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23/04/2023

YOSSI VERTER
Préparez-vous à une “fête de l’indépendance” d’Israël à la nord-coréenne

Yossi Verter, Haaretz, 21/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si un chef de l’opposition ou un membre de la Knesset envisageait encore d’assister à la cérémonie d’allumage des torches du Jour de l’Indépendance, la conférence de presse pénible de la ministre des Transports Miri Regev a résolu la question. « La cérémonie est organisée par le gouvernement, pas par la Knesset ! Le président de la Knesset est un invité », a-t-elle menti, foulant aux pieds une tradition vieille de plusieurs décennies qui n’a été interrompue que sous l’ère du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Cela fait partie du codex de base de madame la ministre.

Netanyahou, entre Ohana, président de la Knesset, et Herzog, président d’Israël, au Mémorial Yad Vashem il y a quelques jours. Photo Emil Salman

« Un message vidéo du premier ministre, c’est la coutume », a-t-elle déclaré, continuant à déformer la réalité. « Tous ceux qui agissent contre la loi ne seront pas là ». Foutaises. Aucune loi n’interdit de protester lors de cérémonies. Et pourtant. Si cela ne tenait qu’à elle, pour le jour de l’indépendance, il y aurait une loi spécifique prévoyant des peines de prison pour les personnes qui protesteraient lors de son événement, comme elle l’a dit en termes très clairs.

Elle a laissé planer la possibilité que, “dans des circonstances extrêmes”, la diffusion en direct soit interrompue au profit d’une vidéo de la répétition générale. Jusqu’où peut-on aller dans la ringardise ? Cela aurait pu fonctionner en 2004, lorsqu’elle était cheffe de la censure militaire un poste qui constituait dans une large mesure l’apogée de ses capacités. En réalité, il est tentant de la mettre à l’épreuve. Après tout, dès que la diffusion en direct sera interrompue, des centaines de smartphones sortiront et commenceront à filmer. En quelques secondes, les vidéos seront diffusées sur tous les réseaux sociaux, deviendront virales et seront diffusées dans les journaux télévisés en Israël et à l’étranger. Bien entendu, en temps réel, toutes les chaînes de télévision qui se respectent cesseront de diffuser la cérémonie enregistrée. Eh bien, voyons l’ancienne censeure vaincre le progrès.

La ministre des Transports Miri Regev lors d’une célébration de Pourim le mois dernier. Photo David Bachar

Tout·e politicien·ne ou personnalité publique qui s’oppose à la fameuse réforme judiciaire et à l’avilissement continu de la bonne gouvernance doit rester à l’écart de la cérémonie cette année. C’est malheureux, mais c’est le prix de la réalité. La cérémonie d’allumage des torches, sirupeuse et kitsch, fait l’objet d’un extraordinaire consensus israélien. Mais même l’extraordinaire tourne au vinaigre cette année. La coalition qui prend la démocratie en otage et menace de la détruire s’est également emparée de la cérémonie nationale et l’a déshonorée avant même qu’une seule image n’ait été diffusée.

Il n’y a rien non plus dans les tribunes du Mont Herzl pour les juges de la Cour suprême qui sont constamment menacés et calomniés par les ministres du gouvernement et les députés de la coalition. Il n’y a rien non plus pour la procureure  générale en chef. Faites confiance à Regev pour remplir les rangées au centre du balcon avec des membres du comité central du Likoud, qui applaudiront et agiteront des drapeaux chaque fois que la caméra sera braquée sur eux.

Lors de la cérémonie de 2021, Mme Regev a été surprise en train de faire des gestes frénétiques avec ses mains pour diriger le caméraman. Un an plus tard, la raison est revenue sur le Mont. La ministre de la Culture et des Sports, Chili Tropper, a organisé une cérémonie exprimant la beauté, l’ouverture et la tolérance d’Israël [sic]. Le Premier ministre Naftali Bennett a annoncé à l’avance qu’il ne ferait pas d’entrée “impériale” et dandy avec son épouse, qu’il ne prononcerait pas de discours et qu’il n’enverrait pas de vidéo. Il s’assiérait avec sa famille dans le public et rien d’autre.

La cérémonie du Jour de l’Indépendance au Mont Herzl à Jérusalem l’année dernière. Photo Ohad Zwigenberg

Ce fut un rare moment de grâce. Mais au fond de nous, nous savions que le gouvernement avait perdu sa majorité à la Knesset et que pour le 75e anniversaire de l’indépendance de l’État, il y avait de fortes chances que la normalité revienne à North Korea Productions, Inc. la société de production de la famille Netanyahou, et à son mégaphone obséquieux, Miri Regev, l’organisatrice d’événements personnels pour La Familia, les hooligans racistes du Beitar Jérusalem.

Les flambeaux seront allumés à la fin du Jour du Souvenir, qui se déroulera également à l’ombre des “réformes” destructrices et du profond fossé que le gouvernement d’extrémistes et de racistes a creusé dans cette nation. Des milliers de familles endeuillées ont exprimé leur désir de se recueillir auprès de leurs proches sans la participation de politicien·nes. Le ministre de la Défense Yoav Gallant a refusé ces demandes. Il a comparé la non-présence des politicien·nes à un “pliage du drapeau israélien”. Selon un reportage de Kan 11 News, Gallant a conseillé à une fille endeuillée qui lui demandait, en tant que responsable du ministère qui organise les cérémonies dans les cimetières militaires, d’empêcher la participation des hommes politiques de “venir la veille” du jour du souvenir - comme si la cérémonie appartenait aux ministres du gouvernement et aux membres de la Knesset, et que les familles endeuillées n’étaient que des invités.

Gallant est apparemment en train de se frayer un chemin vers le cœur de la droite, après l’épisode troublant qu’il a vécu avec l’annonce de sa destitution qui n’a pas eu lieu. L’idée qu’une bande de réfractaires [au service militaire], d’ultra-orthodoxes et d’hyper-orthodoxes nationalistes dirigés par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui n’a pas été appelé sous les drapeaux en raison de son passé violent, participeront aux cérémonies, fait froid dans le dos.

Et ils ne seront pas les seuls : La ministre de la Diplomatie publique, Galit Distal Atbaryan, qui a traité les pilotes de lâches, le ministre des Communications, Shlomo Karhi, qui les a invités à aller se faire voir, la ministre des Transports, Miri Regev, qui qualifie les manifestants, y compris les parents, frères et sœurs et enfants endeuillés, de “privilégiés” et d’“anarchistes”, le ministre de N’importe quoi David Amsalem, qui exige que la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, et l’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, soient jugés pour “tentative de renversement du gouvernement"”et qui incite réellement à les blesser physiquement.

Cérémonie du jour du souvenir à Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv, en 2021. Photo Hadas Parush

C’est ce qui a engendré les manifestations en face de la maison de Barak, où les bibiistes et les amsalémites exigent qu’il soit placé devant un peloton d’exécution et lui souhaitent des morts étranges et variées. Ils n’ont aucune raison au monde de manifester en face du domicile d’un juge à la retraite de 86 ans qui a quitté la magistrature en 2006, si ce n’est la diffamation et la délégitimation dont des types comme Amsalem sont responsables.

Jeudi, un obscur député likoudnik, un imbécile parmi tant d’autres, a demandé dans une interview à la radio que Barak “démissionne” déjà.

Il était écœurant de voir le premier ministre qui a nommé Amsalem ministre bis de la Justice serrer la main de Hayut lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste, sans dire un mot sur les propos méprisables de Amsalem. Hayut est déjà suffisamment expérimentée pour le savoir. Elle a encore six mois à subir sa présence hypocrite avant de prendre sa retraite.

Les scènes qui se dérouleront dans tout le pays mardi matin seront difficiles à digérer. Des cimetières, on entendra non seulement le murmure des psaumes, les chants des cantors et les pleurs des cœurs brisés. De certains d’entre eux s’élèvera la voix de la protestation. Il y aura des disputes. Il y aura un cri de douleur à propos d’Israël qui se perdra - et qui, en cours de route, annulera complètement la valeur du sacrifice de nos êtres chers.

Certains pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de crier. Il est difficile de contester ce sentiment. Dans l’équation du pouvoir entre le sujet et l’oppresseur, crier est parfois la seule chose qui reste. Ou comme Yehonatan Geffen l’a dit un jour : « Nous voulions changer le monde, mais il n’était pas d’accord. S’il est impossible de sauver le monde, il est possible d’essayer au moins de sauver le monde d’une personne ».

L’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, devant son domicile de Tel-Aviv, jeudi. Photo Tomer Appelbaum

 Pas d’argent, de la poussière

Avec son retour au pouvoir, Netanyahou a régulièrement ressorti ses discours caractéristiques, mêlant cris de victimes et menaces contre l’Iran. La semaine dernière, c’était lors de la cérémonie de commémoration de la Journée de l’Holocauste. La semaine prochaine, à l’occasion du Jour du Souvenir, nous aurons droit à une nouvelle interprétation. Cela fait plus d’un quart de siècle qu’il met l’Iran en garde, et pendant ce temps, l’Iran a continué à étendre sa portée, à devenir plus puissant et plus avancé dans ses capacités nucléaires. Depuis l’arrivée au pouvoir du dernier gouvernement de Netanyahou, l’Iran a également noué des liens diplomatiques avec les pays du Golfe et avec l’Arabie saoudite, avec laquelle Netanyahou souhaite ardemment signer un accord de normalisation.

Comme toujours, ses discours visent surtout à semer la peur et l’inquiétude dans le cœur des Israéliens, ainsi que la conviction qu’il est le seul à pouvoir nous sauver. Les Iraniens ont depuis longtemps cessé d’être impressionnés par ses absurdités (si tant est qu’ils l’aient jamais été). Ils n’y croient certainement pas en ce moment, alors que les relations entre Israël et les USA sont au plus bas. Sans pouvoir compter sur l’aide de l’USAmérique pendant et surtout après une frappe israélienne, dans la guerre massive qui en résulterait, Netanyahou n’oserait rien faire. Il n’a aucune légitimité aux yeux du public, l’establishment de la défense se méfie de lui, il est faible à tous égards.

Netanyahou lors de l’entretien accordé à la chaîne CNBC mercredi.

Lors d’une interview accordée cette semaine à la chaîne CNBC et truffée d’astuces et d’affabulations, il a déclaré : « 95 % des problèmes au Moyen-Orient émanent de l’Ira ». Ce qui, soit dit en passant, est aussi sa part de responsabilité dans les problèmes qui n’affectent que le petit Israël. Prenons l’exemple de l’économie, un domaine où la Journée de commémoration de l’Holocauste illustre si douloureusement la façon dont les macro-questions créées par le gouvernement affectent les micro-questions des membres les plus faibles de la société. Alors que le parti Shas était occupé à organiser une réduction morbide sur les concessions funéraires pour les survivants de l’Holocauste - ce qu’Aryeh Dery a gazouillé avec enthousiasme, avant d’effacer rapidement son tweet - cette année, le ministère des Finances a oublié de jeter un maigre os aux survivants. Aucun élément économique destiné à leur venir en aide ne figurait dans le budget de l’État qui a été adopté en première lecture. Ce n’est pas si surprenant, peut-être, quand le prix du partenariat dans la coalition étaient des milliards de shekels qui sont distribués de manière si libérale et irresponsable.

Dery a toutefois eu de la chance, car il a été rapidement dépassé par le ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, qui a gazouillé lors d’une visite à Auschwitz, avec une inconscience qui fait froid dans le dos, « Une nation ! Un drapeau ! Un État ! » - une déclaration qui ressemble fort au slogan du parti nazi [“Ein Volk ; ein Reich, ein Führer”]. Cette déclaration rappelle la maladresse entourant le slogan original de la campagne électorale ratée de Netanyahou en 1999 : “Un leader fort pour une nation forte”, un autre slogan qui semblait provenir des pisse-copies du Führer. Ce slogan avait rapidement été remplacé par “Un dirigeant fort pour l’avenir d’Israël”.

Aussi lucide que Netanyahou puisse encore être dans certains moments, il doit comprendre qu’il ne peut compter sur aucun gain diplomatique majeur dans un avenir proche. Même s’il opère une volte-face par rapport à la poussée autocratique, il faudra du temps pour réparer les dégâts au niveau national et pour dissiper l’incertitude avec laquelle le monde éclairé et les milieux d’affaires nous considèrent aujourd’hui.


Le ministre de l’éducation Yoav Kisch et son “Une nation ! Un drapeau ! Un État !”

Dans l’interview susmentionnée, Netanyahou s’est comporté comme un vendeur de poudre de perlimpinpin : ce n’est que de la “poussière” (qui va se déposer), a-t-il déclaré avec dédain à propos de la fuite des investisseurs et de l’argent d’Israël, et de tous les indicateurs économiques négatifs qui s’accumulent. « L’argent moins intelligent suit le troupeau... L’argent intelligent arrive, et il gagnera beaucoup d’argent », a-t-il insisté, s’abstenant à peine d’ajouter un clin d’œil “faites-moi confiance” à la fin de cette phrase creuse. Comme il est déconnecté de la sombre réalité de nos vies. Pas étonnant qu’il n’accorde des interviews qu’aux chaînes étrangères, et à sa chaîne nationale, qui accueille chaleureusement ses mensonges.

Accord de plaidoyer 2.0 ?

Le procès de Netanyahou & Co. qui a repris cette semaine après six semaines d’interruption n’a pas suscité beaucoup d’intérêt. Les reportages sur le contre-interrogatoire de l’enquêteur principal de la police dans deux des affaires de corruption ont été relégués au second plan dans les journaux.

Mais pendant la pause, des événements dont l’importance ne peut être exagérée ont eu lieu, surtout lorsqu’ils sont pris ensemble.

Événement 1 : le 27 mars, il a été rapporté que l’avocat de Netanyahou, Boaz Ben Zur, avait lancé un ultimatum à son client : Si la réforme judiciaire est adoptée, il démissionnera de l’équipe de défense.

Le monde judiciaire a été stupéfait par cette grave violation de l’éthique : un avocat déclarant qu’il ne représentera son client, en l’occurrence un premier ministre, que si ce dernier ne met pas en œuvre sa politique. De plus, les tribunaux ne permettent pas aux avocats de se séparer de leurs clients, même si ceux-ci ne les paient pas ou menacent de leur causer des dommages corporels. Les avocats de la défense ne peuvent démissionner qu’avec l’accord des juges.

La décision de Ben Zur (qu’il n’a pas niée) était tellement inédite que les plus suspicieux d’entre nous se sont demandé si elle n’avait pas été coordonnée avec l’accusé pour justifier un recul par rapport au renversement de la démocratie.

Événement 2 : Le 1er avril, Ilana Dayan a rapporté sur Channel 12 News que l’avocat de Shaul Elovitch a proposé une voie alternative dans la partie d’Elovitch des affaires de corruption de Netanyahou : La “médiation judiciaire”. Les avocats de Netanyahou ont rejeté cette proposition ; ils attendront la décision du procureur général Gali Baharav-Miara.

Elovitch est jugé dans l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou aurait offert des faveurs en échange d’une couverture médiatique positive. La “médiation judiciaire”, quant à elle, est une version aseptisée d’un terme plus explosif : la “négociation de peine” [réduite si l’inculpé plaide coupable, NdT].

Dans ce cas, les négociations sont confiées à un juge à la retraite, avant que la procédure ne revienne au tribunal pour qu’il prenne une décision finale.

 

L’avocat de la défense de Netanyahou, Boaz Ben Zur, au tribunal de district de Jérusalem en janvier.

L’avocat d’Elovitch, Jacques Chen, a-t-il fait cette proposition avec l’accord tacite des avocats de l’accusé n° 1 ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, le sentiment dans le monde judiciaire est qu’une option de plaidoyer a été ressuscitée, après l’accord qui a été presque conclu avec l’ancien procureur général Avichai Mendelblit avant que Mendelblit ne prenne sa retraite en février 2022.

À l’époque, Netanyahou avait accepté de plaider coupable pour deux chefs d’accusation de fraude et d’abus de confiance afin d’éviter une décision de justice pour turpitude morale, qui l’aurait tenu à l’écart de la vie politique pendant sept ans. Le successeur de Mendelblit ne lui aurait jamais proposé un meilleur accord.

Événement 3 : Avant la Pâque, l’accusation et la défense se sont mises d’accord pour réduire considérablement le nombre de témoins de l’accusation - de 300 environ dans l’acte d’accusation à 50 ou 60 environ. Ils ont également convenu de limiter la durée de l’interrogatoire des témoins à une demi-journée ou une journée.

C’est ahurissant. Les avocats de Netanyahou ont utilisé des tactiques dilatoires tout au long du procès et ont scandaleusement fait traîner en longueur l’interrogatoire des témoins. Soudain, un esprit d’efficacité s’est emparé d’eux, comme s’ils étaient pressés de mettre fin à l’affaire.

Quiconque a lu les transcriptions des interrogatoires du Premier ministre par la police, avec leurs nombreuses contradictions et détours, est conscient du danger qui guette Bibi s’il se présente à la barre des témoins.

Les disciples stupides de Channel 14 et de la radio Galey Yisrael essaieront de faire croire que l’accusé a écrasé l’accusation, mais les décisions de justice ne sont pas écrites dans les studios. Et lorsque l’accusé, qui a la réputation d’un menteur avide et manipulateur, devra répondre aux procureurs, son charme douteux s’évaporera.

Après la limitation de la durée des témoignages, combien de temps reste-t-il avant son propre témoignage ? Les observateurs parlent de huit à dix mois. Théoriquement, un accord de plaidoyer coupable pourrait être signé juste une minute avant la décision du tribunal. En pratique, la date limite se situe juste avant que Netanyahou ne soit appelé à témoigner.

Si et quand une négociation de peine revient à l’ordre du jour, la situation sera très différente de ce qu’elle était au début de l’année 2022. L’épée que Netanyahou tient en travers de la gorge du pouvoir judiciaire est encore brûlante. À l’époque, il était le chef de l’opposition. Aujourd’hui, il est non seulement le Premier ministre le plus dangereux de notre histoire, mais aussi le plus imprévisible.

Certains disent que son fils, exilé à Porto Rico en compagnie du milliardaire du jour, veut faire de son père le martyr de la droite et qu’il exploitera le processus à fond. Difficile de savoir ce qui se passe dans ce panier de crabes. Mais conclure un tel accord dans une biosphère aussi démente n’est pas simple du tout.

Le fantôme de Ben-Gourion

Les dirigeants ultra-orthodoxes qui cherchent à protéger la sous-culture consistant à échapper au service national militaire ou civil invoquent souvent David Ben-Gourion. Après la guerre d’indépendance, le premier Premier ministre israélien a exempté 400 étudiants de yeshivas de l’armée à condition qu’ils étudient la Torah.

Ce nombre a fini par atteindre des proportions monstrueuses, et toute prudence a été abandonnée lorsque le Likoud est arrivé au pouvoir en 1977. Aujourd’hui, nous souffrons d’un manque d’égalité honteux et de tentatives de l’inscrire dans la loi.


David Ben-Gourion, qui a fini par regretter sa décision de laisser les ultra-orthodoxes échapper au service militaire. Photo : Daniel Rosenblum/Starphot

Cette semaine, un lecteur m’a envoyé une photocopie d’une lettre que Ben-Gourion a écrite en septembre 1963 à son successeur après son second mandat, Levi Eshkol. Cette lettre est parue moins de trois mois après que le Vieux Lion se fut retiré à Sde Boker, dans le sud du pays.

Le contexte : de violentes émeutes provoquées par des factions extrémistes ultra-orthodoxes. Il ressort de cette lettre que Ben-Gourion n’était pas à l’aise avec sa décision initiale, ou du moins qu’il en mesurait les conséquences pour la société israélienne.

Voici la lettre, avec quelques coupures : « Le comportement sauvage des fanatiques devient complètement incontrôlable, et je pense que j’en suis responsable dans une mesure qui est déjà connue : j’ai exempté les garçons de yeshiva du service militaire.

« Bien que je l’aie fait lorsque leur nombre était faible, ils se multiplient et, dans leur déchaînement, ils représentent un danger pour l’honneur de l’État. ... Je propose que tout garçon de yeshiva âgé de 18 ans et plus qui est pris en train de participer à un rassemblement illégal, de jeter des pierres, de se livrer à une émeute contre des citoyens ou de s’engager dans tout autre acte de violence et d’intimidation soit immédiatement incorporé dans l’armée, où il servira pendant 30 mois comme n’importe quel autre jeune en Israël - non pas dans une position religieuse, mais comme simple soldat.

« De même, il pourrait être nécessaire d’examiner si les étudiants de yeshiva devraient être exemptés d’une obligation militaire. Mais les contrevenants ne méritent absolument pas ce privilège douteux ».

L’historien Michael Bar-Zohar, qui a écrit plusieurs livres sur Ben-Gourion, m’a dit cette semaine que le vieil homme ne regrettait pas sa décision initiale concernant les 400 étudiants de yeshiva. « Nous en avons parlé à plusieurs reprises. Il respectait le monde de la Torah. Le problème, c’est qu’ils ont fait en sorte que ce nombre soit beaucoup plus important ».

Peut-être était-il difficile pour Ben-Gourion de reconnaître son péché originel, qu’il a eu trop peur de corriger pendant une décennie et demie. Mais il ne fait aucun doute qu’il a compris qu’il s’agissait d’une erreur.

Tant qu’il y avait un semblant d’efforts pour remédier à ce problème, même s’il ne s’agissait que de comités et de propositions qui traînaient en longueur - les Israéliens qui servaient dans l’armée et payaient des impôts étaient prêts à l’avaler. Le gouvernement cauchemardesque actuel ne se contente pas d’esquiver une solution au problème, il rend le péché permanent. Il l’aggrave et le légitime.

Le dernier délai fixé par la Cour suprême est le 29 mai. Les ultra-orthodoxes veulent mettre de l’ordre dans ce coin-là une fois pour toutes, sans interférence supplémentaire de la part de la Cour. Netanyahou a des problèmes bien plus graves que les philosophailleries de Ben-Gourion ; il a des acolytes qui réclament du grisbi.

ALLISON KAPLAN SOMMER
Pourquoi Netanyahou a choisi une “fière raciste” pour représenter Israël à New York

Allison Kaplan Sommer,  Haaretz, 20/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si elle avait choisi une autre voie politique, May Golan - la députée d’extrême droite du Likoud à la Knesset que le Premier ministre Benjamin Netanyahou veut nommer consule générale à New York* - aurait pu être considérée par la plupart des Israéliens comme une figure de Cendrillon inspirante : une jeune femme défavorisée qui a réussi.

May Golan et Itamar Ben-Gvir au poste de police de Kafr Qasem en 2021. Photo Moti Milrod

Golan, 36 ans, a commencé son parcours au plus bas de l’échelle socio-économique israélienne, élevée par une mère célibataire dans l’un des quartiers les plus pauvres du sud de Tel-Aviv, gangrené par la drogue et la criminalité.

Elle a fait irruption dans la conscience publique à un jeune âge, en apparaissant à la télévision à une heure de grande écoute en 1996 en tant qu’invitée âgée de 10 ans. Lors de cette émission, elle a parlé de sa vie et a ensuite été sélectionnée pour fréquenter une école secondaire prestigieuse de l’autre côté de la voie ferrée, dans le nord de la ville. C’est là, a déclaré Golan, que sa volonté de devenir une femme politique a été marquée de manière indélébile par le racisme auquel elle a été confrontée de la part de ses camarades de classe ashkénazes privilégiés, qui la “détestaient” et lui “faisaient vivre un enfer”, la qualifiant de “sale et contaminée”. [sa mère est née en Irak, NdT]

Cette expérience n’a cependant pas déclenché de sympathie pour tous les éléments des classes opprimées, et l’a lancée dans la direction de Marjorie Taylor Green [blondasse facho, représentante de Géorgie au Congrès US, NdT] plutôt que dans celle d’Alexandria Ocasio-Cortez [brunette hispanique, membre socialiste démocrate du Congrès]

Lorsque les caméras filment les cris rauques des membres likoudniks de la Knesset attaquant l’opposition, Golan est souvent au centre, augmentant parfois les insultes avec des sons d’animaux - comme lorsqu’elle s’est mise à glousser et à traiter sa collègue députée de “poule caquetante”.

Il y a dix ans, Golan s’est fait un nom en tant que jeune opposante très active sur les réseaux sociaux à ce qu’elle appelait “l’infiltration” de son quartier par des demandeurs d’asile originaires du Soudan et de l’Érythrée. Elle les a qualifiés de violeurs, de voleurs et de “groupe terroriste à tous points de vue” dans ce qu’elle a présenté comme une bataille pour son quartier contre les demandeurs d’asile et les “groupes gauchistes” qui les soutiennent.

Golan a rapidement fait cause commune avec les franges les plus extrêmes de la droite politique, d’abord avec les militants qui allaient devenir le parti Otzma Israel - dont l’actuel ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et ses comparses encore plus à droite, Baruch Marzel et Michael Ben-Ari - où elle a été placée au 10e  rang sur leur liste pour la Knesset en 2013.

Lors d’un rassemblement contre les réfugiés, elle s’est exclamée : « Si je suis raciste pour préserver ma vie, alors je suis fière d’être raciste ». Elle a également déclaré qu’elle ne mangerait pas dans un restaurant qui emploie des travailleurs africains parce qu’ « un infiltré sur trois a le sida ou la tuberculose ». Elle a en outre déclaré que ce fut un “grand honneur” de prendre la parole lors d’un rassemblement à la mémoire du rabbin Meir Kahane et que “le fait d’être qualifiée de kahaniste ne m’insulte pas le moins du monde”.

Sans abandonner ses opinions extrêmes, elle est passée d’Otzma Yehudit au camp droitier et populiste du Likoud et est entrée à la Knesset en 2020. Récemment, elle a été nommée à la tête d’un nouveau ministère pour la promotion de la femme, ce qui a suscité l’hostilité des féministes. La législatrice a en effet déclaré que “le féminisme radical est un mouvement de haine” et a voté contre une loi visant à aider les victimes de viol et à protéger les femmes de la violence domestique. TikTok a retiré la vidéo d’un discours dans lequel elle attribuait aux décisions de la Cour suprême israélienne concernant les demandeurs d’asile le viol d’une jeune femme à Tel-Aviv, qualifiant le pouvoir judiciaire de « dictature la plus dangereuse qui soit dans cette fausse démocratie dans laquelle nous vivons ».

En l’envoyant à New York pour remplacer Asaf Zamir - le précédent consul général qui a démissionné pour protester contre la “révolution judiciaire” - Netanyahou cherche apparemment à soulager un mal de tête politique. Nommer Golan enlèverait un soldat politique au camp du Likoud qui fait pression sur lui pour qu’il ne fasse pas de compromis sur la refonte judiciaire complète qui déchire Israël, en dépouillant la cour qu’elle méprise tant d’une grande partie de son pouvoir.

Mais le message le plus fort, si Golan est nommée, ne sera pas un message de politique intérieure, il reflétera la façon dont. Netanyahou considère les relations d’Israël avec le camp démocrate usaméricain qui domine la région desservie par le consul général de New York - et auquel appartient la grande majorité des juifs usaméricains.

Golan parle couramment l’anglais, comme le soulignent ses défenseurs.

Mais son aisance n’a aucune chance de jeter des ponts avec le grand nombre d’USAméricains - juifs et non juifs - qui regardent l’Israël de Netanyahou avec un niveau croissant de détresse et d’inquiétude.

NdT
* Selon les médias israéliens, Netanyahou aurait finalement renoncé à nommer May Golan consule à New York, pour calmer l’indignation suscitée parmi les notables juifs et démocrates de New York et effacer la grimace saluant sa décision à Washington

22/04/2023

GIDEON LEVY
Azzoun : les jeunes hommes de cette ville palestinienne continuent de mourir

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 22/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Ayid Salim, un étudiant palestinien de 20 ans en architecture d’intérieur, a participé à des manifestations contre les troupes israéliennes qui ont effectué des raids sur sa ville natale. Un soldat qui pensait qu’Ayid lançait des pétards lui a tiré dessus à cinq reprises. C’est le troisième homme à mourir ainsi à Azzoun en un an

 

Azam Salim, le père d’Ayid

 La ville d’Azzoun est un lieu déshérité, militant, gorgé de souffrance. Pour son malheur, elle est située sur l’autoroute 55, la principale voie de communication entre Naplouse et Qalqilyah, dans le nord de la Cisjordanie, où la circulation des colons est intense. Deux grandes colonies - Karnei Shomron et Alfei Menashe - sont situées à l’est et à l’ouest, Azzoun étant coincé entre les deux. Parmi les habitants écoeurés de la ville, avec ses quelques garages et ateliers de métallurgie, la tentation de jeter des pierres sur les voitures des colons est très grande.

Les habitants sont condamnés à être assiégés, emprisonnés derrière des monticules de terre et une porte en fer jaune à l’entrée de la ville, qui est fermée par une chaîne pendant des jours et parfois des semaines, apparemment de façon arbitraire. Même lorsque le portail est grand ouvert, il est presque toujours gardé par des soldats des Forces de défense israéliennes. Les habitants qui sortent d’Azzoun ou ceux qui cherchent à y entrer vivent dans la crainte des forces étrangères qui gardent l’entrée jour et nuit. Trois jeunes gens ont été tués dans la ville au cours de l’année écoulée, tous de la même manière. Aucun d’entre eux n’était armé, ils n’ont apparemment mis personne en danger. S’il s’était agi de manifestants juifs ou de supporters de football de Jérusalem, le genre de personnes connues pour lancer des pétards, personne n’aurait songé à leur tirer dessus à balles réelles, avec l’intention de tuer. Si un policier ou un soldat tuait sans réfléchir un juif qui lançait des pierres ou des pétards, il serait probablement jugé. Mais à Azzoun, les soldats qui font cela aux Palestiniens “font leur devoir”, peut-être même sont-ils considérés comme des parangons d’héroïsme.

 

Ainsi, avec une insupportable désinvolture, sans susciter le moindre intérêt dans les médias ou ailleurs, des jeunes gens qui n’ont pratiquement rien fait de mal sont abattus. On abrège la durée de vie de personnes qui commencent à peine à vivre. Chez eux, les familles endeuillées se noient dans le chagrin et l’agonie, tandis que les soldats font comme si de rien n’était.

 

 
La ville d’Azzoun en 2020

Nous nous étions rendus à Azzoun il y a moins d’un an pour documenter les circonstances de l’assassinat de Yahya Adwan, âgé de 27 ans au moment de sa mort (“The suspected offense: throwing a firebomb. The punishment: death”, 13/5/2022). Adwan a d’abord été arrêté pour avoir jeté des pierres à l’âge de 14 ans et a été condamné à deux ans et demi de prison, après quoi il a dû quitter l’école. Il a passé une grande partie des années qui lui restaient à vivre dans les prisons israéliennes, soit un total de huit années de sa vie, pour avoir jeté des pierres, jusqu’à ce que des soldats le tuent.

 

C’était le vendredi soir, 29 avril 2022 - pendant le Ramadan précédent, lorsque l’armée a organisé une autre de ses opérations d’arrestation, des enlèvements pour la plupart inutiles qui provoquent inévitablement une résistance violente de la part des jeunes gens locaux - lorsqu’une jeep blindée de Tsahal s’est arrêtée dans la rue principale d’Azzoun. Sa portière s’est ouverte et un soldat à l’intérieur a tiré trois balles sur Adwan. Des images vidéo montrent l’acte de tuer. En un clin d’œil, la portière s’est refermée et la jeep a poursuivi sa route, tandis que le jeune homme se vidait de son sang.

 

À l’époque, Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, avait noté que, d’après ses données, il s’agissait du cinquième cas, au cours des dernières semaines, où des soldats avaient ouvert le feu à balles réelles à partir d’une jeep blindée, avant de repartir. Les blessures par balles d’Adwan montrent qu’il a été abattu alors qu’il s’enfuyait. Quelques minutes plus tôt, un cocktail Molotov lancé sur la jeep avait explosé et s’était éteint sur le véhicule blindé, sans causer de dommages. On ne sait pas si c’est Adwan qui l’avait lancé.

 

Forces israéliennes en Cisjordanie en août. Photo : bureau du porte-parole des FDI

 Il a été abattu dans la rue principale de la ville, non loin de son domicile, à côté d’un supermarché qui porte le nom idyllique de Paradise, un véritable Eden. Le 2 mars dernier, Mohammed Salim, 17 ans, a été tué à côté de l’école locale, également par des soldats israéliens. C’était encore le Ramadan, et l’armée semait à nouveau la mort.

 

Le dernier chahid (martyr) de la ville a été abattu comme ses prédécesseurs. Il a lui aussi été tué dans la rue principale, non loin de chez lui, à une différence près : au lieu d’être tué à côté d’un supermarché ou d’une école, il a été abattu à côté d’une fontaine publique. Tout le reste est étonnamment similaire dans la vie et la mort des jeunes qui tombent à Azzoun.

 

Cette semaine, lorsque nous nous sommes rendus au domicile d’Ayid Salim, abattu le 8 avril, nous avons pu entendre en arrière-plan la psalmodie enregistrée de versets du Coran. Il avait 20 ans. Le père endeuillé, Azam Salim, est un chauffeur de camion de 55 ans ; sa femme, Kifah, 50 ans, est vêtue de noir. Ils ont cinq filles, et maintenant un seul fils. Ayid a abandonné l’école en seconde et a travaillé dans un atelier de réparation de pneus près de chez lui, pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Il y a deux ans, il a suivi un cours de trois mois sur la décoration et l’aménagement de la maison, dans un établissement d’enseignement supérieur situé à Qalqilyah, non loin de là. Il n’a pas pu trouver d’emploi dans son nouveau domaine et a continué à travailler dans l’atelier de réparation de pneus. Son frère aîné Ali, 27 ans, travaille comme terrassier, mais il ne peut pas économiser suffisamment d’argent pour une future vie de couple en raison de la situation économique de sa famille. Les murs du salon des Salim sont nus, certains n’ont même pas été enduits ; quelques chaises en plastique sont empilées dans un coin, pratiquement le seul mobilier présent.

Ayid Salim, qui a été tué ce mois-ci. Son cousin avait vu un jeune homme allongé sur le sol en train de saigner, s’était approché pour l’aider - et avait alors vu qu’il s’agissait d’Ayid. Photo famille Salim

La vie d’Ayid Salim se déroulait généralement entre le travail et la maison ; il partait à 8 heures du matin et rentrait à 17 heures. Il dînait généralement avec sa famille et rendait ensuite visite à l’une de ses sœurs mariées, ou allait rencontrer des amis qui se retrouvaient dans la rue principale. Comme la plupart des jeunes d’Azzoun, Ayid a également participé aux affrontements avec les soldats près de la porte d’entrée de la ville.

 

En décembre dernier, il a été arrêté pour la première fois de sa vie. Des soldats ont fait une incursion nocturne dans sa maison - une autre incursion audacieuse derrière les lignes - et ont kidnappé Ayid dans son lit. Il a été libéré 15 jours plus tard sans condition, les soupçons des autorités quant à son implication dans des jets de pierres n’ayant pas abouti.

 

Le samedi 8 avril, il travaille comme d’habitude et rentre chez lui en fin d’après-midi. Il attend l’iftar (repas de rupture du jeûne), qu’il prend avec sa famille, puis sort. Kifah raconte qu’elle est également sortie et qu’à son retour, sa fille Isra lui a dit qu’Ayid avait pris son enceinte portable et qu’il allait voir des amis. Quelques minutes plus tard, Kifah a entendu une volée de coups de feu provenant de la rue principale, à quelques dizaines de mètres de la maison. Elle estime avoir entendu une trentaine de coups de feu.

 

La mère d’Ayid Salim, Kifah, et son cousin, Abderrahmane Salim

 

Kifah a paniqué et s’est précipitée hors de la maison dans la rue. Un parent l’a appelée pour lui demander si elle savait où se trouvait son fils, puis l’a informée qu’Ayid avait été blessé à la jambe ; il a précisé qu’il avait été transporté dans le petit hôpital local et qu’il était en bon état. Le docteur Mustafa Salim, médecin de garde, a écrit dans son rapport qu’Ayid avait été amené aux urgences vers 21 heures dans un véhicule privé, après avoir reçu cinq balles dans le haut du corps. Il souffrait de graves blessures à la poitrine, à l’épaule et à l’estomac et est arrivé à l’hôpital dans un état de mort clinique - tous les efforts pour le réanimer ont été vains.

 

Peu de temps auparavant, le cousin d’Ayid circulait en voiture dans la rue principale d’Azzoun. Abderrahmane Salim, 30 ans, revenait de son travail dans un magasin de pièces détachées dans le village voisin de Jayus. Soudain, il a vu un jeune homme étendu sur le sol, en sang. Il s’est arrêté et a emporté la victime grièvement blessée dans sa voiture. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’est rendu compte qu’il s’agissait de son cousin. Il a vu un trou béant dans la poitrine d’Ayid et s’est souvenu plus tard que le jeune homme ne répondait pas et semblait ne plus respirer.

 

Abderrahmane nous a dit cette semaine qu’il avait remarqué un soldat qui se tenait au milieu de la rue à environ 150 mètres d’Ayid - peut-être était-ce celui qui lui a tiré dessus. Il a également raconté qu’avant la fusillade, il n’y avait pas eu d’affrontements à cet endroit et que les soldats étaient apparemment sortis de derrière la barrière à l’entrée d’Azzoun pour tendre une embuscade à des jeunes qui leur avaient jeté des pétards et les avaient poursuivis. Lorsque Ayid a été abattu, dit son cousin, il n’y avait que quelques jeunes autour de lui.

 Azzoun en 2019. Photo: Moti Milrod

 L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Le 8 avril 2023, au cours d’une activité de protection des routes, des combattants de Tsahal ont tiré sur un suspect qui leur avait lancé un engin à côté du village d’Azzoun, sur le territoire de la brigade régionale d’Ephraïm. Un touché a été observé [sic]. Par la suite, le décès d’Ayid Salim a été signalé. Les circonstances de sa mort sont en cours d’éclaircissement ».

 

Pour sa part, Sadi, l’enquêteur sur le terrain, a déclaré que quelque 20 000 personnes ont assisté aux funérailles d’Ayid par une journée particulièrement chaude en plein Ramadan.

 

Plus tard, nous nous sommes rendus dans le magasin de vidange et d’accessoires automobiles d’Ifrah Efendi, près d’une fontaine d’eau potable pour les passants. C’est là qu’Ayid s’est effondré et est mort.

 

21/04/2023

GIANFRANCO LACCONE
La méchante ourse, l’humain et la Constitution

 Gianfranco Laccone, climateaid.it, 20/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Un fil rouge relie le racisme, le sexisme et le spécisme, qui désigne la croyance que l’espèce humaine est différente et supérieure aux autres, alors que, selon notre Constitution, la République doit protéger l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes.

 


L’ourse Gaia jj4 est l’un des premiers ours nés en Italie, en 2006. Ses parents Joze et Jurka (‘où sa désignation comme "jj4"), étaient deux des dix ours importés de Slovénie pour repeupler les Alpes centrales de cette espèce. Elle a trois petits. Elle avait été condamnée à mort par une ordonnance du président de la province de Trente une première fois en 2020, pour avoir blessé deux chasseurs mais la sentence avait été suspendue. Le 5 avril, elle a tué un coureur, de toute apparence pour protéger ses petits et a donc été capturée le 18 avril, ses petits étant laissés en liberté, et installée dans un espace de confinement, au Casteller, qu’elle partage avec son dangereux congénère Papillon M49, enfermé là depuis 3 ans. L’exécution de l’ordonnance de mise à mort ayant été réactivée, une organisation animaliste (Ligue antivivisection) a pu la bloquer devant le Tribunal administratif régional, qui doit juger l’affaire le 11 mai prochain. Il y a aujourd’hui une centaine d’ursidés dans le Trentin. En Slovénie, où vivent 1100 ours, le gouvernement a donné le feu vert à l’exécution de 230 ours bruns en 2023. En 2022, on en avait tué 206. Les loups et les lynx y sont aussi victimes de semblables décisions, comme en Suède, en Autriche et en Suisse*. [NdT].

 La tragique affaire de l’ourse Gaia jj4 dans le Trentin est la némésis du rapport de l’humain à la nature et représente l’impasse dans laquelle s’est engagée la société italienne, composée d’individus qui, dans une période difficile pour la société, préfèrent se fermer aux “ennemis”, identifiés de temps en temps comme des éléments étrangers : les immigrés, la Russie, la France, les stations-service, l’UE, les amateurs de rave-parties, les sangliers, les loups et, maintenant, les ours.  Ceux qui pratiquent cette fabrication du “bouc émissaire” se montrent incapables de penser à autre chose qu’à la protection de leur propre bien-être individuel, à obtenir bien sûr sans se soucier des autres, surtout lorsqu’il s’agit d’animaux non humains. Et ce n’est pas un hasard si, dans le discours public, on avance le récit d’un pays assiégé qui serait attaqué en essayant même de pratiquer la “substitution ethnique” [le fameux “Grand Remplacement”], comme l’a dit de manière ridicule un ministre de cette république [Francesco Lollobrigida, petit-neveu de Gina l’actrice, beau-frère de Giorgia Meloni et ministre de l’Agriculture]. Il s’agit d’une vision globale dans laquelle la tâche de chaque Italien est de protéger sa propre pureté, son propre territoire, comme s’il ne s’agissait pas d’un espace commun, mais d’une propriété à laquelle on a droit par descendance, à laquelle on attribue également la tâche de choisir les espèces animales ou végétales que l’on aime. On ne s’expliquerait pas autrement le malaise (parfois la haine) à l’égard de certaines espèces comme les étourneaux, les perruches, les mouettes, les loups, les sangliers, voire certaines plantes : autant d’êtres qui ne devraient pas vivre une vie propre selon cette logique, mais rester à l’endroit que l’on a choisi pour eux, même s’ils ne le savent pas. Ici, nous les retirons des zones, nous les confinons dans des espaces qui, bien que contrôlés et délimités, n’arrêtent certainement pas leurs mouvements. Que faire alors si les animaux ou les plantes ne restent pas à leur place ? Pour les plantes, la destruction par désherbage (généralement effectué avec des produits nocifs pour nous) ou l’abattage est considérée comme normale ; pour les animaux, la même solution est pratiquée, mais de manière plus déguisée : pour certains d’entre eux, définis comme d’élevage, la naissance et la mise à mort sont un destin programmé ; pour d’autres, la mise à mort est le même destin, médiatisé par des “états de nécessité” ou par la chasse.

Le fait que le sort de l’ourse ait été décidé par la propagande médiatique était évident dès les premiers reportages ; d’autre part, si certains Italiens pensent qu’en cas de crime, la peine de mort devrait être rétablie pour le coupable, pensez-vous peut-être qu’un animal qui tue un homme (quelles qu’en soient les raisons) pourrait avoir un meilleur sort? Le fait que le président de la province de Trente - Fugatti - ait tenté dans le passé d’organiser un banquet avec de la viande d’ours n’est certainement pas un signe positif pour un animal qui n’a même pas de nom (les médias ayant effacé le nom original donné en Slovénie, d’où les spécimens d’ours ont été importés pour le repeuplement), mais seulement un acronyme - comme les détenus des camps de concentration ou les vaches d’élevage qui ont des numéros de série -, contrairement à ces autres animaux qui pour nous ont des personnalités et sont considérés comme des individus et à qui nous donnons un nom, que nous laissons vivre près de nous, auxquels nous donnons une sépulture. Mais pour eux aussi, la fin est la même, s’ils transgressent les règles tacites que nous connaissons et qu’ils ignorent souvent. 

Un fil rouge relie le racisme, le sexisme et le spécisme, qui désigne la croyance que l’espèce humaine est différente et supérieure aux autres ; un fil rouge qui sous-tend le comportement décrit ici et qui est très bien expliqué, avec un exemple que nous pourrions également comprendre comme une métaphore de cette triste histoire, par l’anthropologue Annamaria Rivera dans son livre “La Bella, la Bestia e l’Umano” (La Bête, la Bête et l’Humain. Sexisme et racisme sans exclure le spécisme, ediesse, 2010) : 

    « Une femme italienne petite-bourgeoise avec deux enfants a à son service une employée de maison ukrainienne ou philippine, moldave ou péruvienne, qui s’occupe de la maison, en son absence également de la progéniture, et éventuellement aussi des parents âgés de la dame.... Supposons qu’elle soit mariée à un homme qui a un travail subalterne, stressant et insatisfaisant et qu’elle soit harcelée par un employeur qui lui rend la vie impossible ; son mari la trompe, l’humilie ou la maltraite ; pour évacuer sa colère, elle se laisse aller à des accès de rage au cours desquels elle maltraite l’aide ménagère, les enfants et surtout le chien de la maison. Et supposons que l’aide ménagère, qui n’aime pas les animaux et déteste ces enfants, dans des moments de fatigue et d’exaspération, en l’absence des adultes de la maison, crie sur les enfants et maltraite le chien. Dans ce cas fictif - mais, je le répète, tout à fait réaliste - presque toute la hiérarchie de la domination est représentée... L’imbrication de multiples formes de domination-subordination... fait que les mêmes personnes peuvent être à la fois privilégiées et pénalisées... Les seuls qui n’exercent pas de formes de pouvoir sont les enfants et les animaux. Or, dans le cas imaginaire que j’ai illustré, les enfants pourraient se venger des torts qu’ils ont subis en maltraitant le chien, et le chien pourrait un jour réagir à la maltraitance de tous en mordant les enfants. Dans ce cas, les différents dominants se ligueraient contre le chien et l’abattraient ».

Comme c’est souvent le cas avec la création du “monstre à la une”, dans le cas de cette pauvre ourse, l’acquisition d’opinions s’est poursuivie en prenant pour acquis certaines vérités (non prouvables) telles que la férocité de la bête et l’inévitabilité de sa propension meurtrière, après le “crime”. Peu importe qu’en 150 ans, il s’agisse de la première attaque qui se soit terminée tragiquement, alors que chaque année les parties de chasse enregistrent des dizaines de morts causées par le “tir ami” des fusils à double canon. Peu importe que la victime n’ait pas eu de clochette ou de bipeur comme ceux dont sont équipés les visiteurs des parcs naturels usaméricains ; peu importe que l’ourse ait probablement défendu des oursons qui occupaient la zone de passage de la personne qui courait à ce moment-là.

Que ferait une mère si elle voyait quelqu’un courir vers son enfant ? Pourquoi un animal, qui de surcroît n’utilise pas notre langage et n’y est pas habitué, se comporterait-il différemment ? Enfin, peu importe l’inertie et la négligence considérables des institutions et des autorités locales, où les élus se déclarent peut-être “le maire de tous”, mais ils devraient aussi se déclarer le maire de tous les animaux et de tous les êtres vivants et prendre en compte les situations qui existent pour les raisons qui sont aujourd’hui évidentes. La capture d’un ours a toujours fait la une des journaux. Dans toutes les cultures, il a représenté quelque chose de “divin” et dans certaines, il est considéré comme un habitant de la forêt doté d’une personnalité propre, si semblable à l’humain qu’il peut coexister avec lui. Cette coexistence n’a pas seulement consisté en la condition humiliante des “ours dansants”, animaux qui, comme des esclaves, étaient exhibés dans les foires de village en Europe jusqu’à il y a quelques décennies, mais elle a également revêtu des significations profondes.

Le mythe part de l’histoire de Polyphonte, une jeune fille vouée au culte d’Artémis qui, pour échapper au mariage, se réfugia dans une forêt et Aphrodite, pour la punir, la fit tomber amoureuse d’un ours, de la relation avec lequel naquirent deux fils, Agrius et Orychus, sauvages comme leur père. Sur le sort de Polyphonte et de ses fils, les récits mythiques sont divisés : dans certains récits, Artémis, pour punir la jeune femme d’avoir perdu sa virginité, l’a condamnée à être déchiquetée par les animaux de la forêt ; dans d’autres récits, le destin tragique auquel Zeus aurait destiné ses fils a été épargné par Arès, qui les aurait transformés, eux et leur mère, en oiseaux de proie. Au cours des siècles passés, des légendes, mais aussi des chroniques et même des documents judiciaires ont témoigné de jeunes humains (surtout des femmes) capturés par des ours et “gardées” dans la tanière, non pas pour servir de “nourriture pour l’hiver” ou de jeux pour éduquer les petits de l’animal, mais pour leur tenir compagnie, en notant dans tous les cas décrits (qu’ils soient vrais ou non) l’engouement particulier et l’affection de l’animal en question pour la personne qu’il s’était appropriée. Ce mythe s’est perpétué jusqu’à nos jours, dans une version farfelue du film “L’armata Brancaleone”, lorsque certains protagonistes retrouvent un compagnon nommé Pecoro dans la tanière d’une ourse, qui l’avait sauvé après qu’il était tombé dans le précipice, en le soignant et en l’adoptant comme son propre compagnon. Aujourd’hui, le lien qui a conduit à la formation de ces mythes est détruit, et avec lui les normes minimales de coexistence avec le monde “sauvage”. Paradoxalement, tout cela se produit à un moment de l’histoire où notre espèce est la plus répandue sur la planète et où il est nécessaire de coexister avec d’autres dont nous limitons les espaces de vie. Les changements climatiques évoluent indépendamment de notre volonté et les hivers doux peuvent favoriser de nombreuses espèces, en leur donnant un rythme de vie parallèle au nôtre, en réduisant l’hibernation et en favorisant la recherche de nourriture dans des lieux que nous fréquentons également.  

La fin de la fonction du mythe qui faisait de l’ours une figure plus proche de “l’homme sauvage”, à comprendre, à respecter et à craindre, ne s’est pas produite en peu de temps, mais est le résultat du développement progressif de la vision positiviste, à travers laquelle l’homme a cru pouvoir dominer la nature et ses lois, en s’en détachant et en créant une dimension plus élevée pour ses actions et ses interventions que n’importe quel autre animal. L’admission de l’échec de cette conception ne s’est pas accompagnée d’un repositionnement progressif de l’action humaine par rapport à celle des autres animaux, de sorte que nous nous retrouvons avec deux manières différentes de comprendre simultanément le “naturel” et le “sauvage” dans notre société. Dès le XIXe siècle, le poète Giacomo Leopardi a réfléchi sur la nature, écrivant dans son Éloge des oiseaux :

    « ... maintenant, dans ces choses, une très grande partie de ce que nous appelons naturel ne l’est pas ; en fait, c’est plutôt artificiel : comme pour dire que les champs cultivés, les arbres et autres plantes éduqués et arrangés en ordre, les rivières rétrécies sous certains termes et dirigées vers un certain cours, et d’autres choses semblables, n’ont pas cet état ni ces apparences qu’ils auraient naturellement. Ainsi, la vue de tout pays habité par une génération d’hommes civilisés, sans compter les villes et autres lieux où les hommes sont réduits à être ensemble, est une chose artificielle et très différente de ce qu’elle serait dans la nature ».

Il s’est rendu compte qu’une grande partie du paysage n’était pas une construction naturelle, mais le résultat d’interventions millénaires. Et au cours des trente dernières années, dans les discussions au niveau international, par exemple sur ce que devraient être les indicateurs agro-environnementaux, les deux conceptions différentes se sont affrontées entre ceux qui croyaient qu’il existait un dualisme substantiel et une séparation entre la nature (sauvage et incontrôlée) et les activités humaines (capables de rendre le système naturel contrôlable) et ceux qui croyaient au contraire qu’il existait un système dans lequel nos activités et la “nature” formaient un unicum, tellement entrelacé que même dans les endroits les plus éloignés de la civilisation humaine, le signe de ce modèle était présent. Et c’est ce modèle qui nous a conduits à comprendre la nature du changement climatique, un modèle dans lequel les paysages naturels existants sont tels parce que l’homme, avec sa “civilisation de marché” actuelle, a décidé qu’ils existaient.

La coexistence de deux façons de comprendre le naturel a produit certains paradoxes qui se sont révélés tragiques dans cette affaire : le premier, relatif à la reconnaissance de la nature par le marché, qui en fait un produit commercial ; le second, dans lequel le lien environnemental, considéré comme fondamental par tous les spécialistes, ne l’est toujours pas pour l’ensemble de la société.

C’est ainsi que l’on peut comprendre le dualisme présent dans les vingt-cinq années qui se sont écoulées depuis la réintroduction de l’ours dans le Trentin (un ours qui y serait de toute façon revenu de la Slovénie voisine, mais à des époques et selon des modalités très différentes) : le projet, inspiré par l’idée de reconstruire l’équilibre environnemental de l’unicum à partir de la multiplicité des êtres vivants, et poursuivi selon cette logique ; son acceptation au niveau social et de masse, en revanche, qui s’est produite en grande partie en raison de considérations de marché (plus d’environnement naturel = plus de tourisme). Les autorités locales ont commis l’erreur de croire que les gens seraient capables de trouver un modus vivendi avec les ours sans une formation et une éducation adéquates et sans comprendre que tout être présent dans un lieu modifie son espace disponible et son comportement. Le territoire n’appartient pas à l’humain et les dynamiques de coexistence ne sont pas déterminées par des réglementations, même si celles-ci peuvent en orienter le cours. On s’aperçoit aujourd’hui que ce principe est valable pour la cohabitation avec les animaux, les plantes, les virus, les migrants....   Les mots du père de la victime s’appliquent : « La vengeance symbolique ne nous intéresse pas, la responsabilité de la tragédie ne peut pas être limitée à un ours. Le tuer n’est pas une justice. Nous exigeons une prise de responsabilité morale de la part de ceux qui ont géré les ours dans le Trentin pendant près d’un siècle, poussant tout le monde vers le désastre auquel nous assistons ».

Mais la gravité du comportement des institutions locales, qui ne s’occupent des problèmes que lorsqu’ils sont définis comme une “urgence”, réside dans le manque de respect constitutionnel, un élément central présent dans les raisons exprimées par le père de la victime et ceux qui soutiennent “les raisons de l’ourse”.

Dans notre Constitution, à l’article 9, parmi les principes fondamentaux de la République, il y a un paragraphe inséré par l’article 1(1) de la loi constitutionnelle n° 1 du 11 février 2022, qui stipule :  

« La République protège l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes, y compris dans l’intérêt des générations futures. La loi de l’État réglemente les modalités et les formes de la protection des animaux ».

Ici, le non-respect de la dernière phrase est la responsabilité coupable de ceux qui aujourd’hui, pour se laver les mains et donner l’exemple, ont condamné l’ours à mort. Condamnation par voie administrative, sans procès, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de réglementer les formes de protection des animaux que par voie administrative, surtout pour les animaux dits sauvages. La protection des animaux prévoit leur droit, un droit qui est aussi indirectement corroboré par le jugement de culpabilité, donné par la suspicion de réitération du “crime” par l’ourse, au point de la considérer comme socialement dangereuse, de lui retirer sa progéniture (sans d’ailleurs la protéger comme le prévoit la Constitution) et de la condamner même en l’absence de ces conditions vétérinaires qui déterminent l’euthanasie. S’il existe un droit des animaux, il est possible de faire appel à un acte de clémence de la part du plus haut garant de notre Constitution. Un acte du président de la République qui réaliserait de facto le diktat constitutionnel et comblerait le vide qui existe dans la discipline de la protection. Si les animaux ont un droit à la protection réalisé, ils devraient également avoir droit, dans ces cas, à un procès et à une défense équitables et enfin à un pardon.

De nombreuses associations, parcs naturels et résidences en Italie et dans toute l’Union européenne se sont déclarés prêts à accueillir l’ourse et ses petits. La poursuite de l’intention punitive, qui, à mon avis, n’a pas de légitimité constitutionnelle, ne remédiera pas au passé et ne contribuera pas à construire l’avenir.

Lire ou télécharger

 

Fiche pratique — Infos et chiffres clés sur les grands carnivores en Europe
Cette fiche pratique présente des données clés sur les populations de loups, lynx et ours en Europe.

 

20/04/2023

ABDEL BARI ATWAN
La guerre par procuration au Soudan

Abdel Bari Atwan, Rai Al Youm, 18/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une nouvelle calamité montée de toutes pièces par les USA et Israël avec la complicité des régimes arabes

Dagalo, à g., et Al Burhan

Alors que la guerre au Yémen s’achève ou commence à s’achever, une nouvelle guerre est déclenchée au Soudan. Ces deux conflits, qui se déroulent de part et d’autre de la mer Rouge, ont en commun d’être en grande partie des guerres par procuration, dans lesquelles l’intervention extérieure (en particulier celle des pétromonarchies du Golfe) joue un rôle majeur.

C’est vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis que le secrétaire d’État usaméricain Anthony Blinken s’est tourné pour les exhorter à redoubler d’efforts afin de rétablir le calme et de mettre un terme à la guerre qui a éclaté samedi entre les deux grands alliés : Le général Abdelfattah Al Burhan et son adjoint le général Mohamed Hamdan Dagalo (alias Hemedti, “Petit Mohamed”). Ce dernier a atteint son grade élevé sans avoir fréquenté aucune académie militaire ou civile, mais grâce à sa direction des Forces de soutien rapide (FSR, milice), fortes de 100 000 hommes - notoirement connues pour leurs meurtres et leur répression (au Darfour) - et à l’acquisition de vastes quantités d’or volé.


Tjeerd Royaards

Plusieurs indices ont mis en évidence les allégeances des parties qui se battent pour le pouvoir au Soudan et l’identité de leurs soutiens extérieurs.

Tout d’abord, l’attaque par les FSR du personnel égyptien stationné à la base militaire de Merowe, dont beaucoup ont été capturés, implique que l’Égypte est accusée de soutenir Burhan et l’armée régulière qu’il commande.

Deuxièmement, les liens étroits entre Hemedti, qui contrôle le commerce de l’or et les mines du Soudan, et le groupe russe Wagner. Les USA ont fait pression sur Burhan pour qu’il expulse le groupe au motif qu’il est un partenaire dans l’extraction et la vente de cet or et qu’il utilise les recettes pour financer la guerre de la Russie en Ukraine, qu’il est le fer de lance de l’influence russe en Afrique et qu’il prépare le terrain pour l’établissement d’une base militaire russe au Soudan.

Direction les Émirats - Omar Dafalla
 
Troisièmement, les Émirats arabes unis sont devenus le plus gros investisseur extérieur au Soudan. Il y a quelques jours, ils ont acheté pour 1,5 milliard de dollars d’or soudanais, que Hemedti contrôle, ainsi que des millions d’hectares de terres agricoles. Les deux parties sont manifestement très proches. Le FSR de Hemedti a combattu aux côtés des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen, en y envoyant des milliers de ses combattants.

Quatrièmement, la position saoudienne reste floue et hésite entre les deux parties. Le fait que les liens de l’Arabie saoudite soient tendus avec l’Égypte et les Émirats arabes unis, qui sont les principaux soutiens des deux camps rivaux, complique la situation. Les Émirats arabes unis ont envoyé un conseiller présidentiel, plutôt que leur ministre des Affaires étrangères, à la récente conférence ministérielle de Djeddah sur la Syrie, convoquée par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman. Les relations avec l’Égypte ne sont pas non plus au beau fixe. Le président Abdelfattah Al Sissi n’a pas réussi, lors de sa brève visite de Ramadan à Djeddah, à obtenir le paquet rapide d’aide financière qu’il recherchait. Faisant preuve d’une neutralité affichée, l’Arabie saoudite a exhorté Hemedti et Burhan à se rencontrer à Riyad pour négocier la fin de leur guerre.



Hemedti (le serpent) face à Burhan avec son projet de "Damj" (la fusion des FSR dans l'armée officielle) -Omar Dafalla

Sur le papier, l’armée régulière soudanaise se classe au 75e rang mondial, avec 205 000 hommes, 191 avions de guerre (vieillissants) et 170 chars d’assaut. En théorie, cela signifie qu’elle a le dessus et qu’elle a plus de chances de vaincre les forces rebelles de Hemedti. Mais cela est loin d’être acquis, compte tenu de l’intervention extérieure croissante.

Cette guerre ne peut se terminer que si l’une des parties bat et écrase l’autre, et non par une médiation ou des appels éloquents à un arrêt immédiat. Tout indique qu’elle pourrait se prolonger et se transformer en une guerre civile ou interrégionale qui entraînerait une anarchie armée dans le pays.

Si la guerre du Yémen, qui devait être réglée en trois mois, a duré huit ans, et la guerre civile libanaise quinze ans, combien de temps pourrait durer une guerre civile soudanaise si elle était déclenchée ?

Ce serait une perspective terrible. Les combats ont déjà fait 200 morts et des centaines de blessés, dont de nombreux civils. Il faut espérer qu’un cessez-le-feu sera rapidement conclu*. Mais l’inquiétude et le pessimisme sont justifiés par l’ingérence des acteurs extérieurs qui ont contribué à déclencher cette guerre et qui continuent à jeter de l’huile sur le feu, ainsi que par l’aggravation des querelles entre eux.

Le seul point positif parmi les rapports contradictoires sur le déroulement de la guerre est que le bon peuple soudanais ne soutient aucun des deux camps. Ils les tiennent tous deux pour responsables de l’effondrement économique, de l’insécurité, de la faim croissante (un tiers des Soudanais se trouvent sous le seuil de la faim selon le Programme alimentaire mondial) et, surtout, de l’échec de l’accord visant à transférer le pouvoir aux groupes civils qui ont mené à bien la révolution contre le régime militaire et ses coups d’État en série.

Le Soudan est victime d’une grande machination qui peut déboucher sur n’importe quelle issue, y compris la partition ou la guerre civile. L’establishment militaire est sans conteste le principal responsable de cette calamité. Les luttes de pouvoir entre les généraux et les commandants sont motivées par des raisons purement égoïstes, sans tenir compte de l’unité territoriale du pays ni des intérêts et du bien-être de sa population.


La "tatbia" (normalisation des relations avec Israël) - Omar Dafalla

C’est ce qui résulte de la normalisation et de la grande escroquerie usaméricaine qui a promis au peuple soudanais la prospérité et la générosité si Burhan serrait la main de Benjamin Netanyahou et si Hemedti se prosternait devant Tel-Aviv et considérait Israël comme un État ami qui résoudra tous les problèmes du Soudan.

En bref, nous assistons à un nouveau désastre majeur concocté par les USA et Israël avec la complicité, volontaire ou involontaire, des régimes arabes.

 NdT

*Un cessez-le-feu humanitaire de 24 heures du 19 au 20 avril, conclu sous les auspices du Triple Mécanisme (ONU-UA-IGAD) n'a tenu que quelques heures. Antonio Guterres vient d'appeler les parties au conflit à un cessez-le-feu de 3 jours à l'occasion de l'Aïd El Fitr.