Fausto Giudice, , 21/11/2023
Le 10 décembre prochain, Javier Milei prendra ses marques à la Casa Rosada, la Maison rose, sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires. Le 58ème président argentin s’y installera avec ses chiens clonés, sa sœur raspoutinienne et sa concubine télégénique. Il est censé y rester jusqu’en 2027, à moins qu’il ne s’enfuie en hélicoptère en cours de mandat, comme un de ses prédécesseurs, Fernando de la Rúa, le 20 décembre 2001. Dans ce pays accablé par une politique surréaliste, on peut s’attendre à tout.
Au vu de ses prestations publiques depuis quelques années, Milei mérite bien son surnom : El Loco, Le Fou. Il a tout fait, tout dit, tout déballé, sur son enfance malheureuse, la perte de son chien, sa pratique du yoga tantrique, brandissant la tronçonneuse avec laquelle il va décapiter la Banque centrale, le ministère des Femmes, celui de la Culture, celui de la Protection sociale, le musée de la mémoire de l’ex-ESMA. Il va interdire l’avortement, autoriser la vente d’enfants, la vente d’organes, l’armement des bons citoyens épris de légitime défense, il va privatiser le pétrole et le gaz de schiste, et j’en passe. Bref, il n’a pas de programme, mais il a proféré tout au long de la campagne des éructations à tort et à travers. Peu de temps avant le deuxième tour, se rendant compte qu’il était allé un peu trop fort, il a cherché à tranquilliser les électeurs : « Pas de panique, je ne vais pas privatiser la santé et l’éducation ».
Bref, El Loco est un patchwork : une dose de humpy-trumpy, une louche de bolsonase, une effluve de zelenskiade, le tout saupoudré de melono-abascaliades avec un zeste de marino-orbanité, le tout à la sauce porteña.
Et le clown a fait un tabac chez ceux d’en haut, ceux du milieu et, surtout ceux d’en bas.
Les descamisados -les sans-chemise, un terme méprisant pour désigner les gueux, repris à leur compte par les péronistes – avaient fait un triomphe à Juan Domingo Perón en 1946, 1951 et, après le putsch de 1955 qui l’envoya en exil, au début des années 1970. Puis le mouvement péroniste avait explosé, entre factions totalement opposées : d’un côté l’aile marchante révolutionnaire, teintée de marxisme et de théologie de la libération, et l’aile fasciste, dirigée par Lopez Rega, le Raspoutine de Perón et de sa veuve Isabelita, organisateur des commandos de tueurs de la Triple A, l’Alliance Anticommuniste Argentine.
Ressortant de l’ombre après la chute de la dictature en 1983, le péronisme n’a fait que dériver de leader en leader : Menem, Duhalde, Kirchner I (le mari, Néstor) et Kirchner II (la femme, Cristina) et enfin Alberto Fernández. 80 ans après sa naissance au lendemain de la Révolution de 1943, le péronisme est bel et bien mort. Ce qui fut en son temps un raz-de-marée ouvrier et populaire et qui choisit comme premier nom de parti l’inimitable « Parti Unique de la Révolution » avant de se renommer « Parti Justicialiste », puis de changer de nom avant chaque grande échéance électorale, est devenu un panier de crabes se bouffant entre eux dans la course aux fauteuils et aux strapontins.
Les descamisados d’aujourd’hui, les 42% de la population classés comme pauvres, ne sont pas ceux du siècle dernier. Pour 46 millions d’habitants, on compte 38,2 millions de téléphones « intelligents ». Pas étonnant donc que les tiktokeurs aient voté pour un toqué. L’alternative était Monsieur 648% d’inflation, le ministre de l’Économie Sergio Massa. En le présentant comme candidat à la présidence, le postpostpostnéonéopéronisme s’est fait hara-kiri. En témoignent les résultats du vote dans les villas miseria, équivalent argentin des favelas brésiliennes. Dans presque tous ces anciens bastions du péronisme, on a voté pour El Loco, sans comprendre que Le Fou était un Fou du Roi, et que ce roi s’appelle Macri, lequel, tapi dans l’ombre, va tirer les ficelles du nouveau pantin de la Maison rose dollarisée.
« L’homme descend du singe, l’Argentin descend du bateau », dit une vieille blague. Les Argentins vont-ils reprendre un bateau – ou un avion – pour un nouvel exode ? Ou bien vont-ils nous régaler d’une explosion sociale généralisée, un Argentinazo ? Qui vivra verra.
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