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03/09/2025

GIDEON LEVY
Une morale sélective inadmissible : pourquoi le mouvement de protestation pour les otages en Israël ignore les Palestiniens de Gaza

Une protestation morale lutterait contre le génocide tout en exigeant la libération des otages, car on ne peut échapper aux chiffres : 20 otages vivants et plus de 2 millions de Palestiniens dont la vie est un enfer
Gideon Levy, Haaretz, 31/8/2025
Traduit par Tlaxcala

 Des proches d’otages israéliens et des manifestants brandissent des photos et des drapeaux lors d’une manifestation antigouvernementale appelant à agir pour obtenir la libération des Israéliens détenus par des militants palestiniens dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023, près du kibboutz Beeri, proche de la frontière orientale avec Gaza, le 20 août 2025. Photo Ahmad Gharabli/AFP

Israël est dirigé par un gouvernement d’une cruauté et un Premier ministre d’une insensibilité inégalées à ce jour [Ben Gourion, Golda Meir, Menahem Begin, Shimon Peres et Yitzhak Rabin n’étaient pas mal non plus, NdT]. Les vies humaines, qu’il s’agisse de Gazaouis, d’otages ou de soldats israéliens, n’intéressent pas ce gouvernement. Il massacre les habitants de Gaza et abandonne otages et soldats avec le même flegme.

Face à lui se dresse un petit mouvement extraparlementaire, humain et intrépide, qui accorde une valeur égale à toutes les vies humaines.
Entre cette poignée de personnes et le gouvernement malfaisant il y a le marais centriste. La plupart luttent contre la perte croissante d’humanité et les mensonges du gouvernement. Les gens de ce camp sont choqués par chaque vidéo, perdent le sommeil à cause du sort des otages émaciés et des soldats morts. Mais lorsqu’ils entendent parler d’un massacre atroce dans un hôpital, ils bâillent, indifférents.



Des [rares] manifestantes brandissent des [toutes petites] pancartes « Stop Gaza Genocide » à Tel-Aviv samedi soir.
Photo Moti Milrod

Ils valent mieux que le gouvernement et ses partisans. Ils sont humains et solidaires, mais seulement de façon sélective. Il n’existe pas de demi-morale. De même qu’une morale à deux vitesses n’est pas une morale, une morale à moitié n’en est pas une non plus. C’est l’opposé de la véritable morale. Voilà à quoi ressemblent les gens de ce camp. Ils s’inquiètent de la vie de 20 otages tout en ignorant le fait que leur pays tue en moyenne 20 innocents par heure.

Pour eux, l’humanité s’arrête aux frontières de la nationalité. Ils remueront ciel et terre pour aider un Israélien mais détournent le regard, indifférents, lorsqu’il s’agit d’un Palestinien dont le sort est souvent bien pire. Ils s’indignent de l’insensibilité de Benjamin Netanyahou, mais la leur n’est pas moins évidente. Lorsqu’il s’agit des Palestiniens, ils manifestent la même cruauté et le même cœur glacé.

Il est difficile de comprendre ce phénomène, qui a atteint son paroxysme pendant la guerre actuelle. Comment peut-on être bouleversé par l’image de l’otage affamé Evyatar David et hausser les épaules, voire se réjouir, des meurtres dans les files d’attente pour la nourriture ? Comment peut-on être horrifié par le meurtre de la famille Bibas et rester indifférent aux 1 000 bébés et 19 000 enfants tués par l’armée israélienne, ou aux 40 000 orphelins de Gaza ?

Comment peut-on perdre le sommeil à cause des tunnels du Hamas et ne montrer aucun intérêt pour ce qui se passe dans les centres de détention de Sde Teiman ou de Megiddo, à notre honte ? Comment est-ce possible ? Comment peut-on exiger des visites de la Croix-Rouge pour les otages tout en sachant qu’Israël empêche ces mêmes visites pour des milliers de Palestiniens kidnappés ?

Il est naturel et compréhensible de s’inquiéter d’abord pour ses propres gens. Mais manifester une indifférence totale envers les membres de l’autre nation, massacrés par dizaines de milliers, leur pays détruit sous nos yeux par nos propres mains, transforme nombre des braves gens qui manifestent rue Kaplan et sur la place des Otages en êtres inhumains eux-mêmes.


Des Palestiniens pleurent devant l’hôpital Shifa de Gaza, où les victimes ont été transportées avant leurs funérailles vendredi.
Photo Bashar Taleb / AFP

Pour eux – et certains le disent ouvertement – Israël doit tout faire pour libérer les otages, puis il pourra retourner à la guerre, au génocide et au nettoyage ethnique. L’essentiel est que les otages soient libérés. Ce n’est pas de la morale ni de l’humanité. C’est un nationalisme abject et exacerbé.

Considérer des êtres humains – enfants, personnes handicapées, personnes âgées, femmes et autres personnes sans défense – comme de la poussière, dont le meurtre et la famine seraient légitimes, dont les biens ne valent rien et dont la dignité est inexistante, revient à être Netanyahou, Ben-Gvir et Smotrich.

Face au mal absolu, il faut défendre l’humanité absolue, presque inexistante en Israël. Le refuge moral qui consiste à accrocher un ruban jaune à la portière de sa voiture et à exprimer une pseudo-solidarité pour les otages n’est pas un refuge et ne constitue pas une morale. Même un extrémiste nationaliste creux comme le journaliste Almog Boker, qui sait pertinemment qu’« il n’y a pas d’innocents à Gaza », veut la libération des otages. Cela ne le rend pas moins nationaliste, ni moins vil, pas même une seconde.

La force morale du mouvement de protestation reste partielle en raison de sa nature sélective. S’il était pleinement moral, sa principale préoccupation serait la lutte contre le génocide, en parallèle de la campagne pour libérer les otages. Son combat n’en serait pas affaibli ; sa validité morale en serait seulement renforcée. On ne peut échapper aux chiffres : 20 otages vivants et plus de 2 millions de Palestiniens dont la vie est un enfer. Le cœur ne peut s’empêcher d’être avec les deux.

02/09/2025

REINALDO SPITALETTA
La tragédie d’être journaliste à Gaza

Reinaldo Spitaletta,  Sombrero de Mago, El Espectador, 2/9/2025

Traduit par Tlaxcala


L’idée est de tout raser. Et, dans ces attaques sournoises, qui provoquent des dizaines de victimes, les journalistes qui couvrent le génocide perpétré par Israël dans la bande de Gaza sont une cible de choix. Il y a un peu plus d’une semaine, une attaque contre l’hôpital Nasser a effacé à jamais cinq reporters de différents médias, qui s’ajoutent à l’assassinat d’environ deux cents autres, victimes, comme tant de civils, du feu israélien.

L’armée israélienne assassine, de façon sélective, ceux qui racontent la tragédie du peuple palestinien, ceux qui témoignent —dans des conditions extrêmement difficiles d’obtention et de transmission de l’information— de la mort des enfants de Gaza, dans ce qui semble déjà être une hécatombe infinie. Si, en général, le journalisme a toujours été une profession à haut risque, dans cette partie du monde son exercice est déjà une condamnation à mort.

 


Mohamed Solaimane, reporter palestinien et collaborateur du quotidien espanol El País, a livré un témoignage à la première personne des significations, des tensions et des peurs qu’implique le fait d’être constamment au bord d’un précipice mortel. Il y a quelques jours, il a échappé à la liste des reporters assassinés parce qu’il avait du retard dans la livraison de son reportage sur « l’effondrement de l’assistance sanitaire » au complexe médical Nasser.

Malgré les supplications de sa femme et de ses enfants, le reporter, qui sait qu’il marche sur un fil extrêmement dangereux, refuse de renoncer à son devoir d’informer sur la tragédie démesurée que subit son peuple. « Je ne peux pas abandonner ce travail. Qui documentera les crimes commis contre des innocents si l’un de nous flanche ? », a-t-il écrit dans son article.

« Qui transmettra au monde le génocide d’un peuple tout entier si les journalistes se rendent ? », écrit-il dans son récit douloureux. Il sait que son métier est à haut risque, c’est, comme on l’a déjà dit, surtout à Gaza, une « profession de la mort ». Malgré tant de censures, malgré les intérêts propagandistes des USA et d’Israël, responsables de ce massacre qui répugne à la majorité du monde, jusqu’à nous qui sommes à l’autre bout de la terre, les échos du génocide, les pleurs des enfants survivants, l’horreur des mères nous parviennent …

Et quand ce ne sont pas les voix des journalistes, ce sont celles des poètes. La poésie surgit comme une autre forme de résistance contre l’ignominie. « Demain on m’enlèvera / les pansements. / Je me demande : / verrai-je une demi-orange, / une demi-pomme ou la moitié / du visage de ma mère / avec l’œil qui me reste ? », pleurent les vers de la poétesse Hanah Ashrawi. Ah, et que dire de ces vers initiaux du poème “Au diable votre conférence sur la technique, mon peuple se fait massacrer”, de Noor Hindi : « Les colonisateurs écrivent sur les fleurs. / Moi, je leur parle d’enfants qui lancent des pierres sur des chars israéliens / quelques instants avant de se transformer en marguerites. »

Revenons à Solaimane. Il sait qu’être reporter à Gaza, c’est être au bord de la mort. Et plus encore, lorsque les troupes de Netanyahou et de Trump ne se préoccupent pas de savoir qui est journaliste et qui est un enfant en pleurs sous un olivier. « Israël a abandonné toutes les normes juridiques, des droits humains et morales. La mort d’un journaliste signifie peu pour un État qui tue des dizaines de milliers de civils sans reculer d’un centimètre », écrit le reporter, qui, d’ailleurs, a déjà rédigé son testament.

« Nous, les quelque 1 000 journalistes qui continuons à informer depuis Gaza, selon les données du Syndicat des journalistes palestiniens, vivons dans les conditions les plus dangereuses du monde pour les reporters, avec 246 informateurs tués et 500 blessés par les attaques israéliennes depuis octobre 2023 », précise Solaimane. Il est probable, comme il le pressent lui-même, que demain il ne soit plus là, que les balles israéliennes l’assassinent. On dira, du point de vue des bourreaux, qu’un journaliste mort de plus, ça n’a aucune importance.


Imran (à droite) et Lama, les plus jeunes enfants de Mohamed Solaimane, dans la voiture familiale après qu’elle a été touchée en plein bombardement. Photo Mohamed Solaimane

Cependant, les journalistes morts, les journalistes vivants, ceux qui ont sacrifié leur vie pour faire connaître l’une des extermiations les plus abjects, un génocide, font partie de l’âme d’une histoire qui continue de s’écrire avec du sang. Oui, on dira, comme on doit le dire partout : « Je suis Gaza, tu es Gaza, nous sommes tous Gaza », et alors chaque jour la solidarité, tout comme la douleur, grandiront jusqu’à ce que cesse la nuit horrifiante.

Il y a des années, j’ai lu une chronique d’un médecin palestinien, Jehad Yousef, qui, de retour dans son pays, a livré son témoignage sur les infamies qu’Israël inflige aux Palestiniens : « Ils nous ont volé la terre, la vie, ils violent nos droits humains. Ils nous assassinent, ils nous humilient, ils nous étouffent, c’est pourquoi ils nous craignent et nous surveillent. » Le calvaire continue. Aujourd’hui avec plus de cruauté que jamais. Ni pardon ni oubli pour les exactions de Netanyahou et Trump.


REINALDO SPITALETTA
La tragedia de ser periodista en Gaza

Reinaldo Spitaletta,  Sombrero de Mago, El Espectador, 2-9-2025


La idea es arrasarlo todo. Y, en esos ataques aleves, que arrojan decenas de víctimas, están como blanco elegido los periodistas que cubren el genocidio de Israel en la Franja de Gaza. Hace poco más de una semana, un ataque contra el Hospital Nasser, borró para siempre a cinco reporteros de distintos medios, que se suma al asesinato de cerca de doscientos más, víctimas, como tantos civiles, del fuego israelí.

El ejército de Israel está asesinando, de modo selectivo, a los que narran la tragedia del pueblo palestino, a quienes cuentan, en medio de dificultades para la consecución y transmisión de información, cómo mueren —en lo que ya parece ser una infinita hecatombe— los niños de la Franja de Gaza. Si, en general, el periodismo ha sido una profesión de alto riesgo, en esta parte del mundo su práctica ya es una condena a muerte.

 


Mohamed Solaimane, reportero palestino, colaborador del diario El País, de España, relató en primera persona  un testimonio de los significados, tensiones y miedos de estar siempre al borde de un precipicio mortal. Hace unos días, se salvó de engrosar la lista de reporteros asesinados, porque tuvo un retraso en la entrega de su reportaje sobre “el colapso de la asistencia sanitaria” en el Complejo Médico Nasser.

Pese a los ruegos de su esposa e hijos, el reportero, que sabe que esta caminando por una peligrosísima cuerda floja, se rehúsa a no continuar con su deber de informar sobre la descomunal tragedia de un pueblo, como el suyo. “No puedo dejar este trabajo. ¿Quién documentará los crímenes cometidos contra inocentes si alguno de nosotros flaquea?”, escribió en una nota del mencionado periódico español.

“Quién transmitirá al mundo el genocidio de todo un pueblo si los periodistas se rinden”, declaró en su doloroso relato. Sabe que su ejercicio es de alto riesgo, es, como se ha dicho, sobre todo en Gaza, una “profesión de la muerte”. Pese a tantas censuras, a los intereses propagandísticos de Estados Unidos e Israel, causantes de esta masacre que repugna a la mayoría del mundo, hasta nosotros, del otro lado de la tierra, nos llegan los ecos del genocidio, el llanto de los niños supérstites, el horror de las madres…

Y cuando no es por las voces de los periodistas, es por la de los poetas. La poesía emerge como otra manera de la resistencia contra la ignominia. “Mañana me quitarán / los vendajes. / Me pregunto: / ¿veré media naranja, /media manzana o medio /rostro de mi madre /con el ojo que me queda?”, lloran los versos de la poetisa Hanah Ashrawi. Ah, y qué tal estos versos iniciales, del poema “A la mierda su conferencia sobre técnica, a mi gente la están matando”, de Noor Hindi: “Los colonizadores escriben de flores. / Yo les hablo de niños que tiran piedra a tanques israelíes. / momentos antes de convertirse en margaritas”.

Volvamos con Solaimane. Él sabe que ser reportero en Gaza es estar al borde de la muerte. Y más aún, cuando las tropas de Netanhayu y de Trump, no se gastan miramientos en quién es periodista y quién un chicuelo que llora junto a algún olivo. “Israel ha abandonado todas las normas legales, de derechos humanos y morales. La muerte de un periodista significa poco para un Estado que mata a decenas de miles de civiles sin retroceder ni un centímetro”, escribió el reportero, que, además, ya tiene listo su testamento.

“Los alrededor de 1.000 periodistas que seguimos informando desde Gaza, según los datos del Sindicato de Periodistas Palestino, vivimos en las condiciones más peligrosas del mundo para los reporteros, con 246 informadores muertos y 500 heridos por los ataques israelíes desde octubre de 2023”, señaló Solaimane. Es probable, como él mismo lo presiente, que mañana ya no esté, que las balas de Israel lo asesinen. Se dirá, desde la perspectiva de los victimarios, que un periodista más muerto, eso qué importa.


Imran (derecha) y Lama, los hijos menores de Mohamed Solaimane, en el coche de la familia después de que fuera impactado en medio de un bombardeo. Foto Mohamed Solaimane

Sin embargo, los periodistas muertos, los periodistas vivos, los que han sacrificado su vida por dar a conocer uno de los más aberrantes exterminios, un genocidio, son parte del alma de una historia que continúa escribiéndose con sangre. Sí, se dirá, como debe decirse en todas partes: “Yo soy Gaza, vos sos Gaza, todos somos Gaza”, y entonces cada día la solidaridad, así como el dolor, crecerán hasta que cese la horripilante noche.

Hace años, leí una crónica de un médico palestino, Jehad Yousef, que volvió de paso a su tierra y expresó su testimonio sobre las villanías a las que Israel somete a los palestinos: “Nos robaron la tierra, la vida, nos violan nuestros derechos humanos. Nos asesinan, nos humillan, nos asfixian, por eso nos temen y nos vigilan”. El calvario continúa. Ahora con más sevicia que antes. Ni perdón ni olvido para las tropelías de Netanyahu y Trump.

PINO ARLACCHI
Le Gros Bobard du Venezuela comme “narco-État” : la géopolitique du pétrole camouflée en lutte antidrogue

Pino Arlacchi, L’Antidplomatico, 27/8/2025
Traduit par Tlaxcala

Pino Arlacchi (Gioia Tauro, 1951) est un sociologue, homme politique et haut fonctionnaire italien. De 1997 à 2002, il a été Secrétaire général adjoint des Nations Unies et Directeur exécutif de l’UNODC, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

Durant mon mandat à la tête de l’UNODC, l’agence antidrogue et anticriminalité de l’ONU, j’ai passé beaucoup de temps en Colombie, en Bolivie, au Pérou et au Brésil, mais je ne suis jamais allé au Venezuela. Tout simplement parce qu’il n’y en avait pas besoin. La coopération du gouvernement vénézuélien dans la lutte contre le narcotrafic était parmi les meilleures d’Amérique du Sud, seulement comparable à l’impeccable efficacité de Cuba. Un fait qui, aujourd’hui, fait du délire narratif trumpien sur le « narco-État vénézuélien », une calomnie à motivation géopolitique.

Mais les données réelles, celles qui apparaissent dans le Rapport mondial sur les drogues 2025 de l’organisme que j’ai eu l’honneur de diriger, racontent une histoire diamétralement opposée à celle que diffuse l’administration Trump. Une histoire qui démonte, pièce par pièce, la construction géopolitique autour du soi-disant Cartel de los soles — une entité aussi légendaire que le monstre du Loch Ness, mais bien utile pour justifier sanctions, embargos et menaces d’intervention militaire contre un pays qui, par hasard, repose sur l’une des plus grandes réserves de pétrole au monde.

Le Venezuela selon l’UNODC : un pays marginal sur la carte du narcotrafic

Le rapport 2025 de l’UNODC est d’une clarté limpide, et devrait embarrasser ceux qui ont fabriqué la rhétorique de la diabolisation du Venezuela. Le rapport ne fait qu’une mention marginale du Venezuela, précisant qu’une fraction insignifiante de la production colombienne de drogue transite par le pays en direction des USA et de l’Europe. Selon l’ONU, le Venezuela a consolidé son statut de territoire exempt de cultures de coca, de marijuana et d’autres substances, ainsi que de la présence de cartels criminels internationaux.

Ce document ne fait que confirmer les 30 rapports annuels précédents, qui ne parlent pas de narcotrafic vénézuélien — parce qu’il n’existe pas. Seuls 5 % de la drogue colombienne transitent par le Venezuela. Pour mettre ce chiffre en perspective : en 2018, alors que 210 tonnes de cocaïne traversaient le Venezuela, 2 370 tonnes — dix fois plus — étaient produites ou commercialisées via la Colombie, et 1 400 tonnes via le Guatemala.

Oui, vous avez bien lu : le Guatemala est un corridor de drogue sept fois plus important que le supposé « narco-État » bolivarien. Mais personne n’en parle car le Guatemala est historiquement à sec : il ne produit que 0,01 % du total mondial — de la seule « drogue » qui intéresse vraiment Trump : le pétrole.

Le Fantastique Cartel des Soleils : une fiction hollywoodienne

Le Cartel de los soles est une créature de l’imaginaire trumpien. Il serait dirigé par le président du Venezuela, mais il n’apparaît dans aucun rapport de l’organisme mondial antidrogue, ni dans les documents d’aucune agence anticriminalité européenne, ni dans presque aucune autre source internationale. Pas même une note de bas de page. Un silence assourdissant, qui devrait interpeller quiconque garde encore un minimum d’esprit critique. Comment une organisation criminelle soi-disant si puissante qu’elle justifie une prime de 50 millions de dollars peut-elle être totalement ignorée par tous les acteurs réels de la lutte antidrogue ?

En d’autres termes, ce qui est vendu comme un super-cartel façon Netflix n’est en réalité qu’un assemblage de petites bandes locales — le type de criminalité de rue qu’on retrouve dans n’importe quel pays du monde, y compris aux USA, où, rappelons-le, près de 100 000 personnes meurent chaque année d’overdoses aux opioïdes. Des morts qui n’ont rien à voir avec le Venezuela, mais tout avec les grandes firmes pharmaceutiques usaméricaines.

L’Équateur : le véritable hub que personne ne veut voir

Tandis que Washington brandit l’épouvantail vénézuélien, les véritables plaques tournantes du narcotrafic prospèrent presque sans entrave. L’Équateur, par exemple, d’où 57 % des conteneurs de bananes quittant Guayaquil pour Anvers arrivent chargés de cocaïne. Les autorités européennes ont saisi 13 tonnes de cocaïne sur un seul navire espagnol, en provenance directe des ports équatoriens contrôlés par des entreprises protégées par des figures du gouvernement équatorien.

L’Union européenne a produit un rapport détaillé sur les ports de Guayaquil, documentant comment « les mafias colombiennes, mexicaines et albanaises opèrent toutes massivement en Équateur ». Le taux d’homicides en Équateur est passé de 7,8 pour 100 000 habitants en 2020 à 45,7 en 2023. Mais on en parle peu. Peut-être parce que l’Équateur ne produit que 0,5 % du pétrole mondial, et parce que son gouvernement n’a pas la mauvaise habitude de défier l’hégémonie usaméricaine en Amérique latine.

Les vraies routes de la drogue : géographie contre propagande

Durant mes années à l’UNODC, l’une des leçons les plus importantes que j’ai apprises est que la géographie ne ment pas. Les routes de la drogue suivent des logiques précises : proximité des zones de production, facilité de transport, corruption des autorités locales, présence de réseaux criminels établis. Le Venezuela ne remplit quasiment aucun de ces critères.

La Colombie produit plus de 70 % de la cocaïne mondiale. Le Pérou et la Bolivie couvrent la majeure partie des 30 % restants. Les routes logiques vers les marchés usaméricain et européen passent par le Pacifique vers l’Asie, par les Caraïbes orientales vers l’Europe, et par voie terrestre via l’Amérique centrale vers les USA. Le Venezuela, tourné vers l’Atlantique Sud, est géographiquement désavantagé pour ces trois routes principales. La logistique criminelle en fait un acteur marginal du grand théâtre du narcotrafic international.

Cuba : l’exemple qui gêne

La géographie ne ment pas, certes, mais la politique peut la contredire. Cuba demeure aujourd’hui encore la référence absolue en matière de coopération antidrogue dans les Caraïbes. Une île à quelques encablures de la Floride, théoriquement une base parfaite pour le trafic vers les USA, mais qui, en pratique, reste étrangère aux flux du narcotrafic. J’ai maintes fois constaté l’admiration des agents de la DEA et du FBI pour la rigueur des politiques antidrogue des communistes cubains.

Le Venezuela chaviste a constamment suivi le modèle cubain de lutte antidrogue inauguré par Fidel Castro lui-même : coopération internationale, contrôle du territoire, répression de la criminalité. Ni au Venezuela ni à Cuba n’ont jamais existé de vastes zones cultivées en coca et contrôlées par la grande criminalité.

L’Union européenne n’a pas d’intérêts pétroliers particuliers au Venezuela, mais elle a un intérêt concret à combattre le narcotrafic qui frappe ses villes. Elle a produit son Rapport européen sur les drogues 2025, basé sur des données réelles et non sur des fantasmes géopolitiques. Ce document ne mentionne pas une seule fois le Venezuela comme corridor du trafic international de drogue.

Voilà la différence entre une analyse honnête et une narration fausse et insultante. L’Europe a besoin de données fiables pour protéger ses citoyens de la drogue, et donc elle produit des rapports précis. Les USA ont besoin de justifications pour leurs politiques pétrolières, et donc ils produisent de la propagande déguisée en renseignements.

Selon le rapport européen, la cocaïne est la deuxième drogue la plus consommée dans les 27 pays de l’UE, mais les sources principales sont clairement identifiées : la Colombie pour la production, l’Amérique centrale pour le transit, et diverses routes via l’Afrique de l’Ouest pour la distribution. Dans ce scénario, le Venezuela et Cuba n’apparaissent tout simplement pas.

Et pourtant, le Venezuela est systématiquement diabolisé, contre toute vérité. L’explication a été donnée par l’ancien directeur du FBI, James Comey, dans ses mémoires après sa démission, où il évoque les motivations inavouées de la politique usaméricaine envers le Venezuela : Trump lui aurait dit que le gouvernement de Maduro était « un gouvernement assis sur une montagne de pétrole que nous devons acheter ».

Il ne s’agit donc ni de drogue, ni de criminalité, ni de sécurité nationale. Il s’agit de pétrole que l’on préférerait ne pas payer.

C’est Donald Trump, donc, qui mériterait une mise en accusation internationale pour un crime bien précis : « calomnie systématique contre un État souverain visant à s’approprier ses ressources pétrolières. »


 


PINO ARLACCHI
The Great Hoax against Venezuela as a “narco-state”: oil geopolitics disguised as a war on drugs

 Pino Arlacchi, L’Antidplomatico, 27/8/2025
Translated by Tlaxcala

Pino Arlacchi 
(Gioia Tauro, 1951) is an Italian sociologist, politician, and civil servant. From 1997 to 2002 he was United Nations Under-Secretary-General and Executive Director of UNODC, the United Nations Office on Drugs and Crime

During my time heading the UNODC, the UN’s anti-drug and anti-crime agency, I spent much of my time in Colombia, Bolivia, Peru, and Brazil—but I was never in Venezuela. Simply put, there was no need. The Venezuelan government’s cooperation in the fight against drug trafficking was among the best in South America, matched only by Cuba’s impeccable record. A fact which, in today’s delirious Trumpian narrative of the “narco-state Venezuela,” sounds like a geopolitically motivated slander.


But the real data, the hard evidence found in the 2025 World Drug Report of the very agency I had the honor to lead, tells a story completely opposite to the one being peddled by the Trump administration. A story that dismantles, piece by piece, the geopolitical fabrication built around the so-called Cartel de los soles—an entity as legendary as the Loch Ness monster, but useful for justifying sanctions, embargoes, and even threats of military intervention against a country which, not coincidentally, sits on one of the largest oil reserves on the planet.

Venezuela According to the UNODC: A Marginal Country on the Drug Trafficking Map

The 2025 UNODC report is crystal clear, and should be an embarrassment for those who crafted the rhetoric of demonizing Venezuela. The report barely mentions Venezuela, stating only that a marginal fraction of Colombian drug production passes through the country en route to the United States and Europe. According to the UN, Venezuela has consolidated its status as a territory free from coca leaf and marijuana cultivation, as well as from the presence of international criminal cartels.

The document merely confirms the 30 previous annual reports, none of which mention Venezuelan drug trafficking—because it doesn’t exist. Only 5% of Colombian drugs transit through Venezuela. To put that in perspective: in 2018, while 210 tons of cocaine crossed Venezuelan territory, a staggering 2,370 tons—ten times as much—were produced or traded through Colombia, and another 1,400 tons through Guatemala.

Yes, you read that right: Guatemala is a drug corridor seven times more significant than the supposedly fearsome Bolivarian “narco-state.” Yet no one talks about it because Guatemala is historically bone-dry—it produces just 0.01% of the global supply—of the only “drug” that Trump really cares about: oil.

The Fantastic Cartel of the Suns: Hollywood Fiction

The Cartel de los soles is a creature of Trumpian imagination. Supposedly led by Venezuela’s president, it is not mentioned once in the report of the world’s leading anti-drug body, nor in the documents of any European anti-crime agency, nor in nearly any other international source. Not even a footnote. A deafening silence that should make anyone with a shred of critical sense pause. How can a criminal organization allegedly so powerful that it warrants a $50 million bounty be completely ignored by every actual anti-drug authority?

In other words, what is sold as a Netflix-style super-cartel is in reality a patchwork of small local networks—the sort of petty crime you find in any country, including the United States, where, incidentally, nearly 100,000 people die each year from opioid overdoses. Deaths that have nothing to do with Venezuela and everything to do with USAmerican Big Pharma.

Ecuador: The Real Hub No One Wants to See

While Washington waves the Venezuelan bogeyman, the real drug hubs thrive almost unchallenged. Ecuador, for instance, with 57% of banana containers leaving Guayaquil for Antwerp loaded with cocaine. European authorities seized 13 tons of cocaine in a single Spanish ship that came directly from Ecuadorian ports controlled by companies tied to figures within Ecuador’s government.

The European Union produced a detailed report on the ports of Guayaquil, documenting how “Colombian, Mexican, and Albanian mafias all operate extensively in Ecuador.” The murder rate in Ecuador skyrocketed from 7.8 per 100,000 inhabitants in 2020 to 45.7 in 2023. Yet little is said about Ecuador. Perhaps because Ecuador produces only 0.5% of global oil, and because its government does not make a habit of challenging U.S. hegemony in Latin America.

The Real Drug Routes: Geography vs. Propaganda

During my years at UNODC, one of the most important lessons I learned is that geography does not lie. Drug routes follow precise logics: proximity to production centers, ease of transport, corruption of local authorities, and the presence of established criminal networks. Venezuela meets almost none of these criteria.

Colombia produces over 70% of the world’s cocaine. Peru and Bolivia cover most of the remaining 30%. The logical routes to reach U.S. and European markets go across the Pacific to Asia, through the Eastern Caribbean to Europe, and overland via Central America into the U.S. Venezuela, facing the South Atlantic, is geographically disadvantaged for all three main routes. Criminal logistics make Venezuela a marginal actor in the grand theater of international drug trafficking.

Cuba: The Embarrassing Example

Geography does not lie, true—but politics can override it. Cuba remains today the gold standard of anti-drug cooperation in the Caribbean. An island just off the Florida coast, theoretically a perfect base for smuggling into the U.S., yet in practice absent from drug flows. I repeatedly witnessed DEA and FBI agents express admiration for the Cuban communists’ rigorous anti-drug policies.

Chavista Venezuela has consistently followed the Cuban model, pioneered by Fidel Castro himself: international cooperation, territorial control, repression of criminal activity. Neither Venezuela nor Cuba has ever had large tracts of land cultivated with coca and controlled by organized crime.

The European Union, while having no particular oil interest in Venezuela, does have a concrete interest in fighting the drug trade afflicting its cities. It has produced its own European Drug Report 2025, based on real data rather than geopolitical wishful thinking. That report does not mention Venezuela even once as a corridor for international drug trafficking.

This is the difference between an honest analysis and a false, insulting narrative. Europe needs reliable data to protect its citizens from drugs, so it produces accurate reports. The U.S. needs justifications for its oil policies, so it produces propaganda disguised as intelligence.

According to the European report, cocaine is the second most used drug in the EU 27 countries, but the main sources are clearly identified: Colombia for production, Central America for transit, and various routes through West Africa for distribution. In this picture, Venezuela and Cuba simply do not appear.

Yet Venezuela is systematically demonized against every principle of truth. The explanation was provided by former FBI Director James Comey in his post-resignation memoirs, where he revealed the unspoken motivations behind U.S. policy toward Venezuela: Trump had told him that Maduro’s government was “sitting on a mountain of oil that we need to buy.”

So it is not about drugs, crime, or national security. It is about oil that the U.S. would rather not pay for.

It is Donald Trump, therefore, who deserves an international warrant for a very specific crime: “systematic slander against a sovereign state aimed at appropriating its oil resources.”