09/10/2023

GIDEON LEVY
Israël ne peut pas emprisonner deux millions de Gazaouis sans payer le prix fort

Gideon Levy, Haaretz, 9/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Derrière tout ça, c’est l’arrogance israélienne  qui se cache, l’idée que nous pouvons faire ce que nous voulons, que nous ne paierons jamais le prix et que nous ne serons jamais punis pour cela. Nous continuerons sans être dérangés

Le Dôme de fer tire sur des roquettes au-dessus d’Ashkelon samedi. Nous avons pensé que nous pouvions continuer à rejeter avec arrogance toute tentative de solution diplomatique. Photo : Ilan Assayag

 

Nous arrêterons, tuerons, harcèlerons, déposséderons et protégerons les colons occupés à leurs pogroms. Nous visiterons la tombe de Joseph, la tombe d’Othoniel Ben Kenaz et l’autel de Josué dans les territoires palestiniens, et bien sûr le mont du Temple - plus de 5 000 Juifs pour la seule fête de Souccot.

 

Nous tirerons sur des innocents, nous leur arracherons les yeux et leur fracasserons le visage, nous expulserons, nous confisquerons, nous volerons, nous saisirons les gens dans leur lit, nous procéderons à un nettoyage ethnique et, bien sûr, nous poursuivrons l’incroyable siège de la bande de Gaza, et tout ira bien.

 

Nous construirons un obstacle terrifiant autour de Gaza - le mur souterrain a coûté à lui seul 3 milliards de shekels (720 millions d’€) - et nous serons en sécurité. Nous nous appuierons sur les génies de l’unité de cyberespionnage 8200 de l’armée et sur les agents du service de sécurité Shin Bet qui savent tout. Ils nous préviendront à temps.

 

Nous transférerons la moitié d’une armée de la frontière de Gaza à la frontière de Huwara en Cisjordanie, uniquement pour protéger le député d’extrême droite Zvi Sukkot et les colons. Et tout ira bien, tant à Huwara qu’au point de passage d’Erez vers Gaza.

 

Il s’avère que même l’obstacle le plus sophistiqué et le plus coûteux du monde peut être franchi avec un vieux bulldozer fumant lorsque la motivation est grande. Cette barrière arrogante peut être franchie à bicyclette et à mobylette malgré les milliards qui y ont été déversés et tous les experts célèbres et les gros sous-traitants.

 

On pensait continuer à descendre à Gaza, distribuer quelques miettes sous forme de dizaines de milliers de permis de travail israéliens - toujours conditionnés à une bonne conduite - et les maintenir en prison. Nous ferons la paix avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis et les Palestiniens seront oubliés jusqu’à ce qu’ils soient effacés, comme le souhaitent bon nombre d’Israéliens.

 

Nous continuerons à détenir des milliers de prisonniers palestiniens, parfois sans procès, dont la plupart sont des prisonniers politiques. Et nous n’accepterons pas de discuter de leur libération, même après qu’ils ont été emprisonnés pendant des décennies.

 

Nous leur dirons que ce n’est que par la force que leurs prisonniers connaîtront la liberté. Nous pensions que nous continuerions à rejeter avec arrogance toute tentative de solution diplomatique, uniquement parce que nous ne voulons pas nous occuper de tout cela, et que tout continuerait ainsi pour toujours.

 

Une fois de plus, il a été prouvé que ce n’était pas le cas. Quelques centaines de Palestiniens armés ont franchi la barrière et ont envahi Israël d’une manière qu’aucun Israélien n’aurait imaginée. Quelques centaines de personnes ont prouvé qu’il est impossible d’emprisonner 2 millions de personnes pour toujours sans en payer le prix.

 

Tout comme le vieux bulldozer palestinien enfumé a déchiré la barrière la plus smart du monde samedi, il a déchiré l’arrogance et la complaisance d’Israël. C’est également ainsi qu’a été ébranlée l’idée qu’il suffit d’attaquer occasionnellement Gaza avec des drones suicides - et de les vendre à la moitié du monde - pour maintenir la sécurité.

 

Samedi, Israël a vu des images qu’il n’avait jamais vues auparavant. Des véhicules palestiniens patrouillant dans ses villes, des cyclistes entrant par les portes de Gaza. Ces images mettent à mal cette arrogance. Les Palestiniens de Gaza ont décidé qu’ils étaient prêts à payer n’importe quel prix pour un moment de liberté. Y a-t-il de l’espoir là-dedans ? Israël retiendra-t-il la leçon ? Non.

 

Samedi, ils parlaient déjà d’éliminer des quartiers entiers de Gaza, d’occuper la bande et de punir Gaza “comme elle n’a jamais été punie auparavant”. Mais Israël n’a jamais cessé de punir Gaza depuis 1948, pas même un instant.

 

Après 75 ans d’abus, le pire scénario possible l’attend une fois de plus. Les menaces d’“aplatissement de Gaza” ne prouvent qu’une chose : nous n’avons rien appris. L’arrogance est là pour rester, même si Israël en paie une fois de plus le prix fort.

 

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou porte une très grande responsabilité dans ce qui s’est passé, et il doit en payer le prix, mais cela n’a pas commencé avec lui et cela ne s’arrêtera pas après son départ. Nous devons maintenant pleurer amèrement les victimes israéliennes, mais nous devrions aussi pleurer pour Gaza.

 

Gaza, dont la plupart des habitants sont des réfugiés créés par Israël. Gaza, qui n’a jamais connu un seul jour de liberté.


 

Des sous-humains de Varsovie aux animaux humains de Gaza

Fausto Giudice, Basta Yekfi!, 9/10/2023

Affiche de la Żydowska Organizacja Bojowa (ŻOB), l’Organisation juive de combat. Le texte dit : “Tous les hommes sont frères : les jaunes, les bruns, les noirs et les blancs. Parler de peuples, de couleurs, de races, c’est une histoire inventée !”

ABDEL BARI ATWAN
Le déluge de Gaza

Abdel Bari Atwan, Rai Al Youm, 7/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les élites et l’opinion publique israéliennes ont subi la plus grande atteinte à leur moral depuis 50 ans.

Nous savons maintenant pourquoi Mohammed Deïf, le chef de l’aile militaire du Hamas dans la bande de Gaza, a disparu de la scène publique il y a près de deux ans, depuis la campagne “Épée de Jérusalem”. Il élaborait des plans et préparait une contre-attaque. Samedi, il est apparu, aux côtés du porte-parole “Abou Obaida”, pour l’annoncer.

Alaa Al-Laqta

Ils ont annoncé le déclenchement de l’opération “Déluge d’Al Aqsa”, la décrivant comme une bataille pour mettre fin à l’occupation la plus longue de la planète. Des milliers de roquettes ont été lancées en l’espace de quelques minutes, déconcertant les systèmes de défense antiaérienne israéliens, et des combattants ont quitté le territoire assiégé pour prendre d’assaut les colonies israéliennes de l’enveloppe de Gaza.

Les images de l’opération diffusées sur les réseaux sociaux sont stupéfiantes : des chars Merkava en feu, leurs équipages traînés dehors et implorant la pitié, et des colons fuyant dans la panique, leurs appels à l’aide n’étant pas entendus. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 100 Israéliens auraient été tués et des dizaines capturés pour servir de monnaie d’échange à la libération des prisonniers palestiniens détenus par Israël.

L’impact sur le moral des élites et du public israéliens a été gigantesque. Ses institutions politiques, sécuritaires et militaires ont subi le coup le plus dur depuis 50 ans, c’est-à-dire depuis la guerre d’octobre 1973. Lorsque l’armée, classée comme la quatrième plus puissante du monde, ne peut ni prévenir ni réagir au ciblage de colons censés être en sécurité en Israël “proprement dit”, c’est le signe d’un grave déclin.

Quelle que soit l’évolution des événements dans les jours et les semaines à venir, la résistance a remporté une immense victoire. Il s’agit d’une guerre de longue haleine. Israël peut semer la mort et la destruction à une échelle gigantesque, mais il n’en sortira pas indemne. Et si cette guerre dégénère en une guerre régionale sur plusieurs fronts, les choses seront clairement écrites sur le mur.

La réflexion, la planification et la gestion qui ont présidé à cette opération sont comparables à tout ce qui est enseigné dans les meilleures académies militaires du monde. Lorsque des vidéos de combattants s’entraînant pour cette opération ont été publiées sur les médias sociaux, elles ont été ridiculisées par Israël et ses alliés arabes normalisateurs. Voilà pour les diplômés de Sandhurst et de West Point. Daif n’a jamais revendiqué de titre militaire, mais il mérite le rang de “général” bien plus que n’importe lequel des commandants d’armées arabes lourdement médaillés et en surpoids qui ne font rien d’autre qu’organiser des parades et toucher des bakchichs sur des contrats d’armement.

Souvenez-vous de cette date, le 7 octobre. Elle pourrait marquer un tournant historique dans le monde arabe, d’une période de soumission, de reddition, de normalisation et d’illusions sur l’ennemi comme protecteur, à une période de dignité et de libération - la libération totale de la Palestine.

Netanyahou a déclaré l’état de guerre, menacé d’une réponse dévastatrice et appelé les réservistes de son armée. Mais que peut-il faire de plus que ce qu’il a déjà fait ? Tuer des centaines d’innocents supplémentaires à Gaza ? Ce ne serait pas la première fois. Et cela pourrait déclencher une réaction dévastatrice jusqu’à Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem.

Le Jihad islamique a rejoint le Hamas dans cette bataille, de même que toutes les branches armées de la résistance des principales factions palestiniennes. Les brigades de résistance de Cisjordanie - à Jénine, Naplouse, Tulkarem et peut-être Hébron - ont été inspirées et, fortes de leur solide soutien populaire, ont commencé à se joindre à la lutte. Et il n’est pas exclu que les composantes de l’axe de la résistance au Liban et en Syrie, voire au Yémen et en Irak, fassent de même dans un avenir proche, si ce n’est plus tôt.

08/10/2023

AMOS HAREL
Guerre Israël-Gaza : un fiasco catastrophique qui provoquera une onde de choc politique

Amos Harel, Haaretz, 8/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

L'échec du renseignement et la mauvaise préparation israéliens n'étaient pas les seuls problèmes : il semble que la conception défensive opérationnelle d'Israël face à Gaza ait volé en éclats Netanyahou devra payer un prix politique pour sa politique à l'égard du Hamas après la guerre.

 

Un soldat de Tsahal regarde une voiture en flammes dans la ville d'Ashkelon, dans le sud d'Israël, samedi. Photo : Ilan Assayag

 

Vendredi à la mi-journée, un officier supérieur de l'état-major général s'est entretenu avec un invité dans son bureau de Tel-Aviv. Quelques minutes après que l'horloge électronique du bureau a affiché 14 heures, tous deux ont remarqué qu'ils avaient raté l'heure exacte à laquelle la guerre du Kippour avait éclaté il y a 50 ans. La conversation a naturellement dérivé sur les leçons de 1973.

 

« Dans les territoires occupés », dit l'officier, « nous sommes à cinq minutes d'une intifada ». Il dit cela sans savoir qu’il est en train de prophétiser. L'hôte, comme l'ensemble des FDI, était principalement préoccupé par ce qui pouvait se passer en Cisjordanie. Mais au nez et à la barbe de l'establishment de la défense, une attaque sans précédent du Hamas prenait forme au même moment, le long de la frontière de Gaza.

 

Il faut se méfier de l'hystérie excessive. Mais il ne faut pas minimiser la gravité de la calamité qui s'est produite. Israël est en guerre depuis samedi matin. L'attaque du Hamas, qui a pris les services de renseignement israéliens par surprise, a complètement démoli la conception défensive opérationnelle à la frontière de la bande de Gaza. On dénombre plus de 250 morts du côté israélien et plus de 1 590 blessés, un chiffre qui pourrait augmenter de manière significative une fois que tous les sites attaqués auront été fouillés.

Selon des informations en provenance de Gaza, des dizaines de prisonniers et de corps ont été emmenés d'Israël à Gaza. Même en termes d'otages [sic] et de personnes disparues, cette situation n'est pas comparable à l'enlèvement de Gilad Shalit en 2006. On voit mal le gouvernement modérer les frappes aériennes sur Gaza par souci de protéger la vie des prisonniers israéliens. Il est probable que dans le feu de l'action, de telles considérations ne seront pas prises en compte.

 

Israël a parlé de la “doctrine Dahiya”, qui implique la destruction systématique des infrastructures dans les zones fortement peuplées, comme d'une leçon tirée de la deuxième guerre du Liban en 2006. C'est ce qui se passe actuellement à Gaza, avec une grande intensité.

 

Les FDI, le Shin Bet et la police se sont livrés à des combats maison par maison pendant dix heures dans des communautés et des bases militaires où s'étaient retranchés des Palestiniens armés. Dans quelques endroits, comme la ville d'Ofakim et le kibboutz Be'eri, les terroristes se sont retranchés avec des otages [resic].

 

HILO GLAZER
Après une décennie passée dans les cercles les plus radicaux de l’extrême droite israélienne, Idan Yaron est prêt à tout déballer

Hilo Glazer, Haaretz, 6/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT

L’auteur de cet article, tout comme 99,99% des journalistes israéliens et occidentaux utilise systématiquement le qualificatif de “terroriste” pour désigner les militants et combattants palestiniens et jamais pour désigner les auteurs de crimes sionistes. N’étant pas d’accord avec cette désignation, je la remplace donc par des termes plus objectifs.

L’universitaire Idan Yaron a pénétré la droite radicale israélienne, gagnant la confiance de ses dirigeants, assistant à leurs réunions et même à un pogrom. Il publie aujourd’hui un livre sur l’héritage kahaniste qu’ils perpétuent.

Idan Yaron : « J’ai pris le café avec des gens qui avaient du sang sur les mains, des gens qui avaient commis des crimes graves, parce qu’à mon avis, il est hors de question qu’il y ait un tabou dans le monde universitaire quand il s’agit de certains domaines de la connaissance ». Photo : Sraya Diamant

Le signal du pogrom a été donné quelques heures seulement après une opération de guérilla menée le 21 juin dans une station-service près de la colonie d’Eli, en Cisjordanie, au cours de laquelle quatre Israéliens ont été tués et quatre autres blessés. La cible de ceux qui voulaient prendre des mesures de représailles était le village palestinien voisin de Luban Al Sharqiya. Un grand nombre de jeunes hommes sont arrivés, non seulement du noyau dur de la “jeunesse des collines” de la colonie de Yitzhar, mais aussi des étudiants des yeshivas et des kollels (yeshivas pour hommes mariés) de la région.

Parmi les dizaines de manifestants qui se dirigeaient vers le village et incendiaient les champs en chemin, il était difficile de rater Idan Yaron, un sociologue et anthropologue social qui, à 69 ans, était beaucoup plus âgé que ceux qui l’entouraient.  Yaron, qui mène des recherches approfondies sur l’extrême droite en Israël, en particulier sur le mouvement créé par le rabbin ultranationaliste d’origine usaméricaine Meir Kahane, s’est retrouvé mêlé à la foule en colère.

« J’ai assisté à l’incident avec eux de la manière la plus directe, tout en filmant tout, au grand dam de certains jeunes », raconte aujourd’hui Yaron. « Bien entendu, je n’ai pris part à aucune activité violente ».

Quelqu’un a-t-il tenté d’empêcher les actes de violence ?

« Il y avait des forces [de sécurité], même si elles n’étaient pas nombreuses, dont des soldats, des agents de la police aux frontières et d’autres policiers. Mais elles ne sont pas intervenues de manière particulièrement énergique, si ce n’est en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant en l’air lorsque de jeunes Palestiniens du village se sont approchés. Des dizaines d’yeux ont vu ce qui se passait là-bas ».

Avez-vous envisagé d’intervenir vous-même ?

« J’ai décidé de dépasser la question immédiate de la prévention d’une injustice - et brûler des champs ou l’atelier de menuiserie d’un Palestinien innocent est une injustice absolue à mes yeux - et je me suis demandé si j’étais prêt à dépasser ma limite : infliger une violence réelle ou un dommage physique à une autre personne. Dans l’affirmative, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’empêcher. Mais dans cette situation particulière, j’ai pensé que ma vocation m’obligeait à surmonter le sentiment d’injustice qui prenait forme sous mes yeux, afin d’être présent dans les événements et de les faire connaître en temps voulu. Tendre un miroir, générer un discours et à travers lui, peut-être plus tard, façonner une réalité différente et cohérente avec mes valeurs ».

Lorsque les flammes se sont éteintes, les résultats du carnage sont apparus clairement : cinq des habitants de Luban al-Sharqiya avaient été blessés par des tirs à balles réelles. Une dizaine de maisons avaient été dégradées, des vitrines de commerces avaient été brisées, de vastes terres agricoles avaient été incendiées et une trentaine de véhicules brûlés. L’un d’entre eux, d’ailleurs, était la voiture de Yaron, qu’il avait garée à l’orée du village. En découvrant cela, le chercheur s’est demandé s’il n’était pas allé trop loin en s’accrochant à l’idée d’être un observateur participatif. « La voiture était foutue », dit-il. « Les vitres, les rétroviseurs, les phares, l’extérieur était sérieusement endommagé, tout était cassé. Mais comme le moteur n’était pas endommagé, j’ai réussi à rentrer chez moi ».

Idan Yaron n’était pas présent ce jour-là par hasard. Au cours des dix dernières années, il a tissé des liens, dont certains sont devenus de véritables amitiés, avec des activistes de premier plan parmi les jeunes des collines, dont certains sont des disciples de Meir Kahane. En effet, Yaron est devenu un visage familier dans les cercles d’extrême droite et a acquis un accès quasi total au groupe le plus dur des disciples du défunt rabbin. Par exemple, Yaron a assisté l’année dernière à une cérémonie commémorative en l’honneur d’Eden Natan-Zada, soldat déserteur et auteur d’une fusillade en 2005 qui a tué quatre personnes et en a blessé beaucoup d’autres dans la ville arabe israélienne de Shfaram. Natan-Zada a ensuite été battu à mort. Yaron s’est également joint aux dirigeants du mouvement lorsqu’ils se sont rendus sur les lieux ensanglantés d’attaques palestiniennes, et il était présent lors des événements commémorant le massacre, en 1994, de 29 fidèles musulmans au Tombeau des Patriarches à Hébron, qui se sont déroulés sur la tombe du “juste et héroïque” Baruch Goldstein, l’auteur de ce massacre.

Cérémonie commémorative en 2020 pour Baruch Goldstein, qui a tué 29 fidèles musulmans à Hébron en 1994. Idan Yaron a assisté à l’événement annuel cette année.  Photo fournier par  Idan Yaron

SALAH LAMRANI
French abaya ban: State conspiracy mongering and institutional harassment

 Salah Lamrani, Le Club de Mediapart, 22/9/2023

The author is a French literature  teacher and union activist

 France’s new Education Minister, Gabriel Attal, launched the 2023 school year with a thunderous announcement: “I decided it will no longer be possible to wear an abaya at school”, he said, in the name of a preposterous conception of secularism (or “laïcité”) adopted by President Emmanuel Macron. This “abaya ban” is a serious violation of the fundamental rights of presumed Muslim (i.e., racialized) pupils, who are unfairly stigmatized and discriminated against. Though he is the youngest Minister of the Fifth Republic, 34-years-old Gabriel Attal used the oldest and dirtiest trick in the book, namely the politics of scapegoating an oppressed, defenseless minority. Just like his predecessors, who were fond of such nauseating polemics that obscure the real and glaring problems of the French educational system.

Aminata, Assma, Yasmine, Alicia, Hassina, sent home for “non-compliant outfits”


What is an abaya?

The term “abaya” refers to a variety of dresses of varying lengths, which are in no way religion-specific garments, but simple fashion items with a cultural connotation at most. Major brands such as Zara, H & M and Dolce & Gabbana have been making their own for a long time. As proof of this, when Sonia Backès, the French Secretary of State in charge of Citizenship, was shown on TV several types of dresses to know if they were abayas and whether they should be accepted or forbidden in schools, she hesitated, stammered and toke a side step, replying that “it depends on the context”. Thus, in a quasi-official manner, the criteria for acceptance or rejection do not depend on the garment itself, but on the pupil wearing it and her presumed religion, which can only be determined on the basis of skin color and/or name. At the height of hypocrisy, Gabriel Attal justified this blatant discrimination by saying that “you shouldn’t be able to distinguish, to identify the religion of pupils by looking at them”.

 A traumatic start to the school year

Yet this is exactly what has been happening since the start of the school year, with hundreds, if not thousands, of middle and high school girls being
scrutinized, hounded, stigmatized and humiliated, even blackmailed, ordered to partially undress or be sent home for wearing outfits as neutral as a tunic, skirt or kimono, deemed too loose or too covering, as if the suspected modesty was a crime of lese-laicity. This obsession with controlling women’s bodies is reminiscent of the colonial period. Ironically, such a step places France alongside retrograde countries such as Saudi Arabia and Afghanistan that have instituted a “morality police” enforcing a strict dress code, with the notable distinction that French bans do not apply to everyone, but only to pupils presumed to be Muslim.

 

 “Aren't you pretty? Unveil yourself!” Propaganda poster distributed in 1957 by the Fifth Bureau of Psychological Action of the French Colonial Army in Algeria, urging Muslim women to take off their Islamic scarf.

 

07/10/2023

MARWAN BISHARA
De la chutzpa à l’humiliation : les 10 heures qui ont choqué Israël

Marwan Bishara, Aljazeera, 7/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Marwan Bishara (Nazareth, 1969) est analyste politique principal à Al Jazeera. Il écrit beaucoup sur la politique mondiale et est largement considéré comme une autorité en matière de politique étrangère usaméricaine, de Moyen-Orient et d’affaires stratégiques internationales. Il était auparavant professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris. On peut lire de lui en français Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid (La Découverte, 2002, 2023)

La Blitzkrieg [guerre éclair] palestinienne est un échec militaire et une catastrophe politique aux proportions colossales pour Israël.

Des Palestiniens chevauchent un véhicule militaire israélien dans les rues de Gaza lors d’une opération militaire lancée par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. Photo : EPA/Haitham Imad/EPA

Quelques jours après que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a prononcé un discours fanfaron aux Nations unies, annonçant la création d’un nouveau Moyen-Orient centré sur Israël et ses nouveaux partenaires arabes, les Palestiniens, qu’il a totalement omis de sa carte régionale fantaisiste, lui ont porté, ainsi qu’à Israël, un coup fatal, tant sur le plan politique que sur le plan stratégique.

Le mouvement de résistance palestinien Hamas a lancé une incursion éclair méticuleusement planifiée et bien exécutée depuis Gaza vers Israël, par voie aérienne, maritime et terrestre. Parallèlement à des milliers de missiles tirés sur des cibles israéliennes, des centaines de combattants palestiniens ont attaqué des zones militaires et civiles israéliennes dans le sud du pays, ce qui a entraîné la mort d’au moins 100 Israéliens et la capture de dizaines de soldats et de “civils” israéliens.

Les objectifs du Hamas dans cette opération ne sont pas un secret : premièrement, riposter et punir Israël pour son occupation, son oppression, ses colonies illégales et la profanation des symboles religieux palestiniens, en particulier la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem ; deuxièmement, s’attaquer à la normalisation arabe avec Israël qui embrasse son régime d’apartheid dans la région ; et enfin, obtenir un nouvel échange de prisonniers afin de faire libérer le plus grand nombre possible de prisonniers politiques palestiniens des geôles israéliennes.

Il convient de rappeler que le chef du Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Al Sinwar, qui a passé plus de deux décennies dans les prisons israéliennes, a été libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers. Mohammed Deif, le chef de la branche militaire du Hamas, comme beaucoup d’autres Palestiniens, a perdu des êtres chers à cause de la violence israélienne - un fils en bas âge, une fille de trois ans et sa femme. L’opération a donc clairement un aspect punitif et vengeur.

En ce sens, l’attaque a peut-être été incroyablement choquante, mais elle n’était guère surprenante.

L’hubris a finalement rattrapé Israël et ses dirigeants arrogants, qui se sont longtemps crus invincibles et ont constamment sous-estimé leurs ennemis. Depuis l’attaque arabe “surprise” d’octobre 1973, les dirigeants israéliens successifs ont été choqués et stupéfaits, encore et encore, par ce dont le peuple qu’ils opprimaient était capable.

طوفان الأقصى: ما عسى للحديد أن يفعل أمام الريح؟

فاوستو جيوديشي
  7أكتوبر 2023

فاوستو جيوديشي (روما، 1949) مؤلف ومترجم و ناشر. مقيم بتونس منذ 2011

في فجر يوم السبت " شبات"، على الساعة 3:30 صباحًا بتوقيت جرينتش، قام مقاتلو حركة حماس الفلسطينية والجناح العسكري لحركة الجهاد الإسلامي بشنِّ هجومٍ شامل على إسرائيل من غزة. بينما انهالت مئات الصواريخ (بين 2000 و5000) على المستوطنات الصهيونية، دمَّرَ المقاتلون على متن مركباتهم "الجدار الحديدي" الذي يحيط بغزة، واخترق الآخرون الحاجز البحري، كما حطَّ جزء آخر على متن طائرات شراعية آلية (ULM) في اسرائيل. وفقا لتقديرات الجيش الإسرائيلي، قام 60 مقاتل فلسطيني باختراق مناطق إسرائيلية. كما تم أسر حوالي أربعين جندياً ومستوطناً إسرائيلياً في الدقائق الأولى، ولا يزال عدد القتلى والجرحى في الجانب الصهيوني غير معلوم. أُطلق على العملية اسم "طوفان الأقصى"، أي طوفان أو عاصفة الأقصى (طوفان هي كلمة عربية فارسية أدخلت في جميع اللّغات، وهي أصل كلمة "typhon" في الفرنسية؛ و استعملت الكلمة أيضًا كأسم لسلسلة من الصواريخ الإيرانية.(


 إنها حقيقة تاريخية: إذا أردنا مهاجمة إسرائيل، فيجب أن نفعل ذلك صبيحة يوم السبت، عندما يستريح اليهود. وهذا ما فعله الجيشان المصري والسوري في 6 أكتوبر 1973، بعبور قناة السويس والدخول إلى هضبة الجولان المحتلة. في عام 1973، استغرق الأمر أسبوعًا حتى استيقظ الصهاينة مذهولين من الهجوم المفاجئ ويشرعون في الهجوم المضاد.

من انتصر في حرب رمضان/كيبور؟ أمر قابل للنقاش. لكن المؤكد هو أن هذه الحرب كانت بمثابة ناقوس الموت بالنسبة للعماليّين الإسرائيليّين، هؤلاء الصهاينة ذوي الوجه الإنساني، نسخة أشكنازية من الديمقراطية الاجتماعية الأوروبية. كما أنها وضعت حداً لـ "الثلاثين المجيدة" وأشعلت شرارة "أزمة النفط" الأولى.

صدمتني صورتان قويتان من هذه الفترة: صورة الطرق السريعة الأوروبية الخالية تمامًا من السيارات، وصورة ملكة هولندا وهي تخرج عربتها وخيولها للتجول. بالنسبة للعرب، 73 كاد أن يمحو إهانة ال67. وبعد عشر حروب، أين نحن الآن؟

Tufan al-Aqsa: ¿qué puede el hierro contra el viento?

Fausto Giudice, Basta Yekfi!, 7-10-2023

Al amanecer del sabbat, a las 3.30 horas GMT, combatientes palestinos de Hamás y la Yihad Islámica lanzaron una operación por doquier contra Israel desde Gaza: mientras cientos (entre 2.000 y 5.000) de cohetes llovían sobre los asentamientos sionistas, combatientes motorizados se abrían paso a través del "muro de hierro" que encierra Gaza, otros se abrían paso a través de la barrera marítima y otros aterrizaban en Israel en parapentes motorizados (ultraligeros). Según el ejército israelí, 60 combatientes palestinos entraron en el territorio. Unos cuarenta soldados y colonos israelíes fueron hechos prisioneros en los primeros minutos, mientras que se desconoce el número de muertos y heridos en el bando sionista. La operación fue bautizada como "Tufan al-Aqsa", el diluvio o tormenta de Al Aqsa (tufan es la palabra árabe-persa que ha entrado en todas las lenguas, y es el origen de la palabra española "tifón"; también es el nombre de una serie de misiles iraníes).


Es una verdad histórica: si quieres atacar Israel, tienes que hacerlo un sábado por la mañana, cuando los judíos descansan. Eso es lo que hicieron los ejércitos egipcio y sirio el 6 de octubre de 1973, cuando cruzaron el Canal de Suez y entraron en los Altos del Golán ocupados. En 1973, los sionistas tardaron una semana en despertarse, aturdidos como habían quedado por el ataque sorpresa, y pasar a la contraofensiva. ¿Quién ganó la guerra del Ramadán/Yom Kippur? Eso está abierto al debate. Lo que es seguro es que esta guerra supuso la sentencia de muerte para los laboristas israelíes, los sionistas con rostro humano, la variante asquenazí de la socialdemocracia mitteleuropea. También puso fin a los "Treinta Años Gloriosos" y desencadenó la primera "crisis del petróleo". De las imágenes impactantes de aquel periodo, dos me llaman la atención: la de las autopistas europeas completamente vacías de coches y la de la Reina de Holanda sacando su carruaje y sus caballos para desplazarse. Para los árabes, el 73 casi había borrado la humillación del 67. Diez guerras después, ¿en qué punto nos encontramos?

Toufan al-Aqsa: what can iron do against the wind?

Fausto GiudiceBasta Yekfi !, 7/10/2023

At 3:30 a.m. GMT, at dawn on the Sabbath, Palestinian fighters from Hamas and Islamic Jihad launched an all-out attack on Israel from Gaza: while hundreds (between 2,000 and 5,000) of rockets rained down on Zionist settlements, motorized fighters forced their way through the "iron wall" encircling Gaza, others forced their way through the sea barrier and still others landed in Israel aboard motorized paragliders (ULM). According to the Israeli army, 60 Palestinian fighters entered the territory. Some 40 Israeli soldiers and settlers were taken prisoner in the first few minutes, while the number of dead and wounded on the Zionist side remains unknown. The operation has been dubbed "Toufan al-Aqsa", the flood or storm of Al Aqsa (toufan is the Arabic-Persian word that has entered every language, and is the origin of the English word "typhoon"; it is also the name of a series of Iranian missiles).

It's a historical truth: if you want to attack Israel, you have to do it on a Saturday morning, when the Jews are at rest. That's what the Egyptian and Syrian armies did on October 6, 1973, when they crossed the Suez Canal and entered the occupied Golan Heights. In 1973, it took the Zionists a week to wake up, stunned as they had been by the surprise attack, and go on the counter-offensive. Who won the Ramadan/Kippur war? That's up for debate. What is certain is that this war sounded the death knell for Israeli Labor, the Zionists with a human face, the Ashkenazi variant of Mitteleuropean social democracy. It also put an end to the "The Glorious Thirty" and triggered the first "oil crisis". Of the powerful images from this period, two stand out for me: that of European freeways completely empty of cars, and that of the Queen of the Netherlands bringing out her carriage and horses to get around. For the Arabs, '73 had almost erased the humiliation of '67. Ten wars later, where do we stand?


Toufan Al Aqsa : que peut le fer contre le vent ?

Fausto Giudice, Basta Yekfi !,  7/10/2023

À l’aube du shabbat, à 3 h30 GMT, des combattants palestiniens du Hamas et du Djihad islamique ont lancé depuis Gaza une attaque tous azimuts contre Israël : tandis que des centaines (entre 2000 et 5000) de roquettes pleuvaient sur les colonies sionistes, des combattants motorisés ont forcé le « mur de fer » qui encercle Gaza, d’autres ont forcé la barrière maritime et d’autres encore ont atterri en Israël à bord de parapentes équipés de moteurs (ULM). Selon l’armée israélienne, 60 combattants palestiniens ont pénétré dans le territoire. Une quarantaine de soldats et de colons israéliens ont été faits prisonniers dans les premières minutes, le nombre de morts et blessés du côté sioniste reste inconnu. L’opération a été baptisée « Toufan Al Aqsa », le déluge ou la tempête d’Al Aqsa (toufan est le mot arabo-persan entré dans toutes les langues, à l’origine du français « typhon » ; c’est aussi le nom d’une série de missiles iraniens).

C’est une vérité historique : si l’on veut attaquer Israël, on doit le faire un samedi matin, quand les Juifs sont au repos. C’était ce qu’avaient fait les armées égyptienne et syrienne le 6 octobre 1973 en franchissant le Canal de Suez et en entrant dans les Hauteurs du Golan occupées. En 1973, il avait fallu une semaine aux sionistes pour se réveiller, sonnés qu’ils avaient été par l’attaque-surprise, et passer à la contre-offensive. Qui a gagné la guerre du Ramadan/Kippour ? On peut en débattre. Ce qui est sûr, c’est que cette guerre a sonné le glas des travaillistes israéliens, ces sionistes à visage humain, variante ashkénaze de la social-démocratie mitteleuropéenne. Elle aussi mis fin aux « Trente Glorieuses » et déclenché la première « crise du pétrole ». Des images fortes de cette période, deux m’ont marqué : celle d’autoroutes européennes entièrement vides de bagnoles et celle de la Reine des Pays-Bas ressortant son carrosse et ses chevaux pour se déplacer. Pour les Arabes, 73 avait presque effacé l’humiliation de 67. Dix guerres plus tard, où en est-on ?