Eduardo
Abusada Franco, Plaza Tomada, 8/1/2015
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Hugo Blanco Galdós, le révolutionnaire péruvien, est mort le
dimanche 25 juin 2023 à l'âge de 88 ans dans un hôpital de Stockholm. Ci-dessous un entretien avec cette figure
légendaire, réalisé en 2015.
À
cause des nombreux coups qu'il a reçus, son cerveau est très séparé de son
crâne et il doit porter un chapeau à larges bords pour anticiper tout coup,
aussi petit soit-il, qui pourrait faire éclater une veine. Il a vu plusieurs
fois le film ¡Viva Zapata ! avec Marlon Brando. Il porte son éternelle
barbe bien entretenue et des bracelets colorés donnent un air festif à son
allure. Il est une légende, qu'on le veuille ou non. Une grande partie de
l'histoire politique péruvienne du XXe siècle ne peut être écrite
sans mentionner son nom.
Don Hugo, qu'avez-vous fait ces dernières années, puisque vous
aviez un peu disparu ces derniers temps ?
Nous
avons publié le journal Lucha indígena. Aujourd'hui, en décembre, nous
sortons notre 100e numéro. Le journal a été bien accueilli à
l'étranger. Nous le publions et il est imprimé à Lima. Nous entretenons des
relations avec des camarades à l'étranger via Skype. Nous étions à une réunion
en Colombie et ils m'ont demandé de prendre la parole. Ils m'ont dit : « Pourquoi
ne parles-tu pas de la Lucha indígena ? » Ils m'ont convaincu qu'il
était important que je parle du journal et j'en ai parlé. Ils ont lancé une “minga”
(action collective de solidarité) pour Lucha Indígena, et c'est ainsi
qu'ils ont obtenu un soutien financier pour le journal.
C’est qui, nous ?
Nous
sommes en fait quatre à éditer Lucha indígena. Il y a Enrique Fernández,
un ancien ouvrier et dirigeant métallurgiste, qui est le rédacteur en chef, et
deux camarades qui vivent à Cuzco.
Je n'ai pas beaucoup vu ce journal, où peut-on se le procurer
?
Ce
qui se passe à Lima, c'est qu'il n'y a pas de distributeurs honnêtes. Ils
reçoivent le journal en dépôt et ne rendent pas un centime. Grâce à l'aide
financière que nous avons reçue de l'étranger, nous avons loué un local, mais
nous essayons de trouver des personnes qui puissent s’en occuper.
Quel âge avez-vous, Don Hugo ?
Quatre-vingts
ans.
Malgré votre âge, vous êtes bien conservé. Comment vous faites
?
Je
fais attention à mon alimentation. Je n'ai recours aux médicaments que dans des
cas extrêmes. J'ai recours à la médecine naturelle et à une alimentation
fondamentalement saine. Par exemple, mon petit-déjeuner est composé d'eau avec
de la farine de coca, de la cañihua et de la kiwicha.
Je vois que vous êtes à la pointe de la technologie. Vous
utilisez un téléphone portable, vous connaissez Skype, vous avez un courrier
électronique, vous utilisez un ordinateur portable. Comment avez-vous appris ?
Oui,
j'ai dû apprendre. Je suis analphabète numérique, mais j'ai appris quelque
chose. Je pose des questions et on m'apprend.
Parlez-moi de votre vie, étiez-vous un paysan ou un étudiant ?
Vous avez dirigé les mouvements paysans, mais vous êtes aussi allé étudier en
Argentine.
Ma
mère était une petite propriétaire terrienne et mon père était avocat. J'avais
un frère qui étudiait à La Plata [Argentine]. Comme j'aimais la campagne, je
suis aussi allé y étudier l'agronomie. Mon père m'a payé. Mais comme le dit
Eduardo Galeano, je suis né deux fois. La première naissance, c'est quand je
suis venu au monde, et la seconde, c'est quand j'étais enfant et que j'ai
appris qu'un propriétaire terrien avait marqué au fer rouge la fesse d'un
indigène [il s'agissait du propriétaire terrien Bartolomé Paz, qui avait gravé
ses initiales sur la fesse d'un paysan]. ça a eu un impact important sur moi et
a marqué ma vie. Lorsque j'avais 13 ans, nous étions trois frères l’un de 19
ans, l’autre de 17 ans, et j'étais le seul à être resté libre, car ils étaient
tous deux emprisonnés comme apristes. L'APRA et le parti communiste
étaient persécutés. Cela a également eu un impact sur moi. J'avais un penchant
pour les indigènes parce que la révolution de 1910 au Mexique avait influencé le
Cuzco (...) Ensuite, je suis allé en Argentine et là, il y avait une réalité ouvrière.
Là, on pourrait dire qu'entre lycéens, nous avions un groupe d'étude dans
lequel nous lisions Haya de la Torre, Mariátegui, Gonzáles Prada, de manière
désordonnée. Nous voulions que des universitaires nous guident, mais ils n'osaient
pas nous parler, car l'Apra et le parti communiste étaient tellement persécutés
que nous pouvions parler et les trahir sans le vouloir. Mais quand je suis
parti en Argentine, j'ai pu en savoir plus. J'ai traversé la Bolivie et il y
avait beaucoup de littérature révolutionnaire. Je ne le savais pas, mais ce qui
s'est passé, c'est qu'en 52, il y a eu une révolution en Bolivie au cours de
laquelle un gouvernement militaire a été renversé.
Qu'est-il advenu de vos études d'agronomie, vous les avez-vous
abandonnées ?
Pas
encore. Je voulais rejoindre une organisation de gauche. Là, nous avons
travaillé avec le Centre des étudiants péruviens de La Plata ; et mon frère
était le secrétaire général de la cellule de l'APRA à La Plata, parce que là,
elle pouvait fonctionner tranquillement. C'est là que j'ai rencontré Villanueva
del Campo et Melgar, qui ont été déportés. J'ai appris à mieux connaître l'APRA,
mais je ne l'aimais plus, car elle commençait déjà à dévier. J'avais lu ici El antiimperialismo y el
Apra,
bien sûr je l'aimais bien, mais plus tard dans La defensa continental Haya de la Torre a
commencé à capituler devant l'impérialisme usaméricain. Et quant au parti
communiste... eh bien, mon frère se chargeait de m’en ire du mal et les
communistes ne pouvaient pas le démentir. Je suis donc parti à la recherche
d'une organisation et c'est là que j'ai rencontré les trotskystes péruviens et
qu'il m'a présenté au parti trotskyste argentin que j'ai rejoint. Le coup
d'État pro-impérialiste était en préparation - par les Yankees - à l'époque de Perón.
La classe moyenne a soutenu le coup d'État. Je ne me sentais plus bien à
l'université. C'est pourquoi j'ai décidé d'abandonner mes études et d'aller
travailler dans l'usine de conditionnement de viande de Berisso, près de La
Plata.
Combien de temps êtes-vous resté là-bas ?
Environ
trois ans. Je suis rentré au Pérou. À l'époque, l'idée était que le prolétariat
était l'avant-garde, et comme il n'y avait pas de prolétaires à Cuzco, je suis
venu à Lima pour travailler dans des usines. Je suis entré dans une usine
textile, mais j'étais habitué à travailler dans de grandes usines, avec 5 000
ou 10 000 ouvriers. Je ne me suis pas bien senti dans une usine où il y avait
si peu de monde, où l'un était le filleul du patron, l'autre le neveu du
contremaître, et où il n'y avait pas de syndicat. Il n'était même pas possible
d'en créer un. J'ai donc quitté l'usine textile et je suis allé dans une usine
de métallurgie, mais elle était également petite. Je suis donc allé à
Chanchamayo pour apprendre la soudure. Puis je suis retourné à Lima et j'ai
finalement trouvé une usine où il y avait déjà un syndicat. C'était une usine
d'huile Friol et c'est là que j'ai commencé à travailler. Mais Nixon, qui était
vice-président des USA, est arrivé au Pérou, et entre divers groupes de gauche,
où ni le parti communiste ni l'Apra n'étaient présents, nous avons préparé une
contre-manifestation qui s'est avérée beaucoup plus importante que nous ne
l'avions imaginé. C'est alors que la répression a commencé et que j'ai dû
quitter l'usine pour me rendre à Cuzco.
Comment avez-vous pu être élu leader paysan lors des
soulèvements de La Convención dans les années 1960 si vous n'étiez pas un
paysan ?
J'avais
appris que le prolétariat était l'avant-garde, qu'il fallait le pousser à
prendre le pouvoir et que cela résoudrait les problèmes de tous. Je me sentais
indigène, mais comme le prolétariat était l'avant-garde, j'étais aussi
prolétaire. Mais lorsque Nixon est arrivé, j'ai dû fuir à Cuzco où j'ai
organisé les canillitas, les vendeurs de journaux. J'étais leur délégué
au sein de la Fédération des travailleurs de Cuzco. J'ai vu qu'il ne s'agissait
pas d'une fédération de travailleurs, mais fondamentalement d'une fédération
d'artisans ; et j'ai vu que l'avant-garde était constituée par les paysans de
La Convención. Ainsi, lorsque le directeur du journal de Cuzco m'a fait arrêter
[à cause des canillitas], j'étais au commissariat avec un dirigeant
paysan, que j'avais déjà rencontré dans la Fédération, et qui m'a dit : « Ils
vont te relâcher demain, parce qu'il n'y a pas d'ordre du juge ; mais ils vont
m'envoyer en prison et je suis inquiet parce que nous avons déjà trois
dirigeants du syndicat en prison ». C'était un dirigeant du syndicat de
Chaupimayo, et je lui ai dit : « Eh bien, je vais à Chaupimayo ». Il
m'a dit : « Va parler aux autres dirigeants en prison ». J'y suis
allé, j'ai parlé et ils ont accepté que j'y aille. C'est alors que je suis allé
à La Convención et que ma vie de paysan a commencé.
Ils vous ont accepté ?
Ils
m'ont accepté parce qu'il y avait déjà trois dirigeants en prison.
Mais comment est-ce qu’ils vous acceptent ? Parce que vous
n'êtes pas vraiment cuivré...
Eh
bien, il y a beaucoup de paysans parlant le quechua qui marchent pieds nus et
qui sont blonds. Ma fille, qui venait de Suède, et moi sommes allés dans mon
district et elle m'a dit : « Papa, ces paysans sont plus blancs que
moi », et c'est comme ça. Il y a des secteurs où les gens sont blonds.
Être indigène, c'est travailler la terre, parler quechua, je ne sais pas d'où
cela vient [son téléphone portable sonne et il voit un message]. Mes traits ne
sont pas totalement indigènes, mais j'ai quelques caractéristiques.
Vous parlez également le quechua.
Bien
sûr, et un peu d'espagnol aussi [il rit]. Le quechua me semble être une langue
plus complète que l'espagnol.
« Belaúnde
a fait une caricature de réforme agraire, et Belaúnde a tiré sur les paysans.
C'est pour cela que le coup d'État a eu lieu ».
Les soulèvements de La Convención et de Lares, dans les années 1960, vous
ont fait connaître. À l'époque, le problème des Indiens, comme l'a dit
Mariátegui, était le problème de la terre ; si la question se pose aujourd'hui
contre les sociétés minières, le problème est-il toujours plus ou moins là ?
Un
journaliste a dit qu’avant, je me battais pour la "terre" avec une minuscule,
et que maintenant je me battais pour la "Terre" avec une majuscule.
En quechua, nous n'avons pas ce problème, car il s'agit de deux mots
différents. La terre arable est "jallpa" et la planète terre est
"pachamama".
Ainsi, pour faire un parallèle et malgré les distances, vous
étiez un peu comme un Gregorio Santos de l’époque. Lui, comment
le voyez-vous ?
Tout
d'abord, je ne crois pas aux leaders. Je ne me considère pas comme un leader et
ne l'ai jamais été. Deuxièmement, j'ai toujours respecté la caractéristique
indigène selon laquelle c'est la communauté qui commande et non l'individu.
Même lorsque nous avons pris les armes, ce sont les masses qui ont décidé de
l'autodéfense....
Même si vous ne pensez pas être un leader, les gens vous ont
désigné comme tel...
[Il
élève la voix] Ils me voient ainsi parce que le système nous a domestiqués avec
l'idée que certaines personnes sont nées pour commander et d'autres pour obéir.
À l'époque où vous étiez mythifié, les femmes indiennes
amenaient leurs enfants pour qu'ils soient touchés par vous....
Là,
nous étions tous des camarades. Mais pour en revenir à Gregorio Santos, entre
autres choses, il n'a pas été contre le projet minier de Conga
dès le début, ce sont les camarades qui l'ont exigé de lui. Et puis, lui, par
exemple, n'est pas contre le barrage
qui va être construit sur le Marañón. C'est-à-dire que je soutiens Santos
parce que je sais qu'il est en prison par décision de la compagnie minière et
du gouvernement, mais la compagnie minière et le gouvernement ont aussi
beaucoup d'arguments pour le garder en prison pour tout cet argent qui était
sur le compte de sa femme et que Santos dit provenir de contributions des
compagnies au parti MAS.
Hugo Blanco détenu en 1963
Quoi qu'il en soit, la réforme agraire a été réalisée dans ces
années-là, grâce au soulèvement de Chaupimayo que vous avez mené ?
C'est
grâce à l'organisation de la paysannerie de La Convención.
Le soulèvement était-il nécessaire ? Belaúnde avait déjà
promis la réforme et y travaillait.
Belaúnde
a fait une caricature de réforme agraire et Belaúnde a fait tirer sur les
paysans. C'est la raison du coup d'État.
Celui qui a tué, ça n’était pas le propriétaire terrien Luna
Oblitas, celui qui a tué sept paysans... ?
Oui,
mais la politique de Belaúnde consistait à fusiller les paysans qui prenaient
la terre à Cuzco. Que s'est-il passé ? Les paysans se sont organisés, ils se
sont battus pour la terre, le gouvernement servait les riches comme tous les
gouvernements jusqu'à aujourd'hui, et il a ordonné la répression. Les gens ont
décidé de se défendre. Ils nous ont fait prisonniers, mais ils ont vu que le
peuple réagissait si bien qu'ils n'ont pas continué la répression. Ils ont
publié un décret de réforme agraire qu'ils n'avaient pas l'intention de
respecter, mais seulement pour La Convención et Lares ; mais deux propriétaires
terriens ont décidé d'appliquer la réforme agraire dans leurs haciendas - à
Potreros et Aranjuez. Ils y sont allés et ont appliqué la réforme. Comme le
prévoyait la loi, les propriétaires terriens se sont retrouvés avec la part du
lion. Ensuite, les fonctionnaires sont allés voir les paysans dans d'autres
endroits et leur ont dit : « Nous sommes venus vous donner la terre sur
ordre du gouvernement ». Les paysans ont répondu : « Ici, nous
n'avons pas besoin de la loi de réforme agraire du gouvernement, ici nous
faisons la réforme agraire des paysans, qui dit que pas un pouce de terre n'est
laissé aux propriétaires terriens et pas un centime ne leur est donné ».
C'est seulement dans ces deux haciendas que la réforme agraire du gouvernement
a été mise en œuvre, dans les autres, la réforme paysanne a été mise en œuvre
alors que nous étions déjà en prison.
Belaúnde
a tué de nombreuses personnes et les militaires, inquiets du fait qu'il
pourrait provoquer une révolution, ont décidé de prendre eux-mêmes le pouvoir
afin de mener à bien la réforme agraire. Ils étaient également soutenus par la
bourgeoisie industrielle qui progressait et qui n'appréciait pas l'existence
des grandes propriétés semi-féodales, et aussi parce que les paysans avec leurs
terres allaient être des acheteurs sur le marché. En d'autres termes, la
bourgeoisie était favorable à la réforme agraire et c'est pourquoi elle a
soutenu Velasco.
Pour conclure avec Belaúnde, dans son deuxième gouvernement...
[Il
m’interrompt]… continuait à tuer des paysans.
Eh bien, selon l'histoire, il a envoyé le "gaucho"
Cisneros
[général Cisneros Vizquerra, surnommé "le gaucho" pour avoir suivi
une formation à la contre-insurrection en Argentine, NdT] combattre les
"abigeos" [voleurs de bétail], qui étaient des terroristes, et a
massacré des Peaux-Rouges. Mais pourquoi donc Belaúnde a-t-il cette image de “démocrate”
?
Parce
que la bourgeoisie en fait un démocrate. La bourgeoisie les élève. Les médias,
la justice, les majorités parlementaires, les procureurs, tout est aux mains de
la bourgeoisie. Alors, la bourgeoisie nous prêche que c’ est un “grand
démocrate”, entre guillemets.
L'histoire est écrite par les vainqueurs.
C'est
ainsi. Obama est également un serviteur des transnationales ; Ollanta, pire
encore.
Nous en venons maintenant au gouvernement militaire. Après la
chute de Velasco, le plan Condor a été mis en place. Avez-vous été victime de
cette politique d'élimination des opposants ?
J'étais
en prison quand Velasco est arrivé et une dirigeante du parti communiste est
venue me dire : « Tu es en prison depuis moins de 7 ans, il te reste
encore beaucoup de temps pour purger tes 25 ans. Si tu veux, tu sors de prison
demain ». « Si tu t'engages à travailler pour la réforme agraire que
Velasco va réaliser, tu sortiras », m'a-t-elle dit. Je savais que ce
serait une réforme agraire positive par rapport à l'autre [celle de Belaúnde],
mais c'est une chose d'être député, sénateur, parlementaire, conseiller, que le
peuple vous ait élu et que vous puissiez faire ce que vous pensez ; et c'en est
une autre d'être un fonctionnaire du gouvernement, comme l'ancien gauchiste Yehude Simon qui a dit que le massacre de Bagua [5 juin 2009] était
une bonne chose. Je n'allais donc pas devenir fonctionnaire parce que, en plus,
nous pouvions avoir des divergences, comme c'était le cas. Je n'allais pas
parler de politique avec cette dame et je lui ai dit « non merci, j'ai
l'habitude ici en prison ». Mais
que s'est-il passé ? Deux autres prisonniers politiques ont accepté de
travailler avec Velasco : Béjar et Tauro. Il a donc dû
nous libérer tous. Une fois dehors, ils n'ont cessé de me marteler qu'il
fallait que je travaille pour le gouvernement, sinon j'allais “rester en marge
de l'histoire”. Je leur ai répondu que l'histoire ne m'intéressait pas. Jusqu'à
ce que je dise : « Bon , vous avez gagné, je vais travailler, mais à
une condition : qu’on ne réalise pas la réforme agraire que je veux, ni non
plus celle que dit le gouvernement, que l'on demande à chaque secteur comment
il veut la réforme ; s'il décide une distribution de parcelles, ce sera des
parcelles ; s'il dit communauté, ce sera communauté ; s'il dit coopérative, ce sera
coopérative ; etc. ». On m'a interdit de quitter Lima et j'ai été expulsé
au Mexique. C'est pourquoi, lorsqu'on me demande quel a été le meilleur
gouvernement du Pérou, je réponds que le moins mauvais est celui qui m'a
déporté, le gouvernement Velasco.
Mais nous parlions du plan Condor, est-ce que vous étiez ciblé
?
J'ai
été déporté par Velasco. Quand Morales a fait le coup d'État, c'était un coup
d'État de droite. Mais par démagogie, il a dit que les déportés peuvent
revenir. Je suis revenu et ils n’est pas arrêter de me filer, jusqu'à ce que
Morales m'expulse, vers la Suède cette fois. Ensuite, lorsque la grève du 19
juillet a secoué le pays, le gouvernement Morales a fait marche arrière et a
convoqué des élections pour une assemblée constituante. Mes camarades ont
proposé ma candidature. Je suis revenu et, par démagogie, ils ont dit qu'il y
aurait un espace libre à la télévision pour que les différents partis puissent
faire de la propagande politique. Cet espace m'a été accordé juste après le “paquetazo”
[paquet de réformes libérales] et l'appel à la grève de deux jours lancé
par la CGTP 19 juillet 1977]. Je suis donc allé dans l'espace libre et j'ai dit
: « Eh bien, camarades, nous venons de subir un "paquetazo"
terrible. Que vous votiez pour moi ou pour quelqu'un d'autre, cela n'a pas
d'importance, on ne résoudra pas le problème avec des élections, on le résoudra
avec l'action directe du peuple. La CGTP a appelé à une grève les 27 et 28 ;
nous avons donc tous l'obligation d'être unis dans cette grève. N'oubliez pas,
c'est notre obligation ». C'est tout ce que j'ai fait. Comme l'espace
libre n'était pas destiné à la propagande pour la grève, mais à la propagande
électorale, j'étais déjà en prison au bout de 5 heures. Ils en ont profité pour
attraper d'autres gauchistes comme Ledesma et Javier Diez Canseco. Ils nous ont
mis dans un avion et nous ont envoyés à Jujuy [Argentine] dans le cadre
du plan Condor pour que nous disparaissions là-bas. Lorsque nous sommes
descendus de l'avion, un général nous a dit : « Vous êtes des
prisonniers de guerre » ; mais heureusement, un journaliste a pris une
photo de l'avion, qui a été publiée, et ils n'ont pas pu nous faire
disparaître.
Que vous ont appris les années passées en prison ? Comment
avez-vous passé votre temps en prison ?
Le
“démocrate” Belaúnde, foulant aux pieds les lois qui disent que l'accusé est présumé
innocent, m'a tenu au secret absolu pendant trois ans. Je devais être
emprisonné à Cuzco, mais on m'a envoyé à Arequipa. Tout ce que j'écrivais à mes
proches devait être censuré. Lorsque ma famille venait me rendre visite, il y
avait toujours un sergent qui écoutait, seuls les membres très proches de la
famille pouvaient entrer. Lorsque ma mère venait me rendre visite, comme
l'espagnol est une langue affectivement pauvre, je lui parlais en quechua et le
sergent me l'interdisait.
Vous avez dû apprendre quelque chose en prison.
Bien
sûr. Lorsque j'étais à El Frontón, j'étais plus détendu. Ils ne pouvaient pas
me surveiller, car s'ils vérifiaient ma correspondance, j'envoyais mes lettres
un autre prisonnier. Pour me détendre, j'ai dû faire une grève de la faim,
parce qu'ils voulaient aussi m'isoler. J'ai beaucoup appris en prison. Je
lisais les publications des camarades d'autres pays et tout ça.
D'autre part, dans ces luttes un peu guérilléras...
[Il
m’interrompt] Le terme “guérilla”, oui et non. Parce que si une guérilla est un
groupe armé mobile, oui, j'ai été un guérillero ; mais je ne suis pas d'accord
avec la doctrine du "foco" : pour faire la
révolution, il faut réunir quelques personnes courageuses qui vont commencer la
lutte armée et le peuple va les suivre. En cela, je suis également démocrate,
je crois que c'est le peuple qui doit décider. Là, c'est l'assemblée de la
Fédération provinciale des paysans qui a décidé de se défendre de manière armée
; et c'est l'assemblée générale qui m'a proposé et voté à l'unanimité pour que
j'organise l'autodéfense.
Des années plus tard, vous avez même été lié au MRTA.
Eh
bien, si je devais répondre à toutes les accusations portées contre moi....
Mais vous étiez un ami du père de Polay Campos.
Oui,
bien sûr, mais c'était un apriste, pas un mrtaiste. J'étais même en désaccord
avec le MIR et l'ELN qui se sont soulevés lorsque j'étais en prison. De la Puente
est venu me rendre visite lorsque j'étais à Chaupimayo en tant que fugitif, et
il m'a dit : « Quand est-ce que vous allez exploser ? » [passer à
la lutte armée]. Je lui ai répondu : « Je ne sais pas, c'est aux gens de
décider ». Il m'a dit : « Ça ne devrait pas être comme ça, c'est au
parti de décider ». Je lui ai dit que je le respectais beaucoup, mais que
c'est précisément la différence que nous avons, « tu dis que c’est au
parti de décider, pour moi le parti peut proposer, mais ce sont les gens qui
décident ». C'est la conversation que nous avons eue avec lui ; et il
s'est avéré que nous avons explosé les premiers.
Il faut reconnaître que De la Puente est mort au combat,
c'était un homme courageux.
Il
ne s'est pas battu. Ils l'ont tué sans qu'il ne tire un seul coup de feu. Ils
l'ont attrapé, encerclé, capturé vivant et tué, comme le Che.
Avez-vous déjà tué ?
Oui,
la police a décidé, sur ordre du gouvernement, de réprimer la réforme agraire à
La Convención. Je me cachais à Chaupimayo, et j'ai entendu à la radio qu'ils
disaient eux-mêmes qu'ils allaient d'abord réprimer Cuzco et tuer des paysans,
puis La Convención et ensuite Chaupimayo. À La Convención, ils ont interdit les
assemblées ; dans les syndicats situés près des routes, ils sont entrés dans
les assemblées et ont interrompu les réunions, etc. Lors de l'un de ces
outrages, un propriétaire terrien est allé avec un policier pour capturer le
secrétaire général du syndicat. Il ne l'a pas trouvé et il y avait un garçon de
treize ans à qui il a demandé où était son père. Le garçon lui a répondu qu'il
ne le savait pas et il a demandé au garde qui l'accompagnait son arme et a
menacé le garçon à bout portant : « Si tu ne dis pas où est ton père, je
te tue ! » Le petit garçon ne sait pas et se met à pleurer. Il a tiré,
mais a fait pivoter l'arme et a cassé le bras du garçon. Cela s'est passé en
présence du policier qui lui avait donné l'arme. Ce paysan est venu me voir pour
se plaindre. Il m'a demandé à quelle autorité il pouvait se plaindre, mais
toutes les autorités étaient avec eux. Je lui ai dit de se plaindre à ses
camarades et l'assemblée s'est mise d'accord pour envoyer des gens demander des
comptes au propriétaire. Ils ont décidé d'envoyer un groupe armé que je
dirigerais. Nous avons dû traverser deux postes de police avant d'arriver à
destination. Nous avons réussi à passer le premier, mais pas le second. J'ai
dit aux camarades que nous allions d'abord passer devant, un groupe avec des
armes de petit calibre et que si nous passions, ils passeraient aussi. En
passant, j'ai vu qu'un garde se tenait à la porte du poste et lisait le
journal, le nez plongé dedans. Il nous avait déjà vus. Je lui ai dit que
j'allais lui parler et je lui ai raconté ce qui s'était passé à l'hacienda
Cayara. Je lui ai dit : « Ils nous envoient demander des comptes au
propriétaire de l'hacienda, mais comme il est armé et que nous n'avons pas
assez d'armes, nous venons chercher les armes ici ». Tout en disant cela,
je sortais mon revolver et le pointais sur lui. « Alors vous, levez les
mains. Nous allons sortir les armes, personne ne sera blessé et nous partons »
ai-je dit. Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il s'agissait du garde qui
était parti avec le propriétaire. C'est ce que j'ai appris plus tard. L'homme a
sorti son arme de sa poche et j'ai tiré. Il a réussi à tirer mais la balle est
allée se loger dans le plafond. Une seconde de plus et j'étais mort.
Qu'en est-il des autres policiers du poste ?
Après
cela, je lui ai arraché l'arme, et des coups de feu ont commencé à sortir d'une
autre pièce. Nous sommes tous sortis et mes camarades ont encerclé le poste. Je
leur ai dit : « Vous avez un toit de chaume, nous avons des allumettes,
rendez-vous. Ils n'ont pas voulu se rendre. Je leur ai fait mettre un bâton de
dynamite dans un coin, mais ils ne se sont pas rendus non plus. Je leur ai
demandé de mettre une grenade à main fabriquée à partir d'une boîte de lait
Gloria, et les gens ont commencé à arriver ; le garde est sorti. J'ai dit « ne
le touchez pas, un prisonnier est sacré ». Ils ont fait entrer le garde et
il m'a dit qu'il n'y avait que deux gardes et de le laisser s'occuper de son
compagnon. J'ai vu que mes camarades sortaient déjà avec leurs armes. L'autre
était encore blessé et je leur ai demandé d’amener l’infirmier du village, mais
ils n'ont pas voulu venir ; je leur ai dit d'aller avec le garde non armé et
que s'ils avaient besoin de médicaments, ils devaient me demander, mais ce
qu'ils nous ont demandé, c'était une bougie. Je m'étais rasé pour qu'ils ne me
reconnaissent pas, mais comme un homme était tombé, j'ai dit au revoir au garde
et je lui ai dit « je m'appelle Hugo Blanco, c'est moi qui l'ai tué »,
pour qu'ils ne fassent pas de chasse aux sorcières. Et nous sommes allés à
l'hacienda.
Et pourquoi voulaient-ils la bougie, pour veiller sur lui ?
Je
ne sais pas, c'est ton interprétation.
Si je n'ai pas bien compris et si j'ai bien lu, vous avez
convergé avec Nicolás Lucar, le journaliste, lorsque vous avez formé le PUM.
Ici,
nous avons formé le PRT [Partido Revolucionario de los Trabajadores], et Lucar
était là ; et le PRT a décidé de rejoindre le PUM.
Comment voyez-vous Lucar, votre ancien camarade de parti ?
Tout
le monde change. Yehude Simon a également changé.
Lucar, à gauche, portant Blanco
Mais il y a même une photo sur laquelle Lucar vous porte sur
ses épaules. Quelle était l'occasion de cette photo ?
Je
ne sais pas, nous étions là à l'époque.
Mais enfin, pensez-vous que Lucar a trahi les idées de
l'époque ?
[Rires]
Non, je ne pense pas, tout le monde le sait. Même la droite le sait.
Mais n'a-t-on pas le droit de changer d'opinion politique ?
Bien
sûr, tout le monde a le droit. [Ne s'étend pas sur le sujet].
En parlant de personnes qui ont changé, vous étiez à
l'assemblée constituante de 1979, comment avez-vous vu Haya de la Torre cette
année-là ?
Ah
non, j'étais déjà désillusionné par l'APRA dès l'âge de 19 ans. Mon frère était
le secrétaire de la cellule de l'APRA à La Plata, mais il l’a quittée. Avec
Villanueva del Campo, nous étions en commission et il m'a dit : « Vous
étiez aussi un sympathisant de l'APRA » Oui, Don Armando, lui ai-je dit, c'est
grâce à vous que je ne suis pas devenu militant.
Avez-vous pensé pouvoir être président du Pérou ?
[Rire]
Impossible. Nous, trotskystes, participons aux élections pour profiter de la
campagne électorale pour diffuser nos idées. Je ne vais pas rêver de devenir
président, c'est stupide de dire qu'un révolutionnaire va devenir président.
C'est ce qui s'est passé avec Mujica en Uruguay.
Quel
révolutionnaire est-il s'il a adopté une loi minière sans consultation ? Nous
soutenons certains gouvernements progressistes qui s'opposent à l'empire, à
l'agression extérieure, comme Evo Morales, Chávez, Correa, etc.
Pensez-vous que l'on puisse parler de la gauche péruvienne
aujourd'hui avec toutes ses divisions, subdivisions, alliances,
contre-alliances, etc.
Je
ne suis plus lié à la gauche péruvienne depuis longtemps, mais aux luttes en
cours. Par exemple, avec la lutte anti-Conga, avec la lutte à Espinar contre
l'exploitation minière, comme dans la lutte à La Convención, etc. Je suis avec
les luttes populaires.
Exercez-vous toujours votre droit de vote ?
Non...
car je suis déjà vieux.
Et qui aimeriez-vous voir comme candidat en 2016 ?
N'importe
lequel d'entre eux. Ce sont tous les mêmes ordures. Les gens ont voté pour
Castañeda parce qu’ « il vole, mais il travaille ». Qui ne vole pas ?
Ils sont tous impliqués dans la mafia.
Qu'en est-il de Humala, avez-vous ressenti un sentiment
d'espoir avec lui ?
Je
savais déjà qui était Humala, mais j'ai été heureux qu'il gagne. Si l'un des
quatre autres avait gagné, les gens auraient dit « wow, ils nous ont
encore battus ». Mais avec Humala, ils avaient l'impression d'avoir gagné
et il les a trahis, et il y a eu la marche de l'eau. Avec aucun des autres, il
n'y aurait eu de marche de l'eau.
Comment saviez-vous déjà qui était Humala, vous aviez une intuition
?
Au
début, lors de la rébellion de Locumba, j'étais un partisan de Humala. La dame
qui se trouve ici [la maison où il vit] avait été l'enseignante d'Antauro, elle
connaissait ses parents, et je suis allé les voir pour leur témoigner ma
solidarité. Après cela, j'ai rencontré Antauro une fois à Trujillo dans une
station de radio et je lui ai dit : « Vous dites que vous êtes un
ethnocacériste, mais savez-vous que Cáceres a trahi les guérillas paysannes qui
se sont battues avec lui ? » Il m'a répondu : « Non seulement il les
a trahis, mais il les a fait fusiller ». C'était donc un ethnocacériste.
En d'autres termes, l'Indien doit être commandé par les militaires, et si un
Indien sort du rang, il doit être abattu. J'ai ensuite écrit quelque chose pour
dire que les frères Humala étaient progressistes, mais cela ne va pas plus
loin. Antauro m'a répondu dans le journal qui a été publié et il m'a dit : « Qu'est-ce
que c'est que cette démocratie ? Si la démocratie avait existé jusqu'à présent,
il n'y aurait pas eu le soulèvement
de Locumba ». Cela m'a surpris, car je pensais que Humala avait
harangué les soldats et qu'ils avaient décidé de se soulever contre la
dictature. J'ai commencé à chercher sur Internet et j'ai trouvé ce que chacun
d'entre vous peut trouver, à propos de Montesinos, qui
l'a fait nommer à Locumba (...) Il se promenait dans Arequipa, Toquepala,
Mollendo... un soulèvement contre le gouvernement et il n'y avait pas une
égratignure !
Oui, au fil du temps, Locumba a pris une allure un peu
étrange.
Il
s'est vanté que lorsqu'il était à Madre
Mia, ses supérieurs l'ont félicité. Qui les supérieurs ont-ils félicité
pendant la guerre interne si des soldats ont dû fuir le pays pour éviter d'être
tués parce qu'ils ne voulaient pas tuer des innocents ? Ses états de service
ont été perdus, et maintenant celui qui les a fait disparaître est à un poste
élevé.
D'autre part, lorsque vous étiez au Parlement, c’est vrai que
portiez une corde au lieu d’une ceinture ?
Bien
qu'il soit désormais possible de falsifier des photos, il n'en existe pas une
seule qui le prouve.
Vous vous êtes déjà acheté une ceinture [blague].
C'est
lorsque j'étais membre du Congrès que j'ai perdu le plus de temps, parce que la
presse disait « il ne se lave pas, il porte des tongs, il porte une corde »,
mais elle ne disait rien sur ce dont je parlais.
Par ailleurs, vous étiez un supporter de l'Independiente [club
de foot d’Avellaneda, Buenos Aires] lorsque vous étiez en Argentine, je
crois.
Comme
c’ étaient les “diables rouges” et qu'ici le club Cienciano du Cuzco était
aussi appelé les “diables rouges” j'étais donc un fan d'Independiente. Un jour,
mon frère m'a emmené au stade de Boca pour assister à un match et Independiente
a gagné, et il y a eu un massacre. Et comme je ne suis pas religieux, mais
athée, et que j'ai vu que le football est une religion, à partir de ce
moment-là, plus de football. En fait, je n'ai jamais été fan de quoi que ce
soit.
Dites-moi, à votre âge, après avoir frôlé la mort à plusieurs
reprises, y pensez-vous, en avez-vous peur ?
Je
n'ai jamais eu peur de la mort. Lorsque j'étais en prison à Arequipa, où j'ai
été détenu au secret pendant trois ans, ils ont dit “Celui-là, on l’a ramolli ».
Ils ont dit qu'il y aurait une audience, qui aurait dû avoir lieu à Cuzco, mais
ils l'ont tenue à Tacna. Ils m'ont dit : « Vous êtes entre 25 ans et la
peine de mort ». « Oui, mon avocat me l'a dit », ai-je répondu.
Ils m'ont dit qu'il y avait un moyen de me sauver en jouant au malade et qu'ils
m'expulseraient vers le pays de mon choix. « Merci, je suis en parfaite
santé », ai-je répondu. Je n'allais pas manquer cette audience où je
devais dénoncer les grands propriétaires, le rôle de la police et tout le
reste. Je ne me suis pas laissé corrompre. Lors de l'audience, la radio
annonçait que les “criminels” allaient être jugés. L'audience s'est déroulée
dans la caserne de la Guardia Civil. On avait déjà dit à mes camarades : « C'est
facile pour vous de sortir. Vous n'avez qu'à dire que “nous sommes des paysans
semi-lettrés et le communiste Hugo Blanco nous a trompés”. Lorsque je suis
entré dans la salle d'audience et que j'ai revu mes camarades après trois ans,
j'ai crié : « La terre ou la mort ! », et ils ont répondu : « Nous
vaincrons ! »". Le tribunal était composé d'officiers de la
Garde civile. Notre affrontement avait eu lieu avec eux, ils étaient donc juge
et partie. Je me suis levé et j'ai dit : « Les seuls criminels dans cette
salle d'audience sont ceux qui siègent au tribunal. Ce sont non seulement des
criminels, mais aussi des lâches, car ils n'ont pas osé se battre, mais ont
envoyé des cholitos [des lumpen] faire leur boulot». Ils m'ont crié
de m'asseoir, et entre deux gardes, ils n'ont pas pu me faire asseoir parce que
j'étais Tarzan... mais les gardes eux-mêmes, quand le capitaine est parti,
m'ont dit « crie-leur encore “la terre ou la mort” ». (...) Je leur ai dit que si les changements
sociaux de la Convention méritaient la peine de mort, qu'ils me tuent, mais que
ce soit « celui [qui m’a condamné] qui me tue de ses propres mains, qu'il
ne salisse pas les mains des gardes civils et des républicains avec mon sang
parce qu'ils sont des fils du peuple et donc mes frères », ai-je dit en
désignant celui qui avait demandé la peine de mort. La dernière fois que j'ai
crié “la terre ou la mort !”, non seulement mes camarades, mais toute la
salle a répondu “nous vaincrons !”. Et ils n'ont pas osé me condamner à
mort. J'ai écrit à mes proches et à mes camarades que s'ils me condamnaient à
mort, personne ne devait demander la clémence, car Belaúnde voulait jouer le
rôle de “pardonneur de vies”. Mes camarades ont dit : « Si ce que
Blanco a fait mérite la peine de mort, nous devrions être fusillés aussi, parce
qu'il ne l'a pas fait seul, c'était une action collective. Ils n'ont pas osé.
Quoi qu'il en soit, comment aimeriez-vous que la mort vienne à
vous ?
Tout
d'abord, je n'aime pas mourir. C'est pourquoi mon quatrième exil a été
volontaire, car j'ai été condamné à mort par les services de renseignement et
par le Sentier Lumineux. J'ai décidé de quitter le pays et je suis allé au
Mexique pour être avec mes enfants. Je veux vivre parce qu'il faut mettre fin
au système actuel pour que l'espèce humaine puisse survivre. Mais quand ça viendra,
ça viendra, et c'est tout.