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03/08/2023

SHEREN FALAH SAAB
Ce n’est pas une blague : des militants du BDS et de la droite sioniste ont tenté d’annuler des concerts d’Emel Mathlouthi en Palestine/Israël

Sheren Falah Saab, Haaretz, 2/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : le Festival international d’Hammamet, en Tunisie, vient d’annuler, sans explications et sans en informer la chanteuse, un concert d’Emel Mathlouthi programmé pour le 9 août [voir le message d’Emel en bas de page]. Ci-dessous l’arrière-fond de cette décision tout simplement stupide.

Emel Mathlouthi a annulé son spectacle à Haïfa à la suite d’une campagne BDS ; les partisans de la droite sioniste ont eu moins de succès à Jérusalem-Est.

La chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi a été attaquée à la fois par le mouvement BDS et par des Israéliens d’extrême droite au cours de la même tournée, qui vient de s’achever, en Cisjordanie et en Israël.

Tout d’abord, elle a annulé la représentation prévue lundi dernier au Fattoush Bar à Haïfa, à la suite d’une campagne médiatique du BDS à son encontre. « Nous appelons les Tunisiens et les Arabes, ainsi que tous les partisans de la Palestine dans le monde, à boycotter Emel Mathlouthi, toute sa musique et tous ses spectacles », avaient écrit les militants du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

Jeudi dernier, Mathlouthi a publié sur sa page Facebook une déclaration rejetant les allégations du BDS selon lesquelles elle “normalise l’occupation par des moyens culturels”. Elle a indiqué que la question palestinienne était une priorité absolue pour elle, comme en témoignent ses chansons, ses prises de position et ses déclarations personnelles. Néanmoins, sa prestation prévue à Haïfa a suscité la controverse sur les médias sociaux, et la pression exercée par le BDS a eu l’effet escompté.

« Suite à la controverse soulevée par la tournée de concerts dans les territoires palestiniens, et afin d’éviter tout malentendu, nous avons décidé de ne pas donner de représentation dans la ville occupée de Haïfa, même si le lieu (Fattoush Bar) est sous propriété palestinienne », a-t-elle écrit.

L’attaque contre la chanteuse a suscité de vives discussions sur les réseaux sociaux de la part de jeunes Palestiniens qui s’opposent à la position du BDS. L’activiste Athir Ismail a écrit sur Facebook : « Je suis une Palestinienne. Et je veux parler de ce que je veux sans que quelqu’un de l’extérieur me regarde et me dise comment me battre et comment vivre ».

Ismail a adressé ses critiques aux militants du BDS vivant à l’étranger, dont les appels au boycott finissent par affecter les Palestiniens vivant en Israël. « Que savez-vous de notre vie ici, à part ce que vous voyez et entendez dans les journaux télévisés ? Vous mettez en doute notre identité palestinienne et vous agissez comme un homme qui pense devoir expliquer à une femme ce qu’elle peut ou ne peut pas faire dans sa lutte contre la masculinité toxique, ce qui est permis et ce qui est interdit ».

L’artiste Haya Zaatry, de Nazareth, a également critiqué les actions du BDS : « Empêcher ou annuler un spectacle musical donné par un artiste arabe dans un espace palestinien indépendant à Haïfa ne fait qu’accentuer l’embargo culturel dans lequel nous (citoyens palestiniens d’Israël) vivons, et c’est une chose mauvaise et dangereuse ».

Zaatry a également critiqué la politique du BDS concernant le boycott des Israéliens palestiniens. « Nous travaillons dur pour produire un art palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour construire un espace culturel palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour faire entendre notre voix dans le monde ». Faisant référence aux militants du BDS, elle a ajouté : « Et, malheureusement, nous n’entendons vos voix que comme une attaque contre nous, et c’est une contradiction ».

Mais ce n’est pas seulement le BDS qui a tenté de faire annuler le spectacle de Mathlouthi. Des militants de la droite sioniste ont également déployé des efforts. La semaine dernière, Shai Glick, directeur de B’tsalmo, et Ran Yishai, directeur du Centre de Jérusalem pour la politique appliquée, ont envoyé une lettre aux ministres Amichai Chikli, Moshe Arbel et Itamar Ben-Gvir, demandant l’annulation du spectacle de Mathouthi à Jérusalem-Est.

Glick et Yishai ont qualifié la chanteuse de “partisane du BDS et d’incitatrice à la haine”. Dans leur lettre, ils soulignent que « Mathlouthi a précédemment refusé de participer à un festival financé par l’ambassadeur d’Israël en Allemagne, et a été félicitée par le BDS pour cela ». Les tentatives visant à faire annuler le spectacle de Jérusalem ont échoué. La semaine dernière, Mathlouthi s’est produite au festival Layali al Tarab fi Quds al Arab [organisé par le Conservatoire national de musique Edward Said de l'Université Bir Zeit].

Mathouthi a été largement reconnue en Tunisie grâce à sa chanson contestataire Kelmti Horra (“Ma parole est libre”), qui est devenue l’hymne de la révolution tunisienne. À la suite de ce succès, elle a sorti son premier album, qui porte le même titre. Sa musique a été saluée pour son mélange de sonorités tunisiennes et occidentales. Son deuxième album, Ensen, sorti en 2017, fait également appel à la musique électronique et classique. En 2020, elle a publié une vidéo pour sa chanson Holm (“Rêve”), qui est chantée en arabe tunisien. Le clip compte plus de 13 millions de vues sur YouTube.

Le BDS a déjà appelé à boycotter les artistes du monde arabe qui se produisent en Israël. Un cas bien connu s’est produit lorsque le chanteur jordanien Aziz Maraka s’est produit à Kafr Yasif, dans le nord d’Israël, et qu’il a été interviewé par Haaretz.

À la suite de ce spectacle, il a été boycotté dans le monde arabe pendant plusieurs années et n’a plus été invité à se produire. Finalement, il a dû présenter des excuses pour s’être produit en Israël. Le BDS a également appelé au boycott du rappeur palestino-jordanien Msallam Hdaib, qui se produit sous le nom d’Emsallam, après son concert à Haïfa. Depuis ce spectacle, il ne s’est plus produit en Israël.

Il s’agissait de la première tournée de Mathlouthi en Cisjordanie et en Israël, qui s’est terminée par l’annulation de la dernière représentation à Haïfa. Ce qui a rendu la situation encore plus inhabituelle, c’est que, pour la première fois, des organisations de droite israéliennes se sont jointes à l’appel du BDS pour boycotter une chanteuse tunisienne dont le seul but était de se produire devant un public palestinien des deux côtés de la ligne verte.

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Emel Mathlouthi

Depuis mon arrivée en Palestine je fais l’objet d’attaques violentes de la part de certaines personnes en Tunisie qui estiment que ma présence en Palestine contribue à la normalisation avec l’occupation Israélienne.

Ces attaques ont conduit à l’annulation arbitraire de mon concert à Hammamet sans en justifier officiellement la raison jusqu’à présent.

D’autres artistes avant moi sont venus chanter en Palestine tels que Souad Massi, Lotfi Bouchnak, Saber Rebai qui pourtant sont invités dans les festivals tunisiens.

Il paraît donc évident que ces attaques et cette annulation visent spécifiquement ma personne et ce que je représente.

La question palestinienne est fondamentale et c’est ce que j’ai toujours affirmé tout au long de ma carrière.

Chanter pour la Palestine en Palestine et pour son peuple n’est pas seulement un acte artistique, mais pour moi et pour tous les Palestiniens que j’ai rencontrés dans leur pays, c’est un acte de résistance et un moyen de briser leur isolement.

Tous ceux qui se proclament plus palestiniens que les Palestiniens et qui essayent de semer le doute sur mes intentions et jeter de l’huile sur le feu confortablement depuis l’écran de leur ordinateur se trompent sur toute la ligne.

J’ai aussi pu observer et vivre le temps de mon séjour l’occupation avec eux et les intimidations quotidiennes aux checkpoints et a l’intérieur des villes a El khalil, Ramallah ou Jenin.

Je demande clarification et réparation de cette grave erreur envers le public tunisien et envers moi et mon équipe en tant qu’artiste tunisienne qui s’efforce toujours d’être une voix libre et indépendante.

Merci aux grands militants Rania Elias, Suheil Khoury et The Edward Said National Conservatory of Music pour votre invitation et m’avoir permis de réaliser ce rêve et de vivre ces moments hors du temps avec le public palestinien à Jérusalem, Ramallah et Bethléem.

Merci a tous pour tous vos précieux messages d’amour et de soutien et merci aux Palestiniens qui m’ont apporté leur soutien inconditionnel tout du long.


 

 

02/08/2023

GIDEON LEVY
Nous détruisons même leurs puits


Gideon Levy, Haaretz, 30/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La bétonnière a vomi le liquide grisâtre qui s’est écoulé bruyamment dans les puits, les obstruant. Il y avait là les soldats qui servaient de gardes, les employés de l’administration “civile” qui avaient conçu ce plan diabolique, les ouvriers qui l’avaient exécuté et les paysans qui voyaient leur subsistance réduite à néant pour l’éternité. 


Les soldats ont tenté de les disperser, comme on chasse un chien errant. Le béton a continué de couler et les gens de l’administration “civile” ont vérifié qu’il recouvrait bien tout. Bientôt, les trois puits étaient scellés. Cela s’est passé mercredi dernier, au sud d’Hébron, près du camp de réfugiés de Fawwar, et c’était l’œuvre du diable, l’un des actes les plus diaboliques de l’occupation - et la concurrence est féroce.

« Aux puits d’eau, aux puits d’eau / à la source qui palpite dans la montagne / mon amour trouvera toujours / l’eau de source / l’eau souterraine / et l’eau de la rivière », écrivait Naomi Shemer en 1982, dans “El borot hamayim”. Comme il est agréable de chanter les puits en public, et comme cette chanson est sioniste, comme toutes ses chansons. Il n’y avait pas d’eau de rivière dans ces puits ; l’amour de Shemer pour la Terre d’Israël n’y aurait trouvé que de l’eau de source et de la nappe phréatique, mais l’eau n’en coulera plus jamais. La haine des Arabes, l’apartheid, la brutalité et le mal recouvrent désormais la source et la nappe phréatique, ainsi que le faux amour pour la Terre d’Israël. Ceux qui bouchent les puits des agriculteurs sont motivés par le mal à l’état pur, et quiconque étouffe l’eau de source hait la terre.

Le mal de l’apartheid a de nombreux visages ; ce bouchage de puits, au cours duquel aucun sang n’a été versé et aucune personne n’a été arrêtée, est l’un des plus laids. Aucun mensonge ou prétexte de sécurité ne peut cacher les puits recouverts de béton, pas plus que l’excuse de la loi et de l’ordre, seulement le mal à l’état pur. Même si ce n’est pas le plus horrible des crimes commis chaque jour dans les territoires, c’est l’un des plus laids : la fermeture des puits d’eau.

Les membres de l’administration “civile” ont certainement une flopée de raisons juridiques et bureaucratiques pour affirmer que ces puits, dans lesquels coulait de l’eau souterraine vitale à la lisière du désert des collines du sud d’Hébron, sont interdits, illégaux, criminels, dangereux et menaçants. Mais rien, absolument rien, ne peut justifier un acte aussi vil et méprisable. Des parcelles de terre sur lesquelles de merveilleux légumes ont été cultivés pendant des années, des choux, des choux-fleurs, des laitues, des tomates et des concombres, un petit jardin potager face à la pression et à la misère du camp de réfugiés de Fawwar et à l’aridité de la montagne, vont maintenant réclamer de l’eau. Il est peu probable que les agriculteurs aient les moyens de faire venir de l’eau par camion. Il est plus probable que ces champs se dessèchent et meurent, tout comme la seule source de subsistance de ceux qui n’ont pas d’autre choix.

Le lendemain, lorsque la vidéo qui l’a documenté est devenue virale, le commandant de l’armée d’occupation, le général de division Ghasan Alyan, qui porte le titre de “coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires”, s’est empressé de publier une directive spécifiant que toutes les activités d’application de la loi contre les infrastructures hydrauliques pendant les mois d’été seraient examinées par le chef de l’administration “civile”. Réexaminée, pas complètement arrêtée ; seulement en été, pas à chaque saison. La destruction des puits et des réservoirs d’eau est la pierre angulaire des activités de démolition de l’administration “civile0”. Quand on veut nettoyer une zone et expulser des gens, il faut d’abord les priver d’eau. C’est le modus operandi. Un État qui empoisonne par les airs les champs de la bande de Gaza et du Néguev n’hésite pas, bien sûr, à priver d’eau les bergers et leurs troupeaux. J’ai vu plus d’un puits que l’administration “civile” a détruit au fil des ans, et aussi certains que les colons ont empoisonnés en y jetant des carcasses d’animaux. Cela ne s’arrêtera certainement pas maintenant.

Il me reste une question à poser : qu’est-ce que le personnel de l’administration “civile” et les soldats ont dit à leurs familles au sujet de leur travail ce jour-là ? Ont-ils dit à leurs enfants ou à leurs parents qu’ils détruisaient les puits d’eau de paysans qui veulent vivre sur leurs terres ? Que c’est leur travail et que quelqu’un doit le faire ? On ne peut qu’espérer que cette journée les hantera pour le reste de leur vie.

 

01/08/2023

HAARETZ
Dans l’Israël de Netanyahou, même les violeurs ont des privilèges s’ils sont juifs

 Éditorial de Haaretz, 1/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Knesset est atteinte de kahanisme malin. Dimanche, elle a promulgué une loi sans rapport avec le coup d’État judiciaire en cours, et dont le processus législatif n’a pas rencontré d’opposition publique ou parlementaire et qui n’a pas valu à ses partisans des cris de « honte à vous ! » Pourtant, cette loi n’est pas moins dangereuse pour la démocratie que le coup d’État, et elle prouve que les processus de fascisation battent leur plein.

Cette loi double la peine pour un crime ou délit sexuel dans le cas où il a été commis pour des motifs nationalistes. L’organisation féministe israélienne Haredi Nivcharot a demandé, à juste titre, dans un document de synthèse soumis à la commission de la sécurité nationale de la Knesset, en coopération avec la commission de la Knesset sur le statut des femmes et l’égalité des sexes, alors que le projet de loi était en cours d’élaboration : « Un juif ultra-orthodoxe qui viole une fille de 12 ans cause-t-il moins de blessures ou de dommages qu’un Arabe palestinien qui viole une fille de 12 ans ? » Depuis cette semaine, la réponse à cette question en Israël est « oui ».

Une fois de plus, il apparaît clairement que lorsqu’il s’agit de haïr les Arabes, nous sommes bel et bien frères et sœurs. Ce projet de loi, avec son esprit de suprématie juive, a été soumis par les députés Limor Son Har-Melech et Yitzhak Kroizer du parti Otzma Yehudit avec certains de leurs rivaux supposés de l’opposition - les députés Yulia Malinovsky, Evgeny Sova et Sharon Nir de Yisrael Beiteinu. Il est horrifiant de constater que cette loi immorale, qui adapte la peine à la « race » du délinquant/criminel - une peine pour un violeur juif et une autre pour un violeur arabe - est le résultat d’une coopération entre différents partis.

Ceux qui pensaient que seuls les membres du parti Yisrael Beiteinu d’Avigdor Lieberman avaient ostensiblement renoué avec leurs habitudes racistes devraient jeter un coup d’œil sur le décompte des voix. Le projet de loi a été soutenu par 39 législateurs, dont les députés de Yisrael Beiteinu et Pnina Tamano-Shata du Parti de l’unité nationale. Seuls sept députés s’y sont opposés, et le seul de ces sept députés à ne pas appartenir à un parti arabe est Gilad Kariv, du parti travailliste. Tous les autres députés du parti travailliste, du parti de l’unité nationale et du parti Yesh Atid n’ont tout simplement pas pris la peine de se présenter au vote.

« Je ne peux pas comprendre les députés de Yesh Atid et du Parti de l’unité nationale, qui savent que cette loi fait partie d’une campagne menée par les forces kahanistes présentes ici, mais qui ont choisi de quitter le plénum », a déclaré Kariv, qui, une fois de plus (comme lors du vote sur l’élargissement de la loi sur les comités d’admission), a prouvé qu’il était le seul homme vertueux de Sodome. « Nous sommes dans une bataille majeure pour stopper cette vague kahaniste, ce tsunami, mais nous nous y opposons uniquement par cette astuce consistant à quitter le plénum », a-t-il ajouté.

Kariv avait raison. Tous ceux qui se disent démocrates mais qui ont abandonné le plénum au moment où la Knesset se comportait comme une foule excitée possédée par un dibbouk du Ku Klux Klan et qui ont ainsi prêté la main à cette abomination par leur silence, ne peuvent pas prétendre avoir les mains propres. Ils sont des partenaires à part entière de ce crime. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la Haute Cour de justice sauvera Israël de ses racistes et annulera cette loi raciale.

L’enlèvement de Dinah, par Giuliano Bugiardini, env. 1554

 

AMEER MAKHOUL
La guerre d’Israël contre les camps de réfugiés vise à “corriger son erreur” de 1948

Ameer Makhoul, +972 Magazine, 1/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les camps de réfugiés sont depuis longtemps un point nodal de l’oppression israélienne et de la résistance palestinienne. L’invasion de Jénine révèle une nouvelle étape dans cette bataille.

Décombres dans les rues de la ville de Jénine en Cisjordanie le 4 juillet 2023, suite à une offensive aérienne et terrestre israélienne majeure, l’une des plus grandes opérations militaires d’Israël dans le territoire palestinien depuis des années. (Nasser Ishtayeh/Flash90)

L’invasion destructrice de deux jours du camp de réfugiés de Jénine par Israël au début du mois de juillet a apporté une nouvelle preuve que l’État sioniste vise à éliminer la structure sociale et urbaine de ces camps palestiniens dans l’ensemble de la Cisjordanie occupée. Cela fait partie d’un plan stratégique de grande envergure visant à mettre fin au “problème” des réfugiés palestiniens - tant ceux qui vivent dans leur patrie que ceux qui vivent en diaspora dans les pays arabes et dans le monde entier.

Cette politique israélienne n’est pas nouvelle. On peut tracer une ligne droite entre la destruction du camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza après 1967, le massacre de Sabra et Chatila pendant la guerre du Liban en 1982 et la réoccupation par Israël du camp de Jénine 20 ans plus tard pendant la deuxième Intifada. Pourtant, depuis un an et demi, cette ambition est devenue une priorité militaire, l’armée israélienne effectuant des raids quasi hebdomadaires dans les camps de Jénine et de Naplouse, dans le cadre de ce qu’elle appelle l’opération “Briser la vague”.

Aux yeux de l’occupant, les camps de réfugiés de Cisjordanie - dont ceux de Jénine, Naplouse, Jéricho, Ramallah, Bethléem et Hébron - sont le lieu où se développe la dynamique de la résistance palestinienne au régime militaire et aux colonies qui en découlent. En effet, depuis qu’ils existent, les camps offrent un abri et un environnement favorable à la planification et à l’organisation des organisations de résistance.

Israël a clairement intérêt à abolir tout statut spécial des camps de réfugiés et souhaite les réaménager de manière à permettre la libre circulation de sa machine de guerre et d’occupation. De là découle la politique de destruction des rangées de maisons et des allées étroites qui les séparent, empêchant l’accès entre les maisons et modifiant le tissu social des camps.

Les attaques incessantes contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), qui fournit des services spécifiquement destinés aux réfugiés palestiniens, font également partie de la politique visant à éliminer le problème des réfugiés. Cette campagne a atteint son apogée sous l’administration Trump, lorsque la Maison Blanche a coupé tout financement à l’agence. Le président Joe Biden ayant rétabli l’aide usaméricaine, Israël a porté sa guerre contre les camps à un niveau supérieur.

De Kafr Qasem à Jénine

Lors de la récente invasion de Jénine, nous avons vu comment l’armée israélienne a déplacé des milliers de résidents de leurs maisons, créant des scènes qui rappellent la Nakba de 1948. Israël a toujours pensé que l’état de guerre pouvait être utilisé pour tenter d’expulser les Palestiniens, et le massacre de Kafr Qasem en est un exemple clair.

Jénine, 4 juillet 2023 (Nasser Ishtayeh/Flash90)

En 1956, alors que les troupes israéliennes envahissaient l’Égypte aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne pendant la guerre du Sinaï, les forces israéliennes ont abattu 49 citoyens palestiniens à Kafr Qasem. Ce massacre était une tentative des dirigeants israéliens de l’époque de “corriger l’erreur” de 1948, lorsqu’ils avaient laissé environ 150 000 Palestiniens à l’intérieur des frontières de l’État nouvellement formé. Avec la guerre du Sinaï comme diversion, ils ont cherché à procéder à une déportation massive des citoyens palestiniens en les effrayant au point qu’ils partent volontairement. Cette tentative a échoué, mais les efforts d’Israël pour “corriger l’erreur” n’ont jamais cessé.

À Jénine, l’occupation a traité le camp et sa population civile comme un terrain d’essai pour certaines de ses technologies militaires les plus innovantes. Ayant tiré les leçons des précédentes incursions de l’armée, les Palestiniens ont réussi non seulement à empêcher la surveillance israélienne de localiser les combattants, mais aussi à empêcher l’armée de fixer les termes de la bataille, au point que le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, s’est inquiété du faible nombre de combattants palestiniens qui ont été tués.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré que si les “terroristes” retournaient dans le camp de Jénine, l’armée ferait de même. Cependant, les Palestiniens estiment également que la résistance a été en mesure de contrecarrer les plans du gouvernement visant à réinstaller les habitants du nord de la Cisjordanie - en particulier les zones où les colonies ont été démantelées dans le cadre du désengagement de Gaza en 2005 - parce que les Israéliens ne s’y sentiront pas en sécurité en raison de l’activité des groupes armés.

Ainsi, sous le gouvernement actuel, Israël entre dans une nouvelle phase de sa guerre contre les camps. Par le biais de la refonte judiciaire, l’extrême droite entend lever tous les obstacles procéduraux et juridiques à son objectif d’épuration ethnique de masse. En effet, bien que la lutte semble être interne à Israël, ses conséquences seront ressenties avant tout par les Palestiniens, dont le “traitement” constitue le véritable ordre du jour de la coalition au pouvoir.

Leur résistance obstinée à l’occupation ne cessant de croître, les camps de réfugiés redeviennent le point nodal de l’oppression israélienne. Ce que nous avons vu à Jénine n’est probablement qu’un début.