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20/07/2022

AZIZ KRICHEN
Tunisie : pourquoi il faut voter NON au référendum du 25 juillet

Aziz Krichen, 20/7/2022

Je voterai non au référendum du 25 juillet. Pas par nostalgie à l’égard du système politique mis en place après les élections de l’ANC en 2011. Encore moins pour aider à le restaurer. Et pas non plus parce que je me désolidariserais des manifestations de masses du 25 juillet 2021, qui avaient provoqué sa chute. Au contraire : je voterai non parce que je reste fidèle à l’espérance formidable que ces manifestations avaient soulevées. Et parce que le projet de nouvelle constitution présenté par Kaïs Saïd est une véritable provocation et une insulte à notre dignité d’êtres libres et de citoyens [1].


Les régimes démocratiques modernes relèvent de deux traditions principales, la tradition parlementaire et la tradition présidentielle, selon que le centre de gravité du pouvoir se situe dans la sphère législative ou dans celle de l’exécutif. Malgré des différences sensibles d’organisation, ces traditions respectent des règles communes, sans lesquelles il n’y a pas de vie démocratique possible.  Les principes suivants sont au cœur de ces règles de base universelles :

Le principe de la séparation des pouvoirs

Ceux-ci étant au nombre de trois – le législatif, l’exécutif et le judiciaire –, aucun ne doit être mis en position d’empiéter sur les prérogatives des deux autres ;

Le principe de l’équilibre des pouvoirs

L’idée cardinale ici est que les trois pouvoirs doivent avoir chacun suffisamment de compétences propres et être suffisamment consistants par eux-mêmes pour se contenir et s’équilibrer mutuellement ;

Le principe du contrôle réciproque des pouvoirs

Conséquence des précédents, ce dernier principe signifie qu’en cas de dérive arbitraire de l’un des pouvoirs, les autres ont la capacité légale de l’arrêter. Sous certaines conditions, le président peut ainsi dissoudre le parlement et appeler à de nouvelles élections ; inversement, en cas d’abus graves, le parlement (ou une cour de justice spécifique) peut engager une procédure de destitution du président.

Ces trois axiomes sont essentiels à la marche ordonnée du système démocratique. Ce sont eux, expressément, qui permettent de trouver une issue légale, donc pacifique, aux contextes de crise que pareil système peut connaître.

*

Considéré sous ce prisme, le régime échafaudé en 2011 et codifié après l’adoption de la constitution de 2014 n’avait de démocratique que l’apparence. Présenté par ses artisans comme parlementaire, il instituait en réalité une insupportable dictature d’assemblée : la dictature des partis dominants. Pourtant élu au suffrage universel, le chef de l’Etat n’avait que des compétences honorifiques et formelles ; le parlement pouvait le destituer (article 88), mais lui-même était dans l’impossibilité pratique de le dissoudre (article 99). Pendant ce temps, les députés faisaient et défaisaient les gouvernements, et la justice, gangrénée par la corruption, était totalement aux ordres, malgré les efforts d’une poignée de juges intègres.

Centrée sur les seuls intérêts particuliers des partis, semblable construction ne pouvait rien apporter de bon à la population. Loin d’être corrigés, les vices de l’ancien régime Ben Ali – dépendance à l’égard de l’étranger, prépondérance des grandes familles rentières, impunité des barons de l’import-export clandestin, clientélisme, corruption… –, ces tares ont été aggravées, plongeant le pays dans un climat de crise permanente, à tous les niveaux et notamment sur le plan social et économique.

Ce système n’était pas seulement pervers, il était aussi verrouillé et installé pour durer[2], malgré le caractère toujours plus minoritaire des partis qui en profitaient. (A titre d’exemple : 1 500 000 électeurs pour Ennahdha en 2011, 1 000 000 en 2014, 500 000 en 2019, soit une assise électorale amputée des deux-tiers en huit ans). La situation étant bloquée, le choc du changement ne pouvait venir que du dehors. C’est ce qui s’est passé le 25 juillet 2021, sous l’effet conjugué de la pression de la rue et du coup de force du président de la République, en violation de l’article 80 de la constitution.

*

Les mesures prises par Kaïs Saïd au soir du 25 juillet dernier (suspension du parlement ; renvoi du gouvernement Mechichi ; auto-attribution des pleins pouvoirs) ont été accueillies par les Tunisiens avec soulagement et parfois avec ferveur. Abusée par sa rhétorique populiste, une majorité de nos compatriotes – spécialement parmi les jeunes générations – a cru de bonne foi qu’il allait s’employer à redresser le pays et remettre le train de la révolution sur les rails.

Mais penser que l’on peut être sauvé par un « homme providentiel » est une erreur, le plus souvent suivie de cruelles déconvenues. Pour qui avait des yeux pour voir, l’image du président austère, jaloux de l’indépendance de son pays, attentif aux aspirations de son peuple et aux besoins des plus défavorisés, cette image idéalisée a commencé à se fissurer dès le mois d’octobre, sitôt après l’entrée en fonction du gouvernement Bouden, le premier choisi entièrement par Kaïs Saïd en vertu des nouvelles lois d’exception.

On s’est alors rendu compte que son gouvernement n’envisageait pas un seul instant de rompre avec les anciennes politiques économiques. Qu’il était au contraire déterminé à continuer sur la même pente, en s’aplatissant encore plus devant les injonctions des bailleurs de fonds, en amplifiant le démantèlement de notre appareil de production et en radicalisant les choix antisociaux et antinationaux des gouvernements précédents – tout en reconnaissant par ailleurs, de façon démagogique, que le vieux « modèle de développement » qui inspirait ces choix était néfaste et qu’il fallait en changer !

Le gouvernement Bouden a avalisé, sans rechigner, l’ensemble du programme de « réformes » imposé par le FMI, en contrepartie d’une nouvelle spirale d’endettement :

-      Suppression des ultimes barrières douanières protégeant un marché intérieur déjà submergé de toutes parts ;

-      Plan de privatisation d’un nouveau quota d’entreprises publiques, qui seront reprises, pour l’essentiel, par des investisseurs étrangers, comme cela s’est produit lors des opérations de privatisation antérieures ;

-      Cession des terres domaniales aux firmes de l’agrobusiness mondial, malgré la ruine de notre agriculture vivrière et le chômage massif qui frappe la paysannerie et la jeunesse rurale ;

-      Dérogations supplémentaires sur la fiscalité des sociétés, qui bénéficieront d’abord, comme d’habitude, aux entreprises délocalisées et aux grands groupes rentiers ;

-      Levée de la compensation sur les hydrocarbures et les denrées alimentaires, ce qui a immédiatement provoqué une flambée des prix au niveau de ces produits de première nécessité ;

-      Gel des salaires et des pensions de retraite ; etc[3].

L’impact de ces mesures – pourtant pas encore pleinement déployées – a été d’une brutalité inouïe : l’inflation a atteint des pics inédits, le volume des sans-emploi a explosé, tandis que la réduction drastique du pouvoir d’achat affectait aussi bien les milieux les plus modestes que les salariés et les classes moyennes.

De fait, le but réel des politiques appliquées par le gouvernement Bouden est de faire payer, par la population, le prix d’une prétendue stratégie de sortie de crise – sauf qu’il ne peut y avoir aucune sortie de crise de cette manière. Certes, les intérêts des multinationales et ceux de l’oligarchie locale seront préservés et confortés, mais cela ne générera aucune relance économique effective. On ne ranime pas un système à l’agonie en exacerbant ses fragilités structurelles et en augmentant la pauvreté et le déclassement du plus grand nombre.

Est-ce ainsi que le chef de l’Etat entendait servir la cause du peuple et celle de la souveraineté nationale ?

*

Avec le projet de nouvelle constitution, l’image qu’il donne de lui n’est plus seulement fissurée, elle vole littéralement en éclats, révélant la nature profonde du personnage et son inquiétante démesure. Désormais, le roi est nu. Et le spectacle offert au regard n’est pas beau à voir.

Désavoué par les membres de la Commission Belaïd, le texte sur lequel les électeurs sont appelés à se prononcer ce 25 juillet est l’œuvre personnelle de Kaïs Saïd. Ecrit par un homme jouissant des pleins pouvoirs du fait de l’état d’exception, on réalise à sa lecture qu’il ne vise, en réalité, qu’à instituer un régime politique où ces pleins pouvoirs présidentiels seraient gravés dans le marbre, rendus définitifs, grâce à la transformation de l’état d’exception, par définition provisoire, en état régulier et permanent.

En d’autres mots, Kaïs Saïd a rédigé, seul, une constitution pour le servir lui-même et ses ambitions ; il a cousu de ses mains l’habit dont il veut se revêtir. Du point de vue des normes les plus élémentaires du droit et de la démocratie, cette démarche constitue un scandale absolu. Dans un contexte normal, cela suffirait à disqualifier et annuler toute son entreprise.

Mais examinons le projet plus en détail et regardons jusqu’où peut aller l’autoritarisme compulsif de son auteur. Pour nous guider, reprenons les trois critères mentionnés plus haut : séparation des pouvoirs, équilibre des pouvoirs, contrôle réciproque des pouvoirs. On se focalisera sur les relations entre les instances exécutive et législative.

AU LIEU DE LA SEPARATION DES POUVOIRS,

LEUR CONFUSION DELIBEREE

Pour le chef de l’Etat – pourtant longtemps professeur de droit constitutionnel –, le principe de la séparation des pouvoirs n’a pas lieu d’être. Il le remplace par une invention de son cru, une sorte d’amalgame révoltant de ce qu’il appelle les « fonctions ». (Kaïs Saïd ne parle jamais de pouvoirs, mais uniquement de fonctions, comme pour signifier que l’exercice autorisé des premier relève exclusivement de lui et du statut prééminent qui est le sien[4]. Ce qui indique d’emblée que son univers mental est resté imperméable aux valeurs de la démocratie et du pluralisme.)

L’article 114 du nouveau projet de constitution stipule textuellement ceci : « Les membres du gouvernement ont le droit d’assister aux travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et de l’Assemblée nationale des régions et des districts[5], cela aussi bien lors des séances plénières qu’à l’occasion des réunions des commissions. » Il convient de relire attentivement la phrase. Il ne s’agit pas ici de la procédure habituelle des questions au gouvernement ; il est question, plus gravement, d’une intrusion – constante, systématique, délibérée et usurpatoire – du pouvoir exécutif dans le fonctionnement courant du pouvoir législatif.

Pour saisir le caractère proprement hallucinant de pareille disposition, il faut visualiser un moment la situation inverse : des députés, en nombre indéterminé, assistant, à leur convenance, aux conseils des ministres et aux réunions des comités interministériels. Ce serait la foire d’empoigne en continu. Sauf que l’affaire n’a rien d’amusant et dépasse de très loin le simple mélange des genres.

En niant son autonomie et son indépendance, l’article 114 dépouille le pouvoir législatif de toute réalité intrinsèque. S’il était mis en application, il placerait le parlement et les élus sous l’observation, sous la surveillance, sous le contrôle perpétuel du pouvoir exécutif et de son premier chef, le président de la République. Comme Big Brother, Kaïs Saïd voudrait avoir des yeux et des oreilles partout, y compris là où le droit et la décence devraient impérativement le lui interdire.

A LA PLACE DE L’EQUILIBRE DES POUVOIRS,

UNE COMPLETE INEGALITE

Dans la constitution de 2014, le parlement était tout et le chef de l’Etat presque rien. Dans celle soumise au référendum, Kaïs Saïd veut entraîner le pays dans l’impasse inverse. Son projet prive l’ARP de l’ensemble de ses attributs, pour les transférer à la présidence de la République, réduisant ainsi l’Assemblée à n’être plus qu’une coquille vide, une vulgaire chambre d’enregistrement. L’ancien déséquilibre des pouvoirs bafouait la démocratie ; le nouveau l’assassine.

Le texte de 2022 enlève au parlement les deux prérogatives décisives qui sont la substance même de son existence dans un régime pluraliste : sa capacité à légiférer (élaborer les lois et les voter) et son influence politique (qui englobe la capacité à contrôler le pouvoir exécutif).

      Suppression de la capacité de l’ARP à légiférer. Dans les constitutions modernes, l’initiative des lois appartient simultanément (pour des raisons de nécessité pratique) aux parlementaires et au gouvernement. On appelle propositions de lois les textes présentés par les députés et projets de lois ceux émanant du pouvoir exécutif. Du fait de leur importance spécifique, certains projets de lois gouvernementaux sont déclarés prioritaires, ce qui commande leur examen immédiat par le parlement. Tel est le cas, par exemple, des projets de lois de finance, qui sont discutés et votés par l’Assemblée toutes affaires cessantes.

Le partage entre propositions et projets de lois n’est pas toujours équitable. En règle générale, on estime qu’il y a atteinte à l’équilibre des pouvoirs – et donc à la démocratie – lorsque le nombre de projets de lois se met à dépasser celui des propositions de lois.

Kaïs Saïd est sans états d’âme à cet égard. Il aborde le problème de l’initiative des lois dans l’article 68 de son projet de constitution et le règle de la façon la plus cavalière qui soit. S’il commence par admettre formellement la possibilité, pour les parlementaires, de présenter des propositions de lois, c’est pour ajouter aussitôt que les projets de loi présentés par lui-même doivent bénéficier, tous sans exception, d’un traitement prioritaire[6].

Le lecteur doit comprendre que cette question n’est pas simplement technique et qu’elle a des conséquences politiques de grande portée. Si les projets de lois présentés par le président sont tous définis comme prioritaires, cela signifie concrètement – étant donné la disproportion des moyens logistiques dont disposent la présidence (et le gouvernement à son service) et le flux continuel de textes législatifs qu’ils produisent –, cela signifie concrètement que le parlement ne disposera jamais du temps matériel nécessaire pour examiner d’éventuelles propositions de lois émanant de députés.

La clause du caractère prioritaire accolée à tous les projets de lois prive l’Assemblée de la moindre capacité d’initiative législative autonome et la transforme, de facto, en chambre asservie, dont l’unique fonction est d’enregistrer et valider les lois décidées par l’exécutif. Ce qui nous ramène au mode de fonctionnement qui prévalait sous Bourguiba et Ben Ali (et qui n’avait été que très peu corrigé entre 2011 et 2021). Un mode de fonctionnement non démocratique, refusant les principes de séparation et d’équilibre des pouvoirs, que Kaïs Saïd n’avait jamais dénoncé avant 2011 et auquel, manifestement, il est resté viscéralement attaché.

      Suppression de la capacité politique de l’ARP. Après avoir dessaisi la représentation nationale de son pouvoir législatif, le texte soumis au référendum s’est méthodiquement employé à la déposséder de son rôle et de ses attributions directement politiques.

En démocratie, l’influence politique du parlement s’exerce de multiples façons :

1) A travers sa participation dans la formation du gouvernement et la désignation de son chef ;

2) A travers son contrôle continu de l’activité de l’exécutif (par le biais, entre autres, de la création de commissions d’enquête parlementaires ou de la procédure des questions au gouvernement) ;

3) Enfin, et c’est le plus important, à travers le fait que le gouvernement est responsable devant le parlement, qui peut le renverser en votant une motion de censure.

Ces dispositions disparaissent entièrement dans le système de pouvoir personnel que veut instituer Kaïs Saïd. Qu’on en juge :

      La finalité du premier point est évidente : l’exécutif ne peut pas gouverner sans s’appuyer sur une majorité parlementaire. C’est la raison pour laquelle les constitutions démocratiques stipulent toujours explicitement que le chef de gouvernement doit être choisi parmi le parti (ou la coalition) arrivé en tête aux élections législatives[7]. C’était d’ailleurs spécifié dans la constitution de 2014.

Kaïs Saïd ne s’embarrasse pas de cette contrainte. Dans son projet de nouvelle constitution, il s’affranchit de toute obligation en la matière et se comporte comme s’il était seul à décider. C’est lui qui nomme le Premier ministre : « Le président de la République désigne le chef de gouvernement, ainsi que les membres du gouvernement, sur proposition du Premier ministre. » (Art. 101). Et c’est lui qui le renvoie : « Le président de la République met fin aux fonctions du gouvernement ou à l’un de ses membres, soit sur décision propre, soit sur proposition du Premier ministre. » (Art. 102).

Dans les deux cas – désignation et révocation –, il n’est nulle part fait référence au parlement ni à une éventuelle majorité. Kaïs Saïd est seul souverain et ne partage pas le pouvoir. Quelques articles plus bas, le doute n’est plus permis à ce propos : le gouvernement n’a de comptes à rendre qu’à lui et à lui uniquement. (Art. 112 : « Le gouvernement est responsable de sa gestion devant le président. »)

      Le deuxième levier d’influence politique du parlement est liquidé avec une égale désinvolture, ce qui ne saurait étonner après ce qui précède. La question du contrôle des députés sur l’action gouvernementale est totalement absente. La possibilité de créer des commissions d’enquête n’est jamais abordée. Quant à la pratique routinière des questions au gouvernement, elle n’est évoquée que pour la forme. Dans les parlements modernes, l’exercice est hebdomadaire ; dans le projet de Kaïs Saïd (art. 114, alinéas 2 et 3), la périodicité n’est pas précisée, ce qui le laisse maître de fixer le délai à sa guise. Une fois par mois ? Une fois par trimestre ? Qui sait ce que réservera l’avenir !

      Dernier point. Puisque le gouvernement n’est responsable que devant le président et non devant le parlement, ce dernier peut-il néanmoins le faire tomber en adoptant une motion de censure ? Kaïs Saïd ne pouvait pas éluder le problème. Mais la solution qu’il lui apporte est tellement extravagante qu’elle ne laisse plus planer la moindre incertitude sur le caractère maladivement despotique du personnage. Dans son texte, le parlement peut censurer et renverser le gouvernement – à une réserve près, cependant : que la défiance soit votée par les deux-tiers de l’ensemble des parlementaires. (Art. 115, alinéa 3 : « Le président de la République accepte la démission du gouvernement… si la motion de censure est votée par les deux-tiers des membres des deux chambres réunies. »)

Politiquement parlant, cette condition des deux-tiers n’est pas seulement antidémocratique, elle est également déshonorante pour son auteur. Même lorsque le gouvernement est désavoué et doit démissionner, le président reste en place, comme si l’événement ne le concernait en rien, comme si le désaveu infligé au Premier ministre ne pouvait pas ne pas rejaillir sur celui qui l’avait investi et le délégitimer.

En recourant à la manipulation frauduleuse de la majorité renforcée – alors que la majorité simple est la seule admise en pareille situation par les Etats de droit –, Kaïs Saïd indique qu’il envisage, sans scrupules superflus, la possibilité de continuer à gouverner en n’étant plus soutenu que par une minorité au sein de la représentation nationale.

Mais le dévoiement ne s’arrête pas là. La manigance minoritaire exigeait une suite. Que fait le président de la République dans l’hypothèse où son gouvernement est malgré tout renversé, qu’il le remplace par un nouveau gouvernement et que celui-ci tombe à son tour après avoir été lui aussi censuré par les deux-tiers des parlementaires ? Que fait Kaïs Saïd dans cette hypothèse ?

Il se réserve l’une des deux options suivantes :

-      Il peut, toute honte bue, accepter le départ de son second gouvernement et s’atteler à la formation d’un troisième ;

-      Il peut aussi, plus arbitrairement, dissoudre le parlement, dans l’espoir que des élections législatives anticipées lui apporteront une représentation nationale plus docile ! (Art. 116, alinéa 1 : « Si une deuxième motion de censure est votée durant la même législature, le président de la République peut, soit accepter la démission du gouvernement, soit dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et l’Assemblée nationale des régions et districts ou l’une des deux chambres. »)

Dans tous les cas de figure, ce n’est jamais lui qui s’en va, ce sont toujours les autres qui partent et paient pour son obstination. Lui est au-dessus des votes et au-dessus de ce que les votes impliquent, spécialement quand ils sont négatifs et qu’ils expriment un mouvement majoritaire de refus et de rejet.

EN GUISE DE CONTROLE MUTUEL DES POUVOIRS,               

LA MONOCRATIE, L’ABSOLUTISME FORCENE D’UN SEUL HOMME

L’ordre constitutionnel souhaité par Kaïs Saïd est radicalement étranger aux normes de la démocratie moderne ; il s’écarte de bout en bout des règles élémentaires de séparation, d’équilibre et de contrôle mutuel des pouvoirs. Son projet dessine une construction où toute l’autorité serait concentrée entre ses mains, une sorte de pyramide creuse, vide de matérialité, sans institutions autonomes capables de la soutenir, et dont il croit naïvement qu’elle resterait debout uniquement par la grâce de son envie de puissance.

On n’imagine pas la patience retorse, en même temps que l’insondable immaturité, qu’il a fallu pour mettre au point une architecture aussi invraisemblable et aussi précautionneusement attentive à la sauvegarde des intérêts de son bénéficiaire. Plaçant partout des garde-fous pseudo-légaux, Kaïs Saïd s’est en effet arrangé pour ne jamais se retrouver en position de rendre compte de ses actes. Il aspire à monopoliser toutes les responsabilités, sans être obligé par aucune. On touche là sans doute au fantasme le plus secret hantant, depuis que le monde est monde, chaque dictateur, en place ou en devenir : tout avoir, mais ne rien devoir.

*

Tel qu’il vient d’être décrit, le régime politique que le chef de l’Etat veut faire plébisciter ne peut être qualifié de républicain. Il n’est évidemment pas parlementaire, mais n’est pas non plus présidentiel, ni même présidentialiste. Camouflé derrière l’emploi de concepts de droit constitutionnel détournées de leur sens, c’est un régime monocratique, de tyrannie personnelle, lourdement marqué par les stigmates des modes de gouvernement du passé, un modèle historiquement révolu, mais pleinement conforme à l’idéologie populiste archaïque de Kaïs Saïd.

En vérité, ce dernier ne veut pas corriger le système de la décennie 2011-2021, il veut revenir au système précédent, celui de Ben Ali et de Bourguiba, auquel il ne s’était d’ailleurs jamais opposé auparavant. En prétendant amender la constitution de 2014, c’est en fait celle de 1959 qu’il réintroduit en fraude, en accentuant même sa tonalité liberticide.

En évinçant Bourguiba du palais de Carthage, Ben Ali avait déclaré que la Tunisie était trop évoluée pour accepter des chefs d’Etat à vie. Il avait alors modifié l’ancienne loi et limité l’exercice présidentiel à deux mandats de 5 ans chacun. Plus tard, installé au pouvoir et ne voulant plus le quitter à son tour, il avait fait adopter de nouvelles dispositions pour supprimer cette limitation devenue insupportable à ses yeux. Au total, son règne avait duré 23 ans et s’était achevé par sa fuite en Arabie saoudite.

Dans son projet, Kaïs Saïd s’en tient lui aussi à la règle des deux mandats. Mais, en homme prévoyant, il ajoute de suite une clause qui permet de les prolonger de manière indéterminée. Cette clause spécieuse, c’est le recours au prétexte du « péril imminent », celui-là même dont il s’était servi pour s’emparer des pleins pouvoirs voilà un an. « S’il n’est pas possible de tenir les élections dans les délais prévus, pour cause de guerre ou de péril imminent, le mandat présidentiel est prolongé par une loi, jusqu’à la disparition des motifs ayant provoqué la prolongation. » (Art. 90, alinéa 5).

De prime abord, la formulation paraît anodine, et le prétexte de la guerre peut même faire sourire. On se dit qu’il s’agit d’une simple hypothèse d’école, rappelée pour indiquer une éventualité lointaine, qu’il faut néanmoins envisager pour lui donner une base légale. L’inquiétude, cependant, provient de ce que cette notion de péril imminent n’est définie nulle part avec précision et qu’on la retrouve insérée dans tous les articles traitant de processus électoraux. Cette répétition systématique – sept mentions au total – ne peut que susciter méfiance et suspicion.

*

Le caractère récurrent de l’argument du péril imminent conduit à penser que le projet de Kaïs Saïd est tout entier orienté vers une perspective de recours constant à l’état d’exception. Et ce n’est pas l’usage qu’il en a déjà fait qui peut inciter à raisonner différemment. L’homme veut être partout, il se veut au-dessus des lois, intouchable et probablement aussi inamovible. Bref : il veut régner en maître omnipotent, comme Bourguiba et Ben Ali avant lui.

Pour certains, le jugement pourrait paraître abrupt et fondé uniquement sur une forme unilatérale de réquisitoire à charge. Ce n’est pas le cas. Dans les analyses développées jusqu’ici, je m’en suis strictement tenu au texte présidentiel et à son sens explicite, sans extrapolation ni spéculation de ma part. Mais oublions cela provisoirement et essayons, pour faire équilibre, d’endosser un instant le rôle de l’avocat de la défense.

Posons la question suivante : y a-t-il, dans le projet qui nous préoccupe, une quelconque disposition, une quelconque indication, dont on pourrait dire qu’elle limite – borne, s’oppose, freine, modère, contrecarre… – cette volonté de domination exclusive qui s’exprime à travers l’ensemble du document ? Le seul endroit possible dans cette optique ne pourrait se trouver que dans la Section VI, consacrée à la formation et aux attributions de la cour constitutionnelle.

Comme son nom l’indique, cette instance a pour mission de statuer sur la constitutionnalité des lois, autrement dit sur leur conformité à la lettre et à l’esprit du texte constitutionnel. En théorie, elle est le dernier gardien du droit, son ultime rempart, capable de stopper tous les abus et toutes les violations de légalité, y compris celles en provenance des plus hautes autorités de l’Etat.

En régime démocratique, le tribunal constitutionnel parvient à assurer ses missions grâce au respect d’un principe sacré : sa totale indépendance vis-à-vis du pouvoir en place. Cette indépendance s’obtient généralement à travers deux procédures parallèles :

Primo. Les magistrats appelés à siéger en pareil tribunal sont nommés pour un mandat de longue durée (mandat à vie pour les juges de la Cour suprême aux Etats-Unis, mandat de 9 ans pour les membres de la Cour constitutionnelle en France, etc.), et ne peuvent être révoqués durant l’exécution de leur mandat. La longévité et l’irrévocabilité sont conçues pour les mettre – autant que possible – à l’abri des pressions. Autre objectif visé par ces mesures : garantir la stabilité et la continuité de leur activité, que les juristes placent au sommet de la hiérarchie des normes.

Deuxio. Le tribunal n’a pas pour unique fonction l’examen des textes de lois que l’exécutif (ou le parlement) lui soumet. La saisine peut être effectuée par d’autres instances : les pouvoirs locaux, les autres cours de justice, voire les simples citoyens. Et elle peut aussi – et surtout – être automatique et spontanée. Dans ce dernier cas, le tribunal constitutionnel se saisit lui-même directement, sans sollicitation extérieure, de l’examen de lois jugées particulièrement sensibles (lois organiques, traités internationaux, etc.). Selon qu’elles sont ou non prévues, ces dernières prérogatives constituent d’ailleurs un critère essentiel pour juger du degré de son indépendance effective.

L’organisation du tribunal constitutionnel décrite par Kaïs Saïd dans son projet est à mille lieues d’un tel modèle, dont il bafoue toutes les règles et toutes les conventions :

Des mandats de type CDD, ne pouvant pas excéder 12 mois en pratique

La structure en trompe-l’œil qu’il compte mettre en place se compose de neuf juges, choisis parmi les plus anciens dans les corps existants : trois de la cour de cassation, trois du tribunal administratif et trois de la cour des comptes (art. 125, alinéa 1). Ces magistrats partent dès qu’ils atteignent l’âge de la retraite – 62 ans pour eux – et sont remplacés, toujours par ordre d’ancienneté, par des collègues en activité dans leurs corps respectifs, à condition que ceux-ci disposent encore d’au moins une année avant d’atteindre à leur tour l’âge du départ à la retraite (art. 125, alinéa 3). Et ainsi de suite… dans un turn-over incessant.

On peut se frotter les yeux d’incrédulité, c’est cela le mécanisme prévu par Kaïs Saïd. Représentons-nous la scène. Avec l’âge moyen plus que vénérable de nos magistrats, le tribunal constitutionnel se transformerait en une sorte de « vestibule de hammam » (skifet hammam), où les partants et les entrants se croiseraient dans un carrousel effréné, sans que personne n’ait eu matériellement le temps de maîtriser les dossiers ni de réchauffer son propre siège !

Une instance passive, sans capacité d’initiative

Le tribunal constitutionnel ne peut être saisi que par le président de la République ou des parlementaires[8]. (Pour ceux-ci, les conditions sont, comme d’habitude, draconiennes : la saisine ne peut être acceptée que si elle est engagée par les deux-tiers des députés, pour l’ARP, et par la moitié de ses membres, pour l’ANRD ; art. 127, alinéa 1).

Le droit d’examen du tribunal ne s’applique qu’aux textes de lois qu’on lui soumet. Dépourvu de l’instrument de la saisine automatique, il n’a aucun droit de regard sur les textes qu’on ne lui soumet pas. Concrètement, cela signifie qu’il n’a pas la faculté d’agir en dehors du périmètre étroit qui lui est assigné. Combinées avec son instabilité structurelle préméditée (point précédent), ces restrictions font du tribunal constitutionnel un organisme complètement ligoté, sans poids ni pouvoir réel. Kaïs Saïd lui fait subir le même traitement qu’au parlement : il garde la forme de l’institution, mais la vide de son contenu. Machiavélisme ? Non, le machiavélisme suppose un minimum de classe. Disons plutôt misérable supercherie.

*

On a beau scruter le projet présidentiel sous tous les angles, rien n’y fait : ce projet est dangereux et l’apprenti sorcier qui le porte encore plus dangereux, étant donné l’absence totale de retenue dont il fait preuve. Le texte soumis au référendum vise clairement à ériger un régime de dictature implacable, qui apparaît comme la copie conforme de ce que les manuels de sciences politiques qualifient d’autocratie ou de monocratie : le pouvoir d’un homme seul.

Il ne faut cependant pas se tromper sur le sens réel de l’expression « pouvoir d’un homme seul ». Même dotés des prérogatives les plus exorbitantes, les dictateurs n’agissent jamais au service de leurs seuls intérêts ; ils agissent aussi – et c’est plus fondamental – au service des intérêts des groupes économiques dominants dans leurs pays. En Tunisie, ces groupes dominants sont constitués par l’alliance du capital étranger et de l’oligarchie rentière locale. Et nous avons noté plus haut combien le gouvernement Bouden, choisi par Kaïs Saïd, faisait ce qu’il fallait pour les protéger et les conforter, en multipliant les mesures antipopulaires et antinationales.

Le danger des régimes de pouvoir personnel provient en grande partie des privilèges de classe qu’ils défendent, mais tient également aux particularités de leur mode de fonctionnement. Plus précisément, la grande menace qu’ils font planer ne réside pas tant dans ce qu’ils peuvent faire au départ, au moment de leur mise en place, la vraie menace, c’est ce qu’il se passe ensuite, lorsqu’ils deviennent le jouet aveugle de leurs propres déterminations internes.

L’autocratie est un système clos, entièrement verrouillé sur lui-même. Dire cela, c’est dire qu’il est organiquement fermé au dialogue, organiquement fermé au compromis et aux concessions, incapable par conséquent de s’adapter, incapable d’évoluer et de s’autocorriger. Contrairement au système démocratique qui prévoit des procédures légales, donc pacifiques, pour gérer les crises et les conflits, lui n’a rien de tel à sa disposition et ne sait réagir que par l’emploi de la force et de la violence.

Bourguiba et Ben Ali étaient à la tête de régimes monolithiques de ce genre. Le premier a été démis par un coup d’Etat, le second chassé par un soulèvement populaire. Les dernières années des deux règnes ont été épouvantables en matière de répression – des centaines de morts et des milliers de blessés dans les deux cas, sans parler des arrestations en séries et de la pratique systématique de la torture.

Le régime que Kaïs Saïd veut installer plongerait inévitablement la Tunisie dans un engrenage de même nature. S’il fait passer son référendum, les événements risqueraient d’ailleurs de se précipiter très vite. Pour assurer son pouvoir, il commencerait sans doute par frapper durement ses opposants politiques, avant d’envoyer sa police écraser les manifestations de colère populaire. Dans l’état d’extrême vulnérabilité qui caractérise aujourd’hui notre pays, nul ne sait jusqu’où cela pourrait dégénérer.

Pour empêcher pareil scénario de malheur – inscrit dans la logique même du projet de nouvelle constitution – les citoyens n’ont qu’une seule arme : le 25 juillet prochain, voter massivement non.

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J’ai annoncé ma décision de voter non aussitôt après la lecture du texte publié par le JORT le 30 juin[9]. Des amis m’ont alors demandé : voter non, c’est d’accord, mais ensuite, que fait-on ? Ma réponse a été de dire que c’était bien de se préoccuper de l’après, mais qu’il était plus utile de commencer par s’occuper d’abord du maintenant. D’ici au 25 juillet, il y a en effet un énorme travail de pédagogie et de mobilisation à produire, en direction de deux grands groupes d’électeurs en particulier.

Le premier groupe est composé de citoyens appartenant à des milieux sociaux divers, qui vont voter « oui » – non par adhésion au contenu du projet de nouvelle constitution, loin de là –, mais parce qu’ils sont littéralement affolés à l’idée qu’un échec de Kaïs Saïd au référendum puisse entraîner le retour d’Ennahdha au pouvoir. Provoqué par une espèce de répulsion idéologique incontrôlée, leur affolement n’est pas justifié.

Je ne sais pas ce que Kaïs Saïd ferait s’il était battu, mais je sais ce qu’il ne fera pas : il ne démissionnera pas et ne rétablira pas l’ancienne ARP dans ses droits. Le retour de Rached Ghannouchi aux commandes est absolument exclu.

De surcroît, après avoir sévi dix longues années durant, le mouvement islamiste n’est plus que l’ombre de lui-même. Largement discrédité, il a perdu l’essentiel de son assise populaire tandis que ses dirigeants se livrent à une guerre des chefs sans merci, qui accélère sa dislocation et son effondrement. Son avenir est désormais derrière lui. Et ce constat ne vaut pas que pour la Tunisie, il est valable pour l’ensemble des pays arabes.

Continuer à être obsédé par les Frères musulmans est irrationnel. Et irresponsable. Cela revient à se laisser conditionner par un vieux danger, en voie de disparition, et à négliger le danger actuel, qui grandit de jour en jour, dont la menace n’est pas simplement hypothétique, mais de plus en plus réelle et effective.

Le positionnement du deuxième groupe est différent. Ses membres n’adhèrent pas, eux non plus, au projet présidentiel. Mieux : ils le dénoncent et affirment vouloir le combattre. Comment ? En prônant le boycottage de l’élection, c’est-à-dire l’abstention. Leur argumentation peut être résumée de la manière suivante : un taux d’abstention élevé lors du référendum priverait Kaïs Saïd de légitimité en cas de victoire, ce qui le fragiliserait dans tout ce qu’il entreprendrait ensuite…

La bonne foi de beaucoup de partisans du boycott ne fait pas de doute. Sauf que la bonne foi, seule, ne suffit pas. Ce qui importe, en politique, ce sont les faits, pas les intentions. Les prochaines élections seront l’occasion d’une bataille entre deux camps – et de deux camps uniquement –, celui du « oui » et celui du « non ». Toutes les voix qui ne se reporteront sur le « non » seront perdues et renforceront indirectement le « oui ». On peut le regretter, mais c’est ainsi.

Le poids électoral de ces deux groupes est conséquent. S’ils basculaient, même partiellement, dans le camp du « non », cela changerait considérablement la donne. Quoi qu’il en soit, il y a trop d’impondérables en jeu pour se hasarder à émettre un pronostic. Par rapport aux résultats éventuels du 25 juillet, on ne peut être sûr d’avance que d’une chose : dans la continuité des élections précédentes, une forte majorité de Tunisiens ne s’estimera toujours pas concernée et ne se déplacera pas pour aller voter.

Kaïs Saïd sortira-t-il vainqueur de l’épreuve ? Subira-t-il son premier échec ? Personnellement, je n’en sais rien. En tout état de cause – pour les démocrates, pour les patriotes, pour les militantes et les militants de gauche – la lutte pour le changement devra se poursuivre, quelle que soit l’issue du scrutin.

Le combat devra se poursuivre en corrigeant ce qui l’a gravement handicapé jusqu’à présent : le décalage séparant la lutte politique des « élites » de la lutte sociale des « masses », la première restant sans profondeur populaire, la seconde restant sans représentation nationale au niveau des « élites » politiques et civiques. Cette division affaiblit tout le monde, alors que l’ennemi est commun et qu’il frappe les uns et les autres sans distinction.

La liberté d’un pays exige un prix élevé. Un prix que l’on n’acquitte pas en une fois, mais par une série de paiements – en sang, en larmes, en courage, en sacrifices, en volonté, en abnégation, en persévérance… –, que des générations successives versent à tour de rôle, sur une séquence historique plus ou moins longue. 

En dépit des apparences, nous ne sommes peut-être pas loin du terme du chemin. Il faut donc continuer. C’est notre destin et c’est notre honneur.

Notes

[1] - Je ne traite dans ce texte que des questions liées au type de régime politique que Kaïs Saïd veut mettre en place. Mais il y aurait quantité d’autres points pour justifier le rejet de son projet de nouvelle constitution : la suppression du caractère civil de l’Etat, la disparition de la section sur les droits économiques et sociaux, la définition rétrograde de notre identité nationale, l’insupportable mégalomanie qui s’exprime dans le préambule, etc.. Le fait que je ne les aborde pas ici ne signifie ni que je les ignore ni que je les sous-estime. Ce n’était simplement pas mon propos.

[3] - Une précision, pour éviter tout malentendu. Je ne dis pas qu’il n’y a rien à réformer dans le fonctionnement de notre appareil productif et de notre système de protection sociale. Je dis simplement que les mesures brutales décidées par le gouvernement Bouden - dans les conditions actuelles de délabrement de l’économie – ne résoudront pas les problèmes, mais les aggraveront. Depuis les tristement fameux PAS (programmes d’ajustement structurel) des années 1980, les « remèdes » imposés par le FMI soignent la maladie en tuant le malade.

[4] - De manière similaire, Bourguiba, en son temps, avait voulu interdire l’emploi du terme « président » pour désigner un autre que lui. Les présidents de conseils d’administration ou de clubs de foot devaient se chercher une appellation plus conforme à leur état subalterne… Devant les difficultés de la besogne – et les ricanements des intéressés –, le « Combattant suprême » avait fini par abandonner.

[5] - Le projet de nouvelle constitution crée une deuxième chambre parlementaire aux côtés de l’ARP. On passe d’un système monocaméral à un système bicaméral, ce qui constitue un changement institutionnel important. Mais Kaïs Saïd ne dit rien de précis sur cette Assemblée nationale des régions et des districts, rien sur son mode d’élection, rien sur sa composition, rien sur ses compétences, rien sur la nature de ses relations avec l’ARP (qui aura le statut de chambre haute et qui celui de chambre basse ?). Voter en faveur de son projet reviendrait, dans ses conditions, à signer un chèque en blanc sur un sujet particulièrement sensible.

[6] - Alinéa 2 de l’art. 68 : « Les députés ont le droit de présenter des propositions de lois… », la seule restriction à ce niveau étant qu’ils doivent être au minimum 10 élus dans chaque cas. Alinéa 4 de l’art. 68 : « L’examen des projets de lois du président de la République est prioritaire ».

[7] - Aux Etats-Unis, où le président élu cumule les titres de chef de l’Etat et de chef du gouvernement, le scénario se déroule autrement, mais avec le même résultat, puisque le président ne peut rien décider sans l’aval des deux assemblées, la Chambre des Représentants et le Sénat.

[8] - Dans des circonstances non précisées, d’autres cours de justice peuvent également saisir le tribunal constitutionnel (art. 127, alinéa 3).

[9] - J’ai étudié les deux versions du projet (JORT n° 74 du 30 juin 2022 et JORT n° 77 du 8 juillet 2022). Il n’y a aucune différence de fond entre les deux, malgré ce qu’a laissé entendre le chef de l’Etat. Tous les extraits d’articles de lois cités ici proviennent de la seconde version.

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