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03/08/2023

SHEREN FALAH SAAB
Ce n’est pas une blague : des militants du BDS et de la droite sioniste ont tenté d’annuler des concerts d’Emel Mathlouthi en Palestine/Israël

Sheren Falah Saab, Haaretz, 2/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : le Festival international d’Hammamet, en Tunisie, vient d’annuler, sans explications et sans en informer la chanteuse, un concert d’Emel Mathlouthi programmé pour le 9 août [voir le message d’Emel en bas de page]. Ci-dessous l’arrière-fond de cette décision tout simplement stupide.

Emel Mathlouthi a annulé son spectacle à Haïfa à la suite d’une campagne BDS ; les partisans de la droite sioniste ont eu moins de succès à Jérusalem-Est.

La chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi a été attaquée à la fois par le mouvement BDS et par des Israéliens d’extrême droite au cours de la même tournée, qui vient de s’achever, en Cisjordanie et en Israël.

Tout d’abord, elle a annulé la représentation prévue lundi dernier au Fattoush Bar à Haïfa, à la suite d’une campagne médiatique du BDS à son encontre. « Nous appelons les Tunisiens et les Arabes, ainsi que tous les partisans de la Palestine dans le monde, à boycotter Emel Mathlouthi, toute sa musique et tous ses spectacles », avaient écrit les militants du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

Jeudi dernier, Mathlouthi a publié sur sa page Facebook une déclaration rejetant les allégations du BDS selon lesquelles elle “normalise l’occupation par des moyens culturels”. Elle a indiqué que la question palestinienne était une priorité absolue pour elle, comme en témoignent ses chansons, ses prises de position et ses déclarations personnelles. Néanmoins, sa prestation prévue à Haïfa a suscité la controverse sur les médias sociaux, et la pression exercée par le BDS a eu l’effet escompté.

« Suite à la controverse soulevée par la tournée de concerts dans les territoires palestiniens, et afin d’éviter tout malentendu, nous avons décidé de ne pas donner de représentation dans la ville occupée de Haïfa, même si le lieu (Fattoush Bar) est sous propriété palestinienne », a-t-elle écrit.

L’attaque contre la chanteuse a suscité de vives discussions sur les réseaux sociaux de la part de jeunes Palestiniens qui s’opposent à la position du BDS. L’activiste Athir Ismail a écrit sur Facebook : « Je suis une Palestinienne. Et je veux parler de ce que je veux sans que quelqu’un de l’extérieur me regarde et me dise comment me battre et comment vivre ».

Ismail a adressé ses critiques aux militants du BDS vivant à l’étranger, dont les appels au boycott finissent par affecter les Palestiniens vivant en Israël. « Que savez-vous de notre vie ici, à part ce que vous voyez et entendez dans les journaux télévisés ? Vous mettez en doute notre identité palestinienne et vous agissez comme un homme qui pense devoir expliquer à une femme ce qu’elle peut ou ne peut pas faire dans sa lutte contre la masculinité toxique, ce qui est permis et ce qui est interdit ».

L’artiste Haya Zaatry, de Nazareth, a également critiqué les actions du BDS : « Empêcher ou annuler un spectacle musical donné par un artiste arabe dans un espace palestinien indépendant à Haïfa ne fait qu’accentuer l’embargo culturel dans lequel nous (citoyens palestiniens d’Israël) vivons, et c’est une chose mauvaise et dangereuse ».

Zaatry a également critiqué la politique du BDS concernant le boycott des Israéliens palestiniens. « Nous travaillons dur pour produire un art palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour construire un espace culturel palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour faire entendre notre voix dans le monde ». Faisant référence aux militants du BDS, elle a ajouté : « Et, malheureusement, nous n’entendons vos voix que comme une attaque contre nous, et c’est une contradiction ».

Mais ce n’est pas seulement le BDS qui a tenté de faire annuler le spectacle de Mathlouthi. Des militants de la droite sioniste ont également déployé des efforts. La semaine dernière, Shai Glick, directeur de B’tsalmo, et Ran Yishai, directeur du Centre de Jérusalem pour la politique appliquée, ont envoyé une lettre aux ministres Amichai Chikli, Moshe Arbel et Itamar Ben-Gvir, demandant l’annulation du spectacle de Mathouthi à Jérusalem-Est.

Glick et Yishai ont qualifié la chanteuse de “partisane du BDS et d’incitatrice à la haine”. Dans leur lettre, ils soulignent que « Mathlouthi a précédemment refusé de participer à un festival financé par l’ambassadeur d’Israël en Allemagne, et a été félicitée par le BDS pour cela ». Les tentatives visant à faire annuler le spectacle de Jérusalem ont échoué. La semaine dernière, Mathlouthi s’est produite au festival Layali al Tarab fi Quds al Arab [organisé par le Conservatoire national de musique Edward Said de l'Université Bir Zeit].

Mathouthi a été largement reconnue en Tunisie grâce à sa chanson contestataire Kelmti Horra (“Ma parole est libre”), qui est devenue l’hymne de la révolution tunisienne. À la suite de ce succès, elle a sorti son premier album, qui porte le même titre. Sa musique a été saluée pour son mélange de sonorités tunisiennes et occidentales. Son deuxième album, Ensen, sorti en 2017, fait également appel à la musique électronique et classique. En 2020, elle a publié une vidéo pour sa chanson Holm (“Rêve”), qui est chantée en arabe tunisien. Le clip compte plus de 13 millions de vues sur YouTube.

Le BDS a déjà appelé à boycotter les artistes du monde arabe qui se produisent en Israël. Un cas bien connu s’est produit lorsque le chanteur jordanien Aziz Maraka s’est produit à Kafr Yasif, dans le nord d’Israël, et qu’il a été interviewé par Haaretz.

À la suite de ce spectacle, il a été boycotté dans le monde arabe pendant plusieurs années et n’a plus été invité à se produire. Finalement, il a dû présenter des excuses pour s’être produit en Israël. Le BDS a également appelé au boycott du rappeur palestino-jordanien Msallam Hdaib, qui se produit sous le nom d’Emsallam, après son concert à Haïfa. Depuis ce spectacle, il ne s’est plus produit en Israël.

Il s’agissait de la première tournée de Mathlouthi en Cisjordanie et en Israël, qui s’est terminée par l’annulation de la dernière représentation à Haïfa. Ce qui a rendu la situation encore plus inhabituelle, c’est que, pour la première fois, des organisations de droite israéliennes se sont jointes à l’appel du BDS pour boycotter une chanteuse tunisienne dont le seul but était de se produire devant un public palestinien des deux côtés de la ligne verte.

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Emel Mathlouthi

Depuis mon arrivée en Palestine je fais l’objet d’attaques violentes de la part de certaines personnes en Tunisie qui estiment que ma présence en Palestine contribue à la normalisation avec l’occupation Israélienne.

Ces attaques ont conduit à l’annulation arbitraire de mon concert à Hammamet sans en justifier officiellement la raison jusqu’à présent.

D’autres artistes avant moi sont venus chanter en Palestine tels que Souad Massi, Lotfi Bouchnak, Saber Rebai qui pourtant sont invités dans les festivals tunisiens.

Il paraît donc évident que ces attaques et cette annulation visent spécifiquement ma personne et ce que je représente.

La question palestinienne est fondamentale et c’est ce que j’ai toujours affirmé tout au long de ma carrière.

Chanter pour la Palestine en Palestine et pour son peuple n’est pas seulement un acte artistique, mais pour moi et pour tous les Palestiniens que j’ai rencontrés dans leur pays, c’est un acte de résistance et un moyen de briser leur isolement.

Tous ceux qui se proclament plus palestiniens que les Palestiniens et qui essayent de semer le doute sur mes intentions et jeter de l’huile sur le feu confortablement depuis l’écran de leur ordinateur se trompent sur toute la ligne.

J’ai aussi pu observer et vivre le temps de mon séjour l’occupation avec eux et les intimidations quotidiennes aux checkpoints et a l’intérieur des villes a El khalil, Ramallah ou Jenin.

Je demande clarification et réparation de cette grave erreur envers le public tunisien et envers moi et mon équipe en tant qu’artiste tunisienne qui s’efforce toujours d’être une voix libre et indépendante.

Merci aux grands militants Rania Elias, Suheil Khoury et The Edward Said National Conservatory of Music pour votre invitation et m’avoir permis de réaliser ce rêve et de vivre ces moments hors du temps avec le public palestinien à Jérusalem, Ramallah et Bethléem.

Merci a tous pour tous vos précieux messages d’amour et de soutien et merci aux Palestiniens qui m’ont apporté leur soutien inconditionnel tout du long.


 

 

02/08/2023

GIDEON LEVY
Nous détruisons même leurs puits


Gideon Levy, Haaretz, 30/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La bétonnière a vomi le liquide grisâtre qui s’est écoulé bruyamment dans les puits, les obstruant. Il y avait là les soldats qui servaient de gardes, les employés de l’administration “civile” qui avaient conçu ce plan diabolique, les ouvriers qui l’avaient exécuté et les paysans qui voyaient leur subsistance réduite à néant pour l’éternité. 


Les soldats ont tenté de les disperser, comme on chasse un chien errant. Le béton a continué de couler et les gens de l’administration “civile” ont vérifié qu’il recouvrait bien tout. Bientôt, les trois puits étaient scellés. Cela s’est passé mercredi dernier, au sud d’Hébron, près du camp de réfugiés de Fawwar, et c’était l’œuvre du diable, l’un des actes les plus diaboliques de l’occupation - et la concurrence est féroce.

« Aux puits d’eau, aux puits d’eau / à la source qui palpite dans la montagne / mon amour trouvera toujours / l’eau de source / l’eau souterraine / et l’eau de la rivière », écrivait Naomi Shemer en 1982, dans “El borot hamayim”. Comme il est agréable de chanter les puits en public, et comme cette chanson est sioniste, comme toutes ses chansons. Il n’y avait pas d’eau de rivière dans ces puits ; l’amour de Shemer pour la Terre d’Israël n’y aurait trouvé que de l’eau de source et de la nappe phréatique, mais l’eau n’en coulera plus jamais. La haine des Arabes, l’apartheid, la brutalité et le mal recouvrent désormais la source et la nappe phréatique, ainsi que le faux amour pour la Terre d’Israël. Ceux qui bouchent les puits des agriculteurs sont motivés par le mal à l’état pur, et quiconque étouffe l’eau de source hait la terre.

Le mal de l’apartheid a de nombreux visages ; ce bouchage de puits, au cours duquel aucun sang n’a été versé et aucune personne n’a été arrêtée, est l’un des plus laids. Aucun mensonge ou prétexte de sécurité ne peut cacher les puits recouverts de béton, pas plus que l’excuse de la loi et de l’ordre, seulement le mal à l’état pur. Même si ce n’est pas le plus horrible des crimes commis chaque jour dans les territoires, c’est l’un des plus laids : la fermeture des puits d’eau.

Les membres de l’administration “civile” ont certainement une flopée de raisons juridiques et bureaucratiques pour affirmer que ces puits, dans lesquels coulait de l’eau souterraine vitale à la lisière du désert des collines du sud d’Hébron, sont interdits, illégaux, criminels, dangereux et menaçants. Mais rien, absolument rien, ne peut justifier un acte aussi vil et méprisable. Des parcelles de terre sur lesquelles de merveilleux légumes ont été cultivés pendant des années, des choux, des choux-fleurs, des laitues, des tomates et des concombres, un petit jardin potager face à la pression et à la misère du camp de réfugiés de Fawwar et à l’aridité de la montagne, vont maintenant réclamer de l’eau. Il est peu probable que les agriculteurs aient les moyens de faire venir de l’eau par camion. Il est plus probable que ces champs se dessèchent et meurent, tout comme la seule source de subsistance de ceux qui n’ont pas d’autre choix.

Le lendemain, lorsque la vidéo qui l’a documenté est devenue virale, le commandant de l’armée d’occupation, le général de division Ghasan Alyan, qui porte le titre de “coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires”, s’est empressé de publier une directive spécifiant que toutes les activités d’application de la loi contre les infrastructures hydrauliques pendant les mois d’été seraient examinées par le chef de l’administration “civile”. Réexaminée, pas complètement arrêtée ; seulement en été, pas à chaque saison. La destruction des puits et des réservoirs d’eau est la pierre angulaire des activités de démolition de l’administration “civile0”. Quand on veut nettoyer une zone et expulser des gens, il faut d’abord les priver d’eau. C’est le modus operandi. Un État qui empoisonne par les airs les champs de la bande de Gaza et du Néguev n’hésite pas, bien sûr, à priver d’eau les bergers et leurs troupeaux. J’ai vu plus d’un puits que l’administration “civile” a détruit au fil des ans, et aussi certains que les colons ont empoisonnés en y jetant des carcasses d’animaux. Cela ne s’arrêtera certainement pas maintenant.

Il me reste une question à poser : qu’est-ce que le personnel de l’administration “civile” et les soldats ont dit à leurs familles au sujet de leur travail ce jour-là ? Ont-ils dit à leurs enfants ou à leurs parents qu’ils détruisaient les puits d’eau de paysans qui veulent vivre sur leurs terres ? Que c’est leur travail et que quelqu’un doit le faire ? On ne peut qu’espérer que cette journée les hantera pour le reste de leur vie.

 

01/08/2023

HAARETZ
Dans l’Israël de Netanyahou, même les violeurs ont des privilèges s’ils sont juifs

 Éditorial de Haaretz, 1/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Knesset est atteinte de kahanisme malin. Dimanche, elle a promulgué une loi sans rapport avec le coup d’État judiciaire en cours, et dont le processus législatif n’a pas rencontré d’opposition publique ou parlementaire et qui n’a pas valu à ses partisans des cris de « honte à vous ! » Pourtant, cette loi n’est pas moins dangereuse pour la démocratie que le coup d’État, et elle prouve que les processus de fascisation battent leur plein.

Cette loi double la peine pour un crime ou délit sexuel dans le cas où il a été commis pour des motifs nationalistes. L’organisation féministe israélienne Haredi Nivcharot a demandé, à juste titre, dans un document de synthèse soumis à la commission de la sécurité nationale de la Knesset, en coopération avec la commission de la Knesset sur le statut des femmes et l’égalité des sexes, alors que le projet de loi était en cours d’élaboration : « Un juif ultra-orthodoxe qui viole une fille de 12 ans cause-t-il moins de blessures ou de dommages qu’un Arabe palestinien qui viole une fille de 12 ans ? » Depuis cette semaine, la réponse à cette question en Israël est « oui ».

Une fois de plus, il apparaît clairement que lorsqu’il s’agit de haïr les Arabes, nous sommes bel et bien frères et sœurs. Ce projet de loi, avec son esprit de suprématie juive, a été soumis par les députés Limor Son Har-Melech et Yitzhak Kroizer du parti Otzma Yehudit avec certains de leurs rivaux supposés de l’opposition - les députés Yulia Malinovsky, Evgeny Sova et Sharon Nir de Yisrael Beiteinu. Il est horrifiant de constater que cette loi immorale, qui adapte la peine à la « race » du délinquant/criminel - une peine pour un violeur juif et une autre pour un violeur arabe - est le résultat d’une coopération entre différents partis.

Ceux qui pensaient que seuls les membres du parti Yisrael Beiteinu d’Avigdor Lieberman avaient ostensiblement renoué avec leurs habitudes racistes devraient jeter un coup d’œil sur le décompte des voix. Le projet de loi a été soutenu par 39 législateurs, dont les députés de Yisrael Beiteinu et Pnina Tamano-Shata du Parti de l’unité nationale. Seuls sept députés s’y sont opposés, et le seul de ces sept députés à ne pas appartenir à un parti arabe est Gilad Kariv, du parti travailliste. Tous les autres députés du parti travailliste, du parti de l’unité nationale et du parti Yesh Atid n’ont tout simplement pas pris la peine de se présenter au vote.

« Je ne peux pas comprendre les députés de Yesh Atid et du Parti de l’unité nationale, qui savent que cette loi fait partie d’une campagne menée par les forces kahanistes présentes ici, mais qui ont choisi de quitter le plénum », a déclaré Kariv, qui, une fois de plus (comme lors du vote sur l’élargissement de la loi sur les comités d’admission), a prouvé qu’il était le seul homme vertueux de Sodome. « Nous sommes dans une bataille majeure pour stopper cette vague kahaniste, ce tsunami, mais nous nous y opposons uniquement par cette astuce consistant à quitter le plénum », a-t-il ajouté.

Kariv avait raison. Tous ceux qui se disent démocrates mais qui ont abandonné le plénum au moment où la Knesset se comportait comme une foule excitée possédée par un dibbouk du Ku Klux Klan et qui ont ainsi prêté la main à cette abomination par leur silence, ne peuvent pas prétendre avoir les mains propres. Ils sont des partenaires à part entière de ce crime. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la Haute Cour de justice sauvera Israël de ses racistes et annulera cette loi raciale.

L’enlèvement de Dinah, par Giuliano Bugiardini, env. 1554

 

AMEER MAKHOUL
La guerre d’Israël contre les camps de réfugiés vise à “corriger son erreur” de 1948

Ameer Makhoul, +972 Magazine, 1/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les camps de réfugiés sont depuis longtemps un point nodal de l’oppression israélienne et de la résistance palestinienne. L’invasion de Jénine révèle une nouvelle étape dans cette bataille.

Décombres dans les rues de la ville de Jénine en Cisjordanie le 4 juillet 2023, suite à une offensive aérienne et terrestre israélienne majeure, l’une des plus grandes opérations militaires d’Israël dans le territoire palestinien depuis des années. (Nasser Ishtayeh/Flash90)

L’invasion destructrice de deux jours du camp de réfugiés de Jénine par Israël au début du mois de juillet a apporté une nouvelle preuve que l’État sioniste vise à éliminer la structure sociale et urbaine de ces camps palestiniens dans l’ensemble de la Cisjordanie occupée. Cela fait partie d’un plan stratégique de grande envergure visant à mettre fin au “problème” des réfugiés palestiniens - tant ceux qui vivent dans leur patrie que ceux qui vivent en diaspora dans les pays arabes et dans le monde entier.

Cette politique israélienne n’est pas nouvelle. On peut tracer une ligne droite entre la destruction du camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza après 1967, le massacre de Sabra et Chatila pendant la guerre du Liban en 1982 et la réoccupation par Israël du camp de Jénine 20 ans plus tard pendant la deuxième Intifada. Pourtant, depuis un an et demi, cette ambition est devenue une priorité militaire, l’armée israélienne effectuant des raids quasi hebdomadaires dans les camps de Jénine et de Naplouse, dans le cadre de ce qu’elle appelle l’opération “Briser la vague”.

Aux yeux de l’occupant, les camps de réfugiés de Cisjordanie - dont ceux de Jénine, Naplouse, Jéricho, Ramallah, Bethléem et Hébron - sont le lieu où se développe la dynamique de la résistance palestinienne au régime militaire et aux colonies qui en découlent. En effet, depuis qu’ils existent, les camps offrent un abri et un environnement favorable à la planification et à l’organisation des organisations de résistance.

Israël a clairement intérêt à abolir tout statut spécial des camps de réfugiés et souhaite les réaménager de manière à permettre la libre circulation de sa machine de guerre et d’occupation. De là découle la politique de destruction des rangées de maisons et des allées étroites qui les séparent, empêchant l’accès entre les maisons et modifiant le tissu social des camps.

Les attaques incessantes contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), qui fournit des services spécifiquement destinés aux réfugiés palestiniens, font également partie de la politique visant à éliminer le problème des réfugiés. Cette campagne a atteint son apogée sous l’administration Trump, lorsque la Maison Blanche a coupé tout financement à l’agence. Le président Joe Biden ayant rétabli l’aide usaméricaine, Israël a porté sa guerre contre les camps à un niveau supérieur.

De Kafr Qasem à Jénine

Lors de la récente invasion de Jénine, nous avons vu comment l’armée israélienne a déplacé des milliers de résidents de leurs maisons, créant des scènes qui rappellent la Nakba de 1948. Israël a toujours pensé que l’état de guerre pouvait être utilisé pour tenter d’expulser les Palestiniens, et le massacre de Kafr Qasem en est un exemple clair.

Jénine, 4 juillet 2023 (Nasser Ishtayeh/Flash90)

En 1956, alors que les troupes israéliennes envahissaient l’Égypte aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne pendant la guerre du Sinaï, les forces israéliennes ont abattu 49 citoyens palestiniens à Kafr Qasem. Ce massacre était une tentative des dirigeants israéliens de l’époque de “corriger l’erreur” de 1948, lorsqu’ils avaient laissé environ 150 000 Palestiniens à l’intérieur des frontières de l’État nouvellement formé. Avec la guerre du Sinaï comme diversion, ils ont cherché à procéder à une déportation massive des citoyens palestiniens en les effrayant au point qu’ils partent volontairement. Cette tentative a échoué, mais les efforts d’Israël pour “corriger l’erreur” n’ont jamais cessé.

À Jénine, l’occupation a traité le camp et sa population civile comme un terrain d’essai pour certaines de ses technologies militaires les plus innovantes. Ayant tiré les leçons des précédentes incursions de l’armée, les Palestiniens ont réussi non seulement à empêcher la surveillance israélienne de localiser les combattants, mais aussi à empêcher l’armée de fixer les termes de la bataille, au point que le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, s’est inquiété du faible nombre de combattants palestiniens qui ont été tués.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré que si les “terroristes” retournaient dans le camp de Jénine, l’armée ferait de même. Cependant, les Palestiniens estiment également que la résistance a été en mesure de contrecarrer les plans du gouvernement visant à réinstaller les habitants du nord de la Cisjordanie - en particulier les zones où les colonies ont été démantelées dans le cadre du désengagement de Gaza en 2005 - parce que les Israéliens ne s’y sentiront pas en sécurité en raison de l’activité des groupes armés.

Ainsi, sous le gouvernement actuel, Israël entre dans une nouvelle phase de sa guerre contre les camps. Par le biais de la refonte judiciaire, l’extrême droite entend lever tous les obstacles procéduraux et juridiques à son objectif d’épuration ethnique de masse. En effet, bien que la lutte semble être interne à Israël, ses conséquences seront ressenties avant tout par les Palestiniens, dont le “traitement” constitue le véritable ordre du jour de la coalition au pouvoir.

Leur résistance obstinée à l’occupation ne cessant de croître, les camps de réfugiés redeviennent le point nodal de l’oppression israélienne. Ce que nous avons vu à Jénine n’est probablement qu’un début.

LUIS CASADO
Huit cent cinquante-deux pages pour expliquer une évidence : la “loi de l’offre et de la demande”, c’est une fourmi de dix-huit mètres

Luis Casado, Politika, 30/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 Steve Keen pensait suivre des cours d’économie... En réalité, on lui enseignait la vérité révélée. Comme il n’est pas si abruti que ça, Steve a gardé les yeux ouverts. Résultat : un livre de 852 pages...

Ce n’est pas que les livres monumentaux, comme les romans de la littérature russe, me découragent. C’est juste que l’on se demande si le sujet et la qualité de l’écriture valent le détour.

J’ai lu Jérusalem : biographie de Simon Sebag-Montefiore, dont les 667 pages de typographie serrée serrées demandent patience et persévérance, d’autant plus que du début à la fin, ce ne sont que massacres, trahisons et cornes - au sens propre et figuré - dont personne ne sort indemne.

Criminels les uns, criminels les autres, criminels tous, tantôt opprimés, tantôt oppresseurs, toujours avec la prétention de dominer une ville et une région qui n’ont cessé de changer de mains depuis l’époque lointaine - il y a plus de 3 000 ans - où Babylone faisait office d’empire sous la dynastie d’Hammourabi.

Des millénaires de fanatisme, de conquêtes, d’occupations et de guerres d’extermination au nom du vrai dieu, aussi sanguinaire, vengeur et nigaud que ses inventeurs terrestres.


Cependant, les huit cent cinquante-deux pages de L’Imposture économique de Steve Keen, c’est un peu trop pour moi. Je ne nie pas l’intérêt de ses arguments, ni la clarté de ses démonstrations, ni même la qualité d’une prose qui, sans être littéraire - et sans atteindre la clarté lumineuse des écrits d’un Bernard Maris - diffère grandement de la nullité médiocre et arrogante pratiquée par l’immense majorité des économistes.

Il arrive que Keen, et/ou ses préfaciers, laissent échapper le nom de l’assassin dans les premières pages. Maintenir l’intérêt de l’histoire dans ces conditions n’est pas à la portée de n’importe qui : il faut le génie d’un García Márquez dans Chronique d’une mort annoncée.

Mon exemplaire de L’Imposture économique est une édition de poche (L’atelier en poche). Le deuxième paragraphe de l’avant-propos de Gaël Giraud y est un choc pour tout économiste crétin, c’est-à-dire pour l’immense majorité d’une profession qui concentre les crétins comme une cuvette de WC concentre les Escherichia coli.

En résumé, Gäel Giraud explique que la fameuse loi de l’offre et de la demande, ça n’existe pas.

Pouvez-vous imaginer la tête des experts ? En effet, Keen montre que la courbe d’offre n’existe pas et que la courbe de demande globale pourrait bien ne pas être une fonction dégressive du prix.

Keen ne fait que répéter ce que d’autres avaient compris avant lui : la fausseté de la loi de l’offre et de la demande, pilier fondamental de la théorie de l’équilibre général.

Entre autres, Sonnenschein, dont le théorème - établi entre 1972 et 1974 avec Rolf Ricardo Mantel et Gérard Debreu, donc également appelé théorème Sonnenschein-Mantel-Debreu - montre que les fonctions de demande et d’offre de la théorie de l’équilibre général (TEG) peuvent avoir n’importe quelle forme, ce qui réfute le résultat d’unicité et de stabilité de l’équilibre général.

La première édition du livre de Keen aux USA date de 2011 (Debunking Economics. The Naked Emperor Dethroned ?). Ainsi, bien qu’il ne s’agisse pas d’une première, l’intérêt de son livre tient principalement à l’effort de vulgarisation et à la méthodologie avec laquelle il s’attaque à chacune des faussetés de la théorie économique.

En bref, il s’avère que nous savons depuis au moins un demi-siècle que la soi-disant loi de l’offre et de la demande est un pur sophisme, une aberration, une tromperie, une mystification.

À propos de la théorie de l’équilibre général :

« S’il existe un équilibre (Gérard Debreu a démontré qu’il peut exister grâce au Théorème du Point Fixe de Broüwer), à moins de tomber dessus par hasard, on en le trouve pas. Et si, par hasard, on le trouve... l’équilibre s’éloigne. Si les mots "marché" et "loi de l’offre et la demande" ont un sens, c’est celui d’aberration, de déséquilibre, d’indétermination, de destruction, de désordre. Bordel. Le marché est un vaste bordel ». (Bernad Maris).

Pour ceux que le sujet intéresse, en mathématiques, le théorème du point fixe de Broüwer est un résultat de la topologie. Il fait partie de la grande famille des théorèmes du point fixe qui affirment que si une fonction vérifie certaines propriétés, alors il existe un point x0 tel que f(x0)=x0.

Broüwer aurait ajouté : « Je peux formuler ce magnifique résultat d’une autre manière. Je prends une feuille de papier horizontale, une autre feuille identique que je froisse et, après l’avoir étirée, je la replace sur la première. Un point de la feuille froissée se trouve au même endroit que sur l’autre feuille ».

Mais le mien a à voir avec le livre de Steve Keen, où la vérité vous est révélée dès les premières pages, sans garder de mystère pour le dernier chapitre.

Steve Keen affirme avoir réalisé très tôt l’indigence de ce qu’on lui enseignait à l’université de Nouvelle-Galles du Sud. Dans sa préface à la première édition de L’imposture économique, Keen s’interroge :

« Pourquoi les économistes persistent-ils à utiliser une théorie dont le manque de solidité a été si clairement démontré ? Pourquoi, malgré l’impact destructeur des politiques économiques préconçues, la théorie économique constitue-t-elle encore la boîte à outils utilisée par les politiciens et les bureaucrates pour la plupart des questions économiques et sociales ? »

Keen a quelques idées à ce sujet :

« La réponse se trouve dans la manière dont l’économie est enseignée dans le monde universitaire ».

Cependant, la méfiance de Keen à l’égard des enseignements reçus au cours de ses études universitaires l’a conduit non seulement à douter de la pertinence de la science économique, mais aussi à enquêter, rechercher et parvenir à une conclusion dans laquelle il était loin d’être le premier :

« Ce scepticisme a inauguré un processus exponentiel de découvertes qui m’ont fait comprendre que ce que j’avais considéré au début comme une formation en économie, était en réalité à peine mieux qu’un endoctrinement ».

Keen pensait être à l’université. En réalité, il suivait des cours de catéchisme.

Qui aurait le courage d’aspirer à ce tome gigantesque si, après une brève lecture, on vous a déjà dit que tout le texte n’est que mensonges, faussetés, inventions, sophismes, dogmes et vérités révélées par un groupuscule d’illuminés ?

La théorie économique se résume à la loi de l’offre et de la demande : si les prix augmentent, l’offre augmente ; si les prix augmentent, la demande diminue. Et vice versa.

Les causes du chômage ? L’offre et la demande. Un léger déséquilibre qui ne peut être corrigé que par l’offre et la demande.

La chute du prix du cuivre ? L’offre et la demande.

L’augmentation des investissements ? L’offre et la demande.

La disparition des espèces marines ? L’offre et la demande.

La baisse du taux de natalité ? L’offre et la demande... a dit un crétin appelé Gary Becker, prix Nobel d’économie.

Inflation, déflation, allocation des ressources, politiques publiques et recherche d’or au Klondike... ? L’offre et la demande.

Mais comme nous l’avons déjà dit, Sonnenschein a montré dans les années 1970 que les fonctions d’offre et de demande sont des histoires à dormir debout. Keen affirme que la courbe d’offre n’existe pas et que la courbe de demande est une invention.

Cependant, le monde universitaire - et avec lui le monde des affaires, les gouvernements et les parlements - ne comprend pas. Il fait semblant de croire que la terre est plate. Comme si la loi de l’offre et de la demande avait un sens et permettait les projections et les calculs sur lesquels les experts fondent leurs prévisions économiques.

En lisant Henri Guillemin, on apprend que les classes dirigeantes du XVIIIe siècle - noblesse, clergé, bourgeoisie - considéraient la religion comme une superstition pernicieuse des ignorants. Pour eux, bien sûr. Parce que la religion était utile pour faire taire les misérables : le pouvoir était encore “d’origine divine”. Celui qui osait se rebeller contre sa situation de péquenaud exploité, affamé, ne faisait que blasphémer, insulter Dieu et le ciel.

Les évêques, les ducs et les marquis, l’intelligentsia voltairienne, les riches marchands et industriels, bref, les potentats, sont aussi oublieux de Dieu que de leur première malédiction. Ce qui ne les empêche pas d’organiser d’éminentes cérémonies religieuses pour contenter le populo.

Il en va de même pour l’économie : la loi de l’offre et de la demande - ainsi que le reste du charlatanisme économique - ne sert qu’à expliquer aux pauvres la chance qu’ils ont d’être exploités par des gens qui, eux, comprennent de quoi il retourne.

Sinon, on court le risque de la volatilité, de l’instabilité, de l’incertitude, de la disparition des marchés et, avec elle, de l’évaporation du paradis sur terre.

Tout ce dont ils ont besoin pour tenir un tel discours, c’est de quelques titres quotidiens dans la presse docile.

Huit cent cinquante-deux pages pour expliquer une telle évidence, décidément, c’est too much.

La Lithotomie (La Cure de la folie ou L’Extraction de la pierre de folie), par Jérôme Bosch, env. 1494. Musée du Prado, Madrid

MARSHA GOLDBERG
Pas de technologie pour l’apartheid israélien!
Rassemblement devant le Sommet d’Amazon Web Services à New-York

 Marsha Goldberg, Workers World, 31/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

New York City - Des travailleur·ses de la technologie d’Amazon et de Google se sont rassemblés devant le sommet annuel d’Amazon Web Services au Javits Center à New York City le 26 juillet. Les travailleur·ses ont scandé haut et fort : “Palestine libre, pas de technologie pour les crimes d’Israël !”. Ce rassemblement s’inscrivait dans le cadre de la campagne “Pas de technologie pour l’apartheid”, qui se poursuit depuis deux ans.

Photo WW : Marsha Goldberg

Des pancartes peintes à la main dans la foule témoignaient de la solidarité de la classe ouvrière avec le peuple palestinien, ciblant les patrons d’Amazon et de Google pour les contrats d’un milliard de dollars qui permettent la surveillance de masse par l’État d’apartheid israélien. Sur certaines de ces pancartes, on pouvait lire : “Les travailleur·ses de la technologie uni·es contre l’apartheid israélien”, “Les travailleur·ses d’Amazon et de Google uni·es pour les droits des Palestiniens” et “Amazon profite de l’occupation militaire israélienne”.

Les premiers orateur·trices du rassemblement étaient cinq travailleur·ses de la technologie d’Amazon qui venaient de quitter le Javits Center, où ils s’étaient levés, un par un, et avaient perturbé l’ensemble du discours d’ouverture. Des représentant·es du syndicat Amazon de l’entrepôt de Staten Island - le premier entrepôt d’Amazon où les travailleur·ses ont remporté une élection de représentation syndicale - étaient présent·es en signe de solidarité.

Ils/elles ont fait le lien entre la surveillance israélienne du peuple palestinien à l’aide de la technologie d’Amazon et la surveillance des travailleur·ses dans les immenses entrepôts d’Amazon, où chaque seconde de leur temps est pistée.

Les travailleur·ses ont brandi des pancartes du Workers World Party sur lesquelles on pouvait lire : “Défendons la Palestine - le sionisme est un génocide !” et “L’apartheid israélien est un génocide financé par les USA”.