Sergio Rodríguez
Gelfenstein, 2/2/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Il est presque naturel pour les pays (surtout les puissances, car elles ont plus de facilités pour le faire) de vouloir résoudre leurs problèmes internes en déclenchant des conflits à l'étranger. Cela conduit à des attaques contre leur sécurité nationale, à un faux nationalisme et à des appels manichéens à l'unité nationale pour défendre une souveraineté et une intégrité menacées.
Qui peut douter que le conflit artificiel entre Russie et Ukraine réponde à cette logique ? Surtout au vu de l'échec proverbial et accéléré des administrations de Joe Biden aux USA et de Boris Johnson en Grande-Bretagne. La popularité de Biden est l'une des plus basses de tous les présidents usaméricains à la fin de sa première année de mandat.
Selon un article publié par le Los Angeles Times le 20 janvier, citant un sondage Associated Press-NORC Center for Public Affairs Research, seules 43 % des personnes interrogées approuvent les performances du président. De même, seuls 28% souhaitent que Biden se représente en 2024, dont 48% des démocrates. Sur le plan économique, la situation est pire, avec seulement 37% d'avis favorables sur la performance du président. Il convient de noter que l'inflation en 2021 a été la plus élevée depuis 40 ans.
La perception de la gestion de la pandémie n'est pas meilleure non plus, rejetée par 55% des USAméricains. De même, le gouvernement est considéré comme ayant été totalement inefficace dans la gestion de la question de la migration et n'a même pas été en mesure de réaliser son plan de dépenses pour les infrastructures et l'amélioration de l'économie. D'une manière générale, il est perçu comme n'ayant pas été en mesure d'établir un consensus avec les républicains - ce qui était un slogan majeur de sa campagne - et même pas avec certains des parlementaires les plus conservateurs de son parti démocrate. Dans ce contexte, les citoyens se demandent quel est l'intérêt de réélire Biden, qui est perçu comme une prolongation de la crise.
La situation n'est pas différente pour Boris Johnson, qui se trouve également au milieu d'une profonde crise politique suite à la fuite d'un courriel dans lequel le secrétaire principal du Premier ministre, Martin Reynolds, invitait le personnel du gouvernement à une fête en plein confinement.
Le chef du parti travailliste, Keir Starmer, a demandé la démission de Johnson, alors que les sondages montrent que 90 % des Britanniques pensent qu'il devrait se retirer.
Dans ce contexte, quiconque a des doutes sur les véritables objectifs qui se cachent derrière le déroulement de la « crise ukrainienne » devrait écouter Johnson qui, après une visite en Ukraine, après s'être excusé d'avoir participé à la fête, a fait appel au sentiment national, appelant à « concentrer tous les efforts pour tenir tête à la Russie ». Tout cela après que le député écossais Ian Blackford lui avait demandé d'accepter de faire l'objet d'une « enquête de police pour avoir enfreint ses propres lois ». La députée travailliste Angela Rayner, numéro deux du Labour, a déclaré que Johnson « devrait partir » immédiatement.
Lorsqu'un autre député l'a accusé de « ruiner la réputation du pays », Johnson a répondu en disant : « La réputation de notre pays dans le monde est basée [...] sur notre capacité à rassembler des alliés pour s'opposer à Vladimir Poutine. C'est ce sur quoi le monde se concentre en ce moment et c'est ce sur quoi je me concentre en ce moment », indiquant clairement quel est le véritable objectif de son affaire ukrainienne. De même, en indiquant clairement qui mourrait dans une éventuelle guerre entre la Russie et l'Ukraine, Johnson a déclaré : « La meilleure chose que nous puissions faire est d'informer les citoyens russes que les Ukrainiens se battront jusqu'à la dernière goutte de sang ». Bref, Johnson a décidé que les Ukrainiens devaient mourir pour les sauver, lui et Biden, de la débâcle.
Un lecteur non averti pourrait penser que je ne fais que divaguer sur la situation à la frontière ukraino-russe, mais ce sont les autorités ukrainiennes elles-mêmes qui ont pris l'initiative de rapporter ce qui se passe réellement là-bas. Vendredi 28 janvier, le président ukrainien Vladimir Zelensky a mis en garde contre l'impression créée à l'Ouest qu'une guerre avec la Russie est imminente et a exclu que cela se produise, tout en déplorant que la terreur créée autour de cette prétendue guerre porte préjudice à l'économie nationale.
Le président ukrainien a demandé : « Y a-t-il des chars dans les rues ? » Il a lui-même répondu qu'il n'y en avait pas, mais que c'était l'impression qui avait été créée dans des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France et la Lituanie, où les médias ont transmis de fausses nouvelles sur la mobilisation des forces armées et la militarisation des villes, ce qui était faux. Néanmoins, on assiste à une situation d'horreur qui cause de graves dommages économiques au pays à partir de ce qu'il a appelé une manifestation d'hystérie qui l'a obligé à parler aux dirigeants d'autres pays pour préciser que l'Ukraine a besoin de stabiliser son économie, alors que les nouvelles qui sont diffusées vont dans la direction opposée.
Dans une allusion claire mais voilée à Biden et Johnson, il a remarqué: « ... des signaux proviennent de dirigeants d'États respectés qui disent ouvertement, sans même utiliser le langage diplomatique, qu'il y aura une guerre demain ». Il a noté que cela provoque la panique dans la société, sur les marchés et dans le secteur financier, précisant qu'une très importante somme d'argent a fui le pays ces derniers jours, déplorant que « l'escalade conçue par les médias a un 'coût élevé' pour le pays ».
Après avoir agité le spectre d'une guerre sans lendemain en novembre, qui - selon la chaîne usaméricaine CNN - a même été annoncée par Biden à Zelenski (bien que démentie par Washington et Kiev), plus récemment, le 26 janvier, la sous-secrétaire d'État usaméricaine Wendy Sherman a elle-même donné une date à l'invasion russe en déclarant que « tout indique que [le président russe Vladimir Poutine] utilisera la force militaire à un moment donné, peut-être entre maintenant et la mi-février », déclenchant « l'hystérie dans l'hystérie, alors que des pays comme les États-Unis, le Canada, l'Australie et le Japon ont commencé à retirer leurs diplomates de Kiev ».
Zelenski a déclaré qu'une telle décision était une erreur, mais avec la rhétorique des pays subordonnés, il s'est empressé de préciser : « Je n'ai pas le droit de dire que c'est une erreur pour les gouvernements des pays respectés. Je pense que c'est une erreur pour nous, pour l'Ukraine ».
D'autre part, cette situation a continué à approfondir les contradictions intereuropéennes. Les dirigeants du Vieux Continent devront trouver des arguments pour expliquer à leurs citoyens les raisons pour lesquelles, suivant les ordres de Washington, ils sont contraints de payer le gaz qu'ils consomment à un prix trois ou quatre fois supérieur à celui qu'ils auraient eu à payer s'ils l'avaient acheté en Russie. À cet égard, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a déclaré que l'expansion de l'OTAN vers l'est n'est pas à l'ordre du jour de l'Alliance. Elle a également réaffirmé que l'inclusion de l'Ukraine dans l'OTAN « n'est pas à l'ordre du jour pour le moment », ajoutant que les Ukrainiens veulent vivre en paix et qu'il est donc essentiel de revenir aux discussions sur la mise en œuvre des accords de Minsk. Il est intéressant de noter qu'elle est d'accord avec la Russie sur ce point.
Le même jour, vendredi 28 janvier, confirmant les déclarations du président Zelensky, le ministre ukrainien de la Défense, Alexei Reznikov, a déclaré au parlement qu'il n'y avait pas de préparatifs pour une offensive russe contre son pays. Il a expliqué : « Pour le moment, il n'y a pas d'événement ou d'action militaire [de la part de Moscou] qui soit sensiblement différent de ce qui s'est passé au printemps dernier ».
Mais quelle a été la décision de Biden dans cette situation, où l'on pourrait s'attendre à ce que les tensions s'apaisent et que les conditions de négociation et de dialogue s'améliorent ? Le même jour, sans commenter les déclarations de Zelenski et du ministre ukrainien de la défense, il a annoncé qu'il allait déplacer à court terme davantage de troupes en Europe de l'Est et dans les pays de l'OTAN.
Dans le même temps, les USA ont convoqué une session du Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui, selon le représentant russe auprès de l'ONU, Vasili Nebenzia, ne contribue pas à la résolution du conflit en Ukraine, mais lui nuit plutôt. Selon Nebenzia, le format ouvert proposé par les USA est un exemple classique de « diplomatie du mégaphone », qui ne résout rien et crée davantage de bruit en envoyant un message erroné sur ce qui se passe.
Au fait, quelqu'un a-t-il pris la peine de demander aux Ukrainiens ce qu'ils pensent de l'adhésion à l'OTAN ? Le chercheur ukrainien Volodymyr Ishchenko associé à l'Institut d'études est-européennes de l'Université libre de Berlin, dans un article intitulé « L'OTAN et l'Ukraine : laissons les Ukrainiens décider démocratiquement » publié sur le site sinpermiso.info, souligne qu'en décembre 2007, moins de 20% des citoyens ukrainiens étaient favorables à l'adhésion de leur pays à l'OTAN. Bien qu'après le coup d'État de 2013 et le référendum en Crimée qui a consacré son incorporation à la Russie, ce chiffre soit passé à environ 40 %, c’est toujours une majorité de plus de 60 % des citoyens ukrainiens qui rejettent l'adhésion à l'organisation belliciste agressive dirigée par les USA.
Toutefois, en publiant ce dernier chiffre, Ishchenko précise que « les sondages n'incluaient plus les citoyens ukrainiens les plus pro-russes [sic] des territoires qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement ukrainien : la Crimée et le Donbass », ce qui rend impossible la comparaison statistique des deux chiffres.
Ainsi, il est clair que le « conflit » en Ukraine est une invention artificielle des USA et de la Grande-Bretagne avec la complicité des élites européennes visant à court terme à sauver Biden et Johnson de la débâcle, et au niveau stratégique à consolider la domination et l'hégémonie anglo-saxonnes dans le monde, même si cela conduit à une nouvelle guerre en Europe avec les pertes habituelles de millions d'êtres humains et de biens matériels que Washington et Londres regarderont de loin, pour ensuite, un peu plus tard, inventer un nouveau « débarquement en Normandie » qui les consacrera (avec l’aide d'Hollywood) comme « défenseurs de l'humanité », même s'ils le font sur les cadavres de millions de citoyens qui, aujourd'hui, sont empêchés de s'approvisionner en gaz à bas prix et qui, plus tard, seront de la chair à canon dont les marchands d'armes profiteront pour augmenter leurs profits.
Élargissement de l'OTAN, par Patrick
Chappatte, Le Temps, 2008
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