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19/09/2022

ANNA DI GIANANTONIO
La diétrologie* sur l'affaire Moro et les questions sans réponse
Recension du livre La police de l'histoire, de Paolo Persichetti

Anna Di Gianantonio, PuLp, 15/7/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le livre de Paolo Persichetti explique le malaise de ceux qui, passionnés par les événements des années soixante et soixante-dix, lisent les nombreux travaux récemment publiés – grâce à la levée du secret sur les documents décidée par le gouvernement Renzi – sur la fameuse « stratégie de la tension » et observe que de nombreuses publications, au lieu de clarifier, compliquent parfois le contexte. En ce qui concerne les massacres d’Ordine Nuovo [Ordre Nouveau, organisation fasciste, NdT], on connaît les noms des exécutants, mais sur ceux des commanditaires, il y a de nombreuses et diverses hypothèses. Au fil du temps et avec la production d'enquêtes télévisées, de films et de nouvelles recherches, le lecteur a le sentiment d'être aux prises non pas avec des publications qui, en utilisant des sources inédites, se rapprochent de la vérité, mais utilisent des genres littéraires du genre roman d’espionnage ou roman noir.

Pour les Brigades rouges, le tableau est encore plus complexe, dans un panier de crabes fait de fake news, de lieux communs et de véritables faux historiques. Le livre de Persichetti est un démontage précis et complexe des fausses infos sur le crime Moro, qui se fonde sur son long travail de recherche et sur celui d'une nouvelle génération d'historiens – dont Marco Clemente et Elena Santalena avec qui il a écrit le premier volume d’histoire des BR – qui entendent analyser les années soixante-dix avec les instruments de l'histoire, sans sensationnalisme ni fausses pistes. Dans le texte, l’auteur donne les noms et prénoms de célèbres auteurs qui, à propos de l'enlèvement et de la mort de Moro, ont créé une véritable fortune éditoriale, alimentant de fausses hypothèses et des complotismes.

Il est impossible de faire une synthèse de toutes les questions complexes de l'affaire Moro : il est nécessaire de lire les papiers et les preuves que l’auteur apporte. Persichetti renverse tout d'abord l’image d’un Moro trafiquant illuminé qui aurait voulu amener les communistes au gouvernement, en illustrant les entretiens que l'homme d'État eut avec l’ambassadeur usaméricain Richard Gardner. À cette occasion, Moro, effrayé par le consensus du PCI et convaincu que les Brigades rouges déstabilisaient le pays en favorisant les communistes, demanda à l'ambassadeur une plus grande attention et un activisme usaméricain en Italie. Pour rassurer le diplomate, Moro a garanti qu'il n'y aurait pas de ministre de gauche dans le nouveau gouvernement Andreotti, démentant catégoriquement les assurances qui avaient été faites au PCI et qui concernaient la présence d'au moins des experts techniques dans le nouvel exécutif.

Le choix de Moro de les démettre de leurs fonctions a été contesté par le futur président du conseil Andreotti et le secrétaire national de la démocratie-chrétienne Zaccagnini qui a démissionné de ses fonctions. Le PCI, furieux de la décision, n'a voté la confiance qu'après la nouvelle de l'enlèvement de l'homme d'État. Moro n'a donc pas été du tout l’homme du compromis historique ou des larges ententes, comme il a été représenté post mortem, quand il a été décrit comme un visionnaire avant-gardiste de politiques inclusives alors que, pendant sa captivité, il a été considéré comme incapable de formuler des pensées autonomes.

Un autre lieu commun répandu encore aujourd'hui est la « légende noire » sur Mario Moretti, considéré comme une personnalité ambiguë et liée en quelque sorte aux services. Moretti purge sa quarante-deuxième année d'exécution de peine et ne peut donc guère être considéré comme un homme au service de l'État. Les soupçons sur lui ont été propagés par Alberto Franceschini et Giorgio Semeria, démenti par des enquêtes internes qui ont révélé l’invraisemblance des accusations, également utilisées par des chercheurs tels que Sergio Flamigni qui a construit sa fortune politique et éditoriale sur la figure de Moretti et ses liens présumés avec les pouvoirs forts

La diétrologie sur l'affaire Moro s'est exercée sur la présence rue Fani [lieu de l’enlèvement, NdT] d'autres personnes, en particulier deux motocyclistes sur une Honda, vus sur la scène de l'enlèvement par le témoin Alessandro Marini. Les motocyclistes ont suscité mille hypothèses sur leur identité présumée d'hommes des services, de tueurs professionnels ou d'agents des services étrangers, donnant lieu à de nouvelles publications. Ce fut le long et minutieux travail historique de Gianremo Armeni dans l'essai Ces fantômes. Le premier mystère de l'affaire Moro qui a mis en lumière le caractère inadmissible du témoignage. Rue Fani, il n'y avait que les dix personnes désignées dans les procès comme responsables de l'enlèvement et du meurtre de l'escorte, toutes appartenant aux Brigades Rouges.

Avec une longue série de documents et d'analyses, Persichetti dénonce également les incohérences de la deuxième commission Moro, instituée en mai 2014 sous la présidence de Giuseppe Fioroni. Bien qu'utilisant de nouvelles techniques d'enquête, telles que l’analyse de l'ADN et les reconstructions laser de la scène de crime, aucune nouvelle conclusion n'a été tirée.

Persichetti soutient donc que : 

Cinq ans de procès, des dizaines et des dizaines de condamnations à perpétuité avec des centaines d'années de prison, deux commissions parlementaires, les témoignages des protagonistes, quelques importants travaux historiques, n'ont pas ébranlé l’obsession conspirative et le préjugé historiographique qui depuis plus de trois décennies fleurit sur l'enlèvement Moro et toute l’histoire de la lutte armée pour le communisme.

Quel est le préjugé historiographique auquel l’auteur se réfère ? Tout simplement l’idée qu'un groupe armé ait pu, sans aide extérieure, accomplir une telle action alors que la lecture « politique » de ces années veut démontrer que derrière les luttes de masse des années soixante et soixante-dix il y avait des stratégies de pouvoir orchestrées par des forces occultes liées à l'État, aux services secrets, à la dynamique internationale.

L’usage politique de la mémoire sert donc à démontrer qu'aucune stratégie, aucune organisation, aucune motivation politique qui naît d'en bas ne peut s'exprimer sans être manipulée et rendue inefficace par la présence des pouvoirs de l'État. De cette façon, les années soixante-dix sont devenues des années de plomb dont nous sommes sortis grâce à l'action déterminée de la politique de la fermeté et de la défense de la légalité.

Selon Persichetti, quelles questions serait-il en revanche légitime de se poser sur l'affaire Moro ? Tout d'abord, une réflexion devrait être faite sur l'utilisation de la torture sur les prisonniers et les détenues des BR par le fonctionnaire de l'UCIGOS [Office central des enquêtes générales et des opérations spéciales de ka police d’État, 1970-1980, NdT] Nicola Ciocia, alias professeur De Tormentis, qui a appliqué sur les prisonniers, en particulier sur les femmes, des actions violentes et humiliantes pour les forcer à parler, même en présence d'une législation spéciale qui permettait d'abondantes remises de peine aux repentis, aux collaborateurs de la justice, aux dissociés. En outre : pourquoi la ligne de la fermeté a-t-elle été maintenue jusqu'au résultat tragique de la mort d'Aldo Moro ? Pourquoi les deux partis de masse, DC et PCI, ne sont-ils pas intervenus pour son sauvetage, alors que les BR se contentaient d'une reconnaissance de la nature politique de leur action ? Pourquoi Fanfani, qui devait prononcer un discours d'ouverture et de reconnaissance minimales, n'a-t-il pas parlé, trahissant l’engagement pris avec le PSI qui s'employait à négocier avec les BR ?

Deux dernières remarques. Les archives de Paolo Persichetti, saisies le 8 juin 2021 par des agents de la DIGOS [Division des enquêtes générales et des opérations spéciales de la police d’État, NdT] sur des accusations fallacieuses, doivent être  restituées à leur propriétaire légitime. Persichetti a purgé sa peine et est le seul à pouvoir recueillir des témoignages des protagonistes de ces années en ayant les outils pour raisonner sur ceux-ci. Il ne peut exister en Italie un organisme de « police de prévention » qui intervienne sur la recherche historique pour l'orienter dans des directions préétablies. Il est scandaleux que peu d'intellectuels aient pris la défense de la liberté de la recherche historique, menacée non seulement en ce qui concerne les années 1970. Pensez à la criminalisation des chercheurs sur les foibe [grottes de la région de Trieste où eurent lieu plusieurs massacres avant et après la Deuxième Guerre mondiale, NdT], passibles du délit de négationnisme.

Qu’on me permette une remarque finale. La reconstruction historique est nécessaire, mais une réflexion politique sur ces années est également nécessaire. En lisant le volume, certaines figures de brigadistes comme Franceschini émergent par leur inadéquation politique et humaine. À mon avis, le terrain autobiographique et psychologique n'est pas un élément secondaire dans le bilan d'une phase historique. De plus, il y a eu des erreurs : tout d'abord, comme l’affirme l’auteur, le fait d'avoir pensé que l'enlèvement causerait de fortes contradictions entre la base et les dirigeants du PCI concernant le compromis historique, contradictions qui  ont été réduites également en raison de l'enlèvement. L’assassinat de Guido Rossa [syndicaliste qui avait dénoncé un ouvrier brigadiste, NdT] en 1979 ne fit que renforcer la condamnation contre les actions armées et assécher cette zone grise qui ne se rangeait pas du côté de l'État. Sur la question des raisons du consensus et sur la question de la violence, une discussion très articulée serait nécessaire.

NdT

*Dietrologia : néologisme du langage politique et journalistique italien qui indique, de manière polémique, la tendance, propre aux soi-disant diétrologues, à attribuer aux faits de la vie publique des causes différentes de celles qui sont déclarées ou apparentes, en supposant souvent des motivations secrètes, avec la prétention de connaître ce qui se cache derrière (dietro) une mise en œuvre. Ce terme est apparu dès les années 1970 dans la presse de droite pour fustiger tous ceux qui voyaient (souvent à juste titre) la main de l’État profond dans les actes terroristes. Un équivalent français serait conspirationnisme ou théorie du complot ou complotisme.


 

Paolo Persichetti

 La polizia della storia. La fabbrica delle fake news nell’affaire Moro (La police de l'histoire. La fabrique des fake news dans l'affaire Moro)

Derive Approdi, 240 p., Imprimé 20 €

 

LUIS CASADO
La même seringue avec un embout différent

Luis Casado (bio), 18/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

C'est connu, l'histoire se répète, comme l'a dit Karl, la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. Ignorant l'histoire, nous ne nous rendons pas compte que ce que nous vivons aujourd’hui est une pure et simple bouffonnade...

Le livre d'Alexis de Tocqueville qui nous touche de près - “L'Ancien Régime et la Révolution” - est très souvent ignoré, raison qui justifie ce billet. Encore une fois, je dois cette découverte à Armando, un lecteur perspicace d'ouvrages intelligents.

Le comte de Tocqueville (1805 – 1859) avait des bonnes manières qui se sont perdues parmi les intellectuels contemporains jusqu'à disparaître presque complètement. Parmi celles-ci, il y en avait une que sa condition de noble aurait dû lui épargner : le travail.

La monarchie française a connu de nombreux épisodes que nous appellerions aujourd'hui crises économiques, politiques, institutionnelles, religieuses, etc., accompagnés de famines et de révoltes. De telles crises ont été résolues grâce à des techniques modernes qui consistaient principalement à massacrer les affamés et les rebelles. Cependant, lorsque Sa Majesté était de bonne humeur, elle pouvait être convaincue d'utiliser des ressources qui, même aujourd'hui, passent pour adroites :

« Cela se voit bien dans le mémoire que Turgot adressait au roi en 1775, où il lui conseillait entre autres choses de faire librement élire par toute la nation et de réunir chaque année autour de sa personne, pendant six semaines, une assemblée représentative, mais de ne lui accorder aucune puissance effective. Elle ne s'occuperait que d'administration, et jamais de gouvernement, aurait plutôt des avis à donner que des volontés à exprimer, et, à vrai dire, ne serait chargée que de discourir sur les lois sans les faire. « De cette façon, le pouvoir royal serait éclairé et non gêné», disait-il, «et l'opinion publique satisfaite sans péril ». (Alexis de Tocqueville, L'ancien régime et la révolution, 1856)

Toute ressemblance avec des événements récents de la vie réelle n'est pas purement fortuite. Mais il y a plus, plus sophistiqué et d'une efficacité inégalée : impliquer directement le peuple dans le diagnostic des maux et la recherche des remèdes.

Le roi Philippe le Bel est crédité de la paternité de l'invention en 1302. La filouterie est connue sous le nom de “cahiers de doléances”. Le Roi ordonne que dans chaque ville, village ou hameau, un scribe soit installé pour prendre note de ce que chaque sujet - noble, ecclésiastique ou moins-que-rien - souhaite librement porter à l'attention de Sa Majesté. Au moment de la Révolution française, la population était de l'ordre de 25 millions d'âmes et les communes se comptaient déjà par dizaines de milliers. Ainsi, lorsque la collecte de toutes les doléances de tous les doléants a été achevée, les archives se sont enrichies de centaines de milliers de pages manuscrites qu'il était urgent d'oublier dès qu'elles avaient été classées. Tocqueville a pris la peine de lire tous les cahiers de doléances dont Louis XVI avait ordonné la collecte, et est arrivé à une conclusion surprenante :

« Je lis attentivement les cahiers que dressèrent les Trois Ordres avant de se réunir en 1789 ; je dis les Trois Ordres, ceux de la noblesse et du clergé aussi bien que celui du tiers. Je vois qu'ici on demande le changement d'une loi, là d'un usage, et j'en tiens note. Je continue ainsi jusqu'au bout cet immense travail, et, quand je viens à réunir ensemble tous ces vœux particuliers, je m'aperçois avec une sorte de terreur que ce qu'on réclame est l'abolition simultanée et systématique de toutes les lois et de tous les usages ayant cours dans le pays ; je vois sur-le-champ qu'il va s'agir d'une des plus vastes et des plus dangereuses révolutions qui aient jamais paru dans le monde. Ceux qui en seront demain les victimes n'en savent rien ; ils croient que la transformation totale et soudaine d'une société si compliquée et si vieille peut s'opérer sans secousse, à l'aide de la raison, et par sa seule efficace. Les malheureux! ils ont oublié jusqu'à cette maxime que leurs pères avaient ainsi exprimée, quatre cents ans auparavant, dans le français naïf et énergique de ce temps-là: « Par requierre de trop grande franchise et libertés chet-on en trop grand servaige.» (A. de Tocqueville. Op. cit.)

Ce qui précède est ce que Karl Marx appellera plus tard le “radicalisme”, dans le sens où il s'agit de ne pas tourner autour du pot et d'aller directement à la racine des problèmes soulevés.

Comparées aux cahiers de doléances de 1789, les revendications contemporaines au Chili, en France ou à Lilliput sont du pipi de chat.

En 1789, les privilégiés tentent de faire ce que Philippe le Bel avait fait en 1302 : se torcher avec les doléances. Le résultat, vous le connaissez : la Révolution française, la fin de la monarchie, la fin de la noblesse, la nationalisation des biens de l'Eglise, l'instauration de la République, des Droits de l'Homme et du Citoyen, l'abolition de l'esclavage, le suffrage universel et deux ou trois autres petites choses dont l'Humanité est fière encore aujourd'hui.

Tocqueville n'est pas très indulgent lorsqu'il s'agit de juger ceux qui n'ont pas su voir venir. Se référant aux puissants de l'époque, il écrit :

 « Plusieurs étaient cependant de très-habiles gens dans leur métier ; ils possédaient à fond tous les détails de l'administration publique de leur temps ; mais quant à cette grande science du gouvernement, qui apprend à comprendre le mouvement général de la société, à juger ce qui se passe dans l'esprit des masses et à prévoir ce qui va en résulter, ils y étaient tout aussi neufs que le peuple lui-même. Il n'y a, en effet, que le jeu des institutions libres qui puisse enseigner complétement aux hommes d'État cette partie principale de leur art.» (A. de Tocqueville. Op. cit.)

Toute ressemblance avec des événements récents de la vie réelle n'est pas purement fortuite, on l’a déjà dit.

Pour décrire ce que nous vivons aujourd'hui, nous avons recours en français à une tournure : « C’est du pareil au même ». Mon grand-père maternel, combattant social de toujours, le disait dans son jargon de praticien : « C'est la même seringue avec un embout différent ».

 

LUIS CASADO
La misma jeringa con distinto bitoque

, 18-9-2022

Es sabido, la historia se repite, como decía Karl, primero como tragedia, luego como comedia. Ignorantes de la Historia, no nos damos cuenta que lo de hoy es una payasada...

De Alexis de Tocqueville suele ignorarse muy frecuentemente un libro que nos toca de cerca –“El Antiguo Régimen y la Revolución”– razón que justifica esta parida. Una vez más le debo el hallazgo a Armando, lector pertinaz de obras inteligentes.

El conde de Tocqueville (1805 – 1859) tenía buenas costumbres que se han ido perdiendo entre los intelectuales contemporáneos hasta desaparecer casi del todo. Entre ellas se cuenta una que su condición de noble hubiese debido ahorrarle: el trabajo.

La monarquía francesa conoció numerosos episodios que hoy llamaríamos crisis económicas, políticas, institucionales, religiosas, etc., acompañadas de hambrunas y revueltas. Tales crisis eran resueltas gracias a modernas técnicas que consistieron mayormente en masacrar a los hambrientos y a los revoltosos. No obstante, cuando Su Majestad estaba de buen humor se le podía convencer de usar recursos que aun hoy pasan por habilidosos:

“Eso se ve muy bien en la Memoria que Turgot le dirigió al Rey en 1775, en la que le aconsejaba, entre otras cosas, hacer elegir libremente por toda la nación y reunir cada año alrededor de su persona, durante seis semanas, una asamblea representativa, pero sin acordarle ningún poder efectivo. Ella se ocuparía de administración y jamás de gobernar, tendría más bien opiniones que dar que voluntades que expresar, y, a decir verdad, solo se encargaría de discurrir sobre las leyes sin legislar. ‘De esta manera el poder Real se vería ilustrado sin ser molestado’, decía Turgot, y la opinión pública sería satisfecha sin peligro.” (Alexis de Tocqueville. El antiguo Régimen y la Revolución. 1856).

Cualquier parecido con recientes acontecimientos de la vida real no es pura coincidencia. Pero hay más, más sofisticado y de una eficacia insuperable: hacer participar al pueblo, directamente, en el diagnóstico de los males y en la búsqueda de los remedios.

Se le atribuye al Rey Philippe le Bel la paternidad del invento allá por el año 1302. La pillería es conocida como “Les cahiers des doléances” lo que en buen romance quiere decir “Cuadernos de quejas”. El Rey ordenaba que en cada ciudad, pueblito o aldea, se instalase un escribano para tomar nota de lo que libremente cada súbdito –noble, clérigo o pringao– tuviese a bien llevar a conocimiento de Su Majestad. En la época de la Revolución Francesa la población era del orden de 25 millones de almas y los municipios ya se contaban en decenas de miles. De modo que al terminar la colecta de todas las quejas de todos los quejicas, los archivos se enriquecían con centenares de miles de páginas manuscritas que era urgente olvidar apenas archivadas. Tocqueville se dio el trabajo de leer todos los Cuadernos de quejas que ordenó colectar Louis XVI, y llegó a una conclusión sorprendente, mira ver:

“Leí atentamente los cuadernos que llenaron los tres órdenes antes de reunirse en 1789; digo los tres órdenes, los de la nobleza y el clero así como el tercer estado. Veo que aquí piden el cambio de una ley, acá de una costumbre, y tomo nota. Continué así hasta terminar este inmenso trabajo, y, cuando llegué a reunir el conjunto de todos esos anhelos particulares, me di cuenta con una suerte de terror que lo que reclaman es la abolición simultánea y sistemática de todas las leyes y de todas las costumbres en vigor en el país.” (A. de Tocqueville. Op. cit.)

Lo que precede es lo que más tarde Karl Marx llamaría “radicalidad”, en el sentido de no irse por las ramas y apuntar directamente a las raíces de las cuestiones planteadas.

Comparadas con los Cuadernos de quejas de 1789 las reivindicaciones contemporáneas en Chile, en Francia o en Liliput, son meado de gato.

En 1789 los privilegiados intentaron hacer lo mismo que había hecho Philippe le Bel en 1302: pasarse las quejas por las amígdalas del sur. El resultado lo conoces: la Revolución Francesa, el fin de la monarquía, el fin de la nobleza, la nacionalización de los bienes de la Iglesia, la instauración de la República, los Derechos del Hombre y el Ciudadano, la Abolición de la esclavitud, el Sufragio universal y dos o tres detallitos más de los que la Humanidad se enorgullece hasta ahora.

Tocqueville no es muy complaciente cuando se trata de juzgar a quienes fueron incapaces de ver lo que venía. Refiriéndose a los poderosos de la época escribe:

“Muchos eran sin embargo muy hábiles en su oficio; dominaban a fondo todos los detalles de la administración pública de su época; pero en cuanto a esta gran ciencia del gobierno, que enseña a comprender el movimiento general de la sociedad, a juzgar lo que ocurre en el espíritu de las masas y a prever lo que resultará de ello, eran tan principiantes como el propio pueblo.” (A. de Tocqueville. Op. cit.)

Cualquier parecido con recientes acontecimientos de la vida real no es pura coincidencia, ya se dijo.

Para describir lo que vivimos hoy, en francés recurrimos a un modismo: “Du pareil au même”. Mi abuelo materno, luchador social de toda una vida, lo decía en su jerga de practicante: “Es la misma jeringa con distinto bitoque”.

18/09/2022

URI MISGAV
1982 : la folle tentative du Mossad de changer le visage du Liban
Les dessous du massacre de Sabra et Chatila : une version israélienne

Uri Misgav, Haaretz, 15/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala




L'agent du Mossad qui dormait avec un pistolet. Des repas délirants avec Ariel Sharon à Beyrouth. L'orchestre qui jouait “Hava Nagila” pour les espions. À la recherche d’une Rolex dans les ruines.

 Quarante ans après l'assassinat de Bachir Gemayel et les massacres dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, d'anciens responsables israéliens révèlent le château de cartes qu'Israël a construit au Liban et comment il s'est effondré.

 Sharon et Gemayel gauche, le secrétaire militaire de Sharon, Oded Shamir). Je ne serai pas votre "Armée du Liban Nord", dira Gemayel à Sharon, en colère. Photo : Collection Oded Shamir

Bachir Gemayel se réveille relativement tard le 14 septembre 1982. Il était resté debout jusqu'aux petites heures de la nuit pour rédiger et répéter son discours pour sa prestation de serment présidentielle, qui devait avoir lieu huit jours plus tard. Trois semaines plus tôt, il avait atteint - avec l'aide rapprochée d'Israël - un objectif qui avait été considéré jusqu’à récemment comme fantaisiste, en étant élu, à l'âge de 34 ans, président du Liban multinational et fragmenté.

Un programme chargé était prévu pour lui à Beyrouth ce jour-là, comprenant des entretiens téléphoniques avec les commandants de l'armée libanaise, une visite au couvent maronite où sa sœur bien-aimée, Arza, était nonne et, pour couronner le tout, un discours devant ses partisans au siège du parti Kataeb (Phalanges) dans le quartier d'Achrafieh.

Pendant sa course à la présidence, Gemayel avait pris l'habitude de se présenter à cette occasion politique tous les mardis à 15 heures et, après son élection, il avait décidé de poursuivre la tradition au moins une fois par mois. Naturellement, cela a permis à ses ennemis - à ce stade, avant tout les services de sécurité et de renseignement syriens - de le suivre plus facilement. En fait, après que Gemayel a été élu président, sa vigilance et sa sensibilité à l'égard de sa sécurité personnelle se sont relâchées. Il a commencé à laisser échapper ses gardes du corps de temps en temps et, ce matin-là, il s'est emporté contre un conseiller qui tentait de le mettre en garde à ce sujet. 

Jusque-là, il avait été prudent, et à juste titre. La culture politique au Liban était marquée par une folie meurtrière rampante, non seulement entre les différents groupes ethniques, mais aussi entre les familles et les factions d'un même groupe de population. La première fois que je suis venu à Beyrouth, raconte Avner Azoulay, nommé en 1981 chef du département en charge du Liban au sein de Tevel, la division des relations extérieures du Mossad, j'ai demandé à mon accompagnateur local : "Qu'est-ce qui est bon marché ici ?" Il m'a jeté un regard perçant et m'a répondu : "La vie humaine. C'est ce qui est le moins cher."

Tout au long de sa carrière politique, Gemayel a pris une part active à la violence et aux meurtres. Entre autres événements, dans le cadre des luttes sanglantes pour le contrôle de la communauté chrétienne, Antoine "Tony" Frangieh, le fils d'un ancien président libanais issu d'un hamoula (clan) concurrent, avait été assassiné sur ses ordres, ainsi que sa femme, son fils et d'autres membres de son entourage. Gemayel lui-même avait été la cible d'une tentative d'assassinat, à laquelle il n'avait échappé que parce qu'il avait eu le mal de mer sur un bateau lance-missiles où il tenait l'une de ses nombreuses réunions avec des responsables du gouvernement et des militaires israéliens. Comme il se sentait mal le lendemain matin, il n'a pas emmené sa fille Maya chez sa grand-mère comme prévu.

Ainsi, lorsque la bombe fixée à sa voiture a explosé, Gemayel n'a pas été blessé, mais Maya et le garde du corps personnel de son père, qui l'escortait, ont été tués. Après les funérailles, il a ordonné à ses aides furieux d'attendre le moment opportun pour se venger.

Azoulay, qui était en contact étroit avec Gemayel, l'a imploré après son élection, sur la directive de ses supérieurs, d'accepter l'aide d'une unité du service de sécurité du Shin Bet. "Il ne voulait pas en entendre parler", dit Azoulay. "Il m'a dit : 'Est-ce que cela vous semble raisonnable que le président élu d'un pays arabe se promène avec des gardes du corps israéliens ? Qu'est-ce que vous ne comprenez pas ? J'ai essayé de réfléchir à des idées alternatives. J'ai suggéré de choisir des gars aux cheveux blonds et aux yeux bleus et de dire qu'il s'agissait de techniciens venus d'Europe, pour que personne ne le sache. "En aucun cas", a-t-il dit. Cela n'aurait pas forcément aidé. Je crois que si nous lui avions adjoint des gardes du corps, ils auraient été assassinés en même temps que lui."

Le chef d'état-major Rafael Eitan avec Gemayel, de profil à gauche. Raful appelait le Libanais "mon frère". Crédit : Collection Avner Azoulay

Après le discours au siège du parti, Gemayel devait rencontrer les membres de la sous- commission des renseignements de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, qui se trouvaient à Beyrouth pour se faire une idée de la situation. Le mois précédent, les forces de l'Organisation de libération de la Palestine, dirigée par Yasser Arafat, avaient quitté la ville en vertu d'un accord négocié par les USAméricains. Le soir, le président élu avait l'intention de dîner dans le luxueux restaurant Bustan, en compagnie de son ami Ehud Yaari, à l'époque analyste des affaires arabes à la télévision israélienne. Ce dîner n'a jamais eu lieu.