19/05/2021

Ras l’bol de l’hystérie pro-israélienne en Allemagne

Abi Melzer, Der Semit, 19/5/2021 

Traduit par Fausto Giudice

Abraham (Abi) Melzer (Samarcande, 1945) est un éditeur, écrivain et blogueur juif allemand qui a grandi en Israël et a émigré avec sa famille en Allemagne en 1958.

 L'hystérie qui règne en Allemagne parmi les politiciens et dans les médias face aux événements en « Terre sainte », comme on appelle Israël sur la ZDF [deuxième chaîne de télévision publique], est devenue insupportable. 

On n’a plus envie de critiquer cette hystérie, car cela revient à essayer de verser de l'eau dans un seau dont le fond est troué. Les nuits de bombardements sur Tel Aviv ressemblent effectivement aux nuits de bombardements sur Gaza, du moins en ce qui concerne la peur de la population, mais trop d'Israéliens acceptent malheureusement les mensonges de leur gouvernement, et en Allemagne ce n'est pas différent. Occupants et occupés ont peur d'une guerre imminente, d'un avenir incertain. Dans une guerre, il n'y a pas de gagnants, seulement des perdants. Et nous, en Allemagne, nous avons peur des jeunes Palestiniens et Musulmans qui protestent désespérément et nous nous protégeons en les traitant d'antisémites. Lors d'une manifestation pro-israélienne à Munich, une femme juive qui vit en Israël a déclaré qu'elle avait plus peur à Munich qu'à Sderot, où des roquettes provenant de Gaza tombent chaque jour. Ce n'est pas seulement exagéré, c'est complètement écœurant. Selon la police et les médias, la quasi-totalité des rassemblements et des manifestations ont été pacifiques. À quel point faut-il être dogmatique pour ignorer non seulement ce qui se passe en Allemagne, mais aussi ce qui se passe à Sderot.

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                                                                Carlos Latuff

Les Palestiniens sont expulsés de leurs maisons et appartements à Jérusalem-Est depuis des années. Ils doivent laisser la place à des colons juifs national-religieux. Ce qui se passe actuellement à Sheikh Jarrah n'est pas seulement un excellent exemple de purification ethnique et de violence liée à l'occupation israélienne, mais aussi un exemple de la politique impitoyable d'un premier ministre autoritaire et réactionnaire de droite qui est prêt à sacrifier des soldats israéliens et des civils palestiniens uniquement pour détourner l'attention de ses affaires judiciaires et rester au pouvoir. Comme Netanyahou n'a pas de majorité pour former une coalition, il cherche l'escalade à Jérusalem pour creuser un fossé entre ses adversaires politiques, ce qu'il a réussi à faire, puisque le parti arabe Raam, qui était prêt à former une coalition avec les adversaires de Bibi, y a bien sûr renoncé à la lumière des récents développements.

Entretemps, les Palestiniens ont commencé à riposter. Et lorsque cela a été connu au niveau international, les hypocrites journalistiques et politiques du monde entier sont sortis de leurs trous. Sans s'être informés, ils savent quoi écrire : pour Israël d'un côté et en appelant à la haine de l'autre. Le magazine conservateur Focus et ses correspondants Ulrich Reitz et Hugo Müller-Vogg clament haut et fort leur ignorance, et des politiciens comme Heiko Maas (ministre fédéral des Affaires étrangères) et Cem Özdemir [député fédéral des Verts, ancien président du parti, se définissant comme « Souabe anatolien », NdT] ne parlent que d'antisémitisme, comme si cela pouvait expliquer la situation en Israël/Palestine.

Ainsi, Reitz écrit - si je peux commencer par le dernier paragraphe de son pamphlet - que le logo de Paliroots montre une carte d'Israël incluant Gaza et la Cisjordanie aux couleurs palestiniennes, - en d'autres termes : « L'organisation ne reconnaît pas le droit à l'existence de l'État d'Israël ».  Est-ce là une preuve de la politique palestinienne ou une preuve d'interprétations obsessionnelles ? Ce qui est certain, cependant : Israël, en tout état de cause, ne reconnaît pas du tout le droit à l'existence d'un État de Palestine.

Seule une personne qui ne veut rien savoir des conditions sur le terrain peut ne pas comprendre le contexte. Paliroots est une marque déposée pour des produits économiques. Fondée en 2016, la mission de PaliRoots est de sensibiliser le monde à la culture palestinienne en fabriquant des produits spécialisés inspirés de cette culture.

Le logo dessine le contour de l'ancien territoire sous mandat britannique de la Palestine. Comment la marque est-elle censée transmettre l'affirmation politique selon laquelle Israël n'existe pas ou que son droit d'exister n'est pas reconnu ? Au mieux, la marque indique l'origine des produits sur le territoire de l'ancien mandat.

D’ailleurs, si vous louez une voiture en Israël, vous obtenez gratuitement une carte routière. Elle est délivrée par le ministère israélien des Transports. Sur cette carte, tout comme sur la carte de Paliroots, aucune frontière n'est indiquée. La société de location de voitures précise que l'assurance n'est valable que « dans les frontières d'Israël ». Et où sont indiquées les frontières sur cette carte du ministère ? Nulle part ! Il n'y a pas de frontières à trouver. Les cartes de la société de location de voitures sont identiques à celles du gouvernement et ne peuvent être distribuées que sous cette forme.

Mais du côté de chez nous, les gens pensent qu'ils peuvent rejeter sur les Palestiniens la responsabilité de l'absence de lignes frontalières sur les cartes. Pourquoi les médias allemands, comme le faisait autrefois le Stürmer, choisissent-ils arbitrairement des faits pour en faire des objets à scandale politique ? Pour Julius Streicher, le rédacteur en chef du Stürmer, les Juifs étaient un peu comme des rats. Ils apparaissent également dans le magazine de Streicher comme des représentants du capital américain. De toute façon, ils étaient fondamentalement responsables de tout (les Juifs sont notre malheur !). Ulrich Reitz et Hubert Meyer-Vogg puisent essentiellement dans le fonds du vieux maître Julius Streicher. Ils ne font que changer l'image de l'ennemi : pour eux, les Palestiniens sont fondamentalement responsables de tout.

Hubert Meyer-Vogg n'hésite pas à accuser Greta Tunberg, la jeune icône suédoise du climat, d'abuser de sa célébrité pour « soutenir les efforts des Palestiniens terroristes visant à anéantir Israël et son peuple ». Le crime de Greta a été de diffuser les messages de la juive canadienne Naomi Klein sur Twitter auprès de ses millions de « followers ». Pour Meyer-Vogg, cependant, Naomi Klein, une juive, est une « haïsseuse d'Israël » parce qu'elle accuse à juste titre Israël « d'un crime de guerre après l'autre ». Naomi Klein fait ce que sa conscience lui dicte. Seules des personnes qui n'ont aucune conscience peuvent condamner cela. Et Meyer-Vogg ferait mieux de se taire. Avec des amis comme ceux-là, Israël n'a vraiment plus besoin d'ennemis.

On entend et on lit presque exclusivement des articles sur le « Hamas islamiste radical », qui est financé « par de l'argent étranger » - de l'Iran, bien sûr. Le Hamas veut soi-disant « jeter les Juifs à la mer ». En fait, le Hamas n'a pas jeté un seul Juif à la mer depuis la fondation de l'État d'Israël. Les Israéliens, en revanche, ont poussé des centaines de milliers de Palestiniens dans le désert, par exemple. Pourtant, Israël est financé à hauteur de milliards de dollars par les USA et l'Allemagne. « Pecunia non olet » (L’argent n’a pas d’odeur), disait l'empereur Vespasien. Si l'argent des Iraniens sent mauvais, l'argent des Américains aura la même odeur, d'autant plus que l'argent des Iraniens n'est que l'argent des paiements américains pour le pétrole.

Ulrich Reitz se plaint que la ville de Hagen a amené un drapeau israélien qui avait été hissé à l'origine pour marquer l'anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques entre l'Allemagne et Israël (12 mai 1965). Reitz voit dans l'enroulement un « déficit de démocratie ». Pourquoi ? Reitz écrit que « certains citoyens auraient interprété le lever du drapeau israélien comme une prise de position unilatérale en faveur d'Israël dans le conflit militaire actuel entre Israël et le Hamas ».

La municipalité n'a-t-elle pas agi très intelligemment en enroulant le drapeau, comme le demandaient des citoyens inquiets, alors que des manifestants en colère auraient peut-être voulu le brûler ?  Étant donné que M. Reitz considère le Hamas comme une organisation terroriste, je pense qu'il espérait un coup d'éclat. Évidemment, il est déçu parce que l'administration de la ville a gâché son plaisir.

Moshe Zuckermann, professeur émérite à l'université de Tel Aviv, a déclaré dans une interview ces jours-ci : « Le fait qu'un jour après que l'escalade de la violence avait éclaté, à Charlottenburg, le maire ait hissé le drapeau israélien pour montrer sa solidarité avec Israël ne m'a pas rempli de moins de que le fait que certains critiques d'Israël pensent qu'ils doivent absolument se profiler comme antisémites ».  Je ne pourrais pas être plus d'accord. Et Moshe Zuckermann de poursuivre : « L'antisémitisme est une connerie, disons-le. Mais le danger est beaucoup moins grand aujourd'hui qu'il ne l'était autrefois. Bien sûr, l'antisémitisme est l'une des pires formes de ressentiment de l'histoire. C'est pourquoi il faut le combattre. Mais il faut aussi dire que ceux qui pensent qu'il faut être solidaire d'Israël et ce faisant combattre l'antisémitisme ont une image complètement fausse. Israël a fait beaucoup pour banaliser l'antisémitisme dans le monde arabe ».

Mais Reitz et Meyer-Vogg ne sont pas seuls : de nombreux autres journalistes et scribouillards confondent la colère justifiée des jeunes Arabes et Turcs envers Israël avec la « haine des Juifs ». Il n'y a pas si longtemps, les Allemands d' « Allemagne central » détestaient les Russes pour avoir occupé leur pays. Et ne scandait-on pas « Yankees go home » lors des manifestations en Allemagne de l'Ouest ? Et de quelle longueur pourrait être la liste des peuples d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie orientale qui détestent les gringos et les Yankees ? Il est dans la nature des choses qu'un peuple opprimé par l'occupation commence tôt ou tard à haïr ses oppresseurs. Après 70 ans d'oppression brutale, les Palestiniens détestent inévitablement les Israéliens aujourd'hui. Autrefois, les Juifs haïssaient aussi leurs occupants grecs, romains, babyloniens et égyptiens et se sont soulevés contre eux. Et si les occupants sont des Israéliens, alors les détester n'est pas nécessairement de l'antisémitisme. Après tout, les Arabes et les Palestiniens ont également détesté et combattu les Turcs qui ont occupé leurs terres et limité leur indépendance. C'était alors Après tout, les Arabes et les Palestiniens ont également détesté et combattu les Turcs qui ont occupé leurs terres et restreint leur indépendance. Ce n'était pas de l'antisémitisme, ni à l'époque ni aujourd'hui. « C'est banaliser les manifestations », a déclaré le Dr Khouloud Daibes, ambassadrice palestinienne, lors d'une interview sur la radio Deutschlandfunk, « si on les qualifie simplement d'antisémites ».  Il était embarrassant d'écouter le présentateur la presser de prendre ses distances avec les lancers de roquettes sur Tel Aviv. Je n'ai jamais vu qu’on ait demandé à un ambassadeur israélien de prendre ses distances par rapport au bombardement de Gaza.

Le terme « antisémitisme » désigne une haine injustifiée, raciste et irrationnelle, tout comme en Allemagne, où les citoyens juifs n'opprimaient pas les Allemands, mais étaient tout de même haïs par eux. Ulrich Reitz et ses semblables ne font peut-être pas la distinction entre les deux. Mais s'il y a un antisémitisme palestinien, turc ou autre qui se développe à partir de la critique d'Israël, alors c'est exactement ce que les Israéliens veulent, parce que l'antisémitisme sert la propagande israélienne. Ils ont besoin de l'antisémitisme précisément pour pouvoir dire : « Le monde entier est contre nous. C'est pourquoi nous ne laisserons personne nous dire ce que nous devons faire ».

Cela me rappelle le poème de Heinrich Heine de 1824 :

À Edom !

Voilà déjà mille ans et plus
que nous nous supportons en frères :
toi tu souffres que je respire,
moi je permets que tu sois hors de sens.

Parfois seulement, dans des jours sombres, tu as eu d'étranges caprices,
et tes pattes doucereusement pieuses
tu les as teintes de mon sang.

Aujourd'hui se raffermit notre amitié,
et chaque jour elle se resserre encore,
car je commence moi-même à perdre le sens,
 et je deviens presque tel que toi.

En tant qu'Israéliens, les Juifs sont en effet devenus comme tous les peuples, ce qui était l'un des objectifs du sionisme.

C'est pourquoi Reitz ne se soucie pas de la différence entre la haine justifiée des Palestiniens pour leurs occupants israéliens et la haine des antisémites allemands pour leurs concitoyens juifs. L'Israélien détesté est un Juif tout comme le concitoyen juif détesté en Allemagne selon la vieille formule « Jud ist Jud » [« Un youd est un youd »] comme elle était propagée dans le Stürmer. Il est peut-être vrai que l'immigration des jeunes musulmans (Reitz écrit « islamistes », bien sûr) a parfois échoué. Mais certainement pas dans le sens de l’ « antisémitisme ». Le nombre d'incidents antisémites présumés parmi un million d'immigrants environ est si faible qu'il peut difficilement être exprimé en pourcentages. Non, on n'a pas été « trop crédule » envers la jeunesse palestinienne, ni « trop naïf », mais plutôt « empoisonné » par des plumitifs comme Henryk M. Broder avec le slogan israélien : « C'est vrai, on a chassé les Palestiniens, mais malheureusement pas assez loin ».

Comparée à l'agitation de Broder, l'agitation de Benjamin Netanyahou contre les Arabes et les gauchistes est plus cynique et dangereuse et sans précédent dans l'histoire d'Israël. Il est le politicien qui a essayé de toutes ses forces - divide et impera - de diviser pour régner. Mais au final, il n'a réussi qu'à diviser, et nous en voyons le résultat aujourd'hui. Mais qu'est-ce qu'on en a à faire de Netanyahou. Laissons les Israéliens s'occuper de lui. Mais balayons devant notre propre porte :


Özdemir au Mur des Lamentations à Jérusalem en 2012

Cem Özdemir a prêché dans le Heute Journal (JT) la liberté, l'indépendance et le droit de manifester. Ces droits fondamentaux sont pour lui un privilège, « également pour les Turcs et les Palestiniens qui sont chez nous ». Ils trouvent leurs limites dans la Loi fondamentale, dans le Code civil - et dans la raison d'État. Cem ajoute logiquement : « Cela devrait inclure l'obligation pour ceux qui se sont réfugiés en Allemagne de reconnaître l'existence de l'État d'Israël ».

On ne peut qu'espérer qu'il existe également des politiciens au sein du parti des Verts qui ne lient pas la mémoire d'Auschwitz, notre culpabilité et notre obligation envers les Juifs à un engagement envers Israël. Car à cet égard, Cem Özdemir est plus exigeant qu'Angela Merkel avec sa déclaration nébuleuse selon laquelle la sécurité d'Israël est une « raison d'État allemande », ce que l'ancien chancelier Helmut Schmidt a un jour qualifié de « démentiel ».

Pourquoi la critique, même justifiée, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité devrait-elle toujours être antisémite lorsqu'elle concerne les conditions au Moyen-Orient ? Israël ne nous fournit-il pas presque quotidiennement des raisons de critiquer sa politique ? N'encourage-t-on- pas virtuellement l'antisémitisme lorsque l’on essaie de forcer les applaudissements pour la politique d'Israël de cette manière ?

Özdemir a conseillé aux Palestiniens d'Israël et de la Palestine occupée militairement de supporter l'occupation ; Cem les a également avertis de ne pas se rebeller contre l'oppression, car la rébellion contre Israël signifie - antisémitisme. À cet égard, Cem, enfant d'émigrés turcs, s'est intégré de manière exemplaire dans la société allemande. Il maîtrise même le langage du léchage de bottes, le langage des philosémites.

Dans le dernier chapitre de son best-seller L'invention du peuple juif en 2008, Shlomo Sand a prophétiquement écrit que tôt ou tard, les Palestiniens vivant en Israël se soulèveraient également et exigeraient la liberté et l'égalité des droits. Treize ans plus tard, même les petits-enfants des musulmans qui ont immigré en Allemagne dans les années 1950 et 1960, qu'ils soient venus de Turquie ou du Maroc, se joignent à eux. Les Palestiniens, relativement peu nombreux, ne sont pas seuls. Pour eux tous, c’est trop. Ras l’bol. Et leur rage est également dirigée contre les communautés juives d'Allemagne, qui se rangent derrière une chimère d'Israël avec des œillères, une loyauté inconditionnelle et comme si elles étaient prêtes au sacrifice de soi. Ils attirent aussi la haine contre nous et contre la presse allemande, qui ne se lasse pas d'agiter son moulin à prières : « La critique d'Israël est antisémite ».


Josef Schuster à Würzburg en 2015

Quelque chose d'autre s’y ajoute ; le conflit se superpose à un autre conflit. Les « gardiens des murs (frontaliers) » militaires, comme on appelle la guerre contre Gaza, sont également les gardiens du poste de Premier ministre de Benjamin Netanyahou. C'est ce qu'on pouvait lire dans l'édition en hébreu de Haaretz. Il lui est reproché d'avoir encouragé l'escalade et d'être par conséquent le seul responsable de la suite des événements. Lorsque « notre » Dr Josef Schuster, président du Conseil central des Juifs d'Allemagne, parle de « cause et effet », il a en principe raison, s'il ne confondait pas la cause avec l'effet : Schuster se plaint qu'aucune distinction ne soit faite entre les Juifs et les Israéliens. Mais n'est-ce pas principalement de sa faute, après des années de soutien inconditionnel à la politique d'Israël ? Son prédécesseur, le Dr Charlotte Knobloch, a déclaré publiquement que son cœur battait toujours pour Israël. Il n'est donc pas surprenant que de nombreux Allemands supposent que pratiquement tous les Juifs sont derrière Israël. Les musulmans, pour la plupart, voient les choses de la même façon. Et dire, comme je l'ai lu dans nos journaux, que le Hamas a commencé la guerre est aussi absurde que de dire, au début de la Seconde Guerre mondiale, que les Juifs avaient déclaré la guerre à l'Allemagne.

C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si des manifestations contre Israël ont également lieu devant des communautés juives. Là, on exige de ses concitoyens juifs une attitude lus critique à l'égard des événements. En Allemagne, il n'y a qu'une seule ambassade d'Israël, mais partout dans le pays, il existe des communautés synagogales juives et (malheureusement) « para-israéliennes ». Et les communautés juives ne sont-elles pas une sorte d' « État dans l'État » ? Les portraits des présidents israéliens respectifs ne sont-ils pas accrochés dans toutes les congrégations juives, le drapeau israélien n'est-il pas accroché dans chaque congrégation, et ne sont-elles pas en outre protégés par des vétérans de l'armée israélienne ? Et ne prie-t-on pas dans le rite pour le bien-être des soldats israéliens, et pas pour le bien-être des soldats de l'armée allemande ?

Il est hypocrite de diffamer des jeunes Palestiniens pour antisémitisme parce qu'ils protestent contre la politique d'Israël devant des communautés juives. Ces communautés représentent la politique israélienne en Allemagne, et elles y déclarent ouvertement leur soutien. Tant qu'aucune synagogue ne sera incendiée ici, comme sous les nazis, nous, les Juifs, pourrons et devrons supporter un peu de chahut, si nous soutenons si fort Israël.

De nombreux Juifs en Israël, aux USA, en France et en Angleterre élèvent la voix contre la politique agressive d'Israël. Ce n'est qu'en Allemagne que ces Juifs sont discrédités en tant que traîtres, haïsseurs de soi ou même « antisémites notoires », comme Knobloch m'a récemment qualifié.

Le Dr Schuster et Charlotte Knobloch représentent les juifs israélolâtres en Allemagne. Je doute qu'ils aient également une quelconque compréhension pour les Juifs et les Israéliens qui critiquent Israël. Ils manquent manifestement de perspicacité politique. Le Dr Schuster ne se lasse pas de prêcher à propos des « manifestations antisémites », bien que les manifestations soient « seulement » pour la liberté de la Palestine et pour la fin de l'usage de la force par Israël. Et quand on scande « paix pour la Palestine », il serait plus sage de s'y joindre, car la paix pour la Palestine, c’est aussi la paix pour Israël. Notre bon docteur condamne les tirs de roquettes sur Israël et ne prononce pas un mot de regret pour les tirs de missiles beaucoup plus lourds de l'armée de l'air israélienne. A ce jour (19 mai), 10 Israéliens ont été touchés mortellement, mais plus de 200, soit vingt fois plus de Palestiniens, par les frappes de représailles israéliennes. À Bat Jam, au sud de Tel Aviv, des Israéliens juifs ont lynché un homme d'apparence arabe. « Pendu par erreur », est-il écrit sur de nombreuses pierres tombales au Far West. Ce que les bourreaux peuvent maintenant inscrire la tombe du juif « d'apparence arabe ». Et ça va continuer comme ça. Car les Juifs d'apparence arabe se comptent par millions en Israël (les Mizrahim). Maintenant, eux aussi peuvent vivre dans l'inquiétude à partir de maintenant.

C'est bien ça, Dr. Schuster ?

Les protestations justifiées contre la politique d'Israël sont automatiquement réinterprétées comme des « rassemblements antisémites » par les prises de position du Conseil central des Juifs et par les propos du malheureux commissaire à l'antisémitisme Felix Klein. Les rassemblements, cependant, sont tout à fait justifiés. Néanmoins, ils ne sont « pas tolérés » par le gouvernement fédéral. Quel est le but de tout cela ? Si bientôt les manifestations contre une injustice évidente ne devraient plus être autorisées, l'inquiétude de nombreux citoyens se confirme : l'État veut restreindre, voire liquider droits fondamentaux.

Le Bureau de l'ordre public de Francfort vient de s'y essayer, en interdisant un rassemblement prévu samedi dernier par plusieurs groupes pro-palestiniens. Les autorités y voient un appel à la violence qui met en danger la sécurité publique, même si plusieurs rassemblements en Allemagne ont été plutôt pacifiques. Les autorités de Francfort nous mentent sciemment et délibérément. La liberté d'expression et l'article 5 de notre Loi fondamentale n'intéressent manifestement pas le maire adjoint, trésorier de la ville, président de la DIG (Société germano-israélienne) et commissaire à l'antisémitisme du Land de Hesse, Uwe Becker. Quand il s'agit d'Israël, foin de Loi fondamentale.

 

Uwe Becker : "Israël est le pont démocratique entre l'Occident et l'Orient"

Plusieurs organisations palestiniennes avaient appelé à ce rassemblement à l'occasion du jour de la Nakba. Mais cela montre à nouveau que les organisations palestiniennes n'ont pas les mêmes droits que, par exemple, la communauté juive, qui a été autorisée à tenir son rassemblement pro-israélien. Cela est principalement dû aux conditions particulières de Francfort, à savoir une communauté juive agressive et Uwe Becker (CDU), qui sent l'antisémitisme partout et en permanence et fait interdire des rassemblements et même des conférences afin de plaire à ses amis de Jérusalem. Peut-être veut-il lui aussi ramener d'une visite en Israël un doctorat honorifique d'une obscure académie israélienne de Cisjordanie.

Mais Dieu merci, nous avons encore en Allemagne des juges justes qui se conforment à la loi et surtout respectent la Loi fondamentale, qui est imprudemment ignorée par des gens comme Uwe Becker ou Josef Schuster. Quoi qu'il en soit, le tribunal administratif de Francfort a annulé l'interdiction samedi après-midi. La demande d'interdiction de la ville de Francfort est ensuite passée en instance suivante devant le tribunal administratif de Kassel (VGH). Au début du rassemblement, à 15h30, la décision du VGH n'était cependant pas encore disponible. Peu avant 18 heures, cependant, le 2e sénat du tribunal administratif de Hesse a confirmé la décision du tribunal administratif de Francfort selon laquelle l'interdiction de la manifestation émise par la ville de Francfort n'était pas valide. Le rassemblement a donc pu avoir lieu. Le tribunal administratif de Francfort a justifié sa décision comme suit : « Le simple fait que le rassemblement n’était pas voulu [par la mairie] et la possibilité que l'orientation et les déclarations puissent être perçues comme antisémites ne justifiaient pas une interdiction du rassemblement pro-palestinien ». Et avec ça, la cour a mis le doigt sur le problème. Certains politiciens locaux et fédéraux, jusqu'au ministre de l'intérieur, n'apprécient pas l'orientation générale, et encore moins la menace d'émeutes. Ils se rangent du côté des communautés juives, qui à leur tour se rangent du côté d'Israël. Les premiers sont des opportunistes et les seconds se soumettent à la propagande israélienne et sont finalement victimes de la pression sociale-psychique intra-juive qui les pousse à soutenir Israël même lorsqu'il a tort. Selon la devise : Right or wrong –my country  (Bien ou mal - mon pays). Pourtant, Israël n'est même pas leur « country ».  Ce n'est même pas leur idéal, car sinon ils émigreraient tous en Israël. Israël, d’ailleurs, s'en réjouirait et, le cas échéant, paierait même les frais de voyage.

Mais la fable des valises prêtes n'est en fait qu'une fable. Personne n'est assis dans sa maison sur des valises prêtes (les exceptions confirment la règle). Tous les Juifs que je connais apprécient de vivre en Allemagne, et très peu ont peur de l'antisémitisme. Ils savent que les avertissements d'Israël contre l'antisémitisme font partie de la propagande israélienne, et que seuls des goyim stupides comme Felix Klein ou Uwe Becker les répètent comme des perroquets par solidarité mal comprise ou par opportunisme.

C'est ainsi que le conflit du Proche-Orient s'immisce dans notre société, avec pour résultat des tentatives de contourner la Loi fondamentale et de persécuter des citoyens innocents qui ont une opinion différente de celle d'un M. Becker ou d'un M. Klein, ou du président de la communauté juive.

Cela soulève la question suivante : qui gouverne à Francfort et dans l'ensemble de l'Allemagne ? Je ne veux pas être mal compris : bien sûr, il y a aussi, de nos jours, de véritables antisémites qui profitent de « l’occasion de l'heure » et veulent déverser leurs ordures antisémites haineuses même lors de manifestations dites « anti-Israël ». Mais il s'agit toujours d'une infime minorité qui ne justifie pas que les rassemblements et les manifestations soient estampillés comme antisémites.

Des gens meurent au Moyen-Orient. Les Israéliens tirent sur les Palestiniens et les Palestiniens tirent sur les Israéliens. Israël n'est plus le pays sûr pour les Juifs. Le conflit menace de s'étendre à d'autres pays. Je suis sûr que les habitants de Gaza ne se soucient pas des « Juifs » et ne détestent pas « les Juifs » mais leurs ennemis et oppresseurs, les Israéliens, et que les jeunes Palestiniens et autres musulmans qui manifestent en Allemagne ne le font pas non plus pour des motifs antisémites mais parce qu'ils sont indignés par les actions menées dans leur patrie et par les impostures des politiciens et des médias allemands. Il y aura toujours des exceptions. Et « Indignez-vous » était un slogan populaire il y a quelques années à peine, après que Stephan Hessel eut publié son livre du même nom.

Micha Brumlik, né en 1947 dans une famille sioniste allemande réfugiée en Suisse. Gauchiste antisioniste dans sa jeunesse, il est rentré dans le rang après une psychothérapie en Israël, devenant grand pourfendeur de « l’antisémitisme de gauche » devant l’Éternel

L'intellectuel juif Micha Brumlik est également intervenu dans ce débat de manière opportuniste, accusant les indignés de «pure agitation antisémite ». Brumlik fait à nouveau volte-face, après avoir été un antisioniste actif au sein du Groupe juif de Francfort dans les années 1970, même s'il a souvent douté de lui-même en se demandant si « nous, antisionistes juifs ou critiques du sionisme, étions de dangereux imbéciles, des « ânes de Troie », des névrosés qui se haïssent eux-mêmes ou des antisémites camouflés ». Brumlik était dans la « Solidarité avec la Palestine » avant nous tous, et il écrit que son but était de « montrer à un public allemand comment être cohérent et ne pas être nationaliste borné ». Plus tard, cependant, Brumlik s'est comporté de manière nationaliste et bornée, et pas du tout de manière conséquente.

Et c’est le même Brumlik qui a cosigné il y a quelques semaines seulement la progressiste et encourageante « Déclaration de Jérusalem », qui met en garde contre l'abus inflationniste de l'accusation d'antisémitisme. Apparemment, il ne lui semble pas assez avantageux de dire ce qui doit être dit, même dans le conflit actuel. Les manifestants ne cherchent pas, comme le suggère Brumlik, « un exutoire à leur haine des Juifs », mais un exutoire à leur frustration, leur colère et leur rage justifiées à l'égard des politiciens allemands et de leurs politiques, ainsi que des intellectuels allemands qui, une fois de plus, ferment les yeux et les oreilles sur la souffrance des Palestiniens et n'ouvrent pas la bouche, comme d'autres intellectuels juifs et israéliens dans le monde, pour mettre fin à la dépossession, à l'expulsion et à la tuerie. Les Allemands doivent effectivement la solidarité et le soutien aux Juifs, mais pas en approuvant, en soutenant et en accompagnant l'injustice israélienne et surtout l'orgueil démesuré d'Israël jusqu'à son naufrage. Car une chose est sûre : l'orgueil démesuré mène finalement à la ruine.

Il est grand temps de reconnaître qu'en se défendant contre la terreur, Israël commet lui-même beaucoup plus de terreur. Et les Palestiniens ont le droit de se défendre contre cette terreur. Dès 2003, le philosophe anglo-canadien Ted Honderich écrivait dans son livre After Terror : « L'histoire est la preuve que les peuples réclament leur liberté, c'est-à-dire de mener leur propre vie dans un lieu avec lequel leur histoire et leur culture les relient. C'est une liberté pour laquelle les peuples opprimés se sont toujours battus. Les Palestiniens se voient refuser par leurs ennemis le droit moral même d'un peuple que ces ennemis assurent et défendent pour eux-mêmes ».

Micha Brumlik s'est empressé de dénigrer Honderich comme antisémite dans une lettre ouverte, à la suite de quoi la maison d'édition Suhrkamp a retiré le livre de la circulation. Les éditeurs avaient peur de Brumlik, qui était juif. Ce dernier a admis par la suite qu'il avait propagé une pure incitation au lynchage, mais il n'a pas présenté d'excuses à Honderich. Maintenant, il semble qu'il retourne à ses origines. Apparemment, le traitement psychiatrique qu'il avait subi pour extirper son antisionisme avait fixé le sionisme dans son cerveau.

Trois ans seulement après ce scandale, Micha Brumlik a écrit son livre Critique du sionisme. Il y critiquait « la politique d'occupation israélienne, qui viole le droit international et les droits de l'homme ».  Et il concluait, comme Honderich avant lui, que la situation des Palestiniens était à bien des égards « pire que celle de la majorité noire en Afrique du Sud pendant l'apartheid ». La question reste de savoir pourquoi il change d'avis tous les deux ou trois ans.

Le conflit du Moyen-Orient est l'un des plus anciens conflits du monde. Mais il n'est toujours pas résolu. Et si nous voulons contribuer à sa résolution, nous ne devons pas excuser les bourreaux et condamner les victimes. Ce ne sont pas les Palestiniens qui ont chassé les Juifs de leur patrie, mais l'inverse, ils ont été chassés par les Juifs. Le premier pas vers une paix durable serait de reconnaître au moins la vérité historique et de ne pas se réfugier derrière des mythes pour apaiser sa propre conscience car, en tant qu'Allemand, on est plus coupable que quiconque de ce conflit. Sans l'aide du nazisme allemand, les sionistes seraient restés un mouvement philanthropique marginal, et cela aurait épargné au monde, et surtout aux Juifs, beaucoup de problèmes. L'affirmation selon laquelle Israël protège les juifs du monde entier relève davantage du rêve en couleurs et de la propagande que de la réalité. Précisément, Israël ne contribue pas à éliminer l'antisémitisme, mais l'encourage délibérément, car des politiciens à l'esprit ethno-nationaliste comme Sharon ou aujourd'hui Netanyahou sont fermement convaincus que l'antisémitisme « évacue » les Juifs vers Israël.

Germany’s “anti-Semitism czar” Felix Klein. Credit: Office of the Federal Government Commissioner for Jewish Life in Germany and the Fight Against Anti-Semitism.

Felix Klein : en août dernier, il a interdit l'intervention du professeur camerounais Achille Mbembe au Festival Ruhr Triennale, qualfié d'antisémite pour son soutien au mouvement BDS

Même le commissaire à l'antisémitisme Felix Klein, plutôt ignorant, doit admettre que plus de 90 % du prétendu antisémitisme en Allemagne est un « antisémitisme lié à Israël ». Or, Klein tente depuis des années, de toutes ses forces et avec toutes sortes de trucs, de s'emparer de la souveraineté interprétative sur l'antisémitisme. Il déclare : « L'antisémitisme, sous quelque forme que ce soit, ne sera pas toléré ». Pourtant, c'est à nous, Juifs, de déterminer ce que nous tolérerons ou non. Il n'y a qu'une seule forme et interprétation de l'antisémitisme : l'antisémitisme est la haine des Juifs (et non des Israéliens) simplement parce qu'ils sont Juifs. Point barre.

Mais tout ce débat confus et embrouillé n'a au fond rien à voir avec la haine des Juifs, ni avec la délégitimation d'Israël, mais avec le fait d'empêcher la critique d'une politique de l'État d'Israël qui est contraire au droit international et véritablement brutale, ou comme le dit Moshe Zuckermann, barbare. Une telle critique doit cependant être possible dans un pays démocratique comme l'Allemagne. Nous ne devons pas permettre que notre Loi fondamentale soit squattée et interprétée par des personnes qui n'en ont que faire. Heureusement, la procédure judiciaire nous est toujours ouverte et, ces dernières années, plusieurs tribunaux ont confirmé le droit à la liberté de manifestation et de réunion. À moi seul, j'ai obtenu trois ordonnances de référé contre la ville de Francfort et son représentant Uwe Becker, ce qui a d'ailleurs coûté beaucoup d'argent des contribuables à la ville.

 

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