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08/01/2025

AVI STEINBERG
La citoyenneté israélienne a toujours été un outil de génocide : je renonce donc à la mienne

Ma décision relève du constat que ce statut n’a jamais eu la moindre légitimité.
Avi Steinberg, Truthout, 26/12/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

الكاتب آفي شتاينبرغ: الجنسية الإسرائيلية كانت أداة للإبادة الجماعية منذ البداية: لذلك أتخلى عن جنسيتي

Avi Steinberg est né à Jérusalem de parents USaméricains juifs orthodoxes retournés aux USA en 1993. Il est l’auteur de Running the Books: The Adventures of an Accidental Prison Librarian (2010), The lost Book of Mormon: a journey through the mythic lands of Nephi, Zarahemla, and Kansas City, Missouri (2014) et The Happily Ever After: A Memoir of an Unlikely Romance Novelist (2020). Il travaille actuellement à une biographie de l’écrivaine et militante féministe Grace Paley

Récemment, je suis entré dans un consulat israélien et j’ai présenté des documents pour renoncer officiellement à ma citoyenneté. C’était une journée d’automne exceptionnellement chaude et les employés de bureau en pause se prélassaient au bord de l’étang de Boston Common. La nuit précédente avait été marquée par une série d’attaques aériennes particulièrement épouvantables menées par Israël contre des camps de tentes de réfugiés à Gaza. Alors que les Palestiniens comptaient encore les corps ou, dans de nombreux cas, rassemblaient ce qui restait de leurs proches, la banlieusarde qui me précédait dans la file d’attente du consulat m’a joyeusement demandé ce qui m’amenait ici aujourd’hui.
Les universitaires, les journalistes et les juristes du monde entier dressent un inventaire détaillé de toutes les façons dont les crimes commis par Israël depuis octobre 2023 constituent des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides pouvant donner lieu à des poursuites judiciaires. Mais l’histoire va bien au-delà des horreurs de l’année écoulée. La citoyenneté, telle que je la possède, a été un élément matériel d’un processus génocidaire de longue date. Depuis sa création, l’État israélien s’est appuyé sur la normalisation de lois suprémacistes fondées sur des critères ethniques pour soutenir un régime militaire dont l’objectif colonial clair est l’élimination de la Palestine.
En haut du formulaire que j’avais apporté au consulat ce jour-là figure une citation de la loi sur la citoyenneté de 1952, la base juridique sur laquelle mon statut m’a été conféré à la naissance. La raison pour laquelle je renonce à ce statut est en effet directement liée à cette loi - ou plutôt à la situation sur le terrain dans les années 1950, le contexte de la Nakba, qui a façonné cette loi.

Emad Hajjaj

En 1949, dans les mois qui ont suivi la signature des accords d’armistice mettant ostensiblement fin à la guerre de 1948, les colons sionistes, qui avaient réussi à massacrer et à expulser les trois quarts de la population palestinienne autochtone dans les territoires désormais sous leur contrôle, ont commencé à chercher des moyens de sécuriser leur État de garnison militarisé. Leur préoccupation la plus pressante était de s’assurer que les Palestiniens qui avaient été chassés de leurs villages et de leurs fermes ancestrales ne reviendraient jamais, que leurs terres passeraient en possession légale du nouvel État, prêtes à être occupées par les prochaines vagues d’immigrants juifs venus de l’étranger. Plus de 500 villages et villes palestiniens ont été vidés de leur substance en l’espace d’un an, et il était désormais temps de les effacer à jamais de la carte.
Bien qu’il ait fallu de nombreuses décennies pour que l’État colonisateur reconnaisse officiellement qu’il était une entité suprémaciste juive de jure, la pratique du nettoyage ethnique était intégrée dans la stratégie militaire, sociale et juridique de l’État. Il a toujours été question d’un État juif conçu pour créer et maintenir une majorité juive sur une terre qui était à 90 % non juive avant l’arrivée massive des sionistes dans les premières décennies du XXe siècle.
L’achèvement du processus de nettoyage ethnique nécessiterait en effet une ingénierie agressive et, compte tenu de la forte résistance indigène, n’aboutirait jamais. En 1949, les frontières arbitrairement tracées étaient encore poreuses et les territoires ruraux sous occupation sioniste étaient encore loin d’être entièrement sous leur contrôle. Les Palestiniens, nouvellement réfugiés, vivaient dans des tentes à quelques kilomètres de chez eux. Nombre d’entre eux survivaient avec un seul maigre repas par jour et étaient déterminés, après l’armistice, à retrouver leurs maisons et leurs récoltes.
Certains ont tenté d’agir dans le cadre du nouveau système juridique colonial imposé à la hâte. Ils font appel à la « Déclaration d’indépendance » de la nouvelle entité, qui revendique l’égalité des droits pour tous. Mais ce document n’avait aucune valeur juridique et était conçu comme un document de propagande destiné à obtenir l’acceptation internationale au sein des toutes jeunes Nations unies. La demande d’adhésion à l’ONU, présentée par cette nouvelle entité se désignant elle-même comme l’« État d’Israël », avait déjà été rejetée une première fois, et les dirigeants sionistes s’efforçaient de donner à leur nouvelle demande un air de légitimité. Un clin d’œil symbolique aux droits des Palestiniens, espéraient-ils, donnerait une couverture politique à cet État résolument illibéral pour qu’il rejoigne l’ordre international émergent, dominé par les USA.
Indépendamment de ce que la machine de propagande de l’État mettait en avant à l’étranger, la situation sur le terrain était un cas flagrant de nettoyage ethnique. Pendant près de dix ans, les colons sionistes ont utilisé tous les moyens de la force pour rompre le lien entre les autochtones palestiniens et leurs terres. En avril 1949, ils ont adopté une politique de « tir libre », en vertu de laquelle des milliers de soi-disant infiltrés - c’est-à-dire des Palestiniens autochtones retournant dans les maisons qu’ils avaient habitées depuis des générations - pouvaient être, et ont souvent été, abattus à vue. L’État a créé des camps de concentration en procédant à de vastes rafles de villageois et d’agriculteurs. À partir de ces camps, des masses de Palestiniens ont été déportées de l’autre côté de la « frontière », où elles ont été transférées dans des camps de réfugiés de plus en plus nombreux en Jordanie et au Liban, ainsi que dans la bande de Gaza, sous contrôle égyptien. C’est ainsi que Gaza est devenue le territoire le plus densément peuplé de la planète.
Rappelons que de telles scènes se sont produites après l ‘armistice, c’est-à-dire après la fin supposée de la guerre de 1948. Cela faisait partie d’une stratégie délibérée d’après-guerre qui utilisait les cessez-le-feu comme couverture pour sécuriser un territoire ethniquement nettoyé, un schéma qui allait se répéter pendant des décennies. L’objectif était clairement défini dès le départ : expulser les Palestiniens de leurs terres pour toujours, affaiblir les intérêts de ceux qui restaient, et effacer la Palestine à la fois dans le concept et dans la réalité matérielle.
C’est dans ce contexte qu’ont été promulguées les lois sur la citoyenneté de l’État au début des années 1950 : tout d’abord, la loi du retour de 1950, qui accordait la citoyenneté à tout juif dans le monde, puis la loi sur la citoyenneté de 1952, qui annulait tout statut de citoyen détenu par les Palestiniens. La reconfiguration de la citoyenneté par l’État selon les principes de la suprématie juive sera son principe constitutionnel clé. L’effet de cette législation radicale, appliquée par une force d’occupation armée brutale sur le terrain, « a rendu les colons indigènes et a fait des indigènes palestiniens des étrangers », écrit l’universitaire Lana Tatour. Ce cadre juridique n’était pas un échec politique, note Lana Tatour, mais il « faisait ce pour quoi il avait été créé : normaliser la domination, naturaliser la souveraineté des colons, classer les populations, produire des différences et exclure, racialiser et éliminer les indigènes ».
Dix-neuf ans après la promulgation de la loi sur la citoyenneté de 1952, mes parents ont quitté les USA pour s’installer à Jérusalem et ont obtenu la citoyenneté et tous les droits en vertu de la « loi du retour ». Par une naïveté juvénile qui allait se transformer en ignorance délibérée, ils ont réussi à devenir à la fois des libéraux usaméricains opposés à l’invasion du Viêt Nam, tout en agissant comme des colons armés sur la terre d’un autre peuple. Ils se sont installés dans un quartier de Jérusalem qui avait fait l’objet d’un nettoyage ethnique quelques années auparavant. Ils ont occupé une maison construite et récemment habitée par une famille palestinienne dont la communauté avait été expulsée vers la Jordanie et dont le retour avait été violemment interdit par le canon d’un fusil - et par les papiers de citoyenneté que ma famille tenait entre ses mains.
Ce remplacement d’une personne par une autre n’était pas un secret. Des gens comme ma famille vivaient dans ces quartiers précisément parce qu’il s’agissait d’une « maison arabe », fièrement présentée comme telle en raison de son élégance et de ses hauts plafonds, en opposition aux immeubles d’habitation utilitaires et construits au petit bonheur par les colons sionistes. Je suis né dans le village palestinien d’Ayn Karim, qui a fait l’objet d’un nettoyage ethnique et qui est très prisé pour son charme arabe, sans qu’aucun Arabe ne vienne troubler ce joli tableau. Mon père était dans l’armée israélienne, dont lui et nombre de ses amis sont sortis, après la monstrueuse invasion du Liban en 1982, partisans libéraux de la « paix ». Mais pour eux, ce mot signifiait toujours vivre dans un pays à majorité juive ; il s’agissait d’une « paix » dans laquelle le péché originel de l’État, le processus continu de nettoyage ethnique, resterait fermement en place, légitimé et donc plus sûr que jamais. En d’autres termes, ils recherchaient la paix pour les Juifs ayant la citoyenneté israélienne, mais pour les Palestiniens, la « paix » signifiait une reddition totale, une occupation permanente et l’exil.
Tout cela pour dire : je ne considère pas ma décision de renoncer à cette citoyenneté comme une tentative de renverser un statut légal, mais plutôt comme une reconnaissance du fait que ce statut n’a jamais eu la moindre légitimité. La loi sur la citoyenneté israélienne est fondée sur les pires types de crimes violents que nous connaissons et sur une litanie croissante de mensonges destinés à blanchir ces crimes. L’aspect officiel, les apparats de la gouvernance légale, avec leurs sceaux du ministère de l’intérieur, ne témoignent de rien d’autre que de l’effort rampant de cet État pour dissimuler son illégalité fondamentale. Il s’agit de faux documents. Plus important encore, il s’agit d’un instrument contondant utilisé pour déplacer continuellement des personnes vivantes, des familles, des populations entières d’habitants indigènes de la terre.
Dans sa campagne génocidaire visant à effacer le peuple autochtone de Palestine, l’État a militarisé mon existence même, ma naissance et mon identité - et celles de tant d’autres. Le mur qui empêche les Palestiniens de rentrer chez eux est constitué autant de papiers d’identité que de dalles de béton. Notre travail doit consister à retirer ces dalles de béton, à déchirer les faux papiers et à perturber les récits qui font apparaître ces structures d’oppression et d’injustice comme légitimes ou, à Dieu ne plaise, comme inévitables.
À ceux qui invoqueront à bout de souffle le point de discussion selon lequel les Juifs « ont le droit à l’autodétermination », je dirai simplement que si ce droit existe, il ne peut en aucun cas impliquer l’invasion, l’occupation et le nettoyage ethnique d’un autre peuple. Personne n’a ce droit. En outre, on peut penser à quelques pays européens qui doivent des terres et des réparations à leurs Juifs persécutés. Le peuple palestinien, en revanche, n’a jamais rien dû aux Juifs pour les crimes commis par l’antisémitisme européen, et il ne le doit pas non plus aujourd’hui.
Ma conviction personnelle, comme celle de nombre de mes ancêtres du XXe siècle, est que la libération juive est inséparable de vastes mouvements sociaux. C’est la raison pour laquelle tant de Juifs étaient socialistes dans l’Europe d’avant-guerre et que beaucoup d’entre nous se rattachent à cette tradition aujourd’hui.
En tant que juif traditionnel, je pense que la Torah est radicale dans son affirmation que le peuple juif, ou tout autre peuple, n’a aucun droit à une quelconque terre, mais qu’il est plutôt lié par des responsabilités éthiques rigoureuses. En effet, si la Torah a un seul message, c’est que si vous opprimez la veuve et l’orphelin, si vous êtes corrompus par la cupidité et la violence sanctionnées par le gouvernement, et si vous acquérez des terres et des richesses aux dépens des gens ordinaires, vous serez chassés par le Dieu de la justice. La Torah est régulièrement brandie par les nationalistes adorateurs de la terre comme s’il s’agissait d’un acte de propriété, mais si on la lit vraiment, c’est un enregistrement de reproches prophétiques contre l’abus de pouvoir de l’État.
La seule entité ayant des droits souverains, selon la Torah, est le Dieu de la justice, le Dieu qui méprise l’usurpateur et l’occupant. Le sionisme n’a rien à voir avec le judaïsme ou l’histoire juive, si ce n’est que ses dirigeants ont longtemps vu dans ces sources profondes une série de récits puissamment mobilisateurs pour faire avancer leur programme colonial - et c’est à ce seul programme colonial que nous devons nous attaquer. Les efforts constants pour évoquer l’histoire de la victimisation juive afin de justifier ou simplement de détourner l’attention des actions d’une puissance économique et militaire seraient positivement risibles s’ils n’étaient pas aussi cyniquement armés et mortels.
La colonisation sioniste ne peut être ni réformée ni libéralisée : son identité existentielle, telle qu’elle est exprimée dans ses lois sur la citoyenneté et répétée ouvertement par ses citoyens, équivaut à un engagement en faveur du génocide. Les appels à des embargos sur les armes, ainsi qu’à des boycotts, à des désinvestissements et à des sanctions, sont des demandes qui relèvent du bon sens. Mais ils ne constituent pas une vision politique. La décolonisation l’est. Elle est à la fois le chemin et la destination. Nous devons tous orienter notre organisation en conséquence.
C’est déjà le cas. Une réalité différente est déjà en train d’être construite par un mouvement large, énergique et plein d’espoir de personnes du monde entier qui savent que le seul avenir éthique est une Palestine libre, libérée de la domination coloniale. Nous y parviendrons grâce à un mouvement de libération soutenu au niveau mondial, mais en fin de compte local, dirigé par les Palestiniens, un mouvement dont les politiques et les tactiques sont déterminées par les Palestiniens. Cette libération se fera par le biais d’une diversité de tactiques, en fonction des situations - y compris la résistance armée, un droit universellement reconnu pour tout peuple occupé.
La décolonisation commence par l’écoute et la réponse aux appels des organisateurs palestiniens à développer une conscience et une pratique décolonisatrices, à supprimer les structures matérielles qui ont été placées entre les Palestiniens et leur terre, et à inverser la normalisation de ces barrières arbitraires. La décolonisation de la citoyenneté implique également de comprendre le lien matériel entre le colonialisme israélien et d’autres formes de colonialisme à travers le monde. Il est bien connu que les USA fournissent sans cesse des armes et du capital politique à leur allié colonial ; ce que l’on sait moins, c’est que la conception australienne de la jurisprudence anti-indigène a servi de modèle juridique à Israël. La lutte pour une Palestine libérée est liée à la lutte des mouvements de défense des terres indigènes partout dans le monde. Ma citoyenneté unique n’est qu’une brique dans ce mur. Néanmoins, c’est une brique. Et elle doit être physiquement enlevée.
Ceux qui occupent exactement la même position que moi sont invités à rejoindre un réseau croissant et solidaire de personnes qui se défont de leur citoyenneté dans le cadre d’une pratique décolonisatrice plus large. Ceux qui ne sont pas dans cette situation devraient prendre d’autres mesures. Si vous vivez en Palestine occupée, rejoignez le mouvement de résistance et faites-en quelque chose de concret. Luttez pour décoloniser et révolutionner le mouvement ouvrier et faites-en le levier du pouvoir antiétatique qu’il devrait être. Rejoignez la résistance dirigée par les Palestiniens. Si vous ne pouvez pas faire ces choses, partez et résistez depuis l’étranger. Prenez des mesures matérielles pour démanteler cet édifice colonial, pour perturber le récit qui dit que c’est normal, que c’est l’avenir. Ce n’est pas notre avenir. La Palestine sera libérée. Mais seulement lorsque nous nous engagerons, dès maintenant, dans les pratiques de libération.

ROSA LLORENS
Elisée, les enfants et les ours et la justification de l’extermination dans la Bible


Rosa Llorens , 8/1/2025

Les « droits » des Israéliens sur la Palestine reposent sur le don de la Terre Promise par Jahvé. Curieux que même dans ce pays radicalement laïque qu’est la France on prenne cette revendication au sérieux. Mais nous sommes habitués à considérer la Bible comme une référence sacrée, et sans doute y a-t-il encore beaucoup de gens qui croient que c’est le texte le plus ancien de l’humanité, alors qu’elle est plus récente que l’Iliade, et qu’elle reprend nombre de mythes racontés dans des textes akkadiens (comme l’histoire d’Uta-Napišti, devenu Noé) antérieurs de deux millénaires !

Mais, surtout, il est maintenant établi que la Bible, à côté des mythes empruntés, est un ensemble de textes propagandistes visant à justifier les entreprises impérialistes des Hébreux et à consolider l’État (antique, mais maintenant moderne) d’Israël, autour de la croyance au dieu unique et tribal Jahvé. Il n’est donc pas étonnant que la Bible soit imprégnée d’un esprit guerrier barbare, où l’Autre est systématiquement voué à l’extermination (les colons américains ont bien compris que c’était la stratégie la plus efficace pour s’assurer la possession des territoires conquis).
Il ne faut donc pas y chercher de spiritualité – pacifique du moins : la « spiritualité » biblique est plutôt de l’ordre d’une complicité mafieuse entre une famille (le peuple juif) et son chef (Dieu). Au contraire, les passages cruels (dont l’horreur est masquée par l’habitude, et par des interprétations symboliques lénifiantes) sont innombrables.
C’est le cas de ce qu’on pourrait appeler la fable d’Elisée, les enfants et les ours.

Agatha Christie, en bonne anglicane, connaissait la Bible sur le bout des doigts et, bien que fort conformiste, elle lève quelques lièvres intéressants, comme, dans Le Meurtre de Halloween, l’histoire de Yaël et Sisra   (Yaël, la psychopathe au marteau), ou, dans Un meurtre est-il facile ?  (Murder is easy, 1939)*, celle d’Elisée [Elisha].

Ce dernier roman met en scène un self made man vaniteux, Lord Whitfield (oui, un self made man, car il y a longtemps qu’en Angleterre les titres de noblesse récompensent simplement la richesse), persuadé que Dieu le protège et punit ses ennemis : « Mes ennemis, mes détracteurs sont jetés à terre et exterminés ! ». Ce langage biblique renvoie précisément à l’histoire d’Elisée : « Rappelez-vous les enfants qui se moquaient d’Elie : les ours sont venus les dévorer » (quoique bonne anglicane, Agatha Christie fait une confusion : ce n’est pas d’Elie qu’il s’agit, mais bien de son successeur, Elisée) : de la même façon, constate Lord Whitfield avec satisfaction, un petit garçon insolent qui s’était moqué de lui a trouvé la mort peu après.

Son interlocuteur tique un peu : « J’ai toujours trouvé qu’il s’agissait là d’une vindicte excessive ». Agatha Christie, bien sûr, n’en dira pas plus : son style, c’est plutôt les notations humoristiques que les dénonciations indignées. Mais elle exprime bien là la gêne qu’on éprouve à la lecture de ce passage des Rois, II, 2, 23-25 (traduction œcuménique de la Bible, 1972) :
« Comme il [Elisée] montait par la route, des gamins sortirent de la ville et se moquèrent de lui en disant : « Vas-y, tondu ! Vas-y ! » Il se retourna, les regarda et les maudit au nom du SEIGNEUR. Alors, deux ourses sortirent du bois et déchiquetèrent 42 de ces enfants. » Et Elisée de poursuivre tranquillement sa route…
Mais il y a plus étonnant et choquant que l’histoire elle-même, c’est le commentaire qu’en fait un site évangélique lancé en 2000 par l'Eglise Baptiste d'Angers, Lueur, un éclairage sur la foi. « Ce texte semble [c’est moi qui souligne] nous raconter quelque chose de choquant et d’incompréhensible dans notre conception d’un Dieu de grâce ». L’auteur fait semblant de croire que le Dieu de la Bible est le même que celui de l’Évangile, alors que le premier, loin d’être miséricordieux, ne respire que la vengeance – ce qui invalide toute la démonstration qui suit. Mais il est instructif de suivre précisément les arguments sophistiques par lesquels il s’attache à justifier Elisée et à contester le caractère excessif de sa vindicte (ou celle de Dieu).
1) Elisée vient juste d’assumer la lourde charge de prophète (porte-parole de Dieu), il doit donc encore s’affirmer et se faire respecter : faire tuer 42 enfants est une recette infaillible pour cela !
2) le terme d’« enfants » peut aussi désigner des « jeunes » ou des « jeunes hommes » ; « il peut donc s’agir d’adolescents ou jeunes adultes ». La même mauvaise foi était à l’œuvre encore récemment (aujourd’hui, après les massacres de bébés et enfants à Gaza, ce n’est bien sûr pas possible, impossible de qualifier de « jeunes adultes » les tout petits linceuls qu’on a vus sur tant d’images) : une victime palestinienne de 12 ou 13 ans était désignée dans les médias comme un « jeune homme », une (rare) victime juive du même âge comme un « enfant ».
3) L’insulte « chauve » (Lueur n’utilise pas la traduction œcuménique) est très grave : Elisée pouvait « y voir une remise en cause de son investiture divine […] C’est un rejet complet, finalement, de Dieu en même temps que de son serviteur. » On hésitera dorénavant à utiliser l’expression « trois pelés et un tondu », qui est d’essence diabolique.
4) justification psychologique maintenant, et appel au bon sens universel sur le ton  chattemite traditionnel des curés et pasteurs : « Comme la majorité des personnes, Elisée n’accepte pas qu’on se moque de lui et encore moins de Dieu et de l’Esprit qui repose sur lui ».
5) enfin, argument d’autorité : le châtiment peut sembler excessif, mais : « après tout, cela correspond aux châtiments prévus par la Loi (Lévitique 26 22 : « J’enverrai contre vous les animaux des champs, qui vous priveront de vos enfants »). Plus fort que la charia : si vous ne me respectez pas, je ferai dévorer vos enfants par les bêtes sauvages ! Ce châtiment est en fait prévu pour les idolâtres, qui élèvent des statues aux dieux païens, mais le 3) a pris soin d’assimiler les moqueries contre Elisée à un reniement de Dieu.
Mais peut-être tous ces arguments risquent-ils de paraître spécieux, peu convaincants. Alors, l’auteur change son fusil d’épaule. La responsabilité d’Elisée tient dans un mot : « maudire », et la cruauté de Dieu dans un deuxième : « déchirer » ; l’auteur va donc se livrer à un examen lexical des termes hébreux correspondants (c’est-à-dire jouer sur les mots).
- qalal signifie mépriser, maudire. Elisée ne se met pas en colère, il ne maudit pas, il « méprise » ; il laisse Dieu « rend[re] visible la malédiction dans laquelle ils se sont mis eux-mêmes [!] en rejetant Dieu ». Et l’auteur dégaine encore une citation biblique :
« Il fera retomber sur eux leur iniquité. Il les anéantira par leur méchanceté ». (Psaumes, 94, 23).
Ce n’est donc pas Dieu qui tue les « jeunes adultes », ni Elisée, ni même les ours, ou les ourses (selon la traduction œcuménique), c’est leur propre méchanceté ! En quelque sorte, ils se sont suicidés.
- baqa est lui « aussi traduit de diverses manières » : passer au travers, disperser, se frayer un passage, fendre ; la troupe des « jeunes hommes » est donc « dispersée », leur lâcheté (se mettre à plusieurs contre un seul homme) est mise en évidence, ils sont « humiliés » - mais pas maltraités.
Remarquable inversion de la charge : ce sont les victimes qui sont blâmées !
L’auteur termine sa démonstration par une jolie antiphrase, qui nie exactement et lucidement ce qu’il vient de faire : « Sans vouloir obliger les textes à coller à des a priori religieux et exégétiques, cela n’est-il pas plus en accord avec un Dieu de grâce mais qui rabaisse les moqueurs ? » Malheureusement, l’histoire du gentil Elisée se termine par une dernière prophétie où il ordonne au nouveau roi Joas : « Tu frapperas Aram à Afeq jusqu’à extermination », Rois II, 13, 17 (Aram désigne la Syrie).
Et de conclure, de façon plutôt inquiétante : « Marchons comme Elisée ! ».
L’histoire elle-même est édifiante : le massacre de 42 enfants est présenté dans la Bible comme la preuve du caractère sacré d’Elisée, et renforce sa bonne conscience. Mais l’exégèse de Lueur l’est tout autant : c’est la même rhétorique qui permet de justifier les crimes d’Israël et d’effacer l’horreur des massacres actuels.

*Un téléfilm avec Olivia de Havilland a été tiré du roman en 1982 par Claude Whatham



YANIV KUBOVICH
L’armée israélienne met en garde ses soldats: lorsque vous voyagez à l’étranger, vous pourriez être poursuivis pour des crimes de guerre présumés commis à Gaza

Alors que les soldats d’active et de carrière doivent obtenir une autorisation pour leurs vols vers l’étranger, les FDI s’inquiètent de l’absence de supervision pour les réservistes. Israël s’efforce de bloquer les enquêtes à l’étranger alors que des fonctionnaires critiquent le chef des FDI pour n’avoir pas réussi à limiter les fuites de vidéos sur Gaza.
Yaniv Kubovich, Haaretz   5/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les agences de sécurité et les ministères israéliens se préparent à aider les soldats et les réservistes qui risquent d’être arrêtés à l’étranger pour avoir participé à des crimes de guerre présumés à Gaza.

Un peu de détente entre deux crimes de guerre

Les autorités israéliennes se coordonnent avec les cabinets d’avocats locaux pour fournir une aide juridique immédiate si nécessaire. Certains voyageurs israéliens ont été avertis qu’ils risquaient d’être arrêtés, mais la plupart d’entre eux ont poursuivi leur voyage sans incident ni interrogatoire.
Alors que les soldats en service actif doivent faire approuver leurs destinations de voyage par des commandants supérieurs, le corps de l’avocat général des armées s’est inquiété du manque de supervision pour les réservistes.
Des plaintes ont été déposées contre des soldats des FDI en Afrique du Sud, au Sri Lanka, en Belgique, en France et au Brésil. Dans ce dernier pays, un tribunal a récemment ordonné une enquête sur un réserviste qui avait fui le pays.
Aucune plainte similaire dans d’autres pays n’a encore donné lieu à des enquêtes formelles, et les responsables juridiques israéliens s’efforcent d’empêcher d’autres enquêtes ou arrestations. Cependant, de hauts responsables juridiques avertissent que les déclarations des membres du gouvernement pourraient saper les efforts de défense des soldats.
Un groupe de travail conjoint du corps de l’avocat général des armées, du ministère des affaires étrangères, du Conseil de sécurité nationale et du Shin Bet analyse actuellement les risques encourus par les soldats dans différents pays et surveille les enquêtes potentielles, comme celle qui a été lancée au Brésil.
Ces derniers mois, les autorités israéliennes ont identifié des organisations pro-palestiniennes qui recueillent des témoignages, des photos et des vidéos partagés par des soldats de Tsahal sur les médias sociaux pendant la guerre à Gaza.
Ces organisations surveillent également l’activité en ligne des soldats à l’étranger, exposant ceux qui publient du contenu permettant de les localiser à d’éventuelles plaintes en justice.
Les FDI reconnaissent que la guerre de Gaza a fait l’objet d’une documentation plus abondante que tout autre conflit antérieur, les deux parties ayant produit des quantités sans précédent d’images.
Au début de la guerre, de hauts responsables juridiques ont averti que les soldats qui publiaient des vidéos en ligne présentaient des risques importants. Bien que le chef d’état-major de l’armée israélienne, Herzl Halevi, ait pris des mesures pour résoudre le problème après avoir été alerté par de hauts fonctionnaires, certains estiment que sa réponse a été insuffisante et critiquent le fait qu’il n’ait pas poursuivi les officiers et les soldats responsables de la documentation non autorisée.
Les juristes des systèmes civil et militaire avertissent que sans commission d’enquête sur les événements du 7 octobre et la guerre de Gaza, et avec des menaces continues sur l’indépendance judiciaire, la capacité d’Israël à défendre ses soldats au niveau international va s’affaiblir.
Avant même la guerre, de hauts fonctionnaires avaient prévenu que les réformes judiciaires pourraient nuire à la réputation du système judiciaire à l’étranger et exposer les dirigeants politiques et militaires israéliens à des poursuites pénales.
Ces craintes se sont concrétisées avec les récents mandats d’arrêt émis à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant. Des sources juridiques militaires préviennent que ces mandats pourraient n’être qu’un début.
Les responsables craignent que si Israël ne parvient pas à convaincre la communauté internationale que son système judiciaire est capable d’enquêter sur les crimes de guerre et de les poursuivre de manière crédible, les soldats seront de plus en plus exposés à des risques d’arrestation et de poursuites judiciaires à l’étranger.
Ils avertissent que les déclarations de hauts fonctionnaires s’opposant aux enquêtes sur les abus présumés, tels que l’incident de la base de Sde Teiman, affaiblissent la position d’Israël.
De même, les attaques de ministres et de membres de la Knesset contre des personnalités judiciaires de haut rang ne font qu’éroder la confiance internationale dans la capacité d’Israël à mener des enquêtes indépendantes.
Récemment, de hauts responsables juridiques ont fait savoir à des dirigeants gouvernementaux que leurs déclarations publiques auraient des conséquences directes sur les procédures judiciaires internationales impliquant des soldats des FDI.
Les représentants juridiques israéliens doivent souvent fournir des explications à divers organismes internationaux concernant des remarques controversées faites par des ministres et des membres de la Knesset, y compris des appels à annexer Gaza ou à y établir des colonies.
Selon des sources familières avec les procédures de la Cour internationale de justice de La Haye, l’argument principal d’Israël est que Gaza n’est pas un territoire occupé mais une zone de combat. Elles préviennent que les déclarations contraires des membres de la Knesset et des ministres pourraient nuire à la défense juridique d’Israël et exposer ses soldats à des risques supplémentaires à l’étranger.
De même, les appels lancés par des responsables gouvernementaux à affamer la population de Gaza afin de faire pression sur le Hamas ont suscité de vives critiques de la part de la communauté internationale, qui a déjà condamné Israël pour n’avoir autorisé qu’une aide humanitaire limitée à entrer dans le territoire.
Les responsables juridiques et sécuritaires israéliens ont été appelés à plusieurs reprises à défendre ces politiques auprès des alliés du pays.



07/01/2025

“La trahison de ce peuple par le monde est une honte”
Greta Thunberg se rallie à la cause sahraouie

  Francisco Carrión, El Independiente, 6/1/2024
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala

L’activiste climatique Greta Thunberg dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf (Algérie). Photo Mahfud Bechri

« Il n’y a pas de justice climatique sous occupation, personne n’est libre tant que nous ne sommes pas tous libres ». C’est par ces mots que l ‘activiste climatique Greta Thunberg a rallié la lutte du peuple sahraoui, ce lundi, depuis les camps de réfugiés de Tindouf (Algérie), après un long voyage et après avoir été accueillie dans l’océan de tentes, l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète, « avec une hospitalité touchante ».
« L’hospitalité est très touchante et j’en apprends beaucoup plus sur l’occupation actuelle et sur la répression, la violence, le pillage et l’exploitation des ressources naturelles que le peuple sahraoui a dû endurer », a déclaré la jeune Suédoise de 22 ans, qui est devenue le visage mondial de l’activisme climatique.
Depuis l’une des tentes qu’elle a visitées après être arrivée d’Espagne par bateau et avoir traversé l’Algérie, Thunberg a affirmé que « le peuple du Sahara occidental a le droit à l’autodétermination, à la liberté et à la dignité ». « A l’heure actuelle, ces droits lui sont violemment refusés. Le monde regarde et reste silencieux. Je veux être l’une des personnes qui ajoutent leur voix aux appels à la libération du Sahara occidental », a-t-elle déclaré à propos d’un territoire occupé depuis 1975 par le Maroc.


L’activiste climatique Greta Thunberg dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, en Algérie Photo Mahfud Bechri

« Personne n’est libre tant que tout le monde ne l’est pas »

« Tous ceux qui peuvent parler doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour en savoir plus sur la situation et essayer de briser le silence, car personne n’est libre tant que tout le monde n’est pas libre, et c’est également vrai pour le peuple sahraoui« , a plaidé la jeune femme, qui défend la cause palestinienne depuis plus d’un an, estimant qu ‘ « il n’y a pas de justice climatique sans droits de l’homme ». Une recette que Thunberg applique aussi bien au Maroc qu’à Israël, à un moment marqué par le revers de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a annulé les accords de pêche et d’agriculture entre Bruxelles et Rabat au motif qu’ils n’ont pas le consentement du peuple sahraoui.
Le sort du peuple du Sahara occidental - l’ancienne colonie espagnole et le dernier territoire africain à devoir être décolonisé - « est un exemple typique de l’injustice climatique, de la façon dont l’une des régions les plus vulnérables au climat est affectée de manière disproportionnée par la crise climatique, et de la façon dont les personnes les moins responsables d’avoir causé la crise climatique, sont celles qui en subissent les pires conséquences, ainsi que l’exploitation des ressources naturelles et le colonialisme vert que le Maroc entend mener ». « Mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour essayer de leur demander des comptes et de réclamer justice pour le peuple sahraoui », a-t-elle déclaré.
En tant que l’une des principales voix alertant sur l’urgence climatique et confrontant le manque d’action des dirigeants mondiaux, elle participe jusqu’à mardi à une réunion organisée par les militants suédois Benjamin Ladraa et Sanna Ghotbi, qui ont parcouru 48 000 kilomètres à vélo autour du monde pour sensibiliser à la question du Sahara occidental. Il est prévu que Greta rencontre le président de la République arabe sahraouie démocratique Brahim Ghali et d’autres responsables sahraouis et qu’elle discute de la lutte pour le climat au Sahara avec des activistes locaux.
Thunberg a reconnu qu’« il est absolument honteux que le monde continue de trahir le peuple sahraoui et de passer sous silence les massacres et les pertes extrêmes auxquels les gens sont confrontés quotidiennement, étant forcés de vivre dans des camps de réfugiés, incapables de retourner sur leurs terres, avec des familles séparées et constamment confrontées à la répression et à l’oppression et à la violence extrêmes ». « Je suis scandalisée par le silence du monde et des médias, mais aussi de la communauté internationale, et par le fait que l’incapacité persistante des institutions internationales à rendre des comptes crée l’impunité pour les responsables de ces crimes de guerre extrêmes et écologiques », a-t-elle insisté.
Pour l’activiste, candidate récurrente au prix Nobel de la paix, il est essentiel que « les voix sahraouies soient au centre de nos demandes de justice ». « Leur situation et la poursuite de l’occupation sont un exemple de l’injustice du système actuel », a-t-elle déclaré. « Nous devons nous assurer que nous nous éloignons de l’idée que la crise climatique est une crise future qui affectera les générations à venir. La crise climatique est ici et maintenant et elle affecte les gens depuis longtemps, en particulier le peuple sahraoui qui vit ici dans ces camps de réfugiés et qui subit de plein fouet la crise climatique, même s’il n’a pratiquement rien fait pour la provoquer ».




 

06/01/2025

AMIR TIBON
Comment un mandat d’arrêt brésilien pour crimes de guerre a mis Israël en mode panique

Le gouvernement israélien a très peu d’options lorsque des mandats d’arrêt sont émis au niveau international contre des soldats qui ont servi à Gaza et au Liban - mais il ne les déploie même pas en ce moment.

Amir Tibon, Haaretz  5/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est rare que la principale nouvelle du jour en Israël concerne un événement qui se déroule à l’autre bout de la planète. C’est pourtant ce qui a réveillé les Israéliens dimanche, après l’apparition d’informations selon lesquelles les autorités locales brésiliennes cherchaient à arrêter un touriste israélien pour son implication présumée dans des crimes de guerre commis à Gaza.

Yuval Vagdani

Le nom du citoyen israélien n’a pas été publié [du côté israélien ; il s’appelle Yuval Vagdani, NdT], mais le ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré dimanche que l’ambassade d’Israël à Brasilia et lui-même avaient aidé l’homme à fuir le pays sud-américain avant que les autorités ne parviennent à l’arrêter.

Il s’est avéré que les poursuites engagées contre lui reposaient sur des preuves qu’il avait lui-même fournies par inadvertance, après avoir téléchargé des vidéos et des images de l’époque où il servait en tant que réserviste à Gaza. Ces informations ont été portées à l’attention des procureurs brésiliens par une organisation non gouvernementale pro-palestinienne [la Fondation Hind Rajab, NdT]. Si cet homme a échappé à l’arrestation, d’autres affaires concernant des Israéliens voyageant à l’étranger sont déjà en cours de préparation.

Lorsque la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant en novembre, j’ai écrit ce qui suit:

« L’une des conséquences prévisibles de cette décision est que de nombreux Israéliens qui ont participé à la guerre de Gaza - des officiers de haut rang aux soldats de combat subalternes - réfléchiront à deux fois avant de se rendre à l’étranger, compte tenu de la menace croissante de mandats d’arrêt délivrés à leur encontre sur le sol étranger.
« Maintenant que la plus haute autorité en matière de droit international a déclaré si clairement que les dirigeants israéliens sont soupçonnés de crimes de guerre, qui, dans son esprit, prendrait le risque qu’un tribunal local en Espagne, en France ou en Allemagne conclue que tout Israélien ayant contribué à ces crimes présumés devrait à tout le moins faire l’objet d’une enquête
« Cela peut être qualifié d’outrage, d’antisémitisme, d’injustice, mais pour l’instant, il s’agit d’une caractéristique de la nouvelle réalité d’Israël qu’il est impossible d’ignorer ».

Il était facile de faire cette prédiction, et il est encore plus facile de prédire que ce qui s’est passé au Brésil la semaine dernière se répétera bientôt dans d’autres pays.
Au cours des 15 derniers mois, des milliers de soldats israéliens ont partagé des vidéos et des images en provenance de Gaza et du Liban, malgré les appels de leurs commandants à ne pas le faire - pour des raisons opérationnelles et juridiques. Il s’agit là d’un symptôme de la perte de discipline de l’armée israélienne et du mépris croissant de nombreux soldats, qu’ils fassent partie du service obligatoire ou de la réserve, à l’égard des hauts gradés des Forces de défense israéliennes.
Ignorer les avertissements des commandants supérieurs et des assistants juridiques, qui affirment depuis des mois que ce phénomène met en danger les soldats, pourrait coûter cher. Cela a failli se produire au Brésil, et cela se produira ailleurs tôt ou tard.
La vraie question est de savoir ce que le gouvernement israélien peut faire face à ce problème et s’il prend effectivement des mesures.
Le chef de l’opposition et ancien ministre des AAffaires étrangères, Yair Lapid, a déclaré dimanche que le gouvernement qui a envoyé ces soldats sur le champ de bataille ne les protège plus contre le risque d’arrestation une fois qu’ils ont terminé leur service. Cette déclaration a donné lieu à un échange intense entre Lapid et l’homme qui occupe actuellement son ancien poste, Gideon Sa’ar. Toutefois, la guerre des mots n’a pas permis de recueillir beaucoup d’informations utiles.
Une source haut placée du ministère des Affaires étrangères a confié à Haaretz qu’Israël ne disposait que de très peu d’options pour traiter le problème, et que même celles-ci n’étaient pas utilisées de manière adéquate à l’heure actuelle.

La source a mentionné l’importance de convaincre autant de pays que possible qu’Israël mène des enquêtes honnêtes et sans crainte sur les actes répréhensibles commis dans ses propres rangs. Elle s’est toutefois inquiétée du fait que le gouvernement actuel fait exactement le contraire en attaquant le parquet militaire pour avoir pris des mesures à l’encontre de soldats soupçonnés d’avoir infligé des violences physiques à des détenus palestiniens.
Un ancien ambassadeur israélien qui a travaillé sur des cas similaires dans le passé a ajouté que bien qu’il y ait « des personnes excellentes et talentueuses qui s’occupent de ces questions dans les ministères des Affaires étrangères et de la Justice », leur capacité à aider était principalement « au cas par cas », en utilisant les liens avec les gouvernements locaux, les militaires, les procureurs et les parlementaires pour rendre les pays moins dangereux pour les voyageurs israéliens qui ont servi dans l’armée.
La commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset a annoncé qu’elle tiendrait une audition d’urgence sur la question lundi, au cours de laquelle les représentants des ministères concernés seront invités à présenter les mesures qu’ils prennent. Mais il semble que la plupart de leurs réponses seront tactiques et spécifiques à chaque pays, et non générales - ce qui n’est pas particulièrement rassurant.
« On peut travailler avec les gouvernements pour limiter leur coopération avec les organisations qui poussent à ces arrestations », explique l’ancien diplomate. « Mais ce dont on a vraiment besoin, c’est d’une stratégie diplomatique et juridique plus large pour traiter ce problème - et pour l’instant, je ne vois aucun signe que le gouvernement israélien en ait une ».



05/01/2025

Le “mualem”de la police israélienne en Cisjordanie de nouveau arrêté pour entrave à l’enquête sur ses agissements


Josh Breiner, Haaretz, 2/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le commandant Avishai Mualem [le bien nommé : son patronyme signifie “patron” en arabe, NdT] doit répondre de plusieurs chefs d’accusation, dont la divulgation d’informations classifiées au ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, des tentatives de corruption et l’obstruction à une enquête sur ses agissements.

Le général AvishaI Mualem au tribunal de première instance de Jérusalem, jeudi . Photo: Olivier Fitoussi

Un officier supérieur du commandement de la police israélienne en Cisjordanie, soupçonné d’avoir divulgué des informations classifiées au ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, a été arrêté à nouveau jeudi, soupçonné d’entrave à l’enquête et d’abus de position.

Les autorités soupçonnent le commandant Avishai Mualem, officier supérieur du district de Judée et Samarie de la police, d’avoir demandé à l’un de ses subordonnés, alors qu’il était suspendu de ses fonctions, d’extraire des documents des systèmes de la police et de les lui remettre afin de l’aider dans sa défense.


Le chef de la police israélienne en Cisjordanie, Avishai Mualem, au centre, l’année dernière à Jérusalem. Photo: Olivier Fitoussi.

L’unité du ministère de la Justice chargée d’enquêter sur les fautes de la police demandera sa libération sous conditions restrictives au tribunal de première instance de Jérusalem jeudi.

Mualem est soupçonné de multiples infractions pénales, notamment de ne pas avoir empêché un crime, d’avoir tenté de recevoir un pot-de-vin, d’avoir fraudé et d’avoir commis un abus de confiance.

Il a été arrêté en décembre, soupçonné d’avoir ignoré des informations sur le terrorisme juif en échange d’une promotion de Ben-Gvir au grade de général de brigade.

Mualem aurait également transmis des informations classifiées au bureau de Ben-Gvir. Dans le cadre de l’enquête, le commissaire de l’administration pénitentiaire israélienne, Kobi Yaakobi, a été arrêté pour obstruction à l’enquête.


Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et le chef de l’administration pénitentiaire Kobi Yaakobi lors d’un événement à Tel Aviv en décembre 2024. Photo : Moti Milrod

Yaakobi aurait informé Mualem d’une enquête secrète en cours à son sujet, un détail découvert grâce aux écoutes téléphoniques de Mualem. Yaakobi a depuis été de nouveau interrogé, mais il conserve son rôle de chef des prisons.

Mercredi, Haaretz a rapporté que Mualem est également soupçonné d’avoir tenté d’accepter un pot-de-vin de la part d’une personne souhaitant obtenir de l’aide pour faire avancer ses dossiers au sein de la police.

Le suspect aurait proposé de transférer des milliers de shekels à la femme de Mualem, dont l’entreprise est confrontée à des difficultés financières, en échange de l’aide de Mualem profitant de ses fonctions.

Les autorités soupçonnent Mualem d’avoir ignoré des informations sur un projet de crime ayant des implications en matière de sécurité dans le cadre de cet arrangement, mais l’affaire n’a pas abouti et Mualem n’a pas aidé l’individu.


GIDEON LEVY
“Sale nazi” : attaqué pour avoir dénoncé les crimes de guerre commis par Israël à Gaza

Gideon Levy, Haaretz  , 5/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Etzel Haturki (Chez le Turc) est un restaurant de chawarma bien connu dans la ville d’Or Yehuda, au centre d’Israël, et il n’y a rien de turc là-dedans : il a l’air simple, bien qu'il ne soit pas si bon marché, avec un hôte à l’entrée et de longues files de clients venus de près ou de loin pour se régaler. Le service militaire de mon fils l’a amené au restaurant à l’époque, et depuis, il adore y manger.


Vendredi après-midi, nous y sommes retournés, mais une agitation s’est rapidement déclenchée. Cela a commencé par des jurons bruyants et s’est terminé par l’encerclement de notre table par un groupe effrayant. « Si seulement tu pouvais t’étouffer avec la nourriture et mourir », ont-ils commencé, « pourquoi vous lui donnez à manger ici ?”, ont-ils poursuivi, et “s’il n’y avait pas de caméras ici, on te casserait la gueule”, pour finir.

« Regardez qui mange ici », lance l’homme aux passants, qui se tiennent en cercle, regardant le diable qui est venu en ville. L’homme s’est approché de la table, sa fureur augmentant, et la violence a été très près d’exploser. Nous sommes partis au son des malédictions qui nous ont accompagnés jusqu’à la voiture, « niquez la mère de tous ceux qui mangent avec le nazi », ont-ils crié à mon fils.

Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, ce n’est pas nouveau. Mais une phrase a été lancée, plus d’une fois, que je n’avais jamais entendue auparavant : « Tu es un nazi parce que tu te soucies des enfants de Gaza ».

À Or Yehuda, le nazisme a reçu une nouvelle définition : un nazi est quelqu’un qui se soucie des enfants de Gaza. Alors que la famine, le siège, les pénuries, la destruction, le nettoyage ethnique et le génocide dans la bande de Gaza sont définis dans le monde entier comme ayant des caractéristiques nazies, les choses à Or Yehuda sont exactement le contraire.

Un nazi est quelqu’un qui se préoccupe de la victime. Quiconque se soucie des enfants de Gaza ne mangera pas à Or Yehuda et n’osera pas s’approcher d’Or Yehuda - une ville dont une rue porte le nom de Yoni Netanyahu*, dont un restaurant s’appelle Mifgash Entebbe et dont une rue portait autrefois le nom de l’amante du maire.

Tout au long de cette guerre, j’ai été moins confronté à la violence et aux menaces qu’à l’accoutumée. L’arène s’est déplacée vers « Netanyahou, oui ou non » et la bataille pour la libération des otages. La télévision, même dans les émissions soi-disant les plus éclairées, n’apporte jamais d’opinion alternative ou de voix qui s’opposent aux crimes de guerre, et ce faisant, elle facilite la tâche de ceux qui sont choqués par les actions d’Israël - une poignée d’opposants qui, cette fois, sont plus à l’abri de la fureur des masses, parce que leur voix est réduite au silence et exclue du débat. Mais ce silence est dangereux.

Il n’y a jamais eu ici de guerre sans opposition, au moins dans ses phases les plus avancées et les plus criminelles. Ces guerres ont toujours commencé avec un soutien sans faille, et même avec enthousiasme au sein de la communauté juive, jusqu’à ce que les fissures s’ouvrent et que les questions surgissent.

La première guerre du Liban en est le meilleur exemple, mais les opérations Plomb durci et Bordure protectrice à Gaza (en 2008 et 2014) ont également suscité une opposition à un moment ou à un autre, et leurs voix ont été entendues.

Mais pas cette fois-ci. Cette guerre, la plus longue que l’État d’Israël ait jamais connue, est aussi celle qui a fait l’objet du plus grand consensus - du moins dans le débat public qui l’entoure.

Les manifestants veulent un accord sur les otages, les opposants veulent un cessez-le-feu, voire la fin de la guerre, mais seulement pour le bien des otages et des soldats tués.

Les victimes de Gaza ne sont pas du tout évoquées, et quiconque tente de les mentionner est un nazi, du moins à Or Yehuda.

Le lavage de cerveau et l’aveuglement ont atteint des niveaux records que nous n’avions jamais connus auparavant. Le « dessoûlement » de nos nombreux et meilleurs - qui sont en réalité si peu nombreux, si tant est qu’il y en ait un qui ait dessoûlé - a créé une illusion selon laquelle le conflit est profond et la société est plus divisée que jamais.

Mais elle n’est pas du tout divisée, Israël est uni dans son soutien absolu à Tsahal, même si les crimes de guerre s’accumulent, et au droit illimité d’Israël, après le 7 octobre, de faire ce qu’il veut à Gaza.

En pratique, Israël n’a jamais été aussi uni qu’au début de l’année 2025, malgré tous les bruits de fond et les fausses lamentations sur la « polarisation du peuple ». Nous ne devons jamais, au grand jamais, perturber ce nouvel ordre merveilleux. Quiconque tente de le faire est un nazi.

Lorsque nous sommes finalement arrivés à la voiture, mon fils et moi, un jeune homme sympathique s’est approché de moi et m’a demandé une bénédiction. Il m’a dit que quelqu’un qui ne répond pas aux insultes et aux menaces est considéré comme quelqu’un d’exceptionnel. Il m’a demandé de lui donner une bénédiction pour qu’il trouve bientôt une bonne épouse, ce que j’ai fait. J’étais heureux de l’aider.

NdT

* Yonatan Netanyahou, frère aîné de Bibi, commandant des forces spéciales, tué à Entebbe en Ouganda lors d’un affrontement avec des combattants palestiniens et allemands ayant détourné un avion. Héros national sioniste.


04/01/2025

FALASTINE SALEH
Comment les ONG internationales racialisent et réduisent au silence la société civile palestinienne

Falastine Saleh, MEE , 2/1/2025

Falastine Saleh est une féministe, écrivaine et militante du BDS vivant à Ramallah, en Palestine.

Pour obtenir le soutien des ONG, nous sommes censés nous dépouiller de notre identité « émotionnelle » et devenir les porte-parole creux de déclarations qui diluent la vérité sur le génocide israélien.
Le secteur humanitaire a toujours eu des problèmes en Palestine, mais la façon dont il fonctionne depuis le début du génocide à Gaza est plus troublante que jamais.

Carlos Latuff

Après la signature des accords d’Oslo en 1993, et sous le couvert de la « construction de l’État », les donateurs internationaux et les principales ONG sont arrivés avec des programmes libéraux pré-établis, utilisant des termes tels que « autonomisation » [empowerment], « développement » et « création d’un État ».
En apparence, ils sont venus pour aider. En réalité, leur présence servait d’autres objectifs, bien éloignés du soutien à la libération palestinienne.
Ces organisations, intentionnellement ou non, ont activement dépolitisé la lutte palestinienne, fragmenté les mouvements de base et renforcé la dépendance à l’égard de l’aide internationale, qui donne la priorité aux intérêts de la politique étrangère plutôt qu’aux besoins de la population.
En présentant la question comme un problème de « développement » ou d’« aide humanitaire », les ONG ont détourné l’attention de la violence structurelle de l’occupation israélienne vers la résolution de problèmes techniques. La lutte palestinienne pour la liberté a été réduite à des questions telles que le « renforcement des capacités », complètement dépouillée de son essence politique.
Cette tendance n’a jamais été aussi évidente que lors du génocide en cours à Gaza, où les organisations humanitaires se précipitent pour répondre à la crise immédiate, mais où leur refus de s’attaquer aux causes profondes est assourdissant.
Elles se concentrent uniquement sur la distribution de l’aide tout en évitant de nommer la nature délibérée de la catastrophe ou de tenir Israël pour responsable de ses crimes de guerre.


 

L’autonomisation des Palestiniens
L’arrivée de ces organisations a fracturé la société civile palestinienne d’une manière qui, en fin de compte, a servi leurs propres objectifs.
Avant leur intervention, le mouvement de libération palestinien était mené par des groupes de base - travailleurs, agriculteurs, étudiants, féministes, organisations de jeunesse et partis politiques - qui étaient unis dans leur lutte contre le colonialisme israélien. Les ONG sont arrivées et ont compartimenté cette résistance collective, introduisant des cadres favorables aux donateurs qui ont imposé leurs propres définitions de l’« autonomisation » des Palestiniens.
Ce qu’elles n’ont pas reconnu - intentionnellement ou non - c’est que ces groupes ne défendaient pas de meilleurs salaires, des droits fonciers ou l’égalité des sexes ; ils luttaient pour leur survie et leur liberté face à l’occupation israélienne d’ une manière naturellement intersectionnelle.
Pire encore, au fil des ans, la société civile palestinienne est devenue dépendante du financement que ces ONG attiraient. Mais ce financement était assorti de conditions.
Les donateurs internationaux, guidés par des intérêts de politique étrangère, ont fixé les conditions, créant des critères de financement qui décourageaient l’organisation politique et pénalisaient ceux qui osaient affronter les réalités du colonialisme israélien.
Autrefois audacieuses et intransigeantes, les ONG palestiniennes ont été poussées à l’autocensure afin de préserver leur financement.
Cette dépendance n’a pas seulement neutralisé l’activisme palestinien, elle a permis à l’occupation de prospérer. En intervenant pour fournir des services et une aide qui devraient légalement relever de la responsabilité de la puissance occupante, l’existence même des organisations humanitaires en Palestine renforce le système d’oppression qu’elles prétendent combattre.
Elles n’ont peut-être pas construit les murs de la prison, mais elles contribuent sans aucun doute à les maintenir.
Alors que nous sommes confrontés aujourd’hui à l’horrible réalité du génocide, les échecs du secteur humanitaire me sont apparus douloureusement - je les ai vécus.
Au début du génocide à Gaza, je travaillais dans le département de plaidoyer et de communication d’une ONG internationale de premier plan. Ce dont j’ai été témoin était plus qu’une complicité, c’était un effacement actif des voix palestiniennes. Les mensonges, le détournement cognitif et la manipulation dont j’ai été victime ont dépassé tout ce que j’aurais pu imaginer.
Apaiser les sionistes
Un incident est particulièrement frappant. L’organisation a choisi de s’associer à un groupe israélien, une décision discrètement orchestrée par le bureau régional et cachée au personnel local jusqu’au dernier moment.
Lorsque nous l’avons appris, nous avons été scandalisés. Nous avons expliqué qu’un tel partenariat ne violait pas seulement le mandat de l’organisation, mais qu’il avait des implications politiques profondément problématiques, en particulier à ce moment critique.
Nos préoccupations ont été rejetées d’emblée par la direction régionale, majoritairement blanche. Elle nous a accusés de partialité et a même remis en question notre engagement en faveur des droits humains et de la mission de l’organisation.
Malgré nos objections, ils sont allés de l’avant, en donnant la priorité à l’approbation des donateurs et en apaisant les dirigeants de l’organisation connus pour leurs opinions sionistes tranchées.
Mais la manipulation ne s’est pas arrêtée là. Tout ce que nous écrivions - des tweets aux rapports - devait être soumis à un « processus d’approbation » épuisant qui ressemblait davantage à de la censure. Ils ont même embauché un membre blanc du personnel européen dont la seule tâche était d’éditer et d’approuver tout ce qui sortait de notre département.
Cette personne a bloqué les déclarations qui dénonçaient les crimes de guerre d’Israël, a insisté pour insérer de fausses équivalences dans nos rapports et a décidé quelles vérités étaient suffisamment acceptables pour être publiées.
Le fait que nous soyons des Palestiniens vivant sous l’occupation et que nous écrivions à partir de notre expérience n’avait aucune importance. Nos voix étaient réduites au silence en faveur de récits qui donnaient la priorité aux intérêts politiques de l’organisation et aux relations avec les donateurs.
Le racisme dans le secteur humanitaire va bien au-delà des politiques - il imprègne les pratiques d’embauche et la culture du lieu de travail.
Lors d’un entretien récent avec une ONG internationale de premier plan en Palestine, on m’a posé une question aussi insultante que révélatrice : « Comment allez-vous séparer le fait d’être Palestinien du travail ? »
Par cette seule question, mes années d’expérience, mes compétences et mon professionnalisme ont été balayés, réduits à mon identité palestinienne - un problème à leurs yeux. De toute évidence, le fait d’être Palestinienne me rendait non professionnelle, partiale et inapte dans leur cadre.
Une hypocrisie insupportable
Les questions n’ont fait qu’empirer.
On m’a demandé comment j’allais « gérer ma frustration » en tant que Palestinienne travaillant dans le cadre de leurs soi-disant lignes rouges. Ils ont fait référence à un panel auquel j’avais participé et au cours duquel j’avais critiqué les organisations humanitaires pour leur complicité dans le génocide de Gaza et m’ont demandé de justifier mes remarques.
Ma réponse - que ces critiques étaient fondées sur des faits et ne devaient pas être balayées sous le tapis - les a visiblement mis mal à l’aise. J’ai quitté l’entretien en me sentant en colère, attaquée et profondément discriminée.
Il ne s’agit pas seulement d’un mauvais entretien ou d’une terrible organisation. Il s’agit d’un secteur qui réduit systématiquement au silence les voix palestiniennes.
En tant que Palestiniens, nous sommes considérés comme trop émotifs, trop partiaux, trop peu professionnels pour travailler dans un secteur qui prétend défendre la justice et les droits humains.
C’est tout un secteur où l’on attend de nous que nous nous dépouillions de notre identité, que nous devenions les porte-parole creux de déclarations qui diluent la vérité, servent le statu quo et permettent leur inaction.
L’hypocrisie est insupportable. Alors que notre peuple est massacré à Gaza, nous sommes soumis au racisme anti-palestinien par les organisations mêmes qui prétendent défendre les droits humains. Ces institutions exigent de nous la neutralité, alors qu’elles sont elles-mêmes tout sauf neutres.
J’en ai fini avec ce secteur pour l’essentiel. Je me considère chanceuse d’avoir développé d’autres compétences, que je peux utiliser pour gagner ma vie sans compromettre mes valeurs.
J’invite tous les travailleurs des ONG palestiniennes à faire de même. Construisez quelque chose en dehors de ce système oppressif, car le système ne changera jamais. Il n’a pas été conçu pour cela.
Les Palestiniens méritent mieux. Nous nous battrons pour notre liberté, nous nous battrons pour servir la justice, et nous le ferons à nos conditions, pas aux leurs.



Le général Yehuda Vach et son colonel de frère, criminels de guerre israéliens

Ci-dessous deux articles  sur les ignobles frères Vach, le général Yehuda et le colonal Golan, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’armée privée du général Yehuda Vach : le fossé se creuse entre Tsahal et les commandants voyous

Éditorial de Haaretz, 2/1/2025

Le rapport d’enquête sur le commandant de la 252e  division, le général de brigade Yehuda Vach, révèle avant tout la confusion qui règne aujourd’hui dans les Forces de défense israéliennes entre les objectifs, les règlements et les valeurs de l’armée, et la vision personnelle du monde de ses commandants supérieurs, qui dictent d’autres objectifs et une autre culture de la guerre qui met inutilement en danger les soldats des FDI et entraîne des tirs aveugles sur les civils de la bande de Gaza, y compris sur les enfants.
Vach est né et a grandi dans la colonie de Kiryat Arba, en Cisjordanie, et a fréquenté l’académie prémilitaire de Bnei David, dans une autre colonie de Cisjordanie, Eli. En août dernier, il a été nommé commandant de la 252e division, qui opère dans le corridor de Netzarim à Gaza.
Dans le rapport d’enquête de Kubovich, une longue liste d’officiers et de soldats décrivent Vach comme quelqu’un qui agit de manière irréfléchie, et dont la conduite a même conduit à la mort de huit réservistes lorsqu’il les a poussés à avancer sans que la zone soit d’abord débarrassée des bombes et des terroristes. « Il a rendu la 16e brigade folle en voulant atteindre la route la plus au nord », a déclaré un officier qui a combattu sous ses ordres. « Ça s’est fait sans les outils appropriés, sans les unités de génie, sans les autres troupes nécessaires ».
Vach a également été au centre d’un rapport d’enquête publié il y a deux semaines, qui a révélé l’arbitraire et la banalité avec lesquels les Palestiniens sont tués dans le corridor de Netzarim. Il a également révélé comment chaque Palestinien tué est considéré comme un terroriste. Un grand nombre des incidents décrits dans ce rapport ont eu lieu alors que Vach présidait le corridor de Netzarim.
Aujourd’hui, de nouvelles preuves sont apparues montrant que Vach suivait un autre ensemble de lois. Par exemple, il a fixé à ses soldats l’objectif de déloger quelque 250 000 Palestiniens du nord de la bande de Gaza. « Ce n’est qu’en perdant des terres que les Palestiniens apprendront la leçon nécessaire », a-t-il déclaré.
Vach avait également son propre agenda en ce qui concerne l’aide humanitaire envoyée à Gaza. Il a dit à ses subordonnés que « selon lui, pas un seul camion ne devait entrer ». Il fallait rendre la vie dure aux convois qui entraient et les harceler ». Il leur a également dit « qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza ». Selon un officier présent, il ne s’agissait pas d’une opinion personnelle, mais d’une « doctrine opérationnelle - ce sont tous des terroristes ».
De plus, Vach a amené son frère, le colonel de réserve Golan Vach, dans la zone contrôlée par sa division. Son frère commandait une petite force connue sous le nom de Pladot Heavy Engineering Equipment [Équipement de génie lourd Pladot, sic) « Il s’agissait d’une équipe de soldats et de civils qui ressemblaient à des jeunes des collines [colons de Cisjordanie, NdT] », a déclaré un officier. « Le seul objectif de cette force était de démolir Gaza ».

Le colonel Golan Vach, frère de Yehuda Vach

Le comportement de Vach montre que les hauts commandants de l’armée ont complètement perdu le contrôle. Il révèle également leur consentement - même s’il n’est que tacite - au fait que les unités opèrent de manière indépendante, une sorte d’armée dans l’armée.
Les FDI doivent enquêter sur la conduite de Vach et l’exclure de tout poste de commandement supérieur. Dans une telle position, il mettrait en danger ses soldats par son manque de prudence, ainsi que les résidents civils de Gaza, dont il considère la vie comme bon marché.

L’article ci-dessus est l’éditorial principal de Haaretz, tel qu’il a été publié dans les éditions en hébreu et en anglais du journal.

Le monde entier le saura : Israël soutient ses officiers criminels de guerre

Gideon Levy, Haaretz,  2/1/2025

Si la police militaire n’ouvre pas immédiatement une enquête sur la conduite du général de brigade Yehuda Vach, si Vach n’est pas immédiatement suspendu de son poste de commandant de la 252e  division et détenu pour interrogatoire, si l’armée ne renonce pas immédiatement à ses actions et si le gouvernement ne fait pas de même, alors les Israéliens, la Cour pénale internationale et le monde entier sauront tous que les Forces de défense israéliennes ont un commandant de division soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre à grande échelle, mais qu’il reste à son poste et continue à vivre sa vie comme si rien ne s’était passé.
Chaque jour où Yehuda Vach reste à son poste est un jour de plus de preuves - non seulement des crimes de guerre commis par l’armée, mais aussi du fait qu’Israël les soutient. Vach, qui a bien entendu grandi dans la colonie de Kiryat Arba et a fréquenté l’académie prémilitaire d’Eli, n’est pas un cheval fou hors du commun qui doit être maîtrisé. Vach est l’armée israélienne, et l’armée israélienne est Israël.
Le débat porte sur la question de savoir si Israël a perpétré ou non un nettoyage ethnique dans la bande de Gaza. Le débat porte même sur la question de savoir si l’armée israélienne est en train de perpétrer un génocide.
Si un commandant de division à Gaza dit à ses officiers qu’à son avis, il n’y a pas d’innocents à Gaza - non pas en tant qu’opinion personnelle, mais en tant que doctrine de combat - alors le génocide est l’esprit du commandant. Si un commandant de division réprimande ses officiers pour « ne pas avoir atteint l’objectif », et que l’objectif est d’expulser environ 250 000 résidents de leurs maisons, alors le nettoyage ethnique est la politique déclarée des FDI.
Et si, sous le commandement de ce commandant de division, une version israélienne du groupe Wagner russe se promène - une bande violente de soldats et de civils, pour la plupart des colons religieux - et que personne ne sait d’où ou de qui elle tire son autorité, à part le fait que son commandant est le frère du commandant de la division, et si elle démolit systématiquement les habitations et les maisons des habitants de la région, et si elle démolit et aplatit systématiquement maison après maison à Gaza, dans le but de détruire Gaza et de s’assurer qu’aucun Palestinien ne pourra rentrer chez lui, alors, en plus de commettre des crimes de guerre, l’armée est également corrompue et pourrie de l’intérieur.
Le rapport d’enquête stupéfiant de Yaniv Kubovich sur les actions de Vach ne peut être rejeté avec l’idée qu’il n’est qu’une « exception de plus » à la norme pour les officiers. Les chefs de l’armée, qui parlent bien et ont l’air aimable, l’ont choisi pour commander d’abord l’école de formation des officiers, puis une division. Ils croient en lui et en son parcours. Ils s’identifient à lui.
Gaza a été détruite à cause de Vach et de ses semblables, et à cause de tous ceux qui ne les ont pas arrêtés. Pladot Heavy Engineering Equipment, la force commandée par le frère du commandant de la division (quelle coïncidence), a détruit Gaza non pas dans le cadre d’une opération partisane menée par des personnes assoiffées de vengeance, mais au nom de l’armée et en son nom. « Ce n’est qu’en perdant des terres que les Palestiniens apprendront la leçon nécessaire », a déclaré Vach à ses subordonnés.
L’armée n’est pas un club de débat. L’armée d’occupation est à Gaza pour accomplir ses missions. Et c’est Vach qui a défini ces missions. En entendant ce qu’il a fait, j’ai la nostalgie de Meir Har-Zion, un commando de l’unité 101, qui a assassiné cinq Bédouins pour se venger du meurtre de sa sœur en 1954.
Qu’est-ce que le timide Har-Zion, avec son meurtre de cinq personnes, comparé à Vach, avec son plan d’expulsion de 250 000 personnes et son rêve non dissimulé de tuer tous les habitants de Gaza, puisqu’ils sont tous des terroristes ?
Les crimes de guerre à Gaza sont montés d’un cran depuis l’époque relativement innocente, compatissante et humaine de l’unité 101. Aujourd’hui, la mort et la destruction sont massives et les crimes sont commis en masse. Vach méprise également la vie de ses propres soldats. Peut-être que cela incitera les Israéliens à comprendre qui sont les commandants de cette guerre.
Mais malgré la douleur causée par la perte des huit soldats tués à cause de la négligence et de l’indifférence de Vach, les centaines de Palestiniens tués dans la zone de mort connue sous le nom de corridor de Netzarim poussent un cri encore plus fort.
L’ancien chef d’état-major des FDI, Moshe Dayan, a écrit un jour qu’à son avis, Har-Zion était le meilleur soldat que les FDI aient jamais produit. Aujourd’hui, ce meurtrier a un héritier. En mars, lui et sa division sont censés retourner dans le corridor de Netzarim.
Si un commandant de division réprimande ses officiers pour « ne pas avoir atteint l’objectif » d’expulser quelque 250 000 habitants de Gaza de leurs maisons, alors le nettoyage ethnique est la politique déclarée des FDI.