Après le
raid aérien sur l’hôpital Nasser, notre appel est plus urgent que jamais : les
reporters palestiniens ont besoin d’une protection internationale immédiate,
sinon la voix de Gaza sera réduite au silence.
Maryam
Abu Daqqa, 8 octobre 2020. (Avec l’aimable autorisation de la famille Abu
Daqqa)
Maryam Abu
Daqqa était mon amie. Elle était photojournaliste et mère. Lundi, elle a été
tuée par l’armée israélienne lors d’une « double frappe » sur l’hôpital Nasser,
avec quatre autres journalistes. Elle avait 32 ans.
J’ai
rencontré Maryam pour la première fois en 2015 lors d’un cours de photographie
au centre italien de Gaza, où elle était l’une des stagiaires. J’ai été attirée
par son énergie. Je me souviens avoir pensé qu’elle parlait très vite, comme si
elle avait plus d’idées qu’elle n’avait de temps pour les exprimer.
Elle venait
d’Abasan, à l’est de Khan Younès, une ville agricole célèbre pour ses fruits,
ses légumes et sa cuisine délicieuse. Chaque fois que je faisais un reportage
sur l’agriculture dans cette région, je savais que je pouvais me tourner vers
elle. Elle était toujours prête à aider, et ses photos du village et de ses
habitants ne manquaient jamais de m’inspirer.
Au début, je
ne savais pas que Maryam était mère. Un jour, avant la guerre, alors que je
travaillais à Abasan, j’ai entendu un garçon l’appeler : « Maman ! » J’ai été
surprise. Elle a ri et m’a présenté son fils. « Voici Ghaith », m’a-t-elle dit
fièrement. « C’est mon homme, et il me protégera quand il sera grand. » Elle m’a
dit que tout son travail était pour lui.
Depuis le
début de la guerre, j’avais vu Maryam à plusieurs reprises sur le terrain. Nous
nous saluions toujours et nous nous assurions que tout allait bien, mais nous
ne parlions pas beaucoup. Nous étions toujours fatiguées et stressées. Les
seuls moments où nous pouvions vraiment discuter étaient à l’hôpital de Khan
Younès, où elle venait souvent faire du reportage.
Je me
souviens l’avoir rencontrée lors de l’offensive
israélienne sur Rafah en mai 2024. Mon caméraman avait été contraint de
fuir vers le nord, à Deir al-Balah, me laissant filmer seule avec mon
téléphone. Maryam est apparue dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital
européen, où j’interviewais un médecin usaméricain. Voyant que j’avais du mal
avec ma caméra, elle m’a immédiatement aidée à régler les paramètres et m’a
donné quelques conseils. Elle avait l’air épuisée et pouvait à peine marcher. C’était
une facette d’elle que je n’avais pas l’habitude de voir.
Les
Palestiniens font leurs adieux aux journalistes tués lors d’une frappe aérienne
israélienne devant l’hôpital Nasser à Khan Younès, dans le sud de la bande de
Gaza, le 25 août 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Avant qu’elle
ne parte, je l’ai serrée dans mes bras et lui ai demandé d’être prudente. J’avais
peur pour elle ; je savais qu’elle avait travaillé dans les zones dangereuses
de l’est de Khan Younès quelques semaines auparavant. La dernière fois que je l’avais
vue, c’était en avril, à l’hôpital Nasser, là même où, quelques mois plus tard,
elle allait être tuée par l’armée israélienne.
Le jour où
Maryam a été tuée avec 19 autres personnes lors de l’attaque contre l’hôpital,
j’étais à proximité avec ma famille dans le camp de réfugiés de Khan Younès.
Une explosion assourdissante a secoué le sol. Ma mère a suggéré qu’il s’agissait
peut-être d’une maison qui avait été touchée, mais lorsque j’ai enfin trouvé un
signal Internet et consulté les informations, la vérité m’est apparue
clairement. Le chagrin et l’incrédulité étaient accablants.
J’ai pensé à
son fils, Ghaith, le garçon qu’elle appelait autrefois son protecteur, dont
elle prenait tant soin. J’ai pensé à son père, à qui elle avait donné un rein
pour lui sauver la vie. J’ai pensé à mon amie, audacieuse, aventureuse,
toujours attentionnée envers les autres.
Aucun mot
ne peut décrire ce que nous ressentons
Depuis
octobre 2023, Israël a tué au moins 230
journalistes dans la bande de Gaza, soit plus que le nombre total de
journalistes tués dans le monde au cours des trois années précédentes, selon
le Comité pour la protection des journalistes. Au cours du seul mois
dernier, 11 journalistes gazaouis ont été tués lors de frappes israéliennes,
dont Maryam.
Le 10 août,
cinq journalistes ont été tués lorsque l’armée israélienne a pris pour cible
une tente de journalistes juste à l’extérieur de l’hôpital al-Shifa, dans la
ville de Gaza. Ce jour-là, alors que je parcourais mon téléphone à la recherche
d’informations sur un éventuel cessez-le-feu, j’ai commencé à recevoir des
messages de collègues à l’étranger qui prenaient de mes nouvelles et me
demandaient si j’allais bien. Alarmée, je me suis tournée vers les groupes d’information,
qui étaient inondés de premiers rapports sur l’attaque.
Un
journaliste palestinien pleure Anas Al-Sharif et ses autres collègues après
leur mort dans la même frappe israélienne, à Gaza, le 11 août 2025. (Yousef
Zaanoun/Activestills)
Parmi les
six noms mentionnés, l’un d’eux a retenu mon attention : Anas Al-Sharif.
Je n’étais pas une amie proche d’Anas, je ne lui avais parlé que quelques fois
au sujet de l’actualité dans le nord de Gaza, mais j’avais l’impression de bien
le connaître grâce à ses reportages.
Bien qu’il
ait été journaliste à l’antenne depuis moins de deux ans, Anas avait laissé une
empreinte indélébile. Âgé de 28 ans, marié et père de deux enfants, Anas
parcourait sans relâche le nord de Gaza, recueillant les témoignages des
habitants et documentant le génocide en cours avec une honnêteté sans faille.
Même après avoir perdu son père
lors d’une frappe aérienne israélienne en décembre 2023, il a refusé d’abandonner
sa mission de dire la vérité, tout en endurant les mêmes privations que ses
voisins.
En effet,
tous les journalistes de Gaza ont été confrontés ces deux dernières années à la
faim, au déplacement et à la perte de leur maison et de membres de leur
famille, tout en essayant de relayer la réalité brute de Gaza au monde entier.
Moi aussi, j’ai passé de longues heures dans les rues sans abri. Ma mère
malade, qui se remet encore difficilement d’une opération de la colonne
vertébrale, marche à mes côtés et à ceux de ma sœur tandis que nous cherchons
un endroit, n’importe quel endroit, où nous réfugier.
J’aime mon
métier de journaliste, tout comme mon travail d’enseignante, mais je suis
dévastée et terrifiée. Cela fait plus de 680 jours que je travaille sans
interruption, avec des coupures d’Internet constantes, sans électricité, sans
abri sûr et sans moyen de transport. J’ai continué à faire du reportage depuis le début de la guerre parce que je crois en cette mission, mais je le fais
en sachant que chaque jour pourrait très bien être le dernier. Aucun mot ne
peut décrire ce que nous ressentons en tant que journalistes face à la perte
successive de nos collègues.
Pourquoi
Israël cible-t-il les journalistes palestiniens à Gaza ? C’est simple. Nous
sommes les seuls à pouvoir documenter et transmettre ce qui se passe réellement
sur le terrain. Chaque image, chaque témoignage, chaque émission que nous
produisons perce le mur du discours officiel d’Israël. Cela nous rend dangereux
: en enregistrant les déplacements de population, la famine et les
bombardements incessants, nous exposons les actions d’Israël au monde entier.
Le
site d’une frappe aérienne israélienne à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans
le sud de la bande de Gaza, le 25 août 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
C’est
pourquoi nous sommes délibérément attaqué·es. Les caméras sont considérées
comme des armes, et ceux·celles qui les tiennent comme des combattant·es. Notre
simple présence menace la capacité d’Israël à poursuivre sa politique
génocidaire, c’est pourquoi il fait tout ce qu’il peut pour nous éliminer.
Un besoin
désespéré de protection
Au début du
mois, après deux ans de pression de la part des organismes de presse
internationaux, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré qu’Israël
autoriserait les journalistes étrangers à entrer à Gaza afin de témoigner des «
efforts humanitaires d’Israël » et des « manifestations civiles contre le Hamas
». En l’absence de détails ou de calendrier, il est difficile de ne pas y voir
un nouveau mensonge. Mais même si la presse internationale était autorisée à
accéder librement et sans entrave à la bande de Gaza, à quoi cela servirait-il
si les journalistes palestiniens à Gaza restaient sans protection ?
Nous sommes
fatigué·es de travailler sans relâche depuis deux ans, sans repos ni sécurité,
dans un état d’anxiété permanent, craignant d’être tué·es à tout moment. Et si
nous demandons à nos collègues internationaux d’entrer à Gaza pour faire
connaître au monde entier la réalité brutale qui y règne, nous savons que leurs
reportages ne différeront pas de ce que nous avons déjà documenté.
Lorsqu’un
journaliste de CNN a accompagné un avion jordanien qui larguait de l’aide
au-dessus de Gaza ce mois-ci et qu’il a vu l’enclave depuis le hublot de l’avion,
il a décrit « une vue panoramique de ce qu’ont causé deux ans de bombardements
israéliens... une dévastation totale sur de vastes zones de la bande de Gaza,
un désert de ruines choquant ». C’est ce que nous disons depuis près de deux
ans sur le terrain : la destruction de Gaza par Israël est massive, et elle ne
fera que se poursuivre tant que la guerre ne prendra pas fin.
Quand j'avais
9 ans, ma maison dans le camp de réfugiés de Khan Younès a été détruite par un bulldozer
israélien. Cette image ne m'a jamais quitté. Et quand j'ai vu
des journalistes s'efforcer de raconter au monde entier ce qui était arrivé à
ma maison, j'ai décidé que je voulais devenir journaliste moi aussi.
Je pense que
les journalistes ont une immense valeur, mais à Gaza, ils·elles sont tué·es
sous les yeux du monde entier et personne n'agit. Nous craignons de perdre
d'autres collègues et nous avons désespérément besoin de la protection
internationale, avant qu'Israël ne parvienne à faire taire la voix de Gaza.
Des colons
masqués, armés de matraques, ont surgi au milieu de la nuit et ont incendié des
voitures en mettant le feu à leur moteur. Les soldats, arrivés une heure plus
tard, ont tiré des gaz lacrymogènes sur les habitants qui tentaient encore d’éteindre
les flammes.
Mohammad
Romaneh, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des
droits humains B’Tselem, affirme n’avoir jamais été témoin d une série d’attaques
aussi coordonnées et bien orchestrées que celles de la nuit du 31 juillet.
Dans trois
communautés palestiniennes différentes de Cisjordanie, des dizaines d’habitants
se sont réveillés exactement au même moment, peu après 2 h 15 du matin, et ont
vu leurs voitures partir en fumée dans la cour de leur maison. Les flammes ont
également léché les maisons et mis en danger leurs occupants. Dans les trois
endroits – la ville de Silwad et les villages de Ramun et Abu Falah, tous
situés dans la même région, près de Ramallah – le mode opératoire était le même
: des individus masqués ont fait irruption et ont commencé à incendier des
voitures à un rythme rapide, en mettant d’abord le feu aux moteurs.
Une attaque
particulièrement audacieuse a été menée à Silwad, où des colonsse sont infiltrés pour la première fois ; ils se sont
répartis en trois groupes et ont incendié des voitures garées devant trois
maisons. Des voitures pour prendre la fuite les attendaient à un kilomètre de
là, sur l’autoroute 60, qui traverse la Cisjordanie.
Dans tous
les cas, des matériaux inflammables ont été utilisés pour attiser les incendies
et provoquer des explosions lorsque les Palestiniens ont versé de l’eau dessus.
Des témoins oculaires ont rapporté que les voitures ont pris feu très
rapidement et que la chaleur semblait inhabituellement intense.
Une nouvelle
colonie a été établie il y a environ un an sur des terres appartenant à Silwad.
Elle est actuellement habitée par deux familles de squatteurs qui ont pris le
contrôle de pas moins de 10 000 dunams (1000 hectares) de terres agricoles,
soit apparemment environ la moitié de toutes les terres agricoles de la ville,
auxquelles les habitants ne s’approchent plus par crainte de représailles de la
part des colons.
Quoi qu’il
en soit, tôt ce vendredi matin, les pogromistes, qui sont arrivés à pied dans
la ville, ont laissé des graffitis injurieux en hébreu et une traînée de
destruction. Une personne est également morte sur place, probablement des
suites d’une inhalation de fumée, alors qu’elle tentait d’éteindre l’incendie
de la voiture de son frère. Le défunt, Khamis Ayyad, 40 ans, père de cinq
enfants, était un citoyen usaméricain qui exploitait un service de livraison à
Chicago depuis la ville de Cisjordanie.
Restes
d’une voiture incendiée à Silwad, il y a environ un mois. Romaneh, chercheur à
B’Tselem, est convaincu que l’attaque avait été planifiée à l’avance, y compris
la collecte de renseignements.
Hussein
Hamad, ancien ouvrier du bâtiment âgé de 67 ans et père de sept enfants, vit
avec sa famille élargie dans un spacieux immeuble de trois étages à Silwad. Hamad
s’est réveillé à 2 h 15 du matin au bruit de pierres qui tombaient. Son fils,
Rifat, 47 ans, qui travaille dans une usine de marbre, a également été réveillé
par le bruit dans son appartement. En regardant par la fenêtre, Rifat a vu deux
hommes masqués s’éloigner vers l’ouest, en direction de l’autoroute 60. Il
était certain qu’il s’agissait de voleurs, a-t-il déclaré cette semaine au
journal Haaretz.
Il n’aurait
jamais imaginé que des colons puissent entrer à pied dans une ville
palestinienne et incendier des voitures. Hamad leur a crié en arabe, et ils lui
ont répondu en hébreu, une langue que Rifat ne parle pas. Il a alors compris
que les colons étaient déjà passés devant sa maison. En descendant, il a
découvert un spectacle aussi effrayant qu’étonnant : quatre des véhicules de la
famille, garés dans la cour, étaient en flammes.
Le SUV Kia
Sorento de son père, le véhicule utilitaire Mercedes-Benz 416 que Rifat utilise
pour son travail, la Hyundai appartenant à sa sœur Aya et la Mazda de son frère
Nur – tous brûlaient violemment. Seule la Skoda de Rifat a été épargnée.
Les flammes
se sont propagées et ont commencé à brûler les murs du bâtiment dans lequel
vivent 13 membres de la famille, dont deux jeunes enfants et une femme
enceinte. La Mercedes était garée devant la fenêtre d’un débarras où se
trouvait un bidon de fioul destiné au chauffage en hiver. Si le feu s’était
propagé à cet endroit, une catastrophe encore plus grave aurait pu se produire.
Rifat s’est précipité pour aller chercher un tuyau d’arrosage afin d’éteindre
les flammes, mais celles-ci n’ont fait que monter plus haut, et des explosions
ont également été entendues, probablement dues au phosphore ajouté par les
pyromanes.
Pendant ce
temps, deux voitures ont pris feu dans la cour des voisins, qui vivent aux USA.
Mohammed Atshe, 40 ans, qui se trouvait dehors avec sa femme et leur fils de 4
ans, essayant de faire dormir le petit, a raconté à Romaneh, de B’Tselem, qu’il
avait remarqué quatre silhouettes qui erraient dans les environs. Pensant qu’il
s’agissait d’un incident entre voisins, il leur a crié : « Shebab, hadu » – «
Les gars, calmez-vous ».
Les quatre
se sont tournés vers lui, et il a vu qu’ils tenaient des gourdins. Ils lui ont
crié dessus en hébreu, qu’il ne comprend pas, et, réalisant qu’il s’agissait de
colons, il a couru aussi vite qu’il le pouvait avec sa femme et son fils vers l’immeuble
des Hamad, où il a vu d’autres voitures en feu. Avec sa femme et son enfant, il
s’est enfui vers le centre de la ville, où les habitants qui avaient entendu
les explosions s’étaient rassemblés. Les habitants ne croyaient toujours pas qu’ils
étaient attaqués par des colons, qui avaient osé entrer dans la ville à pied.
Un incendie
s’est également déclaré près d’une autre maison, à quelque distance de celle
des Hamad et des Atshe. Avant de s’enfuir vers l’autoroute 60, les colons ont
incendié une Ford Focus appartenant à Anas Ayyad, 39 ans, un citoyen usaméricain
qui vit avec sa famille dans une villa à la périphérie ouest de Silwad. Sa
voiture était également garée dans la cour, et non dans la rue.
À ce
moment-là, les habitants tentaient d’éteindre l’incendie qui ravageait le
bâtiment des Hamad. Certains jeunes qui ont poursuivi les incendiaires ont
raconté plus tard à Romaneh que deux véhicules, une camionnette et une voiture
particulière, les attendaient sur l’autoroute. Les auteurs ont pris la fuite
vers le sud, en direction d’Ofra et d’autres colonies situées le long de la
route.
Une
voiture incendiée à Silwad, il y a environ un mois. Les assaillants sont entrés
à pied, ont utilisé un accélérant pour intensifier le feu et ont laissé
derrière eux un slogan haineux en hébreu.
Près d’une
heure s’est écoulée avant que les pompiers et les secours arrivent à Silwad tôt
ce matin-là, en provenance de la ville de Bir Zeit, près de Ramallah. Environ
un quart d’heure plus tard, une force militaire israélienne est arrivée à la
résidence Hamad. Les soldats ont lancé des gaz lacrymogènes sur ceux qui
luttaient encore contre les flammes.
Les
habitants affirment que l’armée aurait dû voir les événements se dérouler
depuis le poste de contrôle qui sépare le village de Yabrud de Silwad, et qui
est visible à l’œil nu.
À 4 h 30, d’autres
soldats sont arrivées. Un soldat arabophone a interrogé Rifat. L’après-midi suivant, des
policiers sont arrivés, escortés par l’armée. Ils ont photographié les
carcasses fumantes des voitures, recueilli le témoignage de Rifat et confisqué
la caméra de sécurité installée sur la clôture de l’école en face du bâtiment
des Hamad. Les forces israéliennes n’ont pas pris la peine de se rendre au
domicile d’Anas Ayyad. La même nuit, un message a été publié dans le groupe
WhatsApp de Silwad annonçant la mort de Khamis Ayyad.
Mais les
raids ne se sont pas limités à Silwad, comme on l’a dit. Au même moment, des
colons masqués sont entrés dans le village de Ramun, à environ 4 kilomètres à l’est,
et ont incendié quatre ou cinq voitures. À Khirbet Abu Falah, à environ 10
kilomètres au nord de Silwad, d’autres maraudeurs ont incendié une voiture et
deux oliviers.
Selon
Romaneh, plusieurs groupes de colons ont agi séparément, compte tenu du laps de
temps et de la distance entre les sites. Mais la méthode était identique dans
les trois endroits. Le chercheur de terrain affirme être certain que toute l’opération
avait été planifiée à l’avance, y compris la collecte de renseignements.
Plus tard
dans la matinée, la famille Hamad a fait enlever les restes des véhicules et a
commencé à réparer l’entrée noircie du bâtiment. Les travaux de rénovation
étaient terminés lorsque nous nous sommes rendus sur place cette semaine ; tous
les véhicules, à l’exception de la Mercedes utilitaire, étaient complètement
détruits. Bien sûr, leur assurance ne couvre pas les actes de violence commis
par les colons. Rifat estime les dommages à 270 000 shekels (environ 70 000 €),
auxquels s’ajoutent 10 000 shekels pour la réparation de l’entrée et le
remplacement des fenêtres brisées par le feu. À cela s’ajoutent des dépenses
supplémentaires, notamment pour l’éclairage, de nouvelles caméras et un
portail. Le châssis calciné d’une des voitures a été laissé à l’extérieur du
débarras en guise de mémorial improvisé.
Une
voiture incendiée par des colons devant une maison à Silwad, dont les
propriétaires vivent aux USA.
Nous nous
rendons en voiture chez la famille Ayyad. Khamis a vécu 17 ans à Chicago avant
de revenir dans sa ville natale il y a cinq ans afin d’y élever ses cinq
enfants nés aux USA. En raison de son travail, Khamis avait adapté son emploi
du temps à l’heure de l’Illinois : il se couchait à 5 heures du matin et se
levait à midi.
Son frère,
Anas, qui a vécu pendant 20 ans en Pennsylvanie, est également citoyen usaméricain
et est également revenu en Cisjordanie avec sa femme et ses enfants. Anas nous
raconte qu’il s’est réveillé vers 2 h 30 du matin ce vendredi-là à cause du
bruit dans la cour. Sa Ford était déjà en feu. Khamis, qui habitait à
proximité, s’est précipité pour aider à éteindre les flammes. Mais celles-ci et
la fumée ne faisaient que monter plus haut.
Après avoir
réussi à éteindre le feu, Khamis a dit à Anas qu’il ne se sentait pas bien. Il
s’est soudainement mis à vomir. Anas l’a emmené d’urgence à la clinique
médicale d’urgence locale. À leur arrivée, Khamis a cessé de respirer ; il a
alors été évacué vers l’hôpital gouvernemental de Ramallah, où son décès a été
prononcé.
Selon Anas,
le scanner réalisé sur son frère a montré que ses poumons avaient été brûlés
par la fumée qu’il avait inhalée. Les résultats de l’autopsie, réalisée par la
suite à l’hôpital An-Najah de Naplouse, n’étaient pas encore connus au moment
de la rédaction de cet article.
Quelques
jours plus tard, Anas a été convoqué au poste de police du district de Binyamin
pour témoigner. Lorsqu’il est arrivé à l’heure prévue, l’agent à l’entrée lui a
dit qu’il n’avait pas de rendez-vous et l’a renvoyé. C’est la dernière fois qu’il
a eu des nouvelles de la police.
Un
porte-parole de la police israélienne a envoyé cette semaine la réponse
suivante à une question du journal Haaretz, qui est confuse et contredit
la version des faits d’Anas : « En ce qui concerne les domaines de
responsabilité, nous tenons à préciser que l’armée israélienne, le Shin Bet
[service de sécurité] et la police opèrent chacun dans le cadre de leur sphère
de compétence, conformément aux procédures d’application de la loi en vigueur à
Ayosh [région de Judée-Samarie] et à sa division en zones A/B/C.
L’armée
israélienne, en tant que souveraine dans ce domaine, est chargée de prévenir
les événements violents et de [maintenir] la sécurité courante dans les zones A
et B. Le pouvoir d’enquête dans les affaires impliquant des violences
criminelles est attribué à la police israélienne, dans certains cas avec l’aide
du Shin Bet. Dans chaque enquête menée par la police du district de Shai
[Judée-Samarie], dans les cas de violence extrême, la police met en œuvre tous
les moyens et toutes les capacités à sa disposition pour traduire les auteurs
en justice ».
Hussein
Hamad près de son domicile à Silwad, il y a environ un mois. Une force
militaire israélienne est arrivée plus d’une heure après le début des
incendies, alors qu’elle aurait pu voir ce qui se passait depuis le poste de
contrôle.
«
Contrairement à ce qui est affirmé, le frère de l’homme qui a été tué n’a pas
été « expulsé » de la station de Binyamin. Une enquête a révélé que la première
fois, un garde à l’entrée de la zone industrielle de Shaar Binyamin ne l’avait
pas autorisé à entrer, conformément aux directives de sécurité de l’armée
israélienne, qui interdisent l’entrée des Palestiniens sans coordination
préalable. De plus, la convocation initiale qu’il avait reçue concernait un
autre poste, et non celui de Binyamin.
La deuxième
fois, après qu’il a été convoqué au poste de Binyamin, une coordination
appropriée a été effectuée avec le consulat [usaméricain], et il est entré dans
le poste sans retard inutile. L’ensemble de la procédure requise a été menée
sur place de manière complète et professionnelle.
Nous tenons
à souligner que l’enquête est menée de manière professionnelle et approfondie
par l’unité centrale du district de Shai, qui met tout en œuvre pour retrouver
les auteurs des infractions et les traduire en justice. »
Le
service du porte-parole de l’armée israélienne a déclaré : « Des informations
ont été reçues concernant l’incendie de biens et de véhicules à Silwad, Khirbet
Abu Falah et Ramun, qui se trouvent [dans le périmètre] de la brigade de
Binyamin. Dès réception de ces informations, les forces de sécurité se sont
précipitées sur les lieux. Au cours des perquisitions menées par les troupes à
Silwad et Khirbet Abu Falah, des voitures incendiées et des graffitis en hébreu
ont été découverts, mais aucun suspect n’a été localisé. Lorsque les forces
sont arrivées pour fouiller Kafr Ramun, aucune découverte n’a été faite et
aucun suspect ni incendie criminel n’a été identifié dans la zone. À la suite
de ces événements, des enquêtes ont été ouvertes par la police israélienne».
Jude, le
fils de Khamis âgé de 8 ans, erre dans la maison, hébété, et ne répond pas aux
questions des étrangers. Comme ses frères et sœurs, il est né à Chicago et son
père est maintenant mort à Silwad dans un incendie allumé par des colons. À l’exception
de Haaretz, aucun média israélien n’a rendu compte de ces incidents.
Les photos
prises par Romaneh, chercheur de terrain pour B’Tselem, le lendemain des
invasions sont sinistres : des châssis de voitures calcinés, des murs
carbonisés et, griffonné en rouge sur un mur du bâtiment de la famille Hamad, «
Vengeance des Juifs nazis » – avec une étoile de David à côté.
Yossi
Melman est commentateur spécialisé dans les questions relatives aux services de
renseignement israéliens et réalisateur de documentaires.
Dan Raviv est un ancien correspondant de CBS et animateur du podcast “The
Mossad Files”. Ils sont les coauteurs de “Spies
Against Armageddon: Inside Israel’s Secret Wars” (Les espions contre l’Armageddon
: dans les coulisses des guerres secrètes d’Israël).
Faits saillants du rapport
1.Opérations secrètes : des
commandos recrutés par le Mossad, les services secrets israéliens, en Iran et
dans les pays voisins ont détruit les défenses aériennes iraniennes dans les
premières heures d’une attaque menée en juin.
2.Collecte de renseignements
: des agents israéliens ont identifié les chambres où dormaient les
scientifiques nucléaires iraniens, ce qui a permis de mener des frappes
aériennes précises.
3.Cyber-intox: Israël a
envoyé un faux message convoquant les hauts responsables militaires iraniens à
une réunion fantôme dans un bunker qui a ensuite été bombardé par des avions
israéliens.
Emad Hajjaj
Au petit matin du 13 juin, un commando
dirigé par un jeune Iranien, S.T., s’est mis en position à la périphérie de
Téhéran. La cible était une batterie antiaérienne, faisant partie du réseau de
radars et de missiles mis en place pour protéger la capitale et ses
installations militaires contre les attaques aériennes.
À travers tout le pays, des
équipes de commandos formés par Israël et recrutés en Iran et dans les pays
voisins se préparaient à attaquer les défenses iraniennes de l’intérieur.
Selon leurs responsables, leurs
motivations étaient à la fois personnelles et politiques. Certains cherchaient
à se venger d’un régime répressif et clérical qui avait imposé des restrictions
strictes à l’expression politique et à la vie quotidienne. D’autres étaient
attirés par l’argent, la promesse de soins médicaux pour les membres de leur
famille ou la possibilité de faire des études supérieures à l’étranger.
L’attaque avait été planifiée
pendant plus d’un an par le Mossad, les services secrets israéliens. Neuf mois
plus tôt, l’agence d’espionnage avait stupéfié le monde entier par ses
prouesses techniques, en exécutant un complot ourdi en 2014 par son directeur
de l’époque, Tamir Pardo, qui avait paralysé le Hezbollah en faisant exploser
simultanément des milliers de bipeurs. Selon le Hezbollah, les explosions ont
tué 30 combattants et 12 civils, dont deux enfants, et blessé plus de 3 500
personnes.
À 3 heures du matin, le 13 juin,
S.T. et une légion étrangère composée d’environ 70 commandos ont ouvert le feu
à l’aide de drones et de missiles sur une liste soigneusement sélectionnée de
batteries antiaériennes et de lanceurs de missiles balistiques. (Ses supérieurs
au Mossad ne nous ont communiqué que ses initiales.) Le lendemain, un autre
groupe composé d’Iraniens et d’autres personnes recrutées dans la région a
lancé une deuxième vague d’attaques à l’intérieur de l’Iran.
Au cours d’entretiens
approfondis, dix responsables actuels et anciens des services de renseignement
israéliens ont décrit les raids commando et ont révélé une multitude de détails
jusqu’alors inconnus sur les efforts secrets déployés depuis des décennies par
leur pays pour empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique. Ils ont
demandé à rester anonymes afin de pouvoir s’exprimer librement.
Les responsables ont déclaré que
les attaques commando avaient joué un rôle crucial dans les frappes aériennes
de juin, permettant à l’armée de l’air israélienne de mener vague après vague
de bombardements sans perdre un seul avion. Grâce aux renseignements recueillis
par les agents du Mossad sur le terrain, les avions de combat israéliens ont
pilonné les installations nucléaires, détruit environ la moitié des 3 000
missiles balistiques iraniens et 80 % de leurs lanceurs, et tiré des missiles
sur les chambres à coucher des scientifiques nucléaires et des commandants
militaires iraniens.
Comme ils l’avaient fait avec les
bipeurs au Liban, les espions israéliens ont tiré parti de leur capacité à
pénétrer les systèmes de communication de leurs adversaires. Au début de l’attaque
aérienne, les cyberguerriers israéliens ont envoyé un faux message aux hauts
responsables militaires iraniens, les attirant vers une réunion fantôme dans un
bunker souterrain qui a ensuite été détruit par une frappe de précision. Vingt
personnes ont été tuées, dont trois chefs d’état-major.
La carte stratégique de la région
a été radicalement redessinée depuis les attentats du 7 octobre 2023, au cours
desquels le Hamas a tué plus de 1 200 Israéliens et pris 251 otages. L’attention
du public, en particulier ces dernières semaines, s’est concentrée sur les
représailles d’Israël contre Gaza, qui ont causé des dizaines de milliers de
morts et une famine croissante, condamnée par la communauté internationale.
La guerre secrète entre Israël et
l’Iran a beaucoup moins attiré l’attention du public, mais elle a également
joué un rôle important dans l’évolution de l’équilibre des pouvoirs dans la
région.
En 2018, des agents formés par Israël ont fait
irruption dans un entrepôt non surveillé à Téhéran. et ont utilisé des
découpeurs plasma à haute température pour forcer les coffres-forts contenant
des dessins, des données, des disques informatiques et des carnets de
planification. Le matériel, pesant plus de 1 000 livres, a été chargé dans deux
camions et transporté vers l’Azerbaïdjan voisin. Le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahou a présenté le matériel lors d’une conférence de presse à
Tel-Aviv et a déclaré qu’il prouvait que l’Iran avait menti au sujet de ses
intentions nucléaires.
Deux ans plus tard, le Mossad a tué l’un des meilleurs
physiciens iraniens, en utilisant la reconnaissance faciale améliorée par l’intelligence
artificielle pour diriger une mitrailleuse télécommandée garée sur le bord d’une
route près de sa maison de campagne.
Selon les planificateurs
israéliens, avant les frappes aériennes de juin, ils ont demandé à des
chauffeurs routiers inconscients de leur rôle de faire passer clandestinement
en Iran des tonnes de « matériel métallique », c’est-à-dire les pièces
détachées des armes utilisées par les commandos.
Les responsables israéliens ont
déclaré que ces opérations reflétaient un changement fondamental dans l’approche
du Mossad, amorcé il y a environ 15 ans. Les agents en Iran qui ont forcé les
coffres-forts, installé les mitrailleuses, détruit les défenses aériennes et
surveillé les appartements des scientifiques n’étaient pas israéliens. Tous
étaient soit iraniens, soit citoyens de pays tiers, selon des hauts
responsables israéliens ayant une connaissance directe des opérations. Pendant
des années, ces missions en Iran ont été l’apanage exclusif des agents de
terrain israéliens. Mais les responsables ont déclaré que l’impopularité
croissante du régime iranien a rendu beaucoup plus facile le recrutement d’agents.
S.T. était l’un d’entre eux.
Selon les autorités israéliennes, il a grandi dans une famille ouvrière d’une
petite ville près de Téhéran. Il s’était inscrit à l’université et menait une
vie d’étudiant apparemment ordinaire, lorsque lui et plusieurs de ses camarades
de classe ont été arrêtés par la redoutable milice iranienne Basij et emmenés
dans un centre de détention où ils ont été torturés à l’aide de décharges
électriques et sauvagement battus.
S.T. et ses amis ont finalement
été libérés, mais cette expérience l’a rendu furieux et assoiffé de vengeance.
Peu après, un parent vivant à l’étranger a donné son nom à un espion israélien
dont le travail consistait à identifier les Iraniens mécontents. Des messages
ont été échangés via une application téléphonique cryptée, et S.T. a accepté un
voyage gratuit dans un pays voisin.
Un agent du Mossad l’a invité à
travailler comme agent secret contre l’Iran. Il a accepté, demandant seulement
qu’Israël s’engage à prendre soin de sa famille si quelque chose tournait mal.
(L’Iran exécute sommairement toute personne surprise en train d’espionner pour
le compte d’un pays étranger, en particulier Israël.)
Il a été formé pendant des mois
hors d’Iran par des spécialistes israéliens en armement. Juste avant le début
de l’attaque, lui et sa petite équipe sont retournés dans le pays pour jouer
leur rôle dans l’une des opérations militaires les plus importantes et les plus
complexes de l’histoire d’Israël.
Les origines d’une guerre secrète
Le Mossad a fait de l’Iran sa
priorité absolue en 1993, après que les Israéliens et les Palestiniens eurent
signé les accords d’Oslo sur la pelouse de la Maison Blanche, mettant
apparemment fin à des décennies de conflit.
Israël entretenait depuis
longtemps des relations complexes avec l’Iran. Pendant des décennies, il a
maintenu une alliance stratégique avec le shah d’Iran. Mais l’ayatollah
Ruhollah Khomeini et les islamistes qui ont renversé le monarque en 1979 ont
qualifié l’État juif de « tumeur cancéreuse » qui devait être excisée du
Moyen-Orient.
La stratégie d’Israël consiste en
fait à protéger son monopole nucléaire dans la région. Il ne reconnaît pas
publiquement son arsenal, estimé à plus de 90 ogives. L’armée de l’air
israélienne a détruit le réacteur nucléaire irakien en 1981 et un réacteur
syrien en construction en 2007.
Après le raid aérien en Irak, le
Premier ministre israélien Menahem Begin a déclaré que son pays avait le droit
d’empêcher ses voisins de fabriquer leur propre bombe. « Nous ne pouvons pas
permettre un deuxième Holocauste », a-t-il déclaré.
Quelques années plus tard, l’Iran
a commencé à mener des recherches sur les armes nucléaires, en s’appuyant sur l’expertise
d’un ingénieur pakistanais, Abdul Qadeer Khan, qui avait autrefois travaillé
pour une entreprise néerlandaise produisant de l’uranium enrichi.
Abdul Qadeer Khan
Shabtai Shavit, directeur du
Mossad dont le mandat a pris fin en 1996, a déclaré qu’Israël était au courant
des déplacements de Khan dans la région, mais n’avait pas initialement détecté
son rôle crucial dans le programme iranien. « Nous n’avons pas pleinement
compris ses intentions », nous a confié Shavit lors d’une interview avant son
décès en 2023. « Si nous l’avions su, j’aurais ordonné à mes combattants de le
tuer. Je pense que cela aurait pu changer le cours de l’histoire. »
Selon les inspecteurs nucléaires
des Nations Unies, les Iraniens ont utilisé les plans fournis par Khan pour
commencer à construire les centrifugeuses nécessaires à l’enrichissement de l’uranium
qu’ils ont acheté au Pakistan, en Chine et en Afrique du Sud.
En 2000, le successeur de Shavit
a élaboré des plans pour que l’unité des missions spéciales du Mossad, connue
sous le nom de Kidon (qui signifie « baïonnette » en hébreu), assassine Khan
alors qu’il était en visite dans ce qu’un responsable a décrit comme « un pays
d’Asie du Sud-Est ». La mission a été suspendue lorsque le président
pakistanais, le général Pervez Musharraf, a déclaré au président Bill Clinton
qu’il allait mettre un frein aux activités internationales de Khan.
Cette promesse n’a pas été tenue.
La même année, le Mossad a
découvert que les Iraniens construisaient une usine d’enrichissement secrète
près de Natanz, une ville située à environ 320 km au sud de Téhéran. L’agence d’espionnage
a informé un groupe dissident iranien, qui a rendu cette information publique
deux ans plus tard.
Des vétérans du Mossad ont
déclaré que des agents — probablement des Israéliens se faisant passer pour des
Européens installant ou entretenant des équipements — se promenaient dans
Natanz avec des chaussures à double semelle qui collectaient des échantillons
de poussière et de terre. Des tests ont finalement révélé que les
centrifugeuses de fabrication iranienne enrichissaient l’uranium bien au-delà
du niveau de 5 % nécessaire pour une centrale nucléaire. (Les isotopes médicaux
utilisent de l’uranium enrichi à 20 % ; les bombes ont besoin de 90 %.)
En 2001, Israël a élu comme
Premier ministre le général Ariel Sharon, célèbre pour sa fermeté belliqueuse.
L’année suivante, Sharon a nommé l’un de ses généraux préférés, Meir Dagan, à
la tête du Mossad. Tous deux avaient la réputation de repousser les limites et
de défier les normes.
Dagan, qui a dirigé le Mossad de
2002 à 2011, a décidé de faire de l’arrêt du programme nucléaire iranien l’objectif
principal de l’agence d’espionnage.
La photo du grand-père de Meir Dagan
Tout comme Begin, qui était né en
Pologne, Dagan était hanté par l’Holocauste. Les chefs des services de
renseignement étrangers se souviennent avoir visité son bureau et avoir vu sur
le mur une photographie montrant des soldats nazis brutalisant le grand-père de
Dagan. Expliquant la signification de cette photo lors d’un rassemblement
anti-Netanyahou en 2015, il a déclaré : « J’ai juré que cela ne se reproduirait
plus jamais. J’espère et je crois avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir
pour tenir cette promesse. »
Sous la direction de Dagan, le
Mossad a organisé toute une série d’opérations secrètes visant à ralentir le
programme iranien. Des agents israéliens ont commencé à assassiner des
scientifiques nucléaires iraniens, envoyant des agents à moto pour attacher de
petites bombes à des voitures dans la circulation.
L’art du recrutement
Dagan était fier de la capacité
croissante du Mossad à recruter des Iraniens et d’autres personnes pour mener
des opérations secrètes en Iran.
L’une des clés du succès de l’agence
d’espionnage réside dans la composition ethnique de l’Iran. Des responsables
israéliens ont souligné dans des interviews qu’environ 40 % de la population du
pays, qui compte 90 millions d’habitants, est composée de minorités ethniques :
Arabes, Azéris, Baloutches, Kurdes et autres.
Peu avant sa mort en 2016, Dagan
nous a confié que « le meilleur vivier pour recruter des agents en Iran réside
dans la mosaïque ethnique et humaine du pays. Beaucoup d’entre eux s’opposent
au régime. Certains le détestent même. »
Des responsables actuels et
anciens ont déclaré que Dagan avait préconisé le recours à des agents d’origine
étrangère. Au début de ses efforts pour infiltrer l’Iran, l’agence de
renseignement s’était principalement appuyée sur des Israéliens, connus des
membres du Mossad sous le nom de « bleu et blanc », en référence aux couleurs
du drapeau israélien.
Sous la direction de Dagan, les
dirigeants du Mossad en sont venus à croire qu’ils pouvaient trouver des agents
très efficaces en Iran ou parmi les exilés iraniens et d’autres personnes
vivant dans l’un des sept pays qui le bordent.
Des responsables actuels et
anciens ont déclaré que les recrues se répartissaient en deux catégories.
Certaines s’orientaient vers le domaine de l’espionnage traditionnel,
recueillant des renseignements et les transmettant à leur responsable. D’autres
se montraient disposées à mener des opérations violentes, notamment des
attaques contre des scientifiques nucléaires.
Compte tenu du risque d’exécution
sommaire, il n’est pas surprenant que beaucoup aient eu des doutes au départ.
« Convaincre quelqu’un de trahir
son pays n’est pas une mince affaire », a déclaré un ancien officier supérieur
du Mossad qui supervisait les unités chargées des agents étrangers. « C’est un
processus d’érosion progressive. Vous commencez par une demande mineure, une
tâche insignifiante. Puis une autre. Ce sont des essais. S’ils s’en acquittent
bien, vous leur confiez une tâche plus importante, plus significative. Et s’ils
refusent, eh bien, à ce moment-là, vous disposez d’un moyen de pression : les
menaces, voire le chantage. »
Les chefs des services secrets,
dit-il, essaient d’éviter les menaces ou la coercition. « Il vaut mieux les
guider vers un endroit où ils agissent de leur plein gré, où ils font eux-mêmes
le premier pas », explique l’ancien officier.
L’élément le plus important est
la confiance. « Votre agent doit vous être loyal et émotionnellement attaché à
vous. Tout comme un soldat qui charge malgré le danger, faisant confiance à ses
camarades, il en va de même pour les agents. Il part en mission parce qu’il
fait confiance à son supérieur et éprouve un profond sentiment de
responsabilité envers lui. »
La plupart des personnes qui ont
accepté de travailler pour Israël s’attendaient à être rémunérées pour les
risques qu’elles prenaient. Mais selon les responsables actuels et anciens, la
motivation première des personnes qui acceptent d’espionner leur propre pays
est souvent plus primitive.
« La récompense financière est
bien sûr importante », a déclaré l’ancien agent du Mossad. « Mais les gens sont
également motivés par des émotions : la haine, l’amour, la dépendance, la
vengeance. Cependant, il est toujours utile que les motivations se la recrue
soient soutenues par un avantage tangible : pas nécessairement un paiement
direct, mais une aide indirecte. »
C’est ainsi que S.T. a été
recruté.
Ses responsables ont déclaré qu’il
était rongé par la haine envers le régime et ce que lui avait fait subir la
milice Basij. Mais ce qui l’a finalement poussé à coopérer, c’est l’offre du
Mossad d’organiser pour un membre de sa famille un traitement médical
indisponible en Iran.
Depuis des décennies, les soins
médicaux constituent l’une des méthodes de recrutement favorites du Mossad. Les
services de renseignement israéliens entretiennent des liens avec des médecins
et des cliniques dans plusieurs pays, et l’organisation d’opérations
chirurgicales et de diverses thérapies a également été utilisée pour infiltrer
des groupes extrémistes palestiniens. Cette méthode a été encore plus utilisée
dans les approches auprès des Iraniens, dans l’espoir de les persuader d’aider
Israël.
Le Mossad utilise également
Internet pour recruter des agents, en créant des sites ouèbe et en publiant des
messages sur les réseaux sociaux destinés aux Iraniens, proposant leur aide aux
personnes atteintes de maladies mortelles telles que le cancer. Ces messages
comprennent des numéros de téléphone ou des options de contact cryptées.
Les services secrets israéliens
peuvent mobiliser leur réseau international pour trouver des médecins ou des
cliniques de confiance, qui ne poseront pas trop de questions. Le Mossad paie
généralement les factures directement et discrètement.
Une autre incitation utilisée
pour attirer les espions potentiels est l’accès à l’enseignement supérieur dans
un pays étranger. Forts de leurs années de recherche et d’expérience, les
recruteurs du Mossad savent que les Iraniens aspirent à accéder à un
enseignement de qualité. Même le régime religieux fondamentaliste de l’actuel
guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, encourage la poursuite d’études
supérieures. Cela rend particulièrement attrayante l’offre d’une place dans une
université occidentale ou dans un internat pour adolescents.
Une fois qu’un candidat est
identifié, le Mossad organise une première rencontre dans un lieu accessible,
souvent dans des pays voisins tels que la Turquie, l’Arménie ou l’Azerbaïdjan,
où les Iraniens peuvent entrer relativement facilement. D’autres options
incluent des destinations en Asie du Sud-Est comme la Thaïlande et l’Inde, qui
permettent aux citoyens iraniens de demander en ligne des visas d’affaires,
médicaux ou touristiques.
Les candidats sont soumis à une
série d’entretiens et d’évaluations psychologiques. Des psychologues observent
leur comportement, souvent derrière des miroirs sans tain. Ils remplissent des
questionnaires détaillés sur leur histoire personnelle, y compris des détails
intimes sur leur vie familiale, et sont interrogés par un examinateur
polygraphe.
Les agents sont régulièrement
soumis à de nouveaux tests après avoir commencé à travailler sur le terrain.
Chaque action, qu’elle soit mineure ou majeure, est suivie d’un nouveau test au
détecteur de mensonges afin de confirmer leur loyauté continue.
Ils reçoivent une formation
approfondie et sont étroitement supervisés. Afin de ne pas éveiller les
soupçons, on leur indique comment s’habiller, où acheter leurs vêtements,
quelles voitures conduire, et même comment, quand et où déposer l’argent qu’ils
reçoivent.
La relation entre l’agent et son
responsable est cruciale, comme l’explique un ancien agent du Mossad qui «
dirigeait » des agents. Dans de nombreux cas, le responsable est à la fois
confesseur, baby-sitter, psychologue, mentor spirituel et membre de la famille
de substitution.
L’objectif est de créer un lien
si fort que l’agent se sente en sécurité et soutenu, suffisamment à l’aise pour
partager même ses secrets les plus intimes, y compris ses relations sexuelles.
Toute information concernant l’agent
peut être précieuse pour le Mossad, qu’il s’agisse d’un signal d’alerte
indiquant une vulnérabilité potentielle face à la police secrète iranienne ou d’un
autre aspect de la vie de l’agent que les responsables peuvent exploiter. Parmi
les questions clés : qui fait partie du cercle social de la personne ?
Peut-elle utiliser cette relation au profit du Mossad ?
Les agents chargés d’assassiner
des scientifiques nucléaires dans la rue ont reçu une formation approfondie de
la part des agents du Mossad. Ils ont appris à conduire des motos et à tirer
sur leurs cibles à bout portant ou à placer des explosifs sur leurs véhicules.
L’objectif était à la fois de
priver le programme iranien de son expertise et de dissuader les scientifiques
prometteurs de travailler sur les armes nucléaires. Entre 2010 et 2012, les
Israéliens ont tué au moins quatre scientifiques et en ont manqué un autre de
peu.
Les opérations étaient gérées par
des Israéliens, jusque dans les moindres détails, souvent depuis des pays
voisins ou directement depuis le quartier général du Mossad au nord de Tel
Aviv, et parfois par des agents des services secrets israéliens qui entraient
brièvement en Iran.
Opération “Réveil du Lion”
Au fil des ans, le Mossad et l’armée
israélienne ont élaboré à plusieurs reprises des plans visant à mettre fin au
programme nucléaire iranien en bombardant ses installations clés. Les
dirigeants politiques israéliens ont toujours reculé sous la pression des
présidents usaméricains qui craignaient qu’une attaque ne déclenche une guerre
régionale, déstabilisant ainsi le Moyen-Orient. Le Hezbollah, représentant de l’Iran
au Liban, avait stocké des dizaines de milliers de missiles, suffisamment pour
submerger les défenses aériennes israéliennes et frapper ses plus grandes
villes.
Ces calculs ont radicalement
changé au cours de l’année écoulée.
En avril et octobre 2024, l’Iran
a tiré des missiles et des drones directement sur Israël. Presque tous ont été
abattus avec l’aide des USA et de leurs alliés. L’armée de l’air israélienne a
riposté par des frappes aériennes qui ont détruit une grande partie des
défenses aériennes iraniennes.
L’armée israélienne avait
commencé à planifier une campagne de bombardements contre l’Iran à la mi-2024,
qu’elle espérait voir aboutir dans un délai d’un an. Avec la victoire de Donald
Trump aux élections de novembre et la neutralisation du Hezbollah, les
responsables israéliens ont vu une opportunité se présenter.
Les pilotes israéliens formés aux
USA survolaient secrètement l’Iran depuis 2016, apprenant à connaître le
terrain et explorant différentes routes afin de minimiser les risques d’être
détectés.
Une cible nucléaire en Iran était
toutefois considérée comme si redoutable que l’armée de l’air israélienne n’avait
aucun plan pour la détruire. Les Iraniens avaient construit une usine d’enrichissement
d’uranium à Fordo et l’avaient enfouie à l’intérieur d’une montagne, à près de
90 mètres sous la surface. L’Iran a tenté de garder Fordo secret, mais le
Mossad et les services de renseignement usaméricains et britanniques ont réussi
à suivre les mouvements à l’intérieur et à l’extérieur de la montagne. Le
président Barack Obama a révélé son existence en 2009, et les inspecteurs des
Nations unies qui ont visité le site peu après ont découvert que l’Iran
prévoyait d’installer jusqu’à 3 000 centrifugeuses très sophistiquées pour
enrichir l’uranium.
Seuls les USA disposaient d’une
bombe suffisamment puissante pour percer une montagne : la GBU-57 Massive
Ordnance Penetrator, la plus grande bombe conventionnelle au monde, connue sous
le nom de « bunker buster ».
Les stratèges militaires
israéliens ont donc élaboré un plan d’opération terrestre très risqué, dont les
détails sont révélés ici pour la première fois. Selon ce plan, des commandos d’élite
devaient être introduits clandestinement sur le site de Fordo sans être
détectés. Ils devaient ensuite prendre d’assaut le bâtiment, profitant de l’effet
de surprise. Une fois à l’intérieur, leur mission consistait à faire exploser
les centrifugeuses, à s’emparer de l’uranium enrichi de l’Iran et à s’échapper.
Le nouveau chef du Mossad était
sceptique. David Barnea, connu sous le nom de Dadi, avait longtemps milité en
faveur d’actions agressives contre l’Iran. Il avait supervisé l’attaque à la
mitrailleuse télécommandée en 2020, juste avant d’être promu à la tête de l’organisation.
Pourtant, il estimait que les plans d’une attaque commando contre Fordo étaient
beaucoup trop risqués. Barnea craignait que certains des meilleurs soldats et
espions israéliens ne soient tués ou pris en otage, un cauchemar pour les
Israéliens déjà profondément affectés par le calvaire des otages israéliens
détenus par le Hamas à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre 2023.
Barnea et d’autres responsables
israéliens en sont venus à croire que l’administration Trump pourrait se
joindre à une attaque israélienne contre l’Iran, avec des avions de combat usaméricains
larguant mmassivement des « bunker
busters » sur Fordo. Trump avait déclaré à plusieurs reprises et publiquement
qu’il ne permettrait pas à l’Iran d’obtenir la bombe nucléaire.
Pour préparer ce qui allait être
baptisé « Opération “Réveil du Lion”, le Mossad et les services de
renseignement militaire, Aman, ont intensifié leur surveillance des chefs
militaires et des équipes nucléaires iraniens. Plusieurs des planificateurs de
l’opération ont déclaré que Barnea avait considérablement élargi la division
Tzomet, ou Junction, du Mossad, qui recrute et forme des agents non israéliens.
Il a été décidé de confier à cette légion étrangère l’équipement le plus
sophistiqué d’Israël pour les opérations paramilitaires et les communications.
Les couvertures de chaque agent, appelées « légendes », ont été vérifiées et
revérifiées afin de détecter toute incohérence.
Les efforts d’espionnage du
Mossad ont été facilités par un facteur géographique. L’Iran est bordé par l’Irak,
la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, le Pakistan, le Turkménistan et l’Afghanistan.
La contrebande fait partie intégrante du mode de vie dans cette région, où des
milliers de personnes gagnent leur vie en transportant de la drogue, du
carburant et des appareils électroniques à travers les frontières à dos d’âne,
de chameau, en voiture ou en camion.
Le Mossad avait noué des contacts
avec des passeurs — et souvent avec les agences de renseignement
gouvernementales — dans les sept pays.
« Il est relativement facile d’acheminer
du matériel à l’intérieur et à l’extérieur du pays », a déclaré un Israélien
qui a travaillé avec le Mossad dans le domaine de la logistique, « et le Mossad
a également eu recours à des sociétés écrans qui expédiaient légalement des
caisses et des conteneurs par voie maritime et par camion, en passant
légalement les postes-frontières ».
Le matériel a été livré à des «
agents infrastructurels », des agents du Mossad en Iran qui stockent le
matériel jusqu’à ce qu’il soit nécessaire. Des vétérans du Mossad ont déclaré
que le matériel pouvait être caché dans des refuges pendant des années, mis à
jour à mesure que la technologie évolue ou que des travaux de maintenance sont
nécessaires.
Les responsables ont déclaré que
le Mossad avait formé pendant environ cinq mois les agents non israéliens qui
devaient attaquer des cibles iraniennes. Certains ont été amenés en Israël, où
des maquettes avaient été construites pour permettre des exercices pratiques. D’autres
ont répété leurs missions dans des pays tiers où ils ont rencontré des experts
israéliens.
Il y avait deux groupes de
commandos, chacun composé de 14 équipes de quatre à six membres. Certains
vivaient déjà en Iran. D’autres étaient des exilés opposés au régime qui s’étaient
introduits dans le pays à la veille de l’attaque.
Chacun avait ses instructions,
mais ils étaient également en contact avec les planificateurs israéliens qui
pouvaient modifier ou mettre à jour le plan d’attaque. La plupart des équipes
avaient pour mission de frapper les défenses aériennes iraniennes à partir d’une
liste de cibles fournie par l’armée de l’air israélienne.
Le Mossad avait attribué des noms
de code à chacune des équipes et à leurs missions, qui étaient basés sur des
combinaisons de notes de musique.
Dans la nuit du 12 juin, les
équipes ont pris position comme prévu. Les Israéliens chargés des opérations
secrètes ont ordonné aux agents de ne laisser que peu ou pas d’équipement
derrière eux. (Les médias iraniens ont rapporté après l’attaque que les
infiltrés avaient manqué leurs cibles et s’étaient enfuis sans leur équipement
; les responsables israéliens ont déclaré que les Iraniens n’avaient trouvé que
des composants insignifiants, équivalents à des emballages de chewing-gum.)
« Cent pour cent des batteries
antiaériennes repérées par l’armée de l’air pour le Mossad ont été détruites »,
a déclaré un haut responsable des services de renseignement israéliens. La
plupart se trouvaient près de Téhéran, dans des zones où l’armée de l’air
israélienne n’avait jamais opéré auparavant.
Au cours des premières heures de
la guerre, l’une des équipes de commandos a frappé un lanceur de missiles
balistiques iranien. Les analystes israéliens estiment que cette mission a eu
un impact disproportionné, poussant l’Iran à retarder sa riposte contre Israël
par crainte que d’autres lanceurs de missiles ne soient vulnérables à des
attaques depuis l’intérieur du pays.
Les responsables ont souligné que
la logistique militaire du plan était l’œuvre d’Aman et de l’armée de l’air
israélienne, qui a frappé plus d’un millier de cibles au cours des 11 jours de
frappes aériennes. Mais les responsables s’accordent à dire que le Mossad a
fourni des renseignements essentiels pour un aspect de “Réveil du Lion”
: les assassinats de hauts commandants iraniens et de scientifiques nucléaires.
Le Mossad a compilé des
informations détaillées sur les habitudes et les déplacements de 11
scientifiques nucléaires iraniens. Les dossiers indiquaient même l’emplacement
des chambres à coucher dans les maisons de ces hommes. Le matin du 13 juin, des
avions de combat de l’armée de l’air israélienne ont tiré des missiles air-sol
sur ces coordonnées, tuant les 11 hommes.
Après un certain délai, l’Iran a
riposté par une salve de missiles. La plupart ont été interceptés, mais ceux
qui ont atteint leur cible ont causé des dégâts considérables. Israël a fait
état de 30 morts parmi les civils et a estimé le coût de la reconstruction à 12
milliards de dollars. Les médias d’État iraniens ont évalué le nombre de morts
dans leur pays à plus de 600.
La question de savoir dans quelle
mesure les efforts nucléaires de l’Iran ont été retardés reste controversée.
Trump a insisté sur le fait que les frappes aériennes usaméricaines sur Fordo,
Natanz et Ispahan ont « anéanti » le programme iranien. Les analystes des
services de renseignement israéliens et usaméricains se sont montrés plus
réservés.
« Cette guerre les a
considérablement retardés », a déclaré l’ancien chef de l’Aman, le général
Tamir Hayman. « L’Iran n’est plus un État seuil nucléaire, comme il l’était à
la veille de la guerre. Il pourrait retrouver ce statut dans un ou deux ans au
plus tôt, à condition que le Guide suprême décide de se lancer dans la
fabrication d’une bombe. »
Hayman, qui dirige aujourd’hui l’Institut
d’études sur la sécurité nationale en Israël, a déclaré qu’il était possible
que cette attaque ait l’effet inverse de celui escompté, si l’Iran se montrait
encore plus déterminé à construire une bombe capable de dissuader de futures
attaques israéliennes.
L’homme qui a dirigé l’opération
clandestine contre l’Iran
David Barnea, directeur du
Mossad, a dirigé les efforts d’Israël pour recruter des dissidents iraniens
afin d’attaquer le pays de l’intérieur. Voici ce qu’il faut savoir à son sujet.
David Barnea, directeur du Mossad
à l’origine de certains des succès les plus remarquables de son histoire, n’avait
jamais eu l’intention de devenir agent de renseignement. Jeune homme, il a été
chef d’équipe dans l’unité commando la plus élitiste de l’armée israélienne,
puis est venu à New York pour étudier en vue d’une carrière dans les affaires.
Après avoir obtenu une maîtrise
en finance à l’université Pace, il a travaillé dans une banque d’investissement
israélienne, puis dans une société de courtage, faisant ainsi ses premiers pas
vers une carrière où le plus grand danger était un changement inattendu sur les
marchés financiers mondiaux.
Le monde de Barnea a été
bouleversé en novembre 1995 lorsqu’un extrémiste de droite israélien a
assassiné le Premier ministre Yitzhak Rabin lors d’un rassemblement pour la
paix. Rabin avait signé les accords d’Oslo en 1993 avec Yasser Arafat, le
leader de l’Organisation de libération de la Palestine, et faisait pression
pour une solution à deux États au conflit qui opposait depuis des décennies les
Arabes et les Juifs.
« L’assassinat de Rabin l’a
bouleversé, comme beaucoup d’autres Israéliens », se souvient David Meidan, un
ancien agent du Mossad à la retraite considéré comme le mentor de Barnea. Il
explique que cet assassinat a poussé Barnea, alors âgé de 30 ans, à tout
remettre en question et à chercher « un sens à sa vie ». Un ami lui a suggéré
de postuler au Mossad et, après avoir passé les tests physiques et
psychologiques requis, il a été accepté dans le programme de formation de l’agence.
Barnea s’est révélé doué pour
repérer, recruter et diriger des agents qui travailleraient pour le Mossad dans
des pays hostiles à Israël. Un an après avoir rejoint l’agence d’espionnage, il
est devenu agent de terrain dans sa division Tzomet, ou Junction.
Meidan a déclaré que Barnea
possédait les qualités essentielles pour réussir dans ce rôle : « l’intelligence
émotionnelle et l’empathie ». Il a notamment été affecté pendant plusieurs
années dans une capitale européenne, où ses collègues du Mossad ont déclaré qu’il
s’était révélé charmant, concentré et déterminé.
Ces dernières qualités étaient
évidentes dès son plus jeune âge. Barnea est né à Ashkelon, en Israël, en 1965.
Son père, Yosef Brunner, a quitté l’Allemagne hitlérienne en 1933 pour la
Palestine sous domination britannique et a finalement servi comme
lieutenant-colonel dans les premières années des Forces de défense
israéliennes.
À 14 ans, les parents de Barnea l’ont
inscrit dans un internat militaire. Il est devenu un fanatique de fitness et
continue de courir ou de faire du vélo dès qu’il en a l’occasion. Lorsqu’il a
dû effectuer son service militaire obligatoire, Barnea a obtenu une place très
convoitée au sein du Sayeret Matkal, une unité commando d’élite fréquemment
envoyée au-delà des frontières d’Israël pour recueillir des renseignements ou
mener des attaques secrètes ou des sabotages.
Dans les années 1990, lorsqu’il a
commencé sa carrière d’espion, le Mossad se concentrait principalement sur le
terrorisme palestinien. Barnea, qui parle arabe, s’est révélé doué pour diriger
des agents au sein et autour de l’OLP et d’autres organisations.
Il a gravi les échelons et
faisait partie de la direction du Mossad lorsque celui-ci a décidé de faire de
la collecte de renseignements sur l’Iran sa priorité absolue en 2002. Ce
changement reflétait l’inquiétude croissante suscitée par le programme
nucléaire secret de l’Iran et ses liens avec de puissants mandataires régionaux
tels que le Hezbollah.
En 2019, Barnea a été nommé
directeur adjoint du Mossad et chef de sa direction des opérations. Au sein de
l’agence, il s’est distingué comme un partisan des opérations agressives visant
les scientifiques iraniens, les sites nucléaires et l’arsenal croissant de
missiles iraniens pouvant atteindre Israël.
Fakhrizadeh
En novembre 2020, Barnea a
supervisé l’opération
qui a conduit à l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, physicien et général du
Corps des gardiens de la révolution islamique, responsable des aspects
militaires du programme nucléaire iranien. Après des mois de surveillance par
des agents non israéliens, le Mossad a pu déterminer les habitudes de déplacement
de Fakhrizadeh. Un plan a été élaboré pour garer une camionnette Nissan sur le
bord de la route et installer une mitrailleuse unique télécommandée sur sa
plate-forme. L’arme était équipée d’une caméra sophistiquée et d’un logiciel d’intelligence
artificielle qui identifierait Fakhrizadeh et ne tirerait que sur lui.
L’opération était contrôlée
depuis le quartier général du Mossad, au nord de Tel-Aviv, où Barnea était
rejoint dans le centre de commandement par son supérieur, le directeur de l’agence
Yossi Cohen. Ils ont pu voir la voiture du physicien nucléaire s’approcher,
puis la mitrailleuse a ouvert le feu, touchant Fakhrizadeh à plusieurs reprises
tout en épargnant sa femme, qui était assise à côté de lui.
Sept mois plus tard, Barnea a été
nommé à la tête du Mossad par le Premier ministre Benjamin Netanyahu. Il est le
13e homme à occuper ce poste.
Au cours des années qui ont
suivi, Barnea s’est appuyé sur les atouts de l’opération Fakhrizadeh pour
recruter des dizaines d’agents non israéliens pour des opérations en Iran. Ces
agents ont joué un rôle crucial dans les frappes aériennes de juin contre le
programme nucléaire iranien, en identifiant l’emplacement des domiciles des
scientifiques nucléaires et en neutralisant les défenses aériennes iraniennes.
Un collègue haut placé au Mossad,
Haim Tomer, a déclaré que Barnea n’était peut-être pas aussi « stratégique,
charismatique ou flamboyant » que certains de ses prédécesseurs, mais qu’il
avait prouvé qu’il était un « opérateur de premier plan ».
Parmi les succès du Mossad sous
la direction de Barnea, on peut citer les bipeurs explosifs qui ont décimé le
Hezbollah, l’assassinat de scientifiques nucléaires iraniens et d’un dirigeant
politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, en visite à Téhéran, ainsi que les raids
commando qui ont détruit les défenses aériennes iraniennes et permis à Israël
de frapper les installations nucléaires sans perdre un seul avion.
Ces missions représentent un
revirement remarquable pour les Israéliens de la communauté du renseignement,
dont beaucoup estimaient avoir failli à leur devoir envers la nation après l’attaque
du 7 octobre 2023, au cours de laquelle le Hamas a tué plus de 1 200 Israéliens
et en a kidnappé 251. Ce sentiment de honte était présent dans toutes les
agences, même celles comme le Mossad qui n’étaient pas principalement chargées
de surveiller le Hamas.
Les directeurs du Mossad ont
généralement un mandat de cinq ans, et Barnea, ou Dadi comme l’appellent ses
collaborateurs, pourrait donc être remplacé d’ici le milieu de l’année 2026 ;
mais son mandat pourrait être prolongé en reconnaissance de ses succès.
« Ce sont des jours historiques
pour le peuple d’Israël », a déclaré Barnea lors d’une réunion d’agents au
siège du Mossad après la brève guerre de juin, où il a évoqué sa coopération
étroite avec la CIA. « La menace iranienne, qui met en danger notre sécurité
depuis des décennies, a été considérablement contrariée grâce à la coopération
extraordinaire entre les Forces de défense israéliennes, qui ont mené la
campagne, et le Mossad, qui a opéré à leurs côtés, avec le soutien de notre
allié, les USA. »