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11/10/2024

SAMAN MUDUNKOTUWAGE
Pourquoi la victoire de gauche au Sri Lanka était-elle inévitable ?

Saman Mudunkotuwage, 11/10/2024

L’auteur est un exilé srilankais vivant en France. Il a participé à la campagne pour l’élection présidentielle du 22 septembre au Sri Lanka, qui a vu la victoire du candidat du JVP Anura Kumara Dissanayake.

La victoire électorale de la gauche au Sri Lanka est le résultat de plusieurs années de lutte inflexible du peuple opprimé, issu de tous les milieux sociaux, ethniques et religieux du pays. Il est important de noter que cette victoire n’aurait pas été possible sans l’unification de tous les révolutionnaires survivants et des victimes de toutes les répressions menées par les pouvoirs corrompus depuis l’indépendance en 1948. Le principe britannique du « diviser pour mieux régner » a finalement été vaincu par le peuple sri-lankais le 21 septembre 2024.


Anura Kumara Dissanayake, candidat du JVP, 55 ans, a été élu président de la République socialiste démocratique du Sri Lanka le 21 septembre 2024

Néanmoins, le Pouvoir national populaire (NPP), dirigé par les marxistes du JVP (Front de libération populaire du Sri Lanka), souhaite continuer le programme du FMI. En même temps, le parti est engagé à mettre en place un système économique plus juste et raisonnable sans abolir totalement la propriété privée des moyens de production ni l’économie de marché que le pays a adoptée depuis 1977. Le gouvernement du JVP se trouve dans une situation alarmante face aux conflits régionaux et internationaux agencés par les USA, la Chine, et l’Inde, d’une part, et, d’autre part, face à une dette de 55 milliards de $ à rembourser auprès d’institutions financières du monde entier sans oublier la partie de ses électeurs qui exige un arrêt des privatisations et de la vente de ressources de l’État. En fin de compte, le JVP maintient une flamme entourée de feux afin de préserver son pouvoir et de satisfaire son électorat de gauche.

Pour comprendre ce nouveau virage politique au Sri Lanka, il faut prendre en considération que, durant 70 ans, le peuple a été divisé en plusieurs tendances politico-ethniques ou religieuses, imposées ouvertement par l’élite du pays. De plus, durant toute la période coloniale, les autorités britanniques ont également utilisé le critère ethnique pour choisir les représentants au sein de leur assemblée nationale consultative afin de diviser cette petite nation insulaire. Malgré tout, le peuple sri-lankais a obtenu le suffrage universel en 1934. Après l’indépendance en 1948, l'UNP (Parti National Uni), un parti conservateur de droite, soutenu par le parti communiste stalinien agissant sur les directives de Moscou, a obtenu la majorité relative au parlement. Une fois au pouvoir, il a immédiatement retiré le droit de vote aux ouvriers des plantations de thé, le seul crime de leur syndicat étant de refuser de soutenir la formation d’un gouvernement de droite dirigé par l’UNP. Ces braves gens ont appelé les forces de gauche du pays à manifester aux côtés des trotskystes du LSSP pour former un gouvernement socialiste. Cependant, le parti communiste a discrètement soutenu l'UNP avec l’aide du SLFP, dirigé par le clan Bandaranaike contre ce projet. Ainsi, le parti des nationalistes tamouls du Nord a également soutenu l'UNP dans le projet de retrait de la citoyenneté aux Tamouls de plantation de thé, amenés à pied par les Britanniques dans des conditions épouvantables depuis l’Inde pour travailler dans le centre du pays.

Depuis 1960, le LSSP et le PCSL ont participé ensemble à la constitution de gouvernements capitalistes avec le SLFP, obtenant quelques ministères, mais ils ont vite oublié le travailleurs ayant perdu leur citoyenneté et leur droit de vote qui avaient milité largement aux côtés de ces deux partis de gauche. Ils ont dû attendre 1988 pour retrouver leur citoyenneté. En revanche, ces trotskistes et staliniens ont entériné l’élaboration de constitutions aux caractéristiques discriminatoires : la langue cinghalaise est devenue la langue officielle, le bouddhisme est devenu la religion d'État etc.  Un système de quota pour les étudiants tamouls du Nord a été mis en place face à l’existence des écoles catholiques dirigées par des missionnaires usaméricains pour former des fonctionnaires, des scientifiques, des avocats et des médecins au service de l’autorité britannique. Au lieu de créer des écoles similaires dans le sud, le gouvernement de gauche, soutenu par le PCSL et le LSSP, tout comme la droite, a adopté de loi limitant l'accès des étudiants tamouls à l'enseignement supérieur du pays. Cette discrimination en matière d'éducation est devenue l'une des causes préliminaires incitant les jeunes Tamouls à devenir guérilleros au sein des Tigres tamouls LTTE, pour la création d’un État indépendant.

Depuis l’indépendance, le peuple tamoul a, par des manifestations pacifiques, revendiqué le droit d'utiliser sa langue maternelle dans ses relations avec les autorités. Ces luttes démocratiques ont été violemment réprimées par tous les pouvoirs de droite comme de gauche depuis 1948. Même si la langue cinghalaise est devenue la langue officielle du pays, toutes les affaires de l'État se sont faites en anglais. En fin de compte, le peuple cinghalais est également devenu victime de cette machination linguistique anglo-saxonne. Lorsque les Britanniques ont quitté le pays en 1948, seulement 10 % de la population – l’élite appartenant aux communautés cinghalaise, tamoule, musulmane et européenne - parlait anglais. Au sein de cette élite, il n’y a pas eu de conflit ou de guerre ; mais ils ont systématiquement manipulé les communautés non-anglophones pour accéder au pouvoir en exacerbant le racisme.

La participation du LSSP et du PCS aux gouvernements successifs a provoqué des déceptions et des colères parmi les travailleurs de Colombo et les paysans. Dans les années 60-70, la Révolution cubaine et la guerre du Vietnam ont suscité la haine contre l’impérialisme dans tous les pays du monde. Au Sri Lanka, un jeune marxiste, victime de la politique du Kremlin, a fondé un parti maoïste, dénommé le Front de libération populaire du Sri Lanka (JVP). Devenu une icône chez les jeunes non-anglophones, il était perçu comme un ennemi à abattre par les deux formations bourgeoises, l’UNP et le SLFP, soutenus par le PCSL et le LSSP. Rohana Wijeweera, lefondateur du JVP, considérait qu’à cette époque, la position chinoise était plus progressiste et internationaliste que celle de Moscou. En conséquence, les autorités soviétiques refusèrent d’accorder un visa au jeune marxiste, qui était étudiant en médecine à l’université Patrice-Lumumba de Moscou.


Rohana Wijeweera, par Darsha Kapuge

Une des rares photos des semaines sanglantes de 1971 : la plupart des jeunes raflés ont sans doute disparu sans laisser de traces

Face à la répression menée par l’Alliance populaire, composée du PCSL et du LSSP, une insurrection a éclaté en avril 1971 sous la direction du JVP. Le gouvernement, soutenu par une « Sainte Alliance » (URSS, Chine, Yougoslavie, Inde, Pakistan, USA, Égypte), a éliminé plus de 20 000 révolutionnaires en une semaine sanglante, et 10 000 survivants ont été emprisonnés. Cet évènement a été dénommé « la Commune de Ceylan » par l’agronome René Dumont, futur candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1974, qui se trouvait dans l’île au moment de l’insurrection et publia une chronique à ce sujet dans revue Esprit de juillet-août 1971, où il rappelait que ces « semaines sanglantes » srilankaises avaient eu lieu pour le centenaire de l’écraement de la Commune de Paris [lire la chronique ici]. Cependant, « les ministres trotskistes du gouvernement n’ont pas démissionné », regrettera Dumont dans son ouvrage paru en 1972, « Paysannerie aux abois (Ceylan, Tunisie, Sénégal) ». 


Tirant les leçons de l’insurrection, le gouvernement a entrepris une vaste réforme foncière en distribuant des terres aux plus démunis. Aujourd’hui, 80 % des terres sri-lankaises appartiennent directement ou indirectement à l'État. Ces terres regorgent d'eau, de matières premières, de fer, de pierres précieuses, de silicium, etc.


Dans les prisons, le fondateur et ses partisans du JVP se réorganisent et deviennent un parti marxiste-léniniste, renonçant au maoïsme, au stalinisme, au trotskisme et au guévarisme, sans pour autant refuser leur engagement envers le socialisme. Le parti a créé un système pour former des révolutionnaires professionnels qui s'engagent sans percevoir de salaire, de privilèges ou de compensations. Les salaires des élus du parti sont versés dans un fonds d’aide à la population en difficulté jusqu'à aujourd'hui. En 1977, arrivé au pouvoir, l'UNP a décidé de libérer les prisonniers politiques du JVP. Le nouveau pouvoir voulait également faire sortir quelques milliardaires corrompus emprisonnés par la même loi qui avait condamné les militants du JVP à la suite de l’insurrection de 1971, qui se trouvaient en détention à perpétuité.

Une fois sortis de prison, les militants du JVP ont renoncé à la lutte armée et ont commencé des activités politiques pour participer aux élections. Le parti a obtenu 13 élus lors de l’élection de districts en 1981, présentée par l’UNP comme une solution à la question nationale tamoule. Durant la campagne électorale, la prestigieuse bibliothèque de 100 000 ouvrages de langue tamoule située à Jaffna a été brûlée par une équipe dirigée par l’ancien chef d’État renversé à la suite de l’élection du 21 septembre 2024, Ranil Wicremesinghe, un « un libéral pro-occidental », selon les médias européens, qui n’a pas été puni jà ce jour pour ce crime contre humanité. Il était également impliqué dans la direction d'une caserne de torture où plus de 5 000 jeunes ont été éliminés durant la guerre civile de 1987-1990.

Le nouveau pouvoir de l’UNP, installé en 1977, a instauré un système libéral de plus en plus sauvage en introduisant les principes néoclassiques de Milton Friedman, le conseiller économique de Pinochet au Chili. L’agriculture du pays a été réduite de plus de 60 % de sa production en encourageant les secteurs privés nationaux et étrangers à importer davantage qu’à exporter. Les cultivateurs d’oignons rouges, de piments, de fruits et de légumes (majoritairement des Tamouls) ont été poussés à cesser de cultiver et contraints à l’émigration vers le Machrek et l’Europe. Dans le même temps, l'UNP a mis en place une structure néolibérale à l'échelle nationale pour favoriser la privatisation des services publics et du secteur industriel, incitant ainsi les classes populaires à se révolter et à les défier à plusieurs reprises. Les transports, les services, la santé, etc., ont été privatisés. Les fonctionnaires ont appelé à une grève générale en 1980 ; plus de 40 000 grévistes ont été licenciés sans indemnisation, compensation ou réintégration. Plus de 50 fonctionnaires grévistes se sont suicidés. La plupart de ces personnes licenciées sont entrées dans la lutte armée contre le régime.

Profitant de l’instabilité sociale et de la division des partis d’opposition, le président de l’UNP, JR Jayawardene, surnommé « Yankee Dickie », appelle à une élection présidentielle anticipée en 1982. Par des méthodes de terreur et de fraudes massives, l’UNP s’empare du pouvoir avec 52 % des voix. Rohana Wijeweera obtient 4 % des voix et le JVP devient la troisième force politique du pays. Sans organiser d’élections législatives en 1982, le pouvoir en place convoque un référendum pour sauvegarder ses députés qui assurent la majorité absolue de l’Assemblée nationale. Le chef d’État dira plus tard que l’objectif de ce référendum était d’éviter par tous les moyens l’entrée de députés du JVP au parlement. Le JVP saisit la justice contre le référendum et les fraudes électorales. Il devient alors un ennemi à abattre pour l’UNP.

10/10/2024

AZIZ KRICHEN
Un mundo se muere, otro se levanta
Libro libre del Taller Glocal


Este libro del tunecino Aziz Krichen muestra, por fin, un político que sabe escribir, que sabe de economía y de historia, y te deja las cosas claras! El texto que sigue debiese formar parte del cursus de las Facultades de Economía y/o de Historia. Nos ayuda a comprender la génesis de nuestro propio drama. Accesible a cualquier lector interesado en saber cómo deciden de nuestra suerte en los areópagos de Washington. ¡Que aproveche!

Aziz Krichen
Un mundo se muere, otro se levanta
El trastorno del imperio yanqui (1970-2010)

Traducción colectiva revisada por Luis Casado y editada por Fausto Giudice

Ediciones The Glocal Workshop/El Taller Glocal, octubre de 2024
Colección Tezcatlipoca N°6
148 páginas, Formato A5
Clasificación Dewey: 320 – 330 -900

Descargar LIBRO LIBRE

 

 

09/10/2024

DOHA CHAMS
Un monde qui finit et un autre qui ne commence même pas : Beyrouth, octobre 2024

Doha Chams, Al Araby Al Jadid, 4/10/2024

Original : عالم ينتهي وآخر لا يبدأ

Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

 Rouler dans la rue, c’est ce que je ressentais, comme si mes pieds étaient devant moi et que mon corps les rattrapait. Parfois, je restais comme ça un moment, je faisais une pause pour retrouver un équilibre que je me sentais sur le point de perdre, puis je me remettais à marcher de plus en plus lentement, malgré moi, comme une vieille femme seule et désemparée qui porte un poids trop lourd pour elle.


Beyrouth ces derniers jours. Photo Diego Barra Sanchez/The New York Times/Redux/Laif

Il fallait que je sorte. Je suis allée à la banque, j’ai récupéré l’« argent de poche» mensuel de mon dépôt qui avait été bloqué pendant six ans. Puis j’ai marché comme une vagabonde, comme une machine en ruine, comme le van numéro 4 qui, malgré toutes les destructions, circule encore de la banlieue dévastée qui m’a amenée ici, jusqu’à la rue Hamra.

Je marche en me persuadant que je suis en train de visiter l’endroit et non pas d’errer, sans savoir quoi faire. C’est comme si mes intestins flottaient dans mon ventre, aussi erratiquement que le font les astronautes sur la lune à cause de l’apesanteur.

Près du journal As-Safir, qui était à son apogée quand Israël est entré dans Beyrouth en 1982, et dont les employés se tenaient devant sa porte pour empêcher les soldats d’entrer, divers réfugiés de nos patries arabes sinistrées et des déplacés des lieux bombardés, que ce soit les banlieues, le sud, la Bekaa ou même Beyrouth, après qu’Israël a bombardé avant-hier un de ses immeubles résidentiels et assassiné trois dirigeants palestiniens, dont l’un était une de mes connaissances.

Irakiens, Syriens, Soudanais, et Égyptiens, ainsi que les pauvres d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh.

Près d’un rassemblement de personnes déplacées, un petit magasin express s’active pour répondre à leurs besoins, et au coin de la rue, je m’attarde devant une petite librairie qui a ouvert ses portes pour je ne sais quelle raison. Je lis les titres des livres proposés, essayant de trouver quelque chose pour me distraire de la tristesse indescriptible qui m’étreint. Comment échapper à la tristesse qui vous habite ?

Une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue de noir, comme si elle était en deuil, sort de l’intérieur, une cigarette allumée à la main, pour me demander si j’ai besoin d’aide. Son visage est fatigué, comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Elle me demande, mais elle me regarde un instant, et puis c’est comme si elle me reconnaissait de quelque part. Elle pose sa cigarette allumée sur le bord du cendrier, puis tend la main avec empressement pour me serrer la main en se présentant par son nom complet, comme si j’étais une vieille amie qu’elle avait enfin rencontrée. Je maudis ma mémoire défaillante tout en essayant de sourire pour camoufler mon ignorance de la personne à qui je parlais. Mais une chaleur émanait de ces yeux, et de ses paumes qui se resserraient autour de ma main.

J’ai regardé ses yeux rougis d’avoir tant pleuré, et elle a regardé à son tour mes yeux gonflés, et nous n’avons pas pu nous empêcher de pleurer ensemble, silencieusement et sans bruit.

Nous étions des étrangères, mais ce que nous pleurions était la même chose. Me voilà enfin en train de pleurer. J’ai laissé mes larmes, retenues par la colère et une douleur unique, couler tranquillement comme si elles avaient enfin trouvé un endroit sûr pour se déverser sans provoquer la jubilation de qui que ce soit.

Elle a pleuré, j’ai pleuré. Sans un mot. Nous nous sommes assises sur un divan coincé entre les nombreux livres poussiéreux de cette librairie étroite, à l’angle de deux rues, rendue encore plus exiguë par le nombre de livres et d’objets qui s’y trouvaient. Une pièce sans lumière, aussi sombre que le ciel à l’extérieur, comme si elle venait d’ouvrir ses portes après une longue période de fermeture. L’odeur était mélangée, entre l’atmosphère d’un pub, remplie d’odeurs de cigarettes éventées, de boissons et de vie nocturne, et l’odeur des livres que personne n’a achetés depuis longtemps. Nous pleurons en silence, puis chacune de notre côté, nous sortons un mouchoir de la boîte, nous essuyons nos larmes et nous ne disons rien. Au bout de quelques minutes, elle soupire et dit avec un sourire triste : « Tu bois du café ? »

J’étais soulagée de pleurer ensemble. Je suis allée jusqu’au quartier Bristol. Devant un petit magasin de téléphonie, deux jeunes hommes étaient assis en train de fumer. J’ai entendu l’un d’eux dire à l’autre qu’il n’osait pas aller voir son magasin dans la banlieue, non pas par crainte des bombardements israéliens « auxquels on est habitués », mais par crainte de constater la destruction de son gagne-pain.

Siham dort également dans la zone portuaire où elle travaille comme infirmière bénévole. La nuit de l’assassinat, vers l’aube, ses jambes l’ont trahie lorsqu’elle a constaté que sa maison, située à quelques rues de l’endroit où les Israéliens ont bombardé la zone, semblait s’effondrer dans la lumière des premiers rayons de l’aube. Elle est restée quelques minutes dans la lumière de l’aube naissante, puis a quitté l’endroit dévasté et a repris la route vers son lieu de travail.

Dans l’immeuble Concorde de la rue de Verdun, près de la rue Hamra, je me rends dans un centre de visas pour me renseigner sur certaines conditions en vue d’une invitation professionnelle dans un pays étranger. Le centre se trouve au cinquième étage du bâtiment, et le journal Al-Akhbar pour lequel je travaillais se trouve au sixième étage. D’habitude, je passe saluer mes collègues. Mais aujourd’hui, je n’ai pas pu.

Je pars en me disant que mon passage devant les deux journaux pour lesquels j’ai travaillé pendant vingt et un ans n’était peut-être pas une coïncidence. Peut-être que mon travail de reporter sur le terrain en temps de guerre me manquait. Lorsque je l’ai fait, j’ai eu l’impression de contribuer à la défense de ma patrie. Quelque chose qui donnerait un sens à ma vie dans ce pays qui a été « conçu » par les colonisateurs lorsqu’ils ont « dessiné la carte de l’Orient » pour qu’il soit une arène de conflits et de compromissions pour ceux qui détiennent le pouvoir, et non un pays sûr pour son peuple. Aujourd’hui, ils veulent le redessiner. Dans quel but, n’est-ce pas évident ?

Le surplus de pouvoir dont jouit le brutal Israël et la galaxie de puissants intimidateurs qui le soutiennent les fait jouir. Ce n’est pas grave. Allez, on y va. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Voyons comment ça se termine.

Sur le chemin du retour, au détour d’un virage, je croise un ancien collègue. Nous sommes à deux mètres l’un de l’autre et il sourit de surprise, heureux de me voir, mais les yeux aussi gonflés que les miens. J’ai envie de pleurer encore pour savoir comment il va, mais il ne dit pas un mot, il me serre dans ses bras sans rien dire, et il pleure aussi.

 

MUHAMMAD SAHIMI
Les “Ahmed Chalabi” iraniens aident Israël à planifier le bombardement de l’Iran

Muhammad Sahimi, antiwar.com,  9/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Muhammad Sahimi (Téhéran, 1954), professeur de génie chimique et de science des matériaux et titulaire de la chaire NIOC de génie pétrolier à l’université de Californie du Sud (Los Angeles), est cofondateur et rédacteur en chef du site ouèbe Iran News & Middle East Reports.

Depuis l’invasion de l’Irak en mars 2003, les conservateurs, le lobby israélien aux USA et les groupes qui leur sont alliés ont cherché une version iranienne d’Ahmed Chalabi, le célèbre personnage irakien allié aux néoconservateurs lors de la préparation de l’invasion de l’Irak en 2003, qui a fabriqué pendant des années des mensonges sur les armes de destruction massive inexistantes de Saddam Hussein.

Depuis au moins une décennie, le principal candidat est Reza Pahlavi, le fils du dernier roi d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, dont le régime a été renversé par la révolution de 1979. Pahlavi junior tente depuis plus de 40 ans de rétablir la monarchie en Iran, mais comme je l’ai expliqué ailleurs, ses efforts ont été consacrés à l’obtention du soutien de gouvernements étrangers pour le mettre au pouvoir.


Atelier Populaire des Beaux-Arts, Paris, juin 1968

Dans les années 1980, la CIA a financé Reza Pahlavi. Il entretient également des relations de longue date avec le lobby israélien aux USA. Il a rencontré Sheldon Adelson, l’homme qui a suggéré que les USA attaquent l’Iran avec des bombes nucléaires, et a pris la parole à l’Institut Hudson, à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, au Sommet israélo-américain et dans d’autres organismes pro-israéliens. Pahlavi a également appelé Israël - ce même pays qui mène des guerres brutales à Gaza et au Liban depuis un an -à aider la « cause de la démocratie » en Iran.

Les nouveaux efforts pour soutenir Pahlavi ont commencé immédiatement après l’élection de Donald Trump en novembre 2016, avant même qu’il ne prenne officiellement ses fonctions, mais les manifestations à grande échelle qui ont eu lieu en Iran en septembre-décembre 2022 à la suite de la mort de Mahsa Amini, la jeune femme décédée alors qu’elle était détenue par les forces de sécurité, ont fourni une nouvelle occasion de présenter le Chalabi iranien comme le « prochain dirigeant » de l’Iran. Parmi les proches conseillers de Pahlavi figurent Amir Taheri, Amir Etemadi et Saeed Ghasseminejad, tous partisans d’Israël.

Taheri, 82 ans, « journaliste », est président de Gatestone, Europe, institution islamophobe de droite, qui a menti sur l’Iran à de multiples reprises, dans le but de provoquer une réaction brutale contre ce pays. Par exemple, en mai 2006, le National Post, journal canadien de droite, a publié un article de Taheri dans lequel il affirmait que le Majlis [parlement iranien] avait adopté une loi qui « envisage des codes vestimentaires distincts pour les minorités religieuses, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens, qui devront adopter des couleurs distinctes pour être identifiables en public ». Ces propos ont été rapidement réfutés par de nombreuses personnes, comme Maurice Motamed, qui était à l’époque le membre juif du Majlis. Le National Post a retiré l’article et s’est excusé de l’avoir publié, mais Taheri ne l’a pas fait.

Taheri a également accusé l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, de faire partie des étudiants qui ont pris d’assaut l’ambassade des USA à Téhéran en novembre 1979, alors qu’à l’époque, Zarif était étudiant à l’université d’État de San Francisco. Juste après la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran, officiellement connu sous le nom de Plan global d’action conjoint (JCPOA), en juillet 2015, Taheri a affirmé : « Akbar Zargarzadeh, 14 ans, a été pendu à un arbre dans un camp de garçons islamiques après que le mollah du camp l’a accusé d’être gay et de mériter la mort ». Cette affirmation s’est également révélée être un canular.

Si Taheri est trop âgé pour être un Ahmed Chalabi iranien, Ghasseminejad et Etemadi sont relativement jeunes et ambitionnent d’être le prochain Chalabi. Etemadi, 43 ans, a cofondé le petit groupe monarchiste Farashgard [qui signifie renaissance en persan ancien] en 2018. Ghasseminejad et lui appartenaient tous deux au soi-disant « Groupe des étudiants libéraux iraniens », un petit groupe d’ultra-droite composé d’étudiants activistes en Iran, dont la plupart ont déménagé au Canada et aux USA.  Avant l’élection de Trump en 2016, Etemadi a reposté un gazouillis de Mitt Romney dans lequel il qualifiait Trump de « bidon et de fraude », mais dès que Trump a été élu, Etemadi et ses acolytes monarchistes sont tombés amoureux de sa politique iranienne et ont soutenu la « politique de pression maximale » de l’administration Trump contre l’Iran, que l’administration Biden a, plus ou moins, poursuivie. Une source bien informée à Washington a dit à l’auteur qu’Etemadi est payé par la Foundation for the Defense of Democracies (FDD), bien que je n’aie pas pu confirmer cette affirmation de manière indépendante. La FDD est un lobby israélien, un ardent opposant au JCPOA et un défenseur des sanctions économiques et même de la guerre contre l’Iran

Ghasseminejad est aujourd’hui chercheur principal à la FDD. Il s’est fait le champion du « nettoyage des rues des bêtes islamistes » et s’inquiète d’une « apocalypse chiite » imminente alimentée par l’Iran. Mais ce qui est plus important que ce titre, c’est le travail de Ghasseminejad au nom de la « fausse opposition » iranienne, un assortiment flou d’activistes réactionnaires qui soutiennent les sanctions économiques et la pression militaire contre l’Iran, mais dont la politique contraste fortement avec les groupes de la « vraie opposition » en Iran et leurs partisans dans la diaspora, qui se compose d’une large coalition de syndicats de travailleurs et d’enseignants, de groupes de défense des droits humains, de droits des femmes et d’activistes sociaux, de réformistes radicaux, de nationalistes, de gauchistes laïques et de nationalistes religieux.

Ghasseminejad était étudiant en génie civil à l’université de Téhéran, qui - à l’exception de la période du gouvernement éphémère du Premier ministre Mohammad Mosaddegh en 1951-1953 - a toujours été un foyer d’activités antigouvernementales. En 2002, Ghasseminejad et Etemadi ont publié un bulletin d’information étudiant intitulé Farda [« demain »] dans lequel ils prônaient le « libéralisme », c’est-à-dire des aventures militaires du type de celles envisagées par les néoconservateurs partisans d’une « intervention libérale » afin de répandre la « démocratie » par la force. Ghasseminejad a soutenu l’invasion usaméricaine de l’Irak en 2003 et, dans un article intitulé « Pourquoi les USA attaqueront l’Iran », il a implicitement préconisé des attaques militaires contre son pays natal.

En juin 2003, après des manifestations sporadiques contre le gouvernement à Téhéran, Ghasseminejad a été brièvement détenu. Lors d’une conférence de presse tenue après sa libération, il s’est excusé auprès du leader suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a promis d’être « un bon citoyen » et a mis fin à ses activités politiques. Deux ans plus tard, au printemps 2005, Ghasseminejad et un petit groupe d’autres étudiants ont commencé à publier une autre lettre d’information appelée Talangar [en gros, « appel au réveil »], qui se concentrait sur la critique des étudiants de gauche et des lettres d’information qu’ils publiaient.

Bien qu’il ait exprimé son « amour » pour la démocratie et les droits humains, qu’il se soit présenté comme un « libéral classique » et qu’il ait travaillé pour une fondation qui « défend » les démocraties, Ghasseminejad s’est à plusieurs reprises rallié à l’autoritarisme. Dans un article intitulé « Qu’apprenons-nous de Lénine », publié dans Talangar, il a exprimé son admiration pour Vladimir Lénine et son concept de « centralisme démocratique ». Il a qualifié Augusto Pinochet, le dictateur chilien, de « cher [dirigeant] disparu qui a sauvé le Chili... et qui était bien meilleur que Salvador Allende », le président socialiste chilien qui, comme Mohammad Mosaddegh en 1953, a été renversé par un coup d’État soutenu par la CIA en 1973.

Ghasseminejad s’est également prononcé en faveur du massacre des Égyptiens lors des manifestations qui ont suivi le coup d’État d’Abdel Fattah el-Sissi en 2013, en écrivant sur sa page Facebook: « J’ai pensé que je devais venir sur Facebook et exprimer mon appréciation pour l’armée égyptienne qui a nettoyé les rues des fondamentalistes islamiques criminels. » Il a ajouté : « En fait, la bonne question n’est pas de savoir pourquoi l’armée égyptienne nettoie l’Égypte des bêtes islamistes, mais plutôt pourquoi l’armée iranienne a permis aux islamistes de prendre le contrôle de notre pays » pendant la révolution iranienne, alors qu’au moins 3 000 personnes ont été assassinées par l’armée du Shah pendant la révolution de 1979.

J’ai beaucoup écrit sur Ghasseminejad. Dans sa jeunesse, il était opposé à la monarchie en Iran, qualifiant Mohammad Reza Shah de « dictateur insensé », mais, comme tous les opportunistes monarchistes, lui, Etemadi, Taheri et Farashgard soutiennent tous Reza Pahlavi et le retour de la dictature monarchique en Iran, ainsi qu’Israël. Taheri est un monarchiste si ardent qu’à un moment donné, il a exprimé le souhait de lécher les bottes de Mohammad Reza Shah.

Le point le plus important concernant ces aspirants Chalabi est qu’eux et leurs partisans ne disposent pas d’une base sociale de soutien significative en Iran. Reza Pahlavi n’a jamais osé appeler le peuple iranien à lui manifester son soutien en Iran par le biais d’une manifestation ouverte, et lorsqu’en décembre 2018 et janvier 2019, le monarchiste  Farashgard a appelé à de telles manifestations, personne ne s’est présenté. Même dans la diaspora, une grande majorité d’Iraniens, tout en s’opposant aux religieux en Iran, méprisent les sanctions économiques, les menaces militaires et le soutien des monarchistes à la guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou contre l’Iran. En Iran, l’hostilité entre Netanyahou et les monarchistes iraniens a transformé les Iraniens généralement favorables à l’Occident en de fervents opposants à Israël.

Les monarchistes savent que l’absence d’une base sociale significative en Iran implique qu’ils ne reviendront jamais au pouvoir par le biais d’un mouvement social ou d’une révolution dans le pays. Leur seul espoir réside donc dans une intervention étrangère en Iran, raison pour laquelle ils prônent toujours la guerre et les sanctions économiques et soutiennent Israël. C’est pourquoi, après les grandes manifestations qui ont eu lieu en Iran en 2022, Etemadi et Ghasseminejad ont convaincu Reza Pahlavi qu’il devait faire connaître son alliance avec Israël et l’ont incité à s’y rendre. Accompagné de deux hommes, Pahlavi se rend en Israël en avril 2023 et rencontre Netanyahou et le président israélien Isaac Herzog. Pendant son séjour, Pahlavi a rencontré toutes sortes de groupes sociaux et religieux, à l’exception des Palestiniens et des musulmans.

Reza Pahlavi au Mur des Lamentations 

Reza Pahlavi et Yasmine, Sara et Bibi Netanyahou

Après l’attaque de l’Iran contre Israël la semaine dernière, les spéculations sur la réponse possible d’Israël à cette attaque vont bon train. Ici aussi, les Chalabi monarchistes ne sont pas seulement des alliés d’Israël, mais certains d’entre eux participent activement à la planification du bombardement de l’Iran par Israël. Interrogé sur la manière dont Israël décide où bombarder en Iran lors d’une interview avec Erin Burnett de CNN, le lieutenant-colonel (Re.) Jonathan Conricus, ancien porte-parole de Tsahal et actuellement chercheur principal à la FDD, a répondu que les sites potentiels sont étudiés et analysés par les experts de la  FDD, dont Ghasseminejad, Behnam Ben Taleblu - un autre « chercheur principal » iranien - et Andrea Stricker, chercheuse anti-iranienne à la  FDD, experte en prolifération nucléaire. En d’autres termes, les Chalabi iraniens empruntent la même voie que celle empruntée par les Irakiens.

Mais, contrairement à l’Irak où le nationalisme sous le régime de Saddam Hussein était faible, puisque ce dernier avait toujours prôné le panarabisme, les Iraniens sont farouchement nationalistes et ne pardonneront jamais aux renégats tels que ces aspirants Chalabi. Ceux-ci doivent également se rappeler le sort des Chalabi irakiens : une fois que les USA ont atteint leur objectif d’envahir et d’occuper l’Irak avec l’aide des mensonges et des exagérations de Chalabi, celui-ci a été jeté sans cérémonie comme une vieille serpillère :  il n’a jamais accédé au pouvoir et est mort dans l’infamie.

BONUS TLAXCALA

Trombinoscope chalabiesque


Carnet Mondain

Leurs Altesses Impériales Reza Pahlavi (qui aura 64 ans le 31 octobre) et sa maman, la Chahbanou Farah (qui aura 86 ans le 14 octobre) se sont vu décerner le Prix Architecte de Paix de la Fondation Richard Nixon. Reza sera l’hôte d’un dîner de gala le 22 octobre à la Bibliothèque/Musée présidentielle Richard Nixon, à  Yorba Linda, Californie, tandis que la Chahbanou le recevra plus tard, lors d’une cérémonie privée. Vous pouvez acheter vos tickets pour le dîner, dont le prix va de 1 000 à 50 000 $, ou faire une donation, si vous ne pouvez pas assister au dîner, ici. Malheureusement, le menu du dîner n'a pas été communiqué par les organisateurs. On espère qu'il y aura du caviar de la Caspienne et du vin de Shiraz californien.

Le jeune Reza avec Tricky Dickie Nixon, papa et maman, en 1979, au country  club de Cuernavaca. Nixon et Pahlavi senior furent les meilleurs amis du monde, s’étant connus à Téhéran après le coup d’État organisé par la CIA en 1953, puis rencontrés une douzaine de fois, jusqu’à l’enterrement du despote déchu au Caire en 1980, auquel Nixon fut le seul (ex)président à assister. Lors de la première visite de Nixon, alors vice-président, le 7 décembre 1953, 3 étudiants iraniens en grève qui protestaient contre sa présence furent tués par la police : Ahmad Ghandchi appartenait au Jebhe-e Melli (Front national de Mossadegh), Shariat-Razavi et Bozorg-Nia au Hezb-e Tudeh (parti communiste). Leur mémoire est honorée en Iran chaque 16 de mois d'Azar.