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27/09/2022

ANNA SIMONE
Un journal d’erreurs jamais écrit : notes marginales sur l’ascension de Meloni et le déclin du PD

Anna Simone, Dinamopress.it, 26/9/2022 

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un tour de scrutin où, dans la déqualification généralisée de la politique désormais totalement subalterne au marketing de performance et à la technique, deux mots qui auraient pu faire la différence ont été absents : l'Histoire et la Société.

 

« Le fascisme convient aux Italiens parce qu'il est dans leur nature et qu'il renferme leurs aspirations, exalte leurs haines, rassure leur infériorité. Le fascisme est démagogique mais patronal, rhétorique, xénophobe, haineux de culture, méprisant la liberté et la justice, oppresseur des faibles, serviteur des forts, toujours prêt à pointer les autres du doigt comme causes de son impuissance ou de sa défaite (…). Il n'aime pas l’amour, mais la possession. Il n'a pas de sens religieux, mais il voit dans la religion le rempart pour empêcher les autres de s'élever au pouvoir. Il croit intimement en Dieu, mais en tant qu'entité avec laquelle il a établi un concordat, do ut des (donnant-donnant). Il est superstitieux, il veut être libre de faire ce qu'il veut, surtout s'il nuit ou dérange les autres. Le fasciste est prêt à tout pourvu qu'on lui concède qu'il est le patron, le Père. Les mères sont généralement fascistes. »

Dans les années 1960, Ennio Flaiano* décrivait ainsi la personnalité fasciste. Une synthèse parfaite, caustique, lucide et d'une certaine manière sans espoir, encline à dessiner le profil anthropologique de l'Italien moyen lequel, semble-t-il, reste valable même au lendemain de ces élections politiques. Cependant, malgré une anthropologie de base à certains égards incontestable et traçable un peu partout, non seulement dans la droite melonienne (n'oublions pas les résultats obtenus par la Ligue de Salvini au cours des dernières années ou les résultats obtenus par l'action performative orientée vers le succès de Renzi), il serait profondément naïf de s'arrêter à cette description.

En effet, si l’anthropologie du pouvoir masculin incarnée par le virilisme de la Loi du Père (d'où le nom « Frères d’Italie ») et par le pouvoir féminin de la Mère, dans ce cas incarné par la symbolique de l'utérus de la Nation (« Je suis Giorgia ») est importante pour comprendre le résultat obtenu par cette « femme-soldat », comme elle aime à se définir elle-même, nous ne pouvons certainement pas occulter que ce succès est aussi l’effet, sinon le résultat, d'une série de variables et de processus, contingences historico-politiques sur lesquelles, en particulier le Parti Démocrate, n'a pas su écrire son très personnel « journal d'erreurs ».

Si Meloni savait déjà qu'elle allait tripler ses suffrages en refusant de participer au « gouvernement technique » de mémoire draghienne (pour prendre la place de la Ligue), le Parti démocrate, dans son processus d'embourgeoisement progressif sanctionné par son étiquetage hâtif comme « populiste » de toutes les instances issues de la colère populaire et de l'adhésion sans passion aux processus de néolibéralisation de l'État, a su lui offrir la victoire sur un plateau d’argent.

Bien que tout cela se soit consommé dans un été chaud qui a coupé le souffle et la pensée, nous ne pouvons certainement pas accepter que ce résultat ne soit imputable qu'à la volatilité temporelle du présent. Dans cette campagne électorale, en effet, dans la déqualification généralisée de la politique désormais totalement subalterne au marketing de performance et à la technique, deux mots qui auraient pu faire la différence ont été absents : l'Histoire et la Société.

Premier mot absent : l'histoire

Dès le début de la guerre russo-ukrainienne, qui est devenue immédiatement après une guerre entre l'Occident et les puissances euro-asiatiques, on avait déjà compris que de nombreux éléments renvoyaient au début du XXe siècle, mais seulement du point de vue symbolique : une guerre qui aurait généré une deuxième crise économique en affaiblissant davantage le pouvoir d'achat, donc une augmentation de la colère populaire, une pandémie et une désorientation générale qui n'aurait certainement pas pu résoudre la technicité de l'agenda Draghi et de son PNRR [Plan national de relance et de résilience]. Dans les premières décennies du XXe siècle, il y avait eu une guerre, une pandémie de grippe espagnole, quelques années « rugissantes », la crise économique et enfin, comme c’est curieux, l’avènement des fascismes et des national-socialismes presque partout en Europe. Bien sûr, aujourd'hui, le contexte a changé sur le front de la qualité des politiques et l'affrontement ne se consomme pas entre libéraux éclairés et national-socialistes, mais entre néolibéralisation douce et néolibéralisation autoritaire (deux faces d'une même médaille), mais le résultat est pratiquement le même : en Pologne, en Hongrie et maintenant aussi en Italie, nous avons des personnalités « autoritaires », pour être élégants et ne pas exagérer avec le mot « fascistes », au gouvernement.

Le Parti Démocrate a-t-il su lire entre ces lignes de l'Histoire ? A-t-il compris que pour faire la différence, il aurait dû enclencher une coupure par rapport au draghisme et aux politiques de réarmement ? Non et bien sûr les urnes n'ont pas récompensé son arrogance parce qu'on le sait : les originaux sont toujours mieux que les photocopies.

De plus, en regardant les talk shows post-électoraux, il semble aussi qu'ils soient fiers d'être la première force de l'opposition et même la majorité dans la société, calculette en main, comme si Calenda [chef du parti “social-libéral” Azione, NdT] et Renzi étaient assignables à une quelconque forme de gauche et même après avoir refusé de s'allier avec la noblesse restée dans le Mouvement 5 étoiles qui vise en fait à prendre la place des « progressistes », cette fois sans technique et avec un peuple discret de « raisonnables » qui se sentent rassurés par Giuseppe Conte et son agenda social (de nombreux électeurs du PD l'ont préféré). Ainsi, en ce temps rapide et névrotique qui ne dépose rien, mais détruit tout, s'étonner de la victoire de Meloni, c'est un peu comme ne jamais avoir lu même un manuel d'histoire de base pour l’école primaire, ce qui prouve que courir derrière les banques et le capital en participant à des fêtes mondaines et en étiquetant la rage sociale comme « populisme » ne sert qu'à ceux qui font de l'instrumentalisation de la rage sociale l’échelle pour leur ascension très personnelle.

Deuxième mot absent : la société

Il y a quelques années, Alberto de Nicola et moi avons fait des recherches sur les banlieues de Rome et sur les comités de citoyens dans certains quartiers importants de la ville. Le volume s'appelle, ce n'est pas un hasard, le syndrome identitaire. De l'analyse des comités de matrice qualunquiste, donc de droite, il ressortait que la colère populaire s'était stratifiée en premier lieu vers le vote au Mouvement 5 étoiles et immédiatement après l’arrivée au gouvernement de ces derniers, ils se tournaient vers Salvini. Il était donc tout à fait évident que le fameux« flux électoral » irait alors dans la direction de Giorgia Meloni, une fois découverte l’esbrouffe du VRP avec le crucifix au cou (Salvini).

Un phénomène imprévu et saisonnier comme la naissance d'un cèpe dans les Abruzzes ? Non, seulement le résultat et l’effet du journal d’erreurs jamais écrit par le Parti démocrate et, pour tout dire, aussi par d'autres forces politiques de gauche devenues de plus en plus minoritaires.

Toutes ces gauches sans peuple, abandonnant celui-ci à son destin, malgré les données qui nous indiquaient et nous indiquent une augmentation du taux de pauvreté d'envergure considérable, ainsi qu'une augmentation du taux d'inégalités sociales tout aussi impressionnante, se sont de facto dirigées elles-mêmes vers l'impasse du suicide assisté. Les masses aujourd'hui, en plus d'être orphelines de représentation, sont aussi le fruit d'un processus de dépolitisation progressive qui commence par la décomposition du travail, se poursuit avec le système des privatisations, traverse la première crise économique de 2007 et se cogne la tête plus ou moins comme il peut à chaque élection, exactement comme peut le faire un désespéré.

Dans la religion commune qui demande à tous de devenir « entrepreneurs d'eux-mêmes », le Parti démocrate s'est-il jamais demandé ce qui se passe de manière réaliste dans la société et dans les territoires ? A-t-il jamais compris qu'en allant dans cette direction, il embrassait l’idée que la compétitivité se substituait progressivement au bien-être et que l’individualisme prenait la place de la société du XXe siècle marquée par le collecteur des idéologies et par les politiques redistributives ? S’est-il rendu compte que la société existe ? Cette campagne électorale jouée sur les réseaux sociaux, sur les entreprises de marketing politique, sur la mesure des sentiments populaires au moyen d'algorithmes très raffinés dans la canicule estivale a été, pour la soussignée, la plus féroce de tous les temps à observer, précisément parce qu'en cachant et en dissimulant les besoins réels de la société et de sa tenue, elle a laissé le champ libre au retour de l'Histoire, comme dans une sorte de prophétie qui s'auto-réalise, laissant tout le monde stupéfait et impuissant.

Et c'est là, dans ces absences de paroles, de pratiques et de politiques de gauche, que Meloni a pu atteindre ce résultat. Un autre élément très dangereux l'aide également : la « féminité ». En lisant son autobiographie, on comprend parfaitement que pour elle « être femme » signifie activer une relance symbolique de l'utérus de la Nation.

Rien de tout cela n'a à voir avec le féminisme des années soixante-dix et avec une partie du féminisme contemporain. Quoi qu'en disent certaines femmes qui visent à maintenir haut le drapeau du politiquement correct, il n'y a ici que violence et férocité, vengeance, animosité, culture du bouc émissaire. La défendre uniquement parce que femme et « mère » signifie participer à ce terrible jeu collectif selon lequel la politique se fait à partir des identités de genre et non à partir de la qualité des politiques elles-mêmes, à partir du modèle de développement que l'on choisit et à partir de la remise en commun politique et société.  Ingrédients fondateurs également pour les politiques antiracistes et antisexistes.

S'étonner ou ne pas admettre ses erreurs pour ceux qui font de la politique est à son tour une erreur, mais qui sait… C'est peut-être le bon moment pour reconnecter politique et histoire, politique et société, pour repenser le conflit, ainsi que de nouvelles pratiques relationnelles et alliances. D’autre part, à maux extrêmes, remèdes extrêmes. Probablement les places se rempliront pour défendre la 194 [loi dépénalisant l’IVG, NdT], contre la réforme de la Constitution et le présidentialisme, contre les premières coupes à l'école et à l'université, dans un contexte qui aggravera certainement la criminalisation de la dissidence et bien plus encore, comme cela se produit systématiquement en Hongrie et ailleurs. Probablement Meloni sera démystifiée, comme c’est déjà arrivé à Salvini (hurler n'est pas gouverner) parce qu'elle ne sera pas en mesure de répondre aux entreprises et à la colère populaire en même temps et bien plus encore. Tous les scénarios possibles et à écrire, à vivre. Cependant, ce qui apparaît vraiment clair dans cet horizon nébuleux, c'est que notre libération collective et singulière ne viendra certainement pas du PD. En fait, si celui-ci veut devenir adulte, il doit vraiment écrire son journal d'erreurs.

NdT

*Ennio Flaiano (1910-1972) : écrivain, journaliste, dramaturge, co-scénariste de films de Fellini, avait 12 ans quand, en octobre 1922, il se trouva dans le même train que des fascistes se rendant à  la marche sur Rome. Ce qui l’a marqué à vie.

 

 

BLACK ROSE/ROSA NEGRA
Des anarchistes iraniens parlent de la révolte contre le meurtre de Mahsa Amini par la police
Interview

 Black Rose / Rosa Negra – Comité des relations internationales, 23/9/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Introduction

 

Le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, 22 ans, a été arrêtée à Téhéran par une patrouille d'orientation iranienne (également connue sous le nom de « police des moeurs »), pour ne pas avoir respecté les lois relatives à l'habillement. Trois jours plus tard, le 16 septembre, la police a informé la famille de Mahsa qu'elle avait « souffert d'insuffisance cardiaque » et qu'elle était tombée dans le coma pendant deux jours avant de décéder.

Les témoignages, y compris celui de son propre frère, montrent clairement qu'elle a été brutalement battue pendant son arrestation. Les analyses médicales qui ont fuité indiquent qu'elle a subi une hémorragie cérébrale et des blessures causées par un accident vasculaire cérébral qui ont finalement entraîné sa mort.

 

Depuis que ces détails ont été révélés publiquement, des manifestations de masse ont éclaté à travers l'Iran pour dénoncer le meurtre de Mahsa entre les pattes de la police.

Pour mieux comprendre cette situation en évolution rapide, nous avons mené une très brève entrevue avec la Fédération de l’ère anarchiste (فدراسیون عصر آنارشیسم), une organisation avec des sections en Iran et en Afghanistan.

 

Cet entretien a été réalisé entre le 20 et le 23 septembre

 

Entretien

 

Black Rose / Rosa Negra (BRRN) : Veuillez d'abord décrire brièvement la Fédération de l’ère anarchiste.

 

Fédération de l’ère anarchiste (FEA) : La Fédération de l’ère anarchiste est une fédération anarchiste locale active en soi-disant Iran, Afghanistan et au-delà.

 

Notre fédération est basée sur l'anarchisme de synthèse, acceptant toutes les tendances anarchistes sauf les tendances nationalistes, religieuses, capitalistes et pacifistes. Nos nombreuses années d'expérience de l'organisation dans des environnements extrêmement oppressifs comme l'Iran nous ont amenés à développer et à utiliser des tactiques et une philosophie organisationnelles insurrectionnelles.

 

Nous sommes une organisation athée, considérant la religion comme une structure hiérarchique qui est plus ancienne et durable que presque tous les autres systèmes autoritaires et beaucoup trop similaire au capitalisme et autres structures sociales autoritaires asservissant l'humanité aujourd'hui. La guerre de classe, de notre point de vue, comprend la guerre contre la classe du clergé qui nous prive de notre liberté et de notre autonomie en définissant le sacré et le tabou et en les imposant par la coercition et la violence.

 

BRRN: Qui était Mahsa Amini ? Quand, pourquoi et comment a-t-elle été tuée ?

 

FEA : Mahsa Amini, connue par sa famille sous le nom de Jina, était une fille kurde ordinaire de 22 ans originaire de la ville de Saqqez au Kurdistan.

 

Elle a voyagé avec sa famille à Téhéran pour rendre visite à des parents. Le 13 septembre, alors qu'elle était avec son frère Kiaresh Amini, la police des mœurs, la soi-disant « patrouille d'orientation » a arrêté Mahsa pour « hijab inapproprié ». Son frère a essayé de résister à l'arrestation, mais la police a utilisé des gaz lacrymogènes et a également battu Kiaresh.

 

Beaucoup d'autres femmes arrêtées ont été témoins de ce qui s'est passé dans la fourgonnette de police. Sur le chemin du poste de police, il y a eu une dispute entre les femmes détenues et les policiers. Mahsa Amini était l'une des filles protestant contre leur arrestation. Elle disait qu'elle n'était pas de Téhéran et qu'elle devrait être relâchée.

 

La police a utilisé la violence physique pour enfermer toutes les femmes détenues. Mahsa a aussi été battue. Les témoins oculaires ont dit que les policiers avaient frappé la tête de Mahsa durement contre la paroi de la fourgonnette.

 

Elle était toujours consciente quand elle est arrivée à l'Agence de sécurité morale, mais les autres femmes détenues ont remarqué qu'elle avait l'air malade. La police était complètement indifférente et l'a accusée de simuler. Les femmes continuaient à protester pour aider Mahsa à obtenir les soins médicaux dont elle avait besoin. Les protestations ont été accueillies avec violence par la police. Mahsa Amini a été à nouveau rouée de coups par la police et a perdu connaissance.

 

La police l'a alors remarqué et a tenté de la ranimer en lui pompant la cage thoracique et en levant et massant ses jambes. Après l'échec de ces tentatives, la police a attaqué d'autres femmes pour confisquer tous les téléphones cellulaires et caméras qui auraient pu enregistrer l'incident.

 

Après beaucoup de retard et avoir retrouvé les clés perdues de l'ambulance, les policiers ont emmené Mahsa à l'hôpital de Kasra.

 

La clinique qui a admis Mahsa Amini a affirmé dans un post Instagram que Mahsa était en état de mort cérébrale quand elle a été admise. Ce post Instagram a été supprimé par la suite.

 

Le 14 septembre, le compte Twitter d’ un ami travaillant à l'hôpital de Kasra a raconté que la police avait menacé les médecins, les infirmières et le personnel de ne prendre aucune photo ou preuve vidéo et de mentir aux parents de Mahsa sur la cause du décès. L'hôpital, intimidé, s'est conformé à la police. Ils ont menti aux parents qu'elle avait eu un « accident » et qu’ils l’avaient maintenue en vie pendant deux jours. Mahsa a été déclarée morte le 16 septembre. Sa cause de décès par scanners médicaux, divulguée par des hacktivistes, montre des fractures osseuses, une hémorragie et un œdème cérébral.

 

Des manifestants à Istanbul, en Turquie, brandissent une image de Mahsa Amini.

 

BRRN : L'identité de Mahsa en tant que Kurde a-t-elle joué un rôle dans son arrestation et sa mort ?

 

FAE : Sans aucun doute, le fait d’être kurde à Téhéran a joué un rôle dans la mort éventuelle de Mahsa. Mais, c'est une réalité que toutes les femmes en Iran vivent. Nous n'avons pas besoin de chercher loin pour trouver des images vidéo de la police des mœurs  battant et forçant les femmes dans les fourgonnettes de police, jetant les femmes dans la rue à partir d'une voiture en mouvement, et harcelant des femmes voilées pour leur “hijab inapproprié”. Ces vidéos montrent juste une infime fraction de l’enfer que vivent les femmes en Iran.

 

Le fait que Mahsa était avec son frère le jour de son arrestation n'était pas un hasard. Dans la société patriarcale iranienne, les femmes doivent être accompagnées par un parent masculin, qu'il s'agisse d'un père, d'un mari, d'un frère ou d'un cousin, dans leurs déplacements pour éloigner la police des mœurs et décourager tout individu hargneux en public. Les jeunes couples ne peuvent pas être vus trop près les uns des autres en public ou ils risquent d'être battus et arrêtés par la police des mœurs. Les parents devaient avoir des documents comme preuve de leurs revendications contre la police. Arrêter des femmes pour des rouges à lèvres et du vernis à ongles était une réalité dont beaucoup d'entre nous, les milléniaux en Iran, se souviennent très bien.

 

La menace d'attaques à l'acide pour « mauvais hijab » est un autre cauchemar que les femmes endurent en Iran.

 

Le patriarcat et l'autocratie religieuse affectent toutes les femmes.

 

BRRN : Comment le peuple iranien a-t-il appris la mort de Mahsa ? Quelle a été la réponse populaire initiale ?

 

FEA : Comme nous l'avons expliqué plus tôt, il y avait trop de témoins oculaires. Aucune menace n'aurait pu empêcher l'histoire de la mort de Mahsa de fuir.

 

Il convient de mentionner que le médecin qui assistait à Mahsa et le photojournaliste qui documentait l'état de santé de Mahsa et de sa famille en détresse, ont tous deux été arrêtés, et leur statut actuel est inconnu.

 

La réponse initiale a été l'indignation. Les gens partageaient déjà l'histoire de Mahsa à partir du 14 septembre. L'indignation n'était pas encore assez forte pour les manifestations et les révoltes. Les gens pensaient toujours que Mahsa était dans le coma, et il y avait de l'espoir pour son rétablissement. Puis, elle a été déclarée morte le 16 septembre.

 

Tout d'abord, il y a eu de petites manifestations à l'hôpital de Kasra, qui ont été dispersées par la police. Les étincelles du soulèvement actuel ont été allumées à Saqqez, la ville natale de Mahsa.

 

Une moto de police est brûlée lors d'une manifestation à Téhéran.

 

BRRN : Quelle est l'ampleur des manifestations actuelles ? Dans quelles régions du pays les manifestations ont-elles été concentrées ?

 

La situation est très dynamique et évolue exceptionnellement rapidement. Au moment de la rédaction du présent rapport, les flammes du soulèvement ont mis le feu à 29 des 31 provinces iraniennes. Une des caractéristiques de ce soulèvement est qu'il s'est étendu à de grandes villes à travers l'Iran, telles que Téhéran, Tabriz, Ispahan, Ahvaz, Rasht, et d'autres rapidement.

 

Qom et Mashhad, les bastions idéologiques du régime, ont rejoint le soulèvement. L'île de Kish, le centre capitaliste et commercial du régime, s'est également révoltée. C'est le soulèvement le plus divers que nous ayons connu ces dernières années.

 

Pour le 23 septembre, les syndicalistes planifient une grève générale en faveur des protestations.

 

Le régime a prévu une manifestation armée le même jour. Beaucoup de choses se passent en ce moment.

 

BRRN : Comment l'État iranien a-t-il réagi à ces manifestations ?

 

La réaction initiale du régime a été moins brutale qu'auparavant. Une raison est qu'ils ont été pris au dépourvu. Ils ne s'attendaient pas à cette réponse forte. La raison la plus importante est que le président Ebrahim Raisi est à l'ONU. Le manque de personnalités de haut rang, l'histoire médiatisée de Mahsa et des manifestations, et la pression sur le gouvernement surveillé par la communauté internationale ont arrêté le massacre pour le moment.

 

Attention : La police a tué et blessé de nombreuses personnes dès le premier jour des manifestations. Certaines d'entre elles étaient des enfants de 10 ans et des adolescents de 15 ans. Mais, nous avons connu novembre 2019 lorsque le régime a massacré des milliers de personnes en 3 jours.

 

Lors de tous les soulèvements précédents, la police n'était pas directement la cible de la colère des gens. Ce n'est pas la bonne réponse. Ce sont les méchants cette fois, et les gens sont à la recherche de leur sang. Cela les use physiquement et mentalement, ce que nous considérons comme une bonne nouvelle.

 

En ce moment, Saqqez et Sanandaj subissent une répression impitoyable. Le régime y a amené des chars et des véhicules militaires lourds pour réprimer le soulèvement. De nombreuses informations font état de tirs à balles réelles sur des manifestants.

 

Les manifestations se poursuivent. Les voitures de police sont renversées. Les postes de police ont été démolis et incendiés. Nous devons juste nous armer en pillant leur armurerie. Ensuite, nous entrons dans une autre phase de révolte.

 

Une barricade construite lors d'une manifestation à Téhéran le 21/09/22.

 

BRRN : Est-il exact de qualifier ces manifestations de féministes ?

 

FEA : Oui, tout à fait. Comme tous les autres soulèvements, il y a eu des développements et des mouvements sous la surface.

 

On peut dire que la récente répression hijabiste et l'augmentation de la brutalité de la police des moeurs ont commencé en réponse à l'auto-organisation spontanée, autonome et féministe des femmes iraniennes. Plus tôt cette année, les femmes iraniennes ont commencé à dresser des listes noires et à boycotter les personnes et les entreprises, telles que les cafés, qui appliquent strictement les directives hijabistes. Le mouvement était décentralisé et sans chef, visant à créer des espaces sûrs pour les femmes et les membres de la communauté LGBTQ.

 

Cette oppression brutale a culminé en ce moment où les femmes sont partout en première ligne, brûlant leurs foulards et se battant contre les flics sans hijab. Le principal slogan du soulèvement est aussi « Femme, vie, liberté », un slogan du Rojava, une société dont les ambitions sont basées sur une idéologie anarchiste, féministe et laïque.

 

BRRN : Quels éléments politiques (organisations, partis, groupes) sont présents dans les manifestations, le cas échéant ?

 

FEA : De nombreuses organisations, partis et groupes tentent de s'approprier ou d'influencer les manifestations pour leur bénéfice à chaque soulèvement.

 

La majorité d'entre eux se sont heurtés à un problème insurmontable au cours de ce soulèvement.

 

D'abord, les monarchistes. Reza Pahlavi, le bon à rien fils du défunt dernier Shah d'Iran, un individu soutenu par de l'argent volé et des réseaux de médias en dehors de l'Iran, a appelé à une journée nationale de deuil au milieu de l'indignation publique et des protestations initiales au lieu d'utiliser ses ressources pour aider la révolte. Les gens l'ont enfin vu pour le charlatan qu'il est. « Mort aux oppresseurs, que ce soit le Shah ou le Leader suprême « , on a entendu ça dans tout l'Iran.

 

Puis, le MEK, les Moudjahidines du peuple. Le MEK a un problème idéologique avec ce soulèvement. C'est une secte dont les membres féminins sont obligés de porter des foulards rouges. Leur histoire d'origine va de la combinaison des idéologies marxistes et islamiques, détournées par les marxistes-léninistes avant 1979, à la secte au service des États capitalistes et impérialistes d'aujourd'hui. Pourtant, les femmes en Iran brûlent leurs foulards et le Coran. Ils n'ont pas leur mot à dire dans ce climat politique.

 

Ensuite, il y a les partis communistes qui méprisent le Rojava et en parlent toujours mal. Leur analyse de classe déboulonnée et rouillée ne les aide pas à gagner des cœurs ici.

 

Avec tous leurs discours et leur propagande en tant que partisans de la laïcité et du féminisme, ils n'avaient même pas un slogan orienté vers la libération des femmes. Et leur idéologie les empêchait de chanter « Femmes, Vie, Liberté ». Ils n'avaient rien à dire, alors ils se taisent. Grâce à cela, leur présence est beaucoup plus faible dans les manifestations d'aujourd'hui.

 

Le mouvement anarchiste se développe en Iran. Ce soulèvement, sans chef, féministe, anti-autoritariste et scandant des slogans du Rojava, a conduit à une forte présence d’anarchistes, affiliés ou non à la fédération, dans ce soulèvement. Malheureusement, beaucoup ont également été arrêtés et blessés.

 

Nous travaillons à réaliser le potentiel anticapitaliste de ce mouvement. Parce que la République islamique est un culte de la mort et la religion, le patriarcat, le racisme et le capitalisme sont ses piliers idéologiques. Pour pouvoir vivre, nous devons être libres ; et cela ne peut se faire sans la libération des femmes au premier plan.

 

Manifestants étudiants à Téhéran le 19/09/22

 

BRRN : En solidarité. Merci de votre collaboration.

 

FEA : Solidarité.

 

WOMAN – LIFE – FREEDOM! زن- زندگی- آزادی



26/09/2022

RAMZY BAROUD
D’Exodus à Marvel : brève histoire de la justification des crimes de guerre israéliens par Hollywood

Ramzy Baroud, Middle East Monitor, 24/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L'introduction d'une agente du Mossad israélien comme personnage du prochain film de Marvel dépasse les bornes, même du point de vue des normes morales médiocres d'Hollywood. Cependant, la super-héroïne israélienne, Sabra, doit être comprise dans le contexte de la progression logique de l'israélisation d'Hollywood, un phénomène étonnamment nouveau.

Sabra est un personnage relativement ancien, datant du comic Marvel The Incredible Hulk en 1980. Le 10 septembre, cependant, il a été annoncé que le personnage israélien serait inclus dans un prochain film de Marvel, Captain America : New World Order.

                                                 La nouvelle Sabra de Marvel...

  ...sera interprétée par l’actrice israélienne Shira Haas (Shtisel, Unorthodox) dans le film prévu pour 2024

Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux militants pro-palestiniens aux USA et dans le monde sont furax. C'est une chose d'introduire un personnage israélien ordinaire dans le seul but de normaliser Israël, un État d'apartheid implacable, aux yeux du jeune public impressionnable de Marvel. Mais il est beaucoup plus sinistre de normaliser une agence de renseignement d'État, le Mossad, connue pour ses nombreux assassinats sanglants, sabotages et tortures.

En ajoutant Sabra à son casting de super-héros, Marvel Studios a montré son mépris total pour la campagne massive menée par des millions de fans à travers le monde qui, en 2017, ont protesté contre l'inclusion de l'ancienne soldate israélienne Gal Gadot en tant que Wonder Woman de Marvel. Gadot est une fervente partisane du gouvernement et de l'armée israéliens.

En réponse à cette info, beaucoup de personnes ont souligné à juste titre le parti pris inhérent à Hollywood, à commencer par le film Exodus d'Otto Preminger dans les années 1960, avec Paul Newman comme acteur principal. Le film fournissait une justification pseudo-historique de la colonisation de la Palestine par les sionistes. Depuis, Israël a été élevé, célébré et inclus dans un contexte toujours positif par Hollywood, tandis que les musulmans, les Arabes et les Palestiniens continuent d'être vilipendés.

Bien qu'Israël ait été représenté de manière positive par des cinéastes hollywoodiens, les Israéliens eux-mêmes ont été assez marginaux dans le processus de création de contenu. Jusqu'à récemment, la construction israélienne était principalement fabriquée pour le compte d'Israël, et non par Israël lui-même. « Les choses ont commencé à changer en 1997 », a écrit Brian Schaefer dans Moment Magazine. C'est alors que la division du divertissement de la Fédération de Los Angeles et l'Agence juive ont lancé le projet, la Master Class, qui : « Pendant près de 15 ans... a amené d'innombrables acteurs, réalisateurs, producteurs, agents, gestionnaires et cadres supérieurs des studios et des réseaux en Israël, en introduisant beaucoup d'entre eux dans le pays pour la première fois, et a enseigné aux Israéliens comment présenter leurs projets. »

L'endoctrinement des acteurs et cinéastes usaméricains à travers ces visites et l'introduction de nombreux acteurs et cinéastes israéliens à Hollywood ont donné des dividendes, conduisant à un changement majeur dans le récit sur Israël. Au lieu de simplement communiquer Israël à des publics usaméricains et internationaux en utilisant des références à la victimisation historique, à l'association positive ou même à l'humour, les Israéliens ont commencé à faire valoir leur cause directement à Hollywood. Et, à la différence du caractère bordélique des messages passés – bon Israël, méchants Arabes – les nouveaux messages sont beaucoup plus sophistiqués, adaptés autour d'idées spécifiques et conçus en pleine conscience de la politique de chaque époque.

Le film de Steven Spielberg Munich (2005) est sorti dans le contexte culturel de l'invasion usaméricaine de l'Irak dans le cadre de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » de Washington, où les droits humains ont été violés à l'échelle mondiale. Munich était un récit "historique" sélectif des choix soi-disant difficiles qu'Israël, à savoir le Mossad, devait faire pour mener sa propre “guerre contre le terrorisme”. C'était l'époque où Tel-Aviv soulignait inlassablement son affinité avec Washington, maintenant que les deux pays étaient prétendument victimes des « extrémistes islamiques ».

À la différence de Munich, la populaire série télévisée Homeland n'était pas seulement un argumentaire pro-israélien qui justifiait les guerres et la violence israéliennes. La série elle-même, l'une des émissions islamophobes les plus racistes à la télévision, était entièrement calquée sur la série israélienne HaTufim. L'écrivain et réalisateur de la série israélienne, Gideon Raff, a été intégré dans la version usaméricaine, servant de producteur exécutif.

Le changement de propriétaire du récit peut sembler superficiel – car la propagande pro-israélienne d'Hollywood est remplacée par la propagande israélienne organique. Néanmoins, cela n’est pas le cas.

L'agenda pro-israélien du passé – la romantisation qui a suivi la création d'Israël en 1948 – n'a pas duré longtemps. La défaite des armées arabes par Israël en 1967 – grâce au soutien militaire massif des USA à Tel-Aviv – a remplacé l'image d'Israël naissant et vulnérable par celle de l'armée israélienne courageuse, capable de vaincre plusieurs armées ennemies à la fois. C'est alors que les soldats israéliens ont visité les collèges et les écoles usaméricaines, parlant de leur héroïsme sur le champ de bataille. L'invasion israélienne du Liban et les massacres qui ont suivi, comme ceux de Sabra et de Shatila, ont forcé à repenser les choses.

Tout au long des années 1980 et 1990, Israël a largement existé à Hollywood comme un exutoire comique, à partir de spectacles comme Friends, Frasier et, plus récemment, The Big Bang Theory. Les références à Israël sont souvent suivies de rires – un moyen intelligent et efficace de lier Israël à des associations positives et heureuses.

La « guerre contre le terrorisme », à partir de 2001, associée à la création du projet Master Class, a permis à Israël de revenir dans l'univers hollywoodien, non pas comme une référence occasionnelle, mais comme un élément de base, avec des séries israéliennes ou des productions conjointes USA-Israël, définissant un tout nouveau genre : celui des choix difficiles à faire pour lutter contre le terrorisme et finalement sauver le monde.

L'exploitation des femmes israéliennes sur les couvertures de magazines, par exemple, Maxim, était un tout autre business louche, visant un public différent. Les filles à moitié nues de l'armée israélienne ont réussi, dans l'esprit de beaucoup, à justifier la guerre par des images sexuelles. Ce genre est devenu particulièrement populaire après les guerres sanglantes d'Israël contre Gaza, qui ont fait des milliers de morts.

L'influence croissante d'Israël sur les films Marvel est une combinaison de tous ces éléments : la sexualisation de la femme soi-disant forte et autonomisée, la normalisation de ceux qui commettent des crimes israéliens – Gadot, la soldate, Sabra, l'agente du Mossad – et l'injection directe des priorités israéliennes dans la réalité usaméricaine quotidienne.

Il y a un côté positif à cela. Pendant des décennies, Israël s'est caché derrière de fausses notions historiques romantisées, faisant valoir son point de vue auprès des USaméricains et d'autres publics occidentaux, souvent indirectement. Les guerres à Gaza, la croissance exponentielle du mouvement palestinien de boycott et la prolifération des médias sociaux ont cependant forcé Israël à se cacher.

Le nouvel Israël hollywoodien est maintenant un guerrier, souvent contraint de faire des choix moraux difficiles, mais il est, comme son homologue usaméricain, en fin de compte une force pour le bien. La capacité d'Israël à maintenir cette image dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la capacité des communautés propalestiniennes à contrer cette supercherie et cette hasbara [propagande, NdT].

ALFREDO SERRANO MANCILLA
Anatomie de la deuxième vague progressiste en Amérique latine

 Alfredo Serrano Mancilla, CELAG, 7/9/2022
Traduit par Rafael Tobar, édité par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Alfredo Serrano Mancilla (La Línea de la Concepción, Al Andalous, 1975), “Andalou latinoaméricain”, est docteur en économie de l'Université autonome de Barcelone (UAB), en Catalogne. Il a effectué des séjours pré-doctoraux à Modène et Bologne (Italie) et à Québec et a été boursier postdoctorant à l'Université Laval (Québec). Il est spécialiste de l'économie publique, du développement et de l'économie mondiale. Il enseigne au niveau du troisième cycle et du doctorat dans des universités internationales. Auteur de livres tels que América Latina en disputa, El pensamiento económico de Hugo Chávez, ¡A Redistribuir ! Ecuador para Todos et Ahora es Cuándo Carajo. Chroniqueur sur Página 12, La Jornada, Público, Russia Today et Radio La Pizarra. Actuellement directeur exécutif du Centro Estratégico Latinoamericano de Geopolítica (CELAG). @alfreserramanci

Pour comprendre l’actuel phénomène de la vague progressiste en l’Amérique Latine, il ne suffit pas de faire de grandes classifications, il faut faire une analyse fine et détaillée et prendre en compte la complexité et les subtilités de chaque processus.

La généralisation est toujours une arme à double tranchant ; d'un côté, elle est utile car elle classifie et simplifie, mais d’un autre côté, elle est risquée car elle fait perdre la complexité et les subtilités.

L'expression « Deuxième vague progressiste» est née précisément de la volonté de trouver une catégorie unique qui puisse expliquer le fait que l'ensemble des processus politiques qui se sont déroulés en Amérique latine au cours des cinq dernières années (2017-2022) constitue un «tout».

Les victoires d'Andrés Manuel López Obrador au Mexique, d'Alberto Fernández en Argentine, de Luis Arce en Bolivie après le coup d'État de 2019, de Pedro Castillo au Pérou, de Gabriel Boric au Chili, de Xiomara Castro au Honduras et de Gustavo Petro en Colombie constituent sans aucun doute un nouveau phénomène géopolitique.

Ces nouveaux gouvernements ont pour point commun de freiner le néolibéralisme en vigueur dans chacun de leurs pays respectifs, mais aussi de se développer dans un temp historique différent de celui de la « Première vague progressiste », ce qui les différencie à leur tour de leurs prédécesseurs.

Toutefois, malgré certains traits caractéristiques communs, il serait erroné de les considérer comme un bloc monolithique et homogène.

Chaque ensemble spécifique est très différent des autres. L'histoire politique chilienne n'est pas comparable à celle du Mexique , ni celle de la Colombie à celle de la Bolivie.

Chaque processus a ses tensions, aussi bien internes qu'externes. Même le néolibéralisme n’agit pas de la même manière dans chaque pays.

Même la manière dont les élections sont gagnées est aussi différente.

Ce n'est pas la même chose d'obtenir une victoire au second tour avec la plus petite marge après avoir obtenu un faible 10 ou 12% des voix au premier tour (comme dans les cas de Castillo au Pérou et Boric au Chili), que de gagner au premier tour de manière écrasante (en l’occurrence, Luis Arce et Andrés Manuel López Obrador ont obtenu respectivement 46% et 33% des suffrages).

On ne peut pas non plus assimiler superficiellement le type de “front” qui constitue la base électorale et politique dans  chaque pays. Le degré d'hétérogénéité est très diversifié.

Le Pacte historique colombien n'a pas grand-chose à voir avec l’Accord d'Escazú chilien; ou le Morena (Mouvement de régénération nationale) mexicain avec la fragmentation politique complexe du Pérou; ou le Frente de Todos d'Argentine avec le MAS (Mouvement vers le Socialisme) de Bolivie.

Et enfin, il ne faut pas négliger les différences entre les dirigeants eux-mêmes, qui ont des biographies inégales, y compris en termes d'âge.

Certains ont connu la prison et d'autres les luttes universitaires ; certains viennent de la campagne et d'autres de la grande ville; il y a ceux qui ont déjà une expérience de la gestion publique et ceux qui n'avaient jamais gouverné auparavant.

Tout ce subtil mélange doit être pris en compte dans l'analyse de ce deuxième moment historique en Amérique latine, car cela nous aidera certainement à expliquer les possibles divergences qui pourraient apparaître dans les mois et les années à venir.

En d'autres termes, si l'un de ces processus vacille, comme cela a été le cas au Chili avec la défaite du référendum constitutionnel de 2022, nous devrions rejeter catégoriquement l’idée qu'immédiatement après vient la fin du cycle progressiste en Amérique Latine.

Ce serait à la fois injuste et inexact, car mon hypothèse de départ est que nous sommes face à un cycle davantage fragmenté, moins compact que le précédent et que ces gouvernements auront sûrement des parcours très différents les uns des autres.

Jusqu'à présent, ces gouvernements ont montré de grandes divergences dans la gestion de la politique étrangère, dans les questions économiques, dans la manière de communiquer, dans les horizons du possible, dans leur relation avec leurs opposants et avec leurs sympathisants, dans la façon dont ils gagnent de l'autorité, dans le temps qu’il leur faut pour prendre des décisions et, disons-le, également dans le degré de modération de leurs actions.

Comme pour la dynamique des fluides, il faut étudier chaque vague en profondeur et connaître ses propriétés et sa composition : son amplitude, sa montée, sa périodicité, son point culminant, sa courbe, sa chute et sa fréquence d’onde.

Parce que chaque vague n’est ni semblable à la précédente ni uniforme.