Gideon Levy & AlexLevac (photos), Haaretz, 31/12/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Des soldats des FDI ont envahi une maison palestinienne pour emmener un jeune homme rencontrer un agent du Shin Bet. Il a été libéré, mais entre-temps, quatre de ses proches ont été hospitalisés après avoir été battus ou avoir subi un choc.
Les trois frères, de gauche à droite : Ahmed, Mohammed et Mahmoud.
Les forces de défense israéliennes agissant en tant que sous-traitant du service de sécurité Shin Bet. C'est ce qui se passe lorsqu'un agent du Shin Bet veut rencontrer un jeune Palestinien : une escouade de 20 soldats est envoyée chez lui après minuit, ils réveillent toute la famille, jettent 15 personnes dans une petite pièce, où elles sont laissées pendant plusieurs heures, assènent à quelques-unes d'entre elles de coups de crosse et de poings, et leur achèvent à coups de pied quand elles s'effondrent. Le jeune homme recherché est amené à rencontrer l'agent du Shin Bet pour un interrogatoire incroyablement bref - pour des raisons jamais expliquées - puis il est renvoyé chez lui. Entre-temps, quatre membres de la famille doivent être emmenés à l'hôpital en ambulance, après avoir été battus par les soldats, et un autre est placé en détention jusqu'à la conclusion de la procédure engagée contre lui - il est accusé d'avoir agressé un soldat. Tout cela pour organiser une brève rencontre avec un homme du Shin Bet.
« C'était pour quoi tout ça ? » : c'est la question que l'on se pose aujourd'hui dans cette maison, où certains des occupants souffrent encore physiquement des coups que leur ont portés les soldats. « Vous savez, on aurait pu le convoquer par téléphone et il y serait allé », dit un membre de la famille. Mais si un raid nocturne brutal peut être organisé, pourquoi se contenter d'un appel téléphonique ? Une preuve de plus du fait que, dans les territoires occupés, la voie de la violence est le mode opératoire préféré du Shin Bet et des FDI. Pour être honnête, c'est toujours la première option. Une invasion nocturne de la maison de quelqu'un est apparemment un bon exercice pour les troupes, cela les maintient sur le qui-vive. C'est utile pour démontrer le pouvoir et le contrôle sur la zone, et aussi pour briser la routine et dissiper l'ennui. Les victimes ? Qui les compte ?
La famille Salhab vit à (Khirbet) Qalqas*, un petit quartier d'Hébron, adjacent à la colonie de Beit Haggai, sur la route 60, la principale route de Cisjordanie. Qalqas se compose de quelques belles maisons en pierre dans lesquelles vivent les quatre frères Salhab et leurs familles, tous assez aisés et disposant de bons moyens de subsistance. Aux premières heures du matin, entre le 11 et le 12 décembre, les soldats ont fait une descente au domicile de Mahmoud Salhab, 58 ans, père de huit enfants, qui enseigne les sciences religieuses à l'école Al Hussein d'Hébron. Six de ses enfants vivent toujours avec lui et leur mère, Nida, une enseignante de 55 ans, dans leur maison à deux étages ; le plus jeune d'entre eux a 16 ans.
Hébron, début décembre. Photo Hadas Parush
Les soldats en avaient après le fils de Mahmoud et Nida, Anas, un étudiant en agriculture de 23 ans à l'université d'Hébron, où il est un militant du campus. En 2019, il a été reconnu coupable d'avoir « rendu des services à une association illégale » en vertu de l'article 85 du Règlement de défense (urgence), promulgué par les autorités du mandat britannique en 1945. Il a été envoyé en prison pendant 14 mois, ou plus exactement, emprisonné pour activité politique, et a repris ses études après sa libération, il y a un an et demi.
Les cris dans la maison se sont intensifiés, réveillant les frères de Mahmoud, qui vivent avec des membres de leur famille à quelques dizaines de mètres de là ; certains d'entre eux sont sortis pour voir ce qui se passait. Tous ceux qui sont sortis ont également reçu l'ordre d'entrer dans la chambre de la maison de Mahmoud : parmi eux, son frère Mohammed, 55 ans, ouvrier dans une usine de chaussures, vêtu d'une robe brune, et Ahmed, 56 ans, propriétaire d'un garage Chevrolet situé à l'entrée de l'enceinte familiale, qui parle couramment l'hébreu pour avoir eu des clients colons juifs. Les épouses des frères et quelques-uns de leurs enfants ont également été rassemblés dans la pièce. Presque tout le monde était en pyjama. Au total, les soldats ont entassé 15 ou 16 personnes dans la pièce froide et non meublée.
Ibrahim Salhab. Lorsque son oncle Mohammed a demandé aux soldats pourquoi ils frappaient son neveu, ils lui ont dit de se taire et ont commencé à le frapper également.
Selon le témoignage de la famille, les soldats ont emmené Anas, la personne recherchée, dans une pièce adjacente et ont commencé à le battre. Ils ont également roué de coups Ibrahim, 16 ans, le plus jeune frère d'Anas, qui refusait d'obéir à l'ordre de s'asseoir par terre. Mohammed raconte que lorsqu'il est entré dans la pièce, il a vu des soldats frapper Ibrahim avec leurs fusils et lui donner des coups de pied après qu'il fut tombé par terre.
Lorsqu'il a demandé pourquoi ils frappaient son neveu, ils lui ont dit de se taire et ont commencé à le frapper également.
Puis vint le tour d'Oussama, 23 ans, le fils d'Ahmed, d'être brutalisé, lorsqu'il a lui aussi résisté à l'ordre des soldats de s'asseoir par terre. Son père a tenté de le protéger, mais en vain. Une dizaine de soldats présents ont participé au passage à tabac de son fils, nous dit Ahmed, lors de notre visite en début de semaine. Après qu'Oussama se fut effondré, les soldats l'ont traîné en bas des escaliers et dans la cour, l'abandonnant là dans le froid de la nuit d'Hébron. Mohammed a également reçu quelques coups de crosse de fusil dans les côtes lorsqu'il a essayé de venir en aide à son neveu - on découvrira plus tard qu'il avait deux côtes cassées. Il gémit encore de douleur lorsqu'il nous décrit, ainsi qu'à Musa Abu Hashhash, chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem, comment s'est déroulé cet incident cauchemardesque. Ahmed a désormais besoin d'une canne pour se déplacer.
Oussama a perdu connaissance à cause des coups qu'il a reçus ; son oncle Mohammed raconte qu'il a vu du sang suinter de sa tête. Un aquarium en plastique vide s'est écrasé sur lui alors que les soldats le traînaient dehors. Mohammed a entendu un des soldats dire : « Celui-là est mort, mort ». Il a crié aux soldats qu'ils devaient emmener Oussama à l'hôpital immédiatement, mais ils lui ont dit de se taire. La mère d'Oussama, Nahala, 45 ans, s'est mise à crier.
Oussama à l'hôpital
Des voisins ont appelé deux ambulances palestiniennes, mais les soldats ont d'abord refusé de les laisser approcher, et elles sont restées sur l'autoroute. Les soldats ont apporté une civière pour Oussama dans la cour. Selon les membres de la famille, il est resté allongé dessus pendant une vingtaine de minutes avant que les soldats ne le portent jusqu'au bord de la route, où un véhicule militaire était garé. Ahmed a essayé à plusieurs reprises de faire libérer son fils par les soldats pour qu'il puisse l'emmener à l'hôpital, mais ils l'ont réduit au silence. « Je leur ai dit : "Mon garçon est en train de mourir, mon garçon est en train de mourir - donnez-le moi pour que je puisse l'emmener à l'hôpital ! »
Finalement, les soldats ont cédé et ont permis à Ahmed d'emmener Oussama dans l'une des deux ambulances qui attendaient, où il a reçu les premiers soins. L'ambulance était sur le point de partir avec Oussama lorsque les soldats ont crié : « Halte, halte ! Ne l'emmenez pas, il est en état d'arrestation ». Ils ont ordonné que le jeune soit sorti de l'ambulance palestinienne et transféré dans une ambulance israélienne du Magen David Adom qui était entre-temps arrivée sur les lieux.
Ahmed, désemparé, appelle une connaissance bédouine israélienne et lui demande de se rendre en urgence au centre médical Soroka de Be'er Sheva, qui se trouve à proximité, pour savoir ce qui est arrivé à Oussama. Une heure plus tard, l'homme a appelé pour dire que son fils était vivant. Il avait été examiné, sa blessure à la tête avait été recousue et il avait été emmené pour interrogatoire au poste de police de Kiryat Arba, la colonie qui jouxte Hébron, après quoi il avait été incarcéré à la prison d'Ofer, près de Ramallah.
Un clip vidéo montre qu'Oussama est conduit hors de l'hôpital par deux soldats. Il porte un pyjama léger, à la vue de tous. (Son père lui a plus tard apporté des vêtements, alors qu'il était interrogé à Kiryat Arba). Ahmed dit qu'Oussama grelottait de froid, qu'il avait cinq points de suture à la tête et une blessure à la jambe due à un coup de pied. Ahmed a supplié les policiers de libérer son fils, car il devait passer des examens à l'université. En vain.
Les soldats ont quitté l'enceinte familiale vers 3 heures du matin, plusieurs heures après être arrivés pour exécuter - et réussir - leur audacieuse mission : emmener Anas dans les bureaux du Shin Bet à Etzion. Dès leur départ, les deux ambulances palestiniennes ont emmené quatre membres blessés de la famille élargie à l'hôpital gouvernemental Princesse Alia à Hébron. Les blessés : Mohammed, avec deux côtes cassées ; Ibrahim et son cousin Amjad (l'un des frères d'Oussama), qui ont tous deux été battus ; et Asma, la sœur d'Oussama, âgée de 16 ans, qui a été traumatisée. Leur cousine Maryam, la fille de Mohammed, âgée de 20 ans, était également sous le choc, mais est restée à la maison. Mohammed a été le plus gravement blessé ; il a été hospitalisé pendant deux jours et, comme nous l'avons mentionné, il ne s'est pas encore complètement remis et n'est pas retourné au travail depuis cette nuit-là.
Les autres ont été libérés après quelques heures ; l'homme recherché, Anas, dont le bref interrogatoire à Etzion a déclenché tous les événements, est également rentré chez lui.
Les soldats ont confisqué tous les couteaux de cuisine de la maison. Il y a encore des taches de sang sur un mur de la pièce où la famille était concentrée. Les photos prises par la famille après le départ des soldats, et à l'hôpital, évoquent un champ de bataille. Le sang d'Oussama sur le mur et sur le sol. Oussama à Soroka. Mohammed sur une civière à Alia. Les ambulances palestiniennes avec les quatre blessés. Le sang d'Oussama sur une lettre qui se trouvait dans la pièce. Ibrahim sur une civière, les yeux fermés. Ibrahim et Mohammed sur le sol de la maison avant d'être emmenés à l'hôpital.
Mohammed Salhab, à gauche, avec son frère Mahmoud. Les photos prises par la famille après le départ des soldats, et à l'hôpital, évoquent un champ de bataille.
L'unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine à Haaretz : « Le 12 décembre 2021, une activité opérationnelle a eu lieu pour arrêter un suspect soupçonné d'être impliqué dans une activité terroriste, dans le village de Qalqas qui est sous la juridiction de la Brigade territoriale de Judée.
« Pendant l'arrestation, certains des résidents de la maison dans laquelle vit le suspect ont physiquement interféré avec l'opération de la force. L'un des résidents a eu recours à la violence, a essayé de tirer la sangle de l'arme d'un commandant et a attaqué les combattants. En réponse, les combattants ont pris des mesures pour arrêter l'attaque, au cours de laquelle le résident est tombé et a été évacué par les soldats pour recevoir un traitement médical dans un hôpital ».
Une semaine plus tard, le 19 décembre, Oussama a comparu devant Son Honneur le juge lieutenant-colonel Shlomo Katz, selon la transcription. Le procureur, le lieutenant Yaron Kanner, a demandé qu'Oussama soit placé en détention provisoire jusqu'à la conclusion de la procédure engagée contre lui. « Même s'il ne s'agissait pas d'un événement planifié, mais spontané », a déclaré Kanner, « les circonstances entourant l'incident sont extrêmement graves. Il ne s'agissait pas d'une simple bousculade ou d'une violence mineure, mais d'une attaque contre un soldat avec des violences graves, notamment des coups de poing, des coups de tabouret sur la tête du soldat et d'autres violences graves qui ont duré un certain temps, et non pas d'un débordement spontané et momentané ».
Le père de l'accusé a été cité dans le procès-verbal, disant : « C’est moi qui devrais les poursuivre et pas eux nous ».
Oussama reste en détention.
*Cette localité est isolée d'Al Khalil par l'armée israélienne, qui a coupé la route directe d'accès à la ville, depuis plus de 20 ans (la seconde Intifada). Ses 3 000 habitants, forcés de traverser à leurs risques et périles la route 60, une des plus meutrières de la région, pour se rendre en ville, ont protesté depuis 2 décennies contre ce blocus. Ceci explique cela. [NdT]
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