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07/06/2025

ZVI BAR’EL
Trump blanchit les djihadistes alors que le président syrien s’efforce de constituer une armée nationale

Le nouveau président syrien doit manœuvrer entre le monde occidental, le monde arabe et ses alliés miliciens étrangers qui se sentent marginalisés. Le consentement de Trump à l’intégration des combattants étrangers dans l’armée syrienne sert les intérêts des deux présidents.

Zvi Bar’el, Haaretz, 6/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

L’une des conditions posées par Donald Trump au président syrien Ahmad al-Charaa pour obtenir la pleine reconnaissance de son pays et la levée des sanctions était le démantèlement de toutes les milices étrangères en Syrie et l’expulsion des combattants. Une fois de plus, Trump n’a pas déçu.

Cela ressemble à son revirement lorsqu’il a annoncé son « accord de cessez-le-feu » avec les Houthis au Yémen et a troqué ses menaces d’ouvrir les portes de l’enfer sur l’Iran contre une diplomatie visant à un nouvel accord nucléaire.


Le président Donald Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le président par intérim syrien Ahmad al-Charaa, à droite, posent pour une photo à Riyad, en Arabie saoudite, le 14 mai 2025. Sana via AP

De la même manière, il a radicalement changé sa position sur la Syrie. Cette semaine, il a autorisé al-Charaa à intégrer des combattants étrangers dans la nouvelle armée syrienne.

Dans ces trois développements, Trump a balayé les réserves d’Israël et l’a laissé manœuvrer seul sa nouvelle carte géopolitique. La raison de ce revirement en Syrie pourrait résider dans l’avertissement sévère que le secrétaire d’État Marco Rubio a adressé au Comité des relations étrangères du Sénat le mois dernier.

« En fait, nous estimons franchement que, compte tenu des défis auxquels elle est confrontée, l’autorité de transition est peut-être à quelques semaines, et non à plusieurs mois, d’un effondrement potentiel et d’une guerre civile à grande échelle aux proportions épiques, qui conduirait essentiellement à la division du pays », a déclaré Rubio.

Un avertissement similaire a été lancé par les amis de Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, lors de la visite de Trump dans la région le mois dernier. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé des idées similaires.

Ils sont tous les nouveaux protecteurs d’al-Charaa et ont promis de l’aider à forger une nouvelle Syrie, à reconstruire son armée et à garantir que le nouvel avatar sera pro-occidental et pacifique, et qu’il combattra l’État islamique.

Mais comme tout le monde l’a dit à Trump, sans la levée des sanctions, la Syrie n’aurait aucune chance de se reconstruire et pourrait même s’effondrer, mettant en danger toute la région.

Trump s’intéressait à une autre question. Il n’a pas exigé que la Syrie devienne un pays démocratique laïc où les droits de l’homme seraient le principe directeur. Trump voulait savoir comment et quand il pourrait ramener les troupes usaméricaines et quitter ce pays qu’il avait décrit en 2019, lorsqu’il avait annoncé pour la première fois son intention de retirer les forces usaméricaines, comme un endroit où il y avait « beaucoup de sable ».

Ainsi, si le départ des USAméricains nécessite un renforcement d’al-Charaa et si la condition est un “arrangement”  avec les milices étrangères, alors les considérations idéologiques ou morales ne feraient que perturber les plans de Trump.

Ces milices sont estimées à quelques milliers de combattants provenant d’une douzaine de pays, dont la Tchétchénie, la Chine, la Turquie, la Jordanie et l’Égypte. Elles constituaient l’épine dorsale d’al-Charaa lorsqu’il dirigeait les rebelles du Hayat Tahrir al-Cham dans la province d’Idlib, et en décembre dernier, lorsqu’il a lancé sa campagne éclair pour prendre Damas et renverser le régime d’Assad.

Mais il ne s’agit pas de mercenaires d’al-Charaa qui, une fois leur mission accomplie, peuvent être payés et renvoyés chez eux. Les combattants ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine, où la plupart d’entre eux sont considérés comme des terroristes. Et sans une solution qui garantisse leur sécurité en Syrie, le danger est qu’ils retournent leurs armes contre le nouveau gouvernement.

Comme l’a déclaré l’un de ces combattants à un site ouèbe en langue arabe : « Après toutes ces souffrances, après le changement de politique et le changement de drapeau » – du drapeau du parti Baas à l’ancien drapeau syrien – « j’ai l’impression d’être à découvert, comme si nous avions été oubliés, comme si les immigrés qui ont tout sacrifié étaient devenus un fardeau ». Al-Charaa est conscient que le chemin vers la lutte armée pourrait être court.

Les combattants étrangers sont arrivés en Syrie en 2012, environ un an après le début de la guerre civile. Depuis, ils se sont intégrés, ont fondé des familles et créé des entreprises et, si vous leur demandez, sont devenus partie intégrante de la société.

Beaucoup étaient motivés par les idéologies religieuses d’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaida, et d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique. Certains ont combattu pour l’État islamique avant de rejoindre al-Charaa, qui utilisait alors le nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani. D’autres ont créé des milices qui ont offert leurs services à al-Charaa, puis, après sa rupture avec Al-Qaida en 2016, ont soit continué avec Al-Qaida, soit aidé l’État islamique.

À l’époque, al-Charaa devait lutter à la fois contre l’armée du régime d’Assad et les milices rivales, jusqu’à ce qu’il forme Hayat Tahrir al-Cham, une coalition de milices. En cours de route, il n’a pas hésité à tuer ses rivaux, y compris certains qui faisaient partie de son cercle restreint, lorsqu’il a découvert, ou cru découvrir, qu’ils cherchaient à le renverser ou qu’ils étaient en désaccord avec ses politiques et sa vision du monde.

Le passage de la direction d’un ensemble de milices à celle d’un pays a obligé al-Charaa à se démener pour empêcher cet ensemble de se désagréger. Il a dû former une grande force nationale loyale opérant dans tout le pays, mais il s’est heurté à un champ de mines constitué de groupes ethniques et de milices armées.

Parmi ceux-ci figurent les Druzes, les Kurdes et les Alaouites (la secte de la famille Assad) ; les deux premiers au moins sont lourdement armés et réclament l’autonomie. En outre, des dizaines de milices composées de Syriens et d’étrangers sont réticentes à abandonner les zones qu’elles contrôlent, qui financent leurs opérations et leur mode de vie.

Al-Charaa a également dû trouver des financements pour l’État syrien, afin de mettre en place les institutions gouvernementales, les forces de l’ordre, la justice et les services civils détruits sous le régime d’Assad.

Une fois de plus, il a dû suivre deux voies : établir des relations avec des pays arabes et occidentaux méfiants en prouvant sa volonté d’adopter des politiques pro-occidentales, y compris une éventuelle volonté de reconnaître Israël, tout en apaisant ses frères d’armes, les commandants des milices radicales qui éveillent les soupçons des pays qu’il courtise.

Al-Charaa a rapidement nommé certains des commandants étrangers à des postes élevés dans l’armée et les services de sécurité syriens, faisant de certains d’entre eux des généraux.

Il a également conclu un accord temporaire avec les Kurdes, qui ont annoncé leur volonté de rejoindre l’armée syrienne à condition de pouvoir créer une unité kurde qui n’opérerait que dans les zones kurdes, une condition à laquelle al-Charaa s’oppose. Al-Charaa a également conclu un accord partiel avec les Druzes, soutenu par plusieurs grandes milices druzes, même si d’autres attendent de voir où va la Syrie.

Quant aux petites milices, dont certaines ne comptent que quelques dizaines ou centaines de combattants, il leur a ordonné de déposer les armes et de rejoindre l’armée avant le 27 mai.

La semaine dernière, le ministre syrien de la Défense, Murhaf Abu Qasra, a déclaré que jusqu’à présent, plus de 130 miliciens avaient rejoint l’armée et formeraient une brigade distincte.

Ce compromis visait à obtenir le consentement des USAméricains pour l’enrôlement des combattants étrangers au lieu de leur expulsion. L’hypothèse est que s’ils font partie d’une unité spéciale, ils peuvent être déployés dans des missions moins sensibles et être étroitement surveillés.

Mais cela ne résout pas le problème de l’endoctrinement religieux radical dont ont fait l’objet la plupart de ces combattants, qui les a poussés à venir en Syrie. Cela pourrait avoir des conséquences concrètes.

Par exemple, l’armée syrienne est censée gérer les grands complexes pénitentiaires où sont détenus des dizaines de milliers de combattants de l’État islamique et leurs familles, principalement dans le nord du pays.

Ces installations sont sous contrôle kurde. La crainte est que si ces complexes sont transférés à l’armée syrienne, certains soldats redécouvrent leurs « frères perdus » de l’État islamique et les aident à s’échapper, ou pire, collaborent avec eux contre le régime.

Cette crainte devrait être prise en compte par la Turquie, qui a proposé de combattre l’État islamique à la place des USAméricains, qui se retireraient alors de Syrie. Dans le passé, Washington a rejeté cette idée, mais elle semble désormais constituer une solution acceptable qui permettrait à Trump de réfuter les accusations selon lesquelles le retrait des troupes usaméricaines équivaut à abandonner les Kurdes et la lutte contre l’État islamique.

L’accord concernant les milices étrangères est loin de suffire à imposer l’autorité de l’État sur les forces armées. Les accords avec les Kurdes et les Druzes n’existent encore que sur le papier. Les Alaouites, qui vivent sur la côte, sont une source de friction, tout comme les vestiges du régime Assad, qui sont armés et envisagent une contre-révolution.

Pour l’instant, al-Charaa bénéficie d’un large soutien arabe et occidental. Mais il devra bientôt prouver aux Syriens que sa révolution est plus que quelques slogans accrocheurs.


Cravate sanglante, par Hassan Bleibel, mars 2025

 

06/06/2025

HAARETZ
La pandilla de Yaser Abu Shabab, cipayos de Israel en Gaza

El análisis de imágenes de satélite y vídeos muestra que la milicia de Abu Shabab opera cerca de Rafah, a lo largo de la principal carretera norte-sur de Gaza. Sus miembros armados mantienen puestos de control y distribuyen ayuda, mientras que el Gobierno de Netanyahu es acusado por Lieberman de armar a milicias afiliadas al ISIS. 

Miembros de la milicia de Abu Shabab distribuyen ayuda al este de Rafah, como muestran los vídeos que han compartido en Facebook esta semana.

Traducido por Tlaxcala

Imágenes de satélite y vídeos publicados en las últimas semanas muestran que una nueva milicia armada palestina ha ampliado su presencia en el sur de Gaza, operando dentro de una zona bajo el control directo de las Fuerzas de Defensa de Israel. El mes pasado, Haaretz reveló las actividades de un grupo que se autodenomina «Servicio Antiterrorista» y que opera en el este de Rafah. El grupo estaría dirigido por Yaser Abu Shabab, un habitante de Rafah procedente de una familia beduina, conocido en la zona por su implicación en actividades delictivas y el saqueo de ayuda humanitaria a finales del año pasado.

Fuentes de Gaza afirman que el grupo está compuesto por un centenar de hombres armados que operan con la aprobación tácita de las FDI. Cuando fue interrogado la semana pasada, un portavoz de las FDI se negó a responder a estas afirmaciones.

La milicia de Abu Shabab opera al este de la ciudad destruida de Rafah, entre las carreteras Morag y Philadelphi. Foto Planet Labs PBC

En las últimas semanas, Abu Shabab ha lanzado dos páginas de Facebook en las que publica mensajes contra Hamás y la Autoridad Palestina, al tiempo que promueve los esfuerzos de su milicia para garantizar la seguridad y distribuir ayuda a la población civil.

Los vídeos difundidos en estas páginas muestran a sus combatientes con nuevos uniformes, cascos y chalecos con insignias en las que aparece la bandera palestina. Abu Shabab también ha compartido el artículo original de Haaretz en su grupo.

Algunos vídeos muestran a la milicia deteniendo e inspeccionando convoyes de la Cruz Roja y de la ONU, vigilando la carretera de Salah al-Din, la principal vía norte-sur de Gaza, y realizando ejercicios de entrenamiento armado.

Yaser Abu Shabab junto a un camión que transporta cientos de sacos de harina distribuidos a los habitantes, en un vídeo que publicó en su cuenta de Facebook esta semana.

En un vídeo publicado esta semana, Abu Shabab afirma que las cuatro personas fueron asesinadas mientras limpiaban casas en Rafah para preparar el regreso de los desplazados. El vídeo también describía a los fallecidos como antiguos agentes de seguridad o empleados de la Autoridad Palestina.

El martes, Abu Shabab publicó otro vídeo en el que se veía a sus fuerzas instalando un campamento de tiendas de campaña y descargando alimentos de un camión. El mensaje que lo acompañaba decía que «las fuerzas populares han regresado a Rafah Este bajo la legitimidad palestina, bajo el mando del comandante Yaser Abu Shabab».

Se invitó a los palestinos desplazados a unirse al campamento para recibir comida, refugio y protección. Se facilitaron números de teléfono para coordinarse. El vídeo también muestra la distribución de cientos de sacos de harina y paquetes de alimentos.

Uno de los principales miembros de la milicia de Abu Shabab, con un rifle M16 recortado, junto al personal de la Cruz Roja al este de Rafah, hace dos semanas.

Haaretz ha identificado la ubicación del campamento de tiendas de campaña en imágenes de satélite de Planet Labs, que muestran 16 tiendas en construcción en una zona controlada durante mucho tiempo directamente por las FDI, entre las carreteras este-oeste Morag y Philadelphi, a unos cinco kilómetros al noreste del paso fronterizo de Kerem Shalom.

Los esfuerzos previos de periodistas palestinos y activistas en línea para geolocalizar los vídeos de la milicia de Abu Shabab confirmaron que también habían sido filmados en esa misma zona (marcada en rojo en el mapa de arriba).

Los mapas de la ONU de finales de 2023 designaban la zona como «peligrosa» debido a los frecuentes saqueos de los convoyes de ayuda. En una entrevista concedida al Washington Post, Abu Shabab admitió haber saqueado parte de la ayuda para alimentar a las familias locales.

Las FDI se negaron a comentar la actividad de la milicia en Gaza y remitieron a Haaretz al Shin Bet, que también se negó a responder.

El miércoles, el diputado israelí Avigdor Lieberman, exministro de Defensa, afirmó que Israel había suministrado armas a bandas criminales de Gaza afiliadas al ISIS.

En una entrevista concedida a la emisora de radio Kan Bet, Lieberman declaró: «Israel ha entregado rifles de asalto y armas ligeras a familias de delincuentes de Gaza por orden de Netanyahu. Dudo que esto haya pasado por el gabinete de seguridad. Nadie puede garantizar que estas armas no se volverán contra Israel».

Desde el comienzo de la guerra, varios informes sugieren que Netanyahu y altos funcionarios del ejército israelí han considerado la posibilidad de confiar la gestión local de la Franja de Gaza a grandes clanes o familias para contrarrestar a Hamás.

En respuesta a las acusaciones de Lieberman, la oficina de Netanyahu declaró: «Israel se esfuerza por derrotar a Hamás por diversos medios, tal y como han recomendado todos los responsables de seguridad».

Las páginas de Yasser Abu Shabab, que se presenta como «Comandante en jefe de las Fuerzas Populares», creadas en Facebook/Meta con una pequeña dosis de inteligencia artificial

La página "privada":

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La página "oficial": 


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HAARETZ
La bande à Abou Shabab, harkis d'Israël à Gaza

L’analyse d’images satellite et de vidéos montre que la milice d’Abou Shabab opère près de Rafah, le long de la principale route nord-sud de Gaza. Ses membres armés tiennent des postes de contrôle et distribuent de l’aide, alors que le gouvernement de Netanyahou est accusé par Lieberman d’armer des milices affiliées à l’ISIS.

Des membres de la milice d'Abou Shabab distribuent de l'aide à l'est de Rafah, comme le montrent des vidéos qu'ils ont partagées sur Facebook cette semaine.

Traduit par Tlaxcala

Des images satellites et des vidéos mises en ligne ces dernières semaines montrent qu’une nouvelle milice armée palestinienne a étendu sa présence dans le sud de Gaza, opérant à l’intérieur d’une zone sous le contrôle direct des Forces de défense israéliennes. Le mois dernier, Haaretz a révélé les activités d’un groupe se faisant appeler le « Service antiterroriste », opérant dans l’est de Rafah. Le groupe serait dirigé par Yasser Abou Shabab, un habitant de Rafah issu d’une famille bédouine, connu localement pour son implication dans des activités criminelles et le pillage de l’aide humanitaire à la fin de l’année dernière.

Des sources à Gaza affirment que le groupe se compose d’une centaine d’hommes armés qui opèrent avec l’approbation tacite des FDI. Interrogé la semaine dernière, un porte-parole des FDI a refusé de répondre à ces affirmations.

La milice d’Abou Shabab opère à l’est de la ville détruite de Rafah, entre les routes Morag et Philadelphi : Planet Labs PBC

Ces dernières semaines, Abou Shabab a lancé deux pages Facebook où il publie des messages anti-Hamas et anti-Autorité palestinienne tout en promouvant les efforts de sa milice pour assurer la sécurité et distribuer de l ‘aide aux civils.

Des vidéos diffusées sur ces pages montrent ses combattants portant de nouveaux uniformes, casques et gilets arborant des insignes où figure le drapeau palestinien. Abou Shabab a également partagé l’article original de Haaretz sur son groupe.

Certaines vidéos montrent la milice arrêtant et inspectant des convois de la Croix-Rouge et de l’ONU, gardant la route Salah al-Din, la principale route nord-sud de Gaza, et menant des exercices de formation armée.

Yasser Abou Shabab à côté d’un camion transportant des centaines de sacs de farine distribués aux habitants, dans une vidéo qu’il a publiée sur son compte Facebook cette semaine.

Dans une vidéo publiée cette semaine, Abou Shabab affirme que les quatre personnes ont été tuées alors qu’elles nettoyaient des maisons à Rafah en vue du retour des personnes déplacées. La vidéo décrivait également les personnes décédées comme d’anciens agents de sécurité ou des employés de l’Autorité palestinienne.

Mardi, Abou Shabab a publié une autre vidéo montrant ses forces en train d’installer un camp de tentes et de décharger de la nourriture d’un camion. Le message qui l’accompagnait indiquait que « les forces populaires sont revenues à Rafah-Est sous l’égide de la légitimité palestinienne, sous la direction du commandant Yasser Abou Shabab ».

Les Palestiniens déplacés ont été invités à rejoindre le camp pour y recevoir de la nourriture, un abri et une protection. Des numéros de téléphone ont été fournis à des fins de coordination. La vidéo montre également la distribution de centaines de sacs de farine et de colis alimentaires.

L’un des principaux membres de la milice d’Abou Shabab, tenant un fusil M16 raccourci, aux côtés du personnel de la Croix-Rouge à l’est de Rafah, il y a deux semaines.

Haaretz a identifié l’emplacement du camp de tentes sur des images satellite de Planet Labs, montrant 16 tentes en construction dans une zone longtemps contrôlée directement par les FDI - entre les routes est-ouest Morag et Philadelphi, à environ cinq kilomètres au nord-est du point de passage de Kerem Shalom.

Les efforts déployés précédemment par des journalistes palestiniens et des activistes en ligne pour géolocaliser les vidéos de la milice d’Abou Shabab ont confirmé qu’elles avaient également été filmées dans cette même zone (marquée en rouge sur la carte ci-dessus).

Des cartes de l’ONU datant de la fin de l’année 2023 désignaient la zone comme « dangereuse » en raison des pillages fréquents des convois d’aide. Dans une interview accordée au Washington Post, Abou Shabab a admis avoir pillé une partie de l’aide afin de nourrir les familles locales.

Les FDI ONT refusé de commenter l’activité de la milice à Gaza et a renvoyé Haaretz au Shin Bet, qui a également refusé de répondre.

Mercredi, le député israélien Avigdor Lieberman, ancien ministre de la Défense, a affirmé qu’Israël avait fourni des armes à des gangs criminels gazaouis affiliés à ISIS.

Dans une interview accordée à la radio Kan Bet, Lieberman a déclaré : « Israël a donné des fusils d’assaut et des armes légères à des familles de criminels à Gaza sur ordre de Netanyahou. Je doute que cela soit passé par le cabinet de sécurité. Personne ne peut garantir que ces armes ne seront pas retournées contre Israël ».

Depuis le début de la guerre, plusieurs rapports suggèrent que  Netanyahou et de hauts responsables de Tsahal ont envisagé de confier la gestion locale de la bande de Gaza à de grands clans ou familles pour faire contrepoids au Hamas.

En réponse aux allégations de Lieberman, le bureau de Netanyahou a déclaré : « Israël s’efforce de vaincre le Hamas par divers moyens, comme l’ont recommandé tous les responsables de la sécurité ».

Les pages de Yasser Abou Shabab, qui se présente comme «Commandant en chef des Forces populaires», créées sur Facebook/Meta avec une petite dose d'intelligence artificielle
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HAARETZ
Armed Gaza Militia Rivaling Hamas Hands Out Aid in Israeli-controlled Zone

Analysis of satellite images and videos shows the Abu Shabab militia operating near Rafah along Gaza's main north-south route. Its armed members man checkpoints and distribute aid amid allegations that Netanyahu's government is arming ISIS-affiliated militias


Satellite images and videos posted online in recent weeks show that a new armed Palestinian militia has expanded its presence in southern Gaza, operating inside an area under the direct control of the Israel Defense Forces.Last month, Haaretz revealed the activities of a group calling itself the "Anti-Terror Service," operating in eastern Rafah. The group is reportedly led by Yasser Abu Shabab, a Rafah resident from a Bedouin family, known locally for his involvement in criminal activity and the looting of humanitarian aid late last year.
Sources in Gaza claim the group consists of roughly 100 armed men who operate with the tacit approval of the IDF. When asked for comment last week, an IDF spokesperson declined to respond to these claims.
The Abu Shabab militia operates east of destroyed Rafah, between the Morag and Philadelphi routes.Credit: Photo: Planet Labs PBC
In recent weeks, Abu Shabab launched two Facebook pages where he publishes anti-Hamas and anti-Palestinian Authority messages while promoting his militia's efforts to provide security and distribute aid to civilians.
Videos shared on these pages show his fighters wearing new uniforms, helmets, and vests emblazoned with insignias that include the Palestinian flag. Abu Shabab also shared the original Haaretz report about his group.
Some videos show the militia stopping and inspecting convoys from the Red Cross and the UN, guarding the Salah al-Din road, Gaza's main north-south route, and conducting armed formation drills.
In mid-April, four militia members were killed by an explosive device planted by Hamas. Although Hamas initially claimed the attack targeted an undercover Israeli unit, it later emerged that the casualties were members of Abu Shabab's group.
Yasser Abu Shabab next to a truck carrying hundreds of sacks of flour distributed to local residents, in a video he posted on his Facebook account this week
In a video posted this week, Abu Shabab claimed the four were killed while clearing homes in Rafah in preparation for the return of displaced residents. The video also described the deceased as former security officers or Palestinian Authority employees.
On Tuesday, Abu Shabab released another video showing his forces setting up a tent camp and unloading food from a truck. The accompanying message stated that "the popular forces have returned to eastern Rafah under the umbrella of Palestinian legitimacy, led by commander Yasser Abu Shabab."
Displaced Palestinians were invited to join the camp to receive food, shelter, and protection. Phone numbers were provided for coordination. The video also showed the distribution of hundreds of sacks of flour and food packages.
One of the senior members of the Abu Shabab militia, holding a shortened M16 rifle, alongside Red Cross personnel east of Rafah, two weeks ago.
Haaretz identified the tent camp's location in satellite imagery from Planet Labs, showing 16 tents under construction in a zone long controlled directly by the IDF – between the east-west Morag and Philadelphi routes, about five kilometers northeast of the Kerem Shalom crossing.
Previous efforts by Palestinian journalists and online activists to geolocate Abu Shabab's militia videos confirmed that they were also filmed in this same area (marked in red on the attached map).
UN maps from late 2023 designated the zone as "hazardous" due to frequent looting of aid convoys. In a past interview with The Washington Post, Abu Shabab admitted to looting some of the aid in order to feed local families.
The IDF declined to comment on the militia's activity in Gaza and referred Haaretz to the Shin Bet, which also refused to respond.
On Wednesday, Israeli lawmaker Avigdor Lieberman, a former defense minister, claimed that Israel has supplied weapons to ISIS-affiliated Gazan criminal gangs.
In an interview with Kan Bet radio, Lieberman said, "Israel gave assault rifles and small arms to crime families in Gaza on Netanyahu's orders. I doubt it went through the Security Cabinet. No one can guarantee these weapons won't eventually be turned against Israel."
Since the start of the war, there have been several reports suggesting that Netanyahu and senior IDF officials have considered transferring local governance in Gaza to large clans or families as a counterweight to Hamas.
In response to Lieberman's allegations, Netanyahu's office said: "Israel is working to defeat Hamas through various means, as recommended by all heads of the security establishment."

The two pages of Yaser Abu Shabab, who describes himself as ‘Commander-in-Chief of the Popular Forces’, created on Facebook/Meta with a small dose of artificial intelligence.
The private one : 

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The official one:
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Forger une nouvelle voie panafricaine : le Burkina Faso, Ibrahim Traoré et la Terre des hommes intègres


 

“Je suis à peine de retour que me submerge déjà la tragédie de ce territoire assiégé” : l’historien Jean-Pierre Filiu raconte son séjour à Gaza

 Dans son livre « Un historien à Gaza », paru le 28 mai aux Arènes (224 pages, 19 euros), Jean-Pierre Filiu évoque son voyage de trente-deux jours, du 19 décembre 2024 au 21 janvier 2025, au sein du territoire palestinien. Un témoignage rare, dont « Le Monde » publie des extraits en avant-première.

[« Rien ne me préparait à ce que j’ai vu et vécu à Gaza. Rien de rien. De rien. » Ainsi débute l’ouvrage de l’historien Jean-Pierre Filiu, récit des semaines passées dans la bande de Gaza au sein d’une équipe de Médecins sans frontières, en partie cantonnée à la « zone humanitaire » dans le centre et le sud de l’enclave, entre décembre 2024 et janvier 2025. Ce spécialiste du Proche-Orient se rend régulièrement à Gaza depuis les années 1980. En complément de son témoignage direct des ravages et des souffrances causés par la guerre déclenchée après l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, il propose une mise en perspective historique du conflit entre Israël et ce territoire occupé ou sous blocus depuis sa conquête en 1967. Un récit d’autant plus nécessaire que les autorités israéliennes interdisent à la presse étrangère l’accès à l’enclave. Qu’il s’achève sur les images de liesse lors de la trêve déclarée le 19 janvier rend plus déchirants les espoirs de paix, rompus par le blocus humanitaire décidé par l’Etat hébreu le 2 mars et la reprise des bombardements israéliens le 18 mars.]

Le choc

Redécouvrir Gaza dans la nuit de la guerre est déjà troublant. Mais ce sont des zones ravagées qui émergent de l’ombre à mesure de l’avancée du convoi [des humanitaires, coordonné avec l’armée israélienne]. Un paysage dantesque dont seuls se distinguent des éclats vite engloutis par l’épaisse noirceur. Une litanie de ruines plus ou moins amassées, plus ou moins effondrées qui défilent sans trêve jusqu’à acquérir la consistance d’une séquence continue d’épouvante. Ici c’est un pylône abattu aux branches tordues, là c’est une maison éventrée, plus loin un immeuble écroulé. Le convoi progresse à l’allure la plus vive que lui permet la chaussée défoncée. (…) Les radios crépitent de Jeep à Jeep des messages rassurants. Jusqu’ici tout va bien, relaient-ils en écho. L’invisible ligne de front a été franchie, affirment-ils. La zone d’attaque des pillards [qui s’en prennent régulièrement aux convois d’aide] est elle aussi bientôt dépassée, constatent-ils, sans masquer leur soulagement.

Il est près de minuit quand j’entends des témoignages poignants de la tragédie en cours à Beit Lahya, tout au nord de l’enclave, pratiquement coupée du monde depuis le début du mois d’octobre 2024. L’expression de nettoyage ethnique ne semble pas excessive pour qualifier l’expulsion méthodique de la population, la destruction tout aussi méthodique des bâtiments et le ciblage des derniers lieux de vie organisés que sont les hôpitaux. Je suis à peine de retour dans la bande de Gaza que me submerge déjà la tragédie de ce territoire assiégé.

Le ciel est couvert le lendemain matin, avec des averses intermittentes, tandis que je repars vers Khan Younès, cette fois par la route côtière. De part et d’autre, les tentes se succèdent sur des kilomètres, certains déplacés ayant planté leurs abris de fortune sur la plage, bravant les bourrasques et les rouleaux. Des enseignes surnagent, annonçant un salon de coiffure, une cafétéria ou une boutique aux noms d’autant plus alléchants qu’ils ne masquent que le manque. (…)

Dès le premier contact, les souvenirs de tant d’épreuves endurées débordent, dominés par l’invocation du foyer perdu, là-bas, ailleurs, dans les zones de combat et d’occupation, au nord, au centre, au sud, jusqu’à se retrouver parqués dans ce qui n’était auparavant qu’un immense terrain vague. On me raconte les morts, les disparus, les dépouilles toujours ensevelies sous les décombres, les fuites affolées, la peur au ventre, en serrant contre soi les enfants, les déplacements une fois, deux fois, dix fois, la douleur et la perte, le deuil et l’horreur. J’avais compris depuis longtemps que la Gaza que j’avais connue et arpentée n’existait plus. Maintenant je le sais. Et il me reste un mois pour appréhender une réalité aussi poignante.

En cette fin de 2024, les évaluations par l’ONU de la catastrophe humanitaire donnent le tournis : 87 % des bâtiments d’habitation (soit 411 000) ont été détruits totalement (141 000), sévèrement ou partiellement (270 000). Plus de 80 % des commerces et deux tiers du réseau routier sont hors d’usage. 1,9 million de femmes, d’hommes et d’enfants ont dû fuir d’une à dix fois, une enquête menée auprès des 800 employés locaux de MSF livrant une moyenne de cinq déplacements consécutifs.

Mais, derrière les données patiemment collectées par les organisations humanitaires, il y a la réalité des décharges à ciel ouvert où grouillent des enfants nu-pieds. Il y a les tentes de plastique qui vacillent sous le vent et la pluie, avec un simple balai pour soutenir l’ersatz de plafond et écluser les fuites à répétition. Il y a les trous creusés dans le sable en guise de sanitaires, avec une sommaire cloison de bâches pour préserver une illusion d’intimité. Il y a les puits domestiques forés à l’arrache au coin de la tente. Il y a la puanteur des cloaques de boue stagnante que l’humidité persistante interdit d’assécher.

[Le jour de Noël,] je pénètre dans Khan Younès en passant entre l’hôpital de campagne jordanien et un cimetière ouvert à tout vent. (…) Encore un virage, et un panorama s’offre à moi de ce qui fut Khan Younès. Et là, je chavire à la recherche de repères aujourd’hui pulvérisés, vacillant entre les cratères béants et les amoncellements de décombres. J’ai beau avoir fréquenté par le passé quelques théâtres de guerre, de l’Ukraine à l’Afghanistan, en passant par la Syrie, l’Irak et la Somalie, je n’ai jamais, au grand jamais, rien expérimenté de similaire. (…) Et je comprends mieux pourquoi Israël interdit à la presse internationale l’accès à une scène aussi bouleversante.

Alors je préfère me raccrocher aux éclats de vie qui surnagent d’un tel naufrage. Des fillettes, cartable au dos, surgissent du fond d’une venelle, où elles restent scolarisées dans un établissement soutenu par le sultanat d’Oman. Un rescapé, la tente fichée au milieu des gravats, préserve la décence de son abri en vidant un seau de déchets sur le seuil de sa « porte ». Une famille a trouvé refuge à l’étage d’un immeuble défiguré, avec son linge qui sèche sur un balcon branlant. Des tentes jettent des taches de couleur verte, bleue et rouge dans cet environnement de cendre. (…) Et si l’hôpital Dar Essalam, la « maison de la paix », se dresse encore de toute sa hauteur, il ne subsiste de lui qu’une carcasse vide et ravagée, calcinée de l’intérieur. Ci-gît la ville de Khan Younès en ce jour de Noël.

La survie

[Après de fortes pluies,] il faut ferrailler sur tous les fronts, rafistoler les toiles des tentes, combler les fuites généralisées, réparer les poteaux sur lesquels reposent les fragiles demeures. Les hommes taisent leur fatigue et leur peine, mais une vénérable grand-mère, grelottant dans un châle usé, prend le ciel à témoin qu’elle n’a « jamais eu aussi froid, jamais eu aussi faim ». Une femme, trempée de la tête aux pieds, pleure sur ses matelas gorgés d’eau et jure qu’elle est prête à ne plus rien manger : « Nous ne voulons plus de nourriture, nous voulons juste être au sec. » (…)

Pendant que l’eau du ciel dévaste à l’aveugle, il faut quand même recueillir l’eau potable de la consommation quotidienne. On se presse autour des points de distribution, avec des jerricans de 5, 10 et 25 litres, en plastique transparent, jaune ou bleu. Certains apportent des cuvettes ouvertes, des bidons de tôle et des récipients en tous genres, quitte à renverser un peu du précieux liquide, sous les sarcasmes de l’assistance. (…)

Une telle désolation en ferait oublier que Gaza a été durant des millénaires une oasis réputée pour la richesse de sa végétation et la douceur de son climat. (…) C’est l’occupation de 1967 qui fait basculer les ressources hydrauliques de Gaza sous la coupe d’Israël, avec d’abord l’implantation de Mekorot, la compagnie nationale des eaux de l’Etat hébreu, puis le détournement vers les colonies de peuplement. Celles-ci ont beau n’accueillir que quelques milliers de colons plutôt radicaux, elles accaparent un quart des terres de l’enclave et une allocation disproportionnée de l’eau.

La politique de la terre brûlée qui marque le retrait unilatéral de 2005 interdit à la population de Gaza de profiter des infrastructures établies au profit des colons. L’armée israélienne veille à maintenir l’ensemble du territoire sous son étroite dépendance, un étau qui se resserre en 2007 après la prise de contrôle par le Hamas et l’instauration d’un blocus rigoureux. (…)

A la veille du conflit en cours, l’allocation quotidienne en eau dans la bande de Gaza est d’environ 80 litres par personne, trois fois moins qu’en Israël. Elle a chuté, en ces derniers jours de 2024, à 9 litres par personne et par jour, dont seulement 2 litres d’eau potable.

Le Hamas

[Yahya] Sinouar [tué par l’armée israélienne le 16 octobre 2024, à Rafah] est le premier chef du Hamas à concentrer entre ses mains la direction à la fois politique et militaire du mouvement. Il entérine, en mai 2017, un programme qui envisage un Etat palestinien sur les seuls territoires occupés par Israël un demi-siècle plus tôt. Sinouar continue de refuser toute négociation avec Israël, se bornant à ne pas interdire à [Mahmoud] Abbas [le président de l’Autorité palestinienne (AP)] de mener de tels pourparlers et à en accepter par avance les conclusions. La clause est de pur style, [Benyamin] Nétanyahou [le premier ministre israélien] ayant depuis longtemps réduit les échanges avec l’AP à la simple « coopération sécuritaire », avant tout contre le Hamas.

Sinouar est bien conscient de la rancœur que suscitent, chez les habitants de Gaza, l’arbitraire, la brutalité et le népotisme du Hamas. Il n’en est que plus inquiet du calendrier électoral que des formations indépendantes du Fatah comme du Hamas ont réussi à leur imposer. Un scrutin législatif, en mai 2021, est censé être suivi, deux mois plus tard, par une élection présidentielle à laquelle le Hamas ne présentera pas de candidat. Mais Abbas suspend l’ensemble du processus en avril 2021. Les Etats-Unis et l’Union européenne, plutôt que de s’insurger contre ce déni de démocratie, sont soulagés d’avoir évité une éventuelle victoire islamiste en Cisjordanie. Peu leur importe à l’évidence que la population de Gaza soit alors prête à renverser dans les urnes le gouvernement du Hamas. C’est que le monde entier s’est accoutumé à ne considérer la bande de Gaza qu’au prisme du blocus, quitte à l’aménager de manière plus ou moins « humanitaire ». (…)

[Fin 2024, le gouvernement israélien] reste tiraillé entre des militaires qui estiment avoir depuis longtemps atteint leurs objectifs et des suprémacistes qui prônent à cor et à cri la recolonisation de l’enclave, un scénario de cauchemar pour l’état-major israélien.

Vue de Gaza en ce 2 janvier 2025, une telle impasse ne peut que faire le jeu du Hamas. Les ravages infligés à la bande de Gaza ont littéralement décimé la classe moyenne, ainsi que les milieux intellectuels, artistiques et universitaires qui, je peux en témoigner sur la durée, nourrissaient une distance critique, voire une contestation multiforme de la domination du Hamas. L’alternative de la société civile à la mainmise islamiste a tout bonnement sombré dans la mer des camps de tentes. La survie au jour le jour a renforcé la dépendance des foyers envers leur clan de rattachement, mais chacun de ces clans poursuit ses intérêts localisés et s’avère incapable de s’allier à d’autres clans pour constituer un contrepoids sérieux au Hamas

Les acteurs hors sol [du] Fatah pèsent relativement peu face à l’appareil, même résiduel, du Hamas. Certes, le mouvement a été décapité avec l’élimination par Israël [du chef politique du Hamas] Ismaïl Haniyeh, en juillet 2024, à Téhéran, puis de Sinouar. Quant aux brigades [Ezzedine Al-]Qassam, aux effectifs estimés entre 25 000 et 30 000 combattants en octobre 2023, elles ont subi des pertes considérables. Mais le chiffre de 17 000 tués, martelé par la propagande israélienne, n’a pas grand sens ; [il] permet en outre d’affirmer que les « terroristes » représenteraient un tiers des victimes à Gaza, soit une proportion « raisonnable », voire « humanitaire », de deux tiers de morts civiles. La compilation des sources israéliennes elles-mêmes aboutit en fait à un bilan d’environ 8 500 « militants » tués. Et c’est sans compter les nouvelles recrues que la soif de vengeance attire massivement vers les brigades Qassam. Israël a en outre une définition extensive des « terroristes » du Hamas qui inclut les dirigeants politiques, les cadres administratifs et les policiers.

Les profiteurs de guerre

Il est 2 h 30 du matin, le 4 janvier 2025, lorsque je suis réveillé par d’intenses échanges de tirs. L’accrochage se déroule à quelques centaines de mètres, sur la côte, entre la limite méridionale de la « zone humanitaire » et la frontière égyptienne. Cela fait déjà trois semaines que l’armée israélienne ratisse méthodiquement ce « bloc » qui porte le numéro 2360 dans sa nomenclature de la bande de Gaza. Elle en a progressivement chassé la population qui s’y était réfugiée (…). Cette nuit est claire et les quadricoptères israéliens peuvent de nouveau entrer en action. Leur cible est l’escorte de sécurité d’un convoi de 74 camions d’aide humanitaire affrété par l’ONU.

[Après le pillage de plusieurs convois humanitaires en décembre 2024,] l’armée israélienne a pourtant imposé cet itinéraire qui, à partir de Kerem Shalom [point de passage entre Israël et la bande de Gaza], suit le « corridor de Philadelphie » de la frontière égyptienne, avant de remonter le long de la côte. (…)  Les Nations unies accusent Israël d’avoir « lancé un drone sur un véhicule de la communauté locale qui assurait la protection d’une partie du convoi ». Une telle frappe ne peut qu’encourager les pillards qui se heurtent eux-mêmes à la sécurité du convoi, tandis que des habitants, attirés par le vacarme, se précipitent pour s’emparer d’une partie du butin. Le bilan est de onze tués, cinq par l’armée israélienne et six dans les échanges de tirs inter-palestiniens. Cinquante camions sur 74 sont finalement pillés, certaines marchandises se retrouvant sur le marché de Mawassi dès le lendemain matin, évidemment au prix fort. (…) Ces pillages, de plus en plus fréquents et de mieux en mieux organisés, en disent long sur la désintégration de l’ordre public dans la bande de Gaza. (…)

Les militaires israéliens prennent acte de leur incapacité à promouvoir une alternative clanique au Hamas et décident de miser plus ou moins ouvertement sur le crime organisé. La figure-clé de cette manœuvre est un membre jusque-là mineur d’une famille de Rafah, Yasser Abou Shebab, que le Hamas a emprisonné par le passé du fait, déjà, de ses différents trafics. Mais la protection israélienne permet à Abou Shebab d’étendre substantiellement ses activités et de débaucher, dans d’autres clans, une centaine de fidèles prêts à tout, souvent des repris de justice. Ce qu’il faut bien appeler un gang opère sous les yeux de l’armée israélienne, peu après le passage de Kerem Shalom, et il est doté d’armes flambant neuves, un indice irréfutable de sa collaboration avec les occupants. (…)

Durant le mois d’octobre 2024, ce sont 40 % des camions d’aide internationale qui sont pillés, peu après leur entrée par Kerem Shalom. A deux reprises, les 8 et 15 octobre, des drones israéliens ciblent les escortes des convois, tout en épargnant les pillards, qui n’hésitent pas à brutaliser, voire à tuer les chauffeurs.

Ce cercle vicieux du crime organisé aboutit à une hausse spectaculaire du prix des produits de première nécessité sur les marchés de Gaza, ce qui encourage en retour la participation de simples civils aux pillages organisés. (…) Dès le 18 novembre 2024, le Hamas riposte en tuant au moins vingt hommes de main d’Abou Shebab, dont son propre frère. Les autorités locales déclarent que cette opération contre les « gangs de voleurs » a été menée par « les forces de sécurité en coopération avec les conseils des clans ». (…)

Au fil de mes années à séjourner régulièrement à Gaza, j’ai recueilli de nombreux récits de dépossession et de fuite, de bombardements et de blessures. Mais jamais on ne m’a confié tant d’histoires de pillages avec un tel luxe de détails sordides. Chaque jour de cette fin de 2024 m’apporte son lot de bandes prenant d’assaut des convois humanitaires, de barrages improvisés par des coupeurs de routes, d’enfants s’accrochant aux camions pour en dérober un sac de farine ou deux. (…) Les bombardements israéliens ont permis à des milliers de délinquants de s’évader des prisons éventrées. Leur brutalité de prédateurs est leur meilleur atout dans l’effondrement de Gaza. (…)

Les tabous chutent les uns après les autres dans une société jusque-là aussi conservatrice que protectrice. Les femmes, très majoritairement voilées, laissent leur traditionnel sac à main à la maison pour ne plus porter qu’un modeste sac à dos, moins vulnérable aux voleurs à la tire. Des bandes d’enfants des rues, le visage noir de crasse, les vêtements rapiécés et les pieds nus, hantent les ronds-points pour mendier à coups de coups de poing dans les voitures. Les différends sur la redistribution des rares salaires et sur la répartition de l’aide minent les clans, quand ils ne les opposent pas les uns aux autres. Il ne se passe pas une journée sans que j’entende des rafales d’armes automatiques, vite identifiées comme des « disputes familiales ». (…)

Chaque jour aussi me reviennent, toujours insoutenables, des témoignages et des images de tirs dans les rotules. Le Hamas a en effet recours de manière publique et systématique au châtiment qu’il réservait, lors de la guerre civile de 2007, à ses ennemis du Fatah. Il s’agit cette fois de sanctionner les pillards, ou ceux qu’une parodie de justice a désignés comme tels, en les mutilant à vie. Des miliciens masqués traînent leur victime en pleine rue et tirent dans sa rotule à bout portant, tandis qu’un comparse cagoulé filme la scène. (…)

Nétanyahou et son gouvernement déclarent volontiers, quinze mois après le début de cette guerre, que « la solution politique à Gaza n’est pas à l’ordre du jour ». Cet acharnement israélien fait paradoxalement le jeu du Hamas, qui se pose en gardien de ce qui reste d’ordre face à la rapacité des pillards. Mais il s’agit d’un Hamas sensiblement dégradé par l’élimination de ses dirigeants historiques et de ses cadres les plus exposés, donc souvent les plus politiques. La liquidation d’une telle hiérarchie laisse un vide que la piétaille du mouvement, jusque-là chargée des basses œuvres, a occupé par défaut. Et l’aveuglement des envahisseurs finit par livrer le territoire à ces islamistes de choc, plus enclins aux tabassages qu’aux sermons.

Les témoins

L’historien sait d’expérience comment les opinions s’accommodent progressivement des conflits qui s’installent dans la durée. Il n’en est pas moins troublant de constater que la guerre de Gaza s’est banalisée encore plus vite que celle de l’Ukraine. (…)

Vu depuis la bande de Gaza, c’est bel et bien sur le front médiatique qu’Israël a remporté sa seule victoire incontestable du conflit. Une victoire d’autant plus facile que la presse internationale ne s’est pas beaucoup battue pour exercer son droit à l’information libre à Gaza. (…) C’est ainsi que les victimes de Gaza sont tuées deux fois. La première fois quand la machine de guerre israélienne les frappe directement dans leur chair ou les étouffe à petit feu sous leurs tentes. La seconde quand l’intensité de leur souffrance et l’ampleur de leurs pertes sont niées par la propagande israélienne, quand elles ne sont pas accusées d’être collectivement ou individuellement des « terroristes ».

Les médias occidentaux qui ont accepté d’être interdits de Gaza continuent pourtant de professer un improbable équilibre entre l’envahisseur et les populations qu’il refoule et affame sur leur propre terre. Et ils sont encore nombreux à ne pas traiter sur un pied d’égalité les journalistes palestiniens qui risquent leur vie, jour après jour, pour informer le monde sur l’enfer de Gaza.

Les femmes et les enfants

Un tiers de la population de la bande de Gaza, le tiers le plus jeune et le plus prometteur, est déscolarisé. (…) Les enfants de la Gaza d’avant avaient uniformes et cartables, près de la moitié d’entre eux fréquentaient les établissements de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, dont Israël a décidé d’interdire les activités à la fin de janvier 2025. Alors ce sont des enfants des rues qu’accompagne la mort d’aujourd’hui dans leurs nouvelles errances. Dans les décharges à ciel ouvert qu’ils fouraillent en quête de papier, de carton, de nylon, de tout ce qui pourrait servir à nourrir un peu de feu et donner un peu de chaleur. Aux points d’eau où ils traînent des jerricans à peine moins grands qu’eux. Sur les bords poussiéreux des routes, où ils haranguent le chaland avec un langage de charretier, où ils écoulent la farine à l’assiette et où ils fourguent des bricoles glanées on ne sait où. (…)

L’Unicef estime depuis des mois que pratiquement tous les enfants de la bande de Gaza ont un besoin pressant de soutien psychosocial et de santé mentale. Et ce qui vaut pour les jeunes vaut aussi pour les adultes. Il n’y a que quatre psychiatres dans toute l’enclave, un dans la ville de Gaza, deux dans la « zone humanitaire » et un à Rafah. (…)

La dégradation désastreuse de l’hygiène frappe les femmes encore plus que les hommes. Elles sont deux fois plus nombreuses qu’eux à souffrir d’infections de la peau et elles représentent deux tiers des victimes de l’hépatite A et des infections gastro-intestinales, sans doute du fait de leur rôle essentiel dans le soin des malades. Quant aux pénuries calamiteuses de serviettes hygiéniques, elles ajoutent une souffrance supplémentaire à quelque 700 000 femmes de Gaza, contraintes de recourir à de simples chiffons.

La descente aux enfers des femmes de l’enclave palestinienne pourrait s’arrêter là. Mais les Nations unies lancent dès mai 2024 un cri d’alarme sur la vulnérabilité croissante des femmes et des filles de Gaza aux violences sexuelles et sexistes. Le confinement d’une marée humaine dans la prétendue « zone humanitaire » ne fait depuis lors qu’aggraver la promiscuité, avec tous ses risques et ses zones d’ombre. Le tabou de la dénonciation des violences domestiques commence à tomber. Quant aux violences sexuelles, elles ont atteint une telle gravité que le ministère de la santé édicte, en octobre 2024, les procédures à suivre en cas de viol, avec avortement « facilité » jusqu’au 120e jour de la grossesse. Par ailleurs, certaines familles, effrayées par l’absence d’intimité dans leurs abris de fortune, décident de marier au plus tôt leurs filles pour qu’elles jouissent d’une forme de protection. Comme si le mariage n’était plus qu’un réflexe de survie face à la mort nouvelle qui s’est abattue sur Gaza. (…)

L’impasse et l’abandon

Le peuple de Gaza se sait abandonné du monde. Il a d’abord cru que les images du carnage bouleverseraient l’opinion internationale et la contraindraient à agir pour y mettre fin. Réaliser qu’il n’en serait rien fut une douloureuse prise de conscience, qui ajouta ses plaies à celles des corps blessés. On maudit la passivité des régimes arabes, voire leur complicité. On n’attend pas grand-chose des Etats européens, dont pas un représentant n’a exigé d’être admis à Gaza. (…)

Cela faisait déjà seize années, au 7 octobre 2023, que la bande de Gaza et son peuple étouffaient d’une triple impasse, une impasse israélienne, une impasse palestinienne et une impasse humanitaire. L’impasse israélienne découlait et découle du refus de traiter Gaza autrement que du strict point de vue de la sécurité de l’Etat juif, sans aucun égard pour la réalité humaine de Gaza et ses dynamiques sociopolitiques. Un tel aveuglement, en soi discutable en termes éthiques, n’a pas épargné à Israël la journée la plus sanglante de son histoire. (…) L’impasse palestinienne découlait et découle de la précédente, ainsi que de la priorité absolue que les factions palestiniennes ont accordée à leurs intérêts propres, sans égard pour les droits nationaux et l’intégrité physique du peuple palestinien. (…) L’impasse humanitaire découlait et découle des deux précédentes, puisqu’il est vain de prétendre assister dans la durée une population privée de perspective politique et livrée, même à distance, aux diktats de l’occupant. (…)

Non, rien n’a changé sous le ciel de Gaza, qui ne s’ouvrira vraiment que lorsque s’ouvrira, elle aussi, la route vers un Etat palestinien vivant en paix aux côtés d’Israël. Non, ce qui a changé par rapport aux conflits précédents, relativement limités dans le temps et dans leurs destructions, c’est que les ravages se sont cette fois poursuivis avec méthode et système, semaine après semaine, mois après mois. Non, ce qui a changé, c’est que notre monde ne pouvait cette fois prétendre ignorer l’ampleur d’un tel désastre et que notre monde a laissé faire quand il n’a pas applaudi. (…)

Gaza ne s’est pas juste effondrée sur les femmes, les hommes et les enfants de Gaza. Gaza s’est effondrée sur les normes d’un droit international patiemment bâti pour conjurer la répétition des barbaries de la seconde guerre mondiale. (…) Gaza est désormais livrée aux apprentis sorciers du transactionnel, aux artilleurs de l’intelligence artificielle et aux charognards de la détresse humaine. Et Gaza nous laisse entrevoir l’abjection d’un monde qui serait abandonné aux Trump et aux Nétanyahou, aux Poutine et aux Hamas, un monde dont l’abandon de Gaza accélère l’avènement.