre  Via Dolorosa ?

Lire Pluie de crachats sur Jérusalem

05/10/2023

ANTONIO MAZZEO
Pont de Messine : les comptes fantastiques de Webuild & Co

Antonio Mazzeo, Blog, 1/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Le Pont sur le détroit : “une œuvre de référence de l’ingénierie italienne dans le monde”. C’est la définition utilisée par le géant de la construction Webuild* dans le communiqué de presse annonçant la “livraison de la documentation mettant à jour le projet final” à la Società Stretto di Messina S.p.A..

Le préfet de police Gianni De Gennaro, le président nommé par Webuild à la tête d'Eurolink


En attendant de connaître toutes les “mises à jour” prévues pour contourner les innombrables aspects critiques du point de vue technique et de l’ingénierie, socio-environnemental et économique de l’infrastructure pour la liaison stable entre Charybde et Scylla, il y a un passage de la note de Webuild qui frappe par ses approximations et son caractère de propagande ridicule.

 

« La structure accueillera deux routes à trois voies dans chaque direction (deux voies de circulation et une voie d’urgence) et une ligne ferroviaire à double voie, permettant un flux de 6 000 véhicules par heure et jusqu’à 200 trains par jour, révolutionnant la mobilité de la zone et de tout le sud de l’Italie », tonitrue le grand groupe économico-financier.

 

Je laisse aux économistes et aux universitaires le soin d’examiner scientifiquement l’“étude” économique et de transport de Webuild, et je me permettrai seulement de faire quelques calculs au boulier pour mettre en évidence le caractère insoutenable et le surdimensionnement des données.

 

La traversée du pont par 6 000 véhicules par heure correspond à 144 000 véhicules par jour ou 52 560 000 par an. En ce qui concerne les trains (aujourd’hui un nombre correspondant aux doigts d’une main suite au démantèlement progressif du trafic ferroviaire dans le détroit par Trenitalia), les 200 quotidiens correspondraient à 73 000 trains par an.

 

Imaginons que les véhicules et les trains circulent sur le pont avec un nombre de passagers vraiment minimal, 2 par voiture et pas plus de 200 par train, ce qui représente un énorme gaspillage de ressources financières pour les particuliers et pour Trenitalia.

 

En termes de véhicules, 105 120 000 passagers passeraient ainsi en un an, et 14 600 000 en train. Au total, cela représenterait 119 720 000 passagers en transit, soit près de douze fois plus que ce qui a été calculé pour l’année 2022 par l’Autorité portuaire du détroit.

 

Plus précisément, l’autorité a documenté qu’entre les ports de Messine, Villa San Giovanni et Reggio Calabria, « plus de 10 000 000 de passagers transitent chaque année, à pied et à bord d’environ 1 800 000 voitures et 400 000 véhicules lourds, auxquels s’ajoutent plus de 1 500 000 passagers et 800 000 véhicules lourds et voitures sur les itinéraires Tremestieri-Villa San Giovanni-Reggio Calabria ».

 

Compte tenu du coût prévu des péages pour les véhicules et les poids lourds, deux/trois fois supérieur à la valeur du billet payé aujourd’hui sur les ferries, il est tout simplement inimaginable que tous les véhicules choisissent le pont (voir ce qui se passe dans la Manche, où le tunnel enregistre chaque année d’énormes déficits économiques, précisément parce que ceux qui voyagent entre la France et le Royaume-Uni continuent à privilégier le ferry).

 

Mais imaginons aussi un scénario dans lequel plus aucun ferry n’emprunterait le détroit. L’Autorité portuaire du détroit a estimé qu’un quart des passagers en transit sont des navetteurs qui se déplacent quotidiennement, principalement pour leur travail, entre les provinces de Messine et de Reggio de Calabre : seraient-ils prêts à subir des tranches très longues entre les deux capitales, sur des kilomètres et des kilomètres entre tunnels, galeries et viaducs, alors qu’ils peuvent désormais rejoindre les centres-villes en hydroglisseur avec des temps de trajet inférieurs à 20/30 minutes ? Impossible à croire.

 

Un quart de 10 millions correspond à 2 500 000 passagers, soit 2 500 000 personnes qui ne doivent pas lutter pour atteindre les maxi-piles entre Scylla et Charybde mais qui ont besoin d’un moyen de transport rapide, confortable et écologiquement durable.

 

En fin de compte, seuls 7 500 000 passagers traversent le détroit chaque année pour parcourir des distances moyennes. Mais Webuild fera les choses en grand, il y aura de la place pour tout le monde, soit près de quinze fois la demande réelle de mobilité. Pour balancer des conneries, faut surtout pas se priver. De toute façon, c’est l’État qui casque.

Note du traducteur

*Webuild S.p.A. est depuis 2020 le nouveau nom de Salini Impregilo S.p.A.. C’est le principal groupe italien de bâtiment et travaux publics, avec un chiffre d’affaires de 8,2 milliards d’euros en 2022. Son PDG Pietro Salini, membre de la Commission Trilatérale, est le petit-fils de Pietro Salini, fondateur de l’entreprise principale du conglomérat en 1936 et le fils de Simonpietro, membre de la loge P2 de Licio Gelli. La première réalisation du fondateur fut le stade de 100 000 places construit sur ordre de Mussolini pour accueillir Hitler, appelé Stade olympique depuis 1960, suivi de grands travaux en Éthiopie grâce aux bons offices de Giulio Andreotti, ou du métro de Stockholm ou encore du doublement du Canal de Panama. En 2005, Impregilo était le premier de cordée d’un consortium d’entreprises, Eurolink S.C.p.A., qui remporta l’appel d’offres pour la construction du pont sur le détroit, avec un devis de 3,88 milliards d’euros et un temps prévu de réalisation de 70 mois. La société créée à cet effet, Stretto di Messina S.p.A., fut dissoute 2 ans plus tard. Les aventures byzantines du projet dans les années qui ont suivi sont dignes d’un roman de Leonardo Sciascia. En 2012, le gouvernement Monti a voté un paiement de 300 millions d’euros de pénalités pour non-réalisation du projet. En 2013, la société a été mise en liquidation.

18 ans plus tard, Eurolink refait surface, grâce au duo Meloni-Salvini, mais avec d’autres composantes : Webuild (45%), l’Espagnol Sacyr (18,7%), Condotte d’Acqua (15%), CMC (13%), le Japonais IHI (6,3%) e Consorzio ACI (2%). Et Webuild nomme à sa tête Gianni De Gennaro, ancien chef de la police, ancien PDG de Leonardo (ex Finmeccanica) et président depuis 10 ans du Centre d’Études Américaines. Idem pour la “ Società Stretto di Messina”, que l’on croyait liquidée depuis 10 ans.

 N’oublions pas que la scène se joue à Messine, qui fut, avec Syracuse, la seule cité sicilienne à ne pas porter plainte contre le propréteur Verrès pour concussion, abus de pouvoir, détournement de fonds et vols d’œuvres d’art. Cela Se passait en l’an 70 avant J.-C... 2093 ans plus tard, la Sicile -et l’Italie avec elle - attend en vain son nouveau Cicéron.

Autres articles en français sur ce grand projet inutile
 

Les drapeaux rouges se suivent et ne se ressemblent pas


NIR HASSON
Pluie de crachats sur Jérusalem

Ci-dessous deux articles de Nir Hasson dans Haaretz des 3 et 5 octobre 2023 sur une pratique des fous d’Adonaï consistant à cracher sur tout ce qui est chrétien, un exemple de plus du caractère d’Israël : le plus grand asile psychiatrique de la planète. Waddie Abu Nasser, conseiller et ancien porte-parole de l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre sainte., a déclaré mercredi à la radio de l'armée israélienne que l'incident (rapporté ci-dessous) avait atteint les plus hautes sphères de la foi. "L'incident a atteint le monde entier, jusqu'au grand patron", a-t-il déclaré. "Le pape est informé de chaque incident, il est furieux". (NdT)

Augmentation du nombre de juifs crachant sur des fidèles chrétiens à Jérusalem

Nir Hasson, Haaretz, 3/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que des dizaines de milliers de Juifs se rendent à Jérusalem pour la fête de Souccot, certains ont été filmés en train de cracher sans raison sur des fidèles chrétiens. Les églises de Jérusalem confirment que le nombre d'incidents similaires est en augmentation.

Policiers et manifestants lors d'une manifestation de droite contre un événement évangélique dans la vieille ville de Jérusalem, en mai dernier. Photo : Olivier Fitoussi

Plusieurs incidents au cours desquels des Juifs ont craché sur des fidèles chrétiens ou près d’eux dans la vieille ville de Jérusalem ont été filmés dimanche et lundi derniers, ce qui confirme la généralisation de ces attaques.

Ces derniers jours, des dizaines de milliers de Juifs ont participé à des manifestations et à des prières à l'occasion de la fête de Souccot, au cours desquelles de nombreux incidents de crachats ont été enregistrés. La plupart des personnes filmées en train de cracher sont des jeunes juifs qui ont craché sur des églises ou sur des fidèles chrétiens qu'ils ont croisés.


L'un de ces crachats a été enregistré alors qu'un groupe de fidèles chrétiens sortait d'une église par la porte des Lions, dans la vieille ville de Jérusalem, en portant une grande croix. Alors que le groupe remontait la rue, il est tombé sur une procession de centaines de Juifs qui faisaient le chemin inverse en portant les quatre espèces. Dès qu'ils ont remarqué les fidèles chrétiens, ils se sont mis à cracher, principalement par terre.

Religieuses à l'Église du Saint-Sépulcre. Photo: Ohad Zwigenberg

Si ces crachats n'ont rien de nouveau, les autorités ecclésiastiques confirment qu'ils se sont récemment généralisés. En août dernier, le Global Religious Freedom Action Center a recensé 21 attaques de ce type visant des chrétiens ou des institutions chrétiennes, la plupart dans la vieille ville de Jérusalem.

Une statue de Jésus profanée a été vandalisée par un extrémiste juif dans l'église de la Flagellation à Jérusalem, en février. Photo : AMMAR AWAD/ REUTERS

Lors d'une conférence de presse précédant son élévation au rang de cardinal il y a deux semaines, Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, a déclaré que ces incidents n'étaient pas nouveaux, « mais nous avons l'impression qu'ils sont devenus plus fréquents ces derniers temps. Ils sont liés à des groupes et mouvements ultra-orthodoxes et religieux-sionistes. La présence de ces groupes dans la vieille ville [de Jérusalem] est plus importante que par le passé. Il ne fait aucun doute que certains rabbins l'approuvent, voire l'encouragent ».


Le futur cardinal, le patriarche latin italien de Jérusalem Pierbattista Pizzaballa, arrive au Vatican la semaine dernière. Photo : TIZIANA FABI - AFP

Mgr. Pizzaballa a ajouté que l'augmentation de ces attaques est liée au gouvernement d'extrême droite d'Israël. « Il se peut que certains de ces mouvements aient le sentiment, sinon d'être soutenus [par l'État], mais au moins protégés ».

« Ce qui se passe avec les chrétiens n'est pas isolé. Nous constatons une augmentation de la violence dans les sociétés israélienne et palestinienne. Ce que nous voyons avec les chrétiens fait partie d'un phénomène plus large. Les voix modérées ne sont pas entendues et les voix extrêmes se renforcent. Nous sommes en contact avec les autorités et la police à ce sujet », a-t-il ajouté.

En août, le commandant de la police du district de Jérusalem, le général de division Doron Turgeman, a promis, lors d'une réunion avec les responsables des églises de la ville, de lutter contre ces attaques. Depuis le début de l'année, la police a ouvert 16 enquêtes concernant des actes de vandalisme, de violence ou de harcèlement à l'encontre de chrétiens et d'institutions chrétiennes et a arrêté 21 suspects. Cependant, la police affirme qu'il est difficile d'inculper les agresseurs, en particulier ceux qui crachent par terre et non sur un individu.

“Comportement barbare” : l'ancienne coutume juive qui consistait à cracher près de prêtres chrétiens n'avait rien à voir avec la pratique actuelle

 Nir Hasson, Haaretz, 5/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

« Cela n'a jamais été une pratique courante », déclare un historien de Jérusalem. Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, il change de nature et devient de plus en plus courant et de plus en plus extrême. L'évolution la plus importante de ces dernières années a été son extension au Quartier musulman.

Des religieuses chrétiennes orthodoxes tiennent des bougies et des fleurs lors d'une procession à Jérusalem, en août. Photo : Ohad Zwigenberg /AP

Le clip vidéo dans lequel on voit de jeunes juifs cracher sur un défilé chrétien dans la vieille ville de Jérusalem cette semaine a suscité des réactions houleuses.

Un militant d'extrême droite, Elisha Yered [impliqué dans l'assassinat de Qusai Jamal Maatan, 19 ans, près de Burqa en août dernier, et ancien porte-parole de la députée Limon Son Har-Melech du parti Otzma Yehudit (Force Juive), NdT], a notamment réagi en affirmant que la coutume de cracher à côté d'une église ou sur des prêtres était une “coutume ancienne et de longue date”. Cette déclaration a suscité la colère d'un grand nombre de personnes. Le président, le maire de Jérusalem et même le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, ont condamné la coutume du crachat et la déclaration de Yered.

Mais Yered a raison, la coutume a vraiment des racines profondes dans le judaïsme ashkénaze. Le problème est qu'il s'agit d'une coutume entièrement différente. La coutume originale a été inventée comme une protestation discrète et interne d'une petite minorité persécutée, et elle était pratiquée en secret. Les crachats actuels sur les églises chrétiennes et les défilés à Jérusalem sont un acte de défi public et d'humiliation des croyants qui appartiennent à un groupe minoritaire.

« Mais aujourd'hui, les relations ont changé, nous sommes les souverains et il y a des minorités qui sont sous notre responsabilité, à qui nous sommes obligés de fournir une protection. Dans une telle situation, il n'est plus possible de se justifier, ni vis-à-vis de soi-même, ni vis-à-vis des autres », déclare le Dr Yaakov Maoz, président de Lishana, une organisation pour le renouveau de l'araméen en Israël, qui a des liens avec les communautés chrétiennes.

Les sources juives conservent des preuves de cette coutume. Dans le livre du Maharil (XVIe siècle), qui fait autorité en matière de coutumes des juifs ashkénazes, l'écrivain Rabbi Yaakov Halevi Ben Moshe Moelin mentionne une coutume consistant à cracher pendant la récitation de la prière “Aleinu Leshabeah” en prononçant les mots faisant référence aux adorateurs d'idoles.


Des fidèles juifs dans la vieille ville de Jérusalem mercredi. Photo : Olivier Fitoussi

Le Maharil mentionne également qu'il était d'usage de cracher en passant près des églises. Mais cette coutume est totalement différente de ce qui s'est fait cette semaine à Jérusalem, affirme A., un jeune religieux, ancien haredi, qui a étudié la coutume.

« Quand je marchais avec mon père, il m'apprenait à cracher, mais c'est comme crier “Shabbes” aux voitures le jour du Shabbat, ce n'est pas une mitzvah [prescription, commandement], c'est un acte éducatif. Il s'agit d'éduquer l'enfant à rejeter Avoda Zara (le culte des idoles). L'idée était de le faire discrètement, sans démonstration, le but n'est pas d'humilier quelqu'un d'autre, mais il y a un but interne, que je fais pour moi-même », dit A..

« Cela n'a jamais été une pratique courante », déclare Amnon Ramon, de l'Institut de recherche politique de Jérusalem. « Elle était pratiquée dans certains endroits, principalement en Europe de l'Est, et en secret. Il s'agit de l'acte d'une minorité qui, en secret, passe près de l'église la nuit sans que personne ne la voie. C'est une coutume et il n'y a pas de halakha (loi religieuse) à ce sujet ».

De même, il semble que l'ancienne coutume ashkénaze convienne bien à certains cracheurs qui ont des idées nouvelles et plus agressives sur le christianisme. « Toutes les halakhot [prescriptions] antichrétiennes sont devenues plus sévères dans la seconde moitié du 20e siècle », explique le Dr Karma Ben Johanan, du département des religions comparées de l'université hébraïque.

« En ce qui concerne la question de savoir si le christianisme est un culte idolâtre, il y a trois halakhot, mais il est clair que nous suivons Maïmonide qui a statué que c'est le cas, et il est également affirmé que les rabbins qui disaient le contraire avaient peur des chrétiens et qu'il n'y a maintenant plus besoin de ces justifications », déclare-t-il.

La caractérisation du christianisme comme un culte idolâtre convient parfaitement à l'ultranationalisme hardali (ultra-orthodoxe, sioniste de droite) et kahaniste qui parle de la nécessité d'éliminer le christianisme du pays. C'est, par exemple, ce qui a motivé ceux qui ont incendié l'église de la multiplication (des pains et des poissons) près de la mer de Galilée, et ceux qui attaquent les églises.

Une chronique des crachats

Depuis des décennies, les croyants et les religieux chrétiens connaissent très bien la coutume du crachat et en souffrent. Contrairement à l'affirmation de la police selon laquelle il est difficile de poursuivre les cracheurs, dans le passé, des personnes ont été poursuivies pour avoir craché. En 1995, un acte d'accusation a été déposé contre un homme qui avait craché lors d'un défilé dans le quartier arménien de Jérusalem. Il a été condamné à deux mois de prison avec sursis et à une amende de 750 shekels.

Dans le recours déposé devant la Cour suprême, son avocat Naftali Wurzberger a affirmé que la liberté d'expression permettait à une personne de cracher “même en présence d'un défilé d'ecclésiastiques portant une croix” : « Il est impossible d'ignorer la halakha qui prévaut dans le judaïsme et selon laquelle c'est une mitzvah pour un juif de cracher lorsqu'il passe devant une église ou qu'il rencontre une croix ». Mais les juges de la cour de district ont rejeté cet argument.

En 2004, un jeune homme de la yeshiva de droite Har Hamor à Jérusalem a craché sur le patriarche arménien lors d'une parade religieuse dans la vieille ville. Le patriarche Nourhan Manougian a giflé le jeune homme et la police a arrêté Manougian pour l'interroger. Par la suite, une réunion de réconciliation a eu lieu au cours de laquelle les rabbins de la yeshiva, l'une des principales yeshivas hardali d'Israël, se sont excusés auprès du patriarche et ont affirmé qu'ils n'éduquaient pas leurs étudiants à cette coutume.

En 2011, le juge du tribunal de première instance de Jérusalem a acquitté un prêtre grec orthodoxe qui avait frappé un jeune juif qui lui avait craché dessus. « Il est intolérable qu'un ecclésiastique chrétien soit humilié en raison de sa religion, tout comme il est intolérable qu'un juif soit humilié parce qu'il est juif », a écrit le juge, ajoutant que les autorités sont incapables de gérer le problème.

« Les cracheurs ne sont pas pris et ne sont pas punis pour leurs actes. Ce n'est pas un phénomène nouveau, il existe depuis des années. Les cracheurs ne violent pas seulement la loi, ils ne nuisent pas seulement à leurs victimes, mais à nous tous, à notre image, à notre tourisme et à nos valeurs », a déclaré le juge. Il a donc décidé d'acquitter le prêtre pour cause de légitime défense.

Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, il change de nature et devient de plus en plus courant et de plus en plus extrême. L'évolution la plus importante de ces dernières années a été son extension au Quartier musulman. Dans le passé, ce sont surtout les membres de l'église arménienne, adjacente au quartier juif, qui ont souffert des crachats.

Ces dernières années, il s'est étendu à la Via Dolorosa, qui va de la porte des Lions à l'église du Saint-Sépulcre, et qui traverse principalement le Quartier musulman. Il s'agit d'un itinéraire sur lequel des centaines de milliers de pèlerins chrétiens défilent chaque année, et avec la présence accrue de Juifs religieux dans ces zones, ils sont également devenus les victimes des crachats.

Le clip vidéo qui a mis le pays en émoi ces derniers jours a été filmé dans la rue de la Porte des lions. Il a été tourné au cours d'un défilé qui fait le tour des portes de la ville. Ces défilés sont devenus populaires ces dernières années parmi les groupes hardali et haredi, comme une sorte de réponse aux mouvements qui montent sur le Mont du Temple. La visite comprend une marche autour du Mont du Temple et des prières aux portes du Mont. Elle donne souvent lieu à des frictions et à des provocations à l'encontre des passants musulmans et chrétiens.

Photo : Ammar Awad/Reuters

La veille de Yom Kippour, un groupe de Juifs a été filmé en train de prier et de chanter sur des tombes dans le cimetière musulman situé en face de la Porte dorée, ce qui s'inscrivait également dans le contexte de l'encerclement des portes. La période de l'année a également son importance. Les fêtes juives sont considérées comme un mauvais moment pour cracher, en particulier Pourim, où de nombreux chrétiens ont coutume de s'abstenir de sortir dans la rue pour ne pas être confrontés aux crachats et à la violence.

Après les récentes réactions houleuses, les rabbins de la communauté religieuse sioniste se sont également empressés de condamner les cracheurs et ont appelé à mettre fin à cette coutume.

Le rabbin Shlomo Aviner, l'un des chefs du courant hardali, le père spirituel d'une grande partie des colons de Jérusalem-Est et lui-même résident de la vieille ville, a écrit mardi : « Il n'existe pas de loi juive stipulant qu'il faut cracher sur le culte des idoles. Cette règle ne figure ni dans la Gemara, ni chez Maïmonide, ni dans le Shulchan Aruch. Si nous crachions sur le culte des idoles et que cela mettait fin à tout le culte des idoles, ce serait une question intéressante, mais cela ne sert à rien. Cela ne fait qu'engendrer des conflits et des querelles, et nous y perdons. Nous devons éduquer les enfants à se comporter de manière respectueuse ».

Amnon Ramon ajoute : « Cela reflète le problème de l'incapacité à passer d'une situation de minorité persécutée qui essaie de compenser sa persécution à une situation où on est maintenant les rois et où on est testés, entre autres, par l’ attitude envers les minorités ».

Hanna Bendcowsky, guide touristique, chercheuse chevronnée sur le christianisme et directrice du Centre de Jérusalem pour les relations judéo-chrétiennes, s'insurge contre la discussion même des racines historiques de la coutume. « Cette discussion ne devrait pas être ouverte, si vous êtes opposé au christianisme, gardez votre crachat dans votre bouche. La discussion même revient à légitimer la question de savoir s'il est légitime de cracher. La discussion devrait porter sur des comportements barbares au 21e siècle».

 Lire Israël crache à la gueule du monde, pas seulement sur les églises et les chrétiens, par Gideon Levy