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28/10/2022

YOSSI MELMAN
« Israël aura honte de ne pas avoir été à nos côtés » : Oleksii Reznikov, ministre ukrainien de la Défense

 Yossi Melman, Haaretz, 27/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L’indécision israélienne concernant la guerre en Ukraine est à la fois une erreur morale et stratégique, a déclaré le ministre de la Défense ukrainien Oleksii Reznikov à Haaretz dans une interview exclusive. La Russie pourrait rétribuer l'Iran pour son aide en renforçant son projet nucléaire alors qu'Israël ne fait rien

Le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, arrive à une réunion des ministres de la Défense de l'OTAN à Bruxelles ce mois-ci. Photo : Kenzo Tribouillard/AFP

Il y a à peine trois mois, une équipe d'assassins a tenté de tuer Oleksii Reznikov, mais le ministre ukrainien de la Défense dit qu'il n'a pas peur. « Même s'ils me tuent, cela ne changera rien », a-t-il déclaré à Haaretz cette semaine, dans une interview exclusive, la toute première avec un média israélien. L'Ukraine compte un million de personnes servant dans l'armée, les services de sécurité, la police et d'autres organisations – qui sont ensemble contre l'agression de Vladimir Poutine, a déclaré Reznikov. « S'ils me tuent, rien ne changera, parce qu'il y aura plus de gens pour défendre l'Ukraine. Quelqu'un d'autre prendra ma position, et nous poursuivrons la lutte pour la liberté et l'indépendance du pays. Je suis certain que nous vaincrons l'ennemi et gagnerons. »

L'entretien avec Reznikov s'est déroulé en anglais, lundi 24 octobre sur Skype, environ deux heures après sa conversation téléphonique – après de nombreux mois sans contact – avec le ministre israélien de la Défense Benny Gantz. Reznikov avait l'air détendu, calme et concentré. Il n'a pas éludé une seule question, mais au début de l'entretien, il a particulièrement essayé d'utiliser le langage diplomatique. « Nous avons eu une conversation chaleureuse », a dit Reznikov à propos de son appel avec Gantz. « Je lui ai souhaité bonne chance pour les élections et nous avons discuté de toutes les menaces auxquelles l'Ukraine était confrontée à la suite de l'invasion russe. »

Mais plus tard, le ministre a choisi ses mots moins soigneusement, et a exprimé sa déception et sa frustration à l'égard de la politique d'Israël ménageant la chèvre et le chou dans la guerre. « Quand je parle avec mes collègues, je comprends que tout le monde a son propre programme, et Israël a son propre programme, surtout avant les élections, et je suis conscient de ses considérations et de ses intérêts aussi, mais néanmoins je trouve difficile de comprendre pourquoi [Israël] agit de cette façon. »

Comment ça ?

« J'ai expliqué à mon collègue, Benny Gantz, que la Russie a utilisé des drones iraniens… pour frapper des installations civiles ukrainiennes… Au début, il a été dit que ces drones ne servaient qu’à la collecte de renseignements. Mais très rapidement, il s'est avéré que ce sont des drones d'attaque, qui attaquent la population civile sans défense et les biens de tous les citoyens ukrainiens, indépendamment de la religion ou de l'appartenance ethnique. »

Des institutions juives, y compris des synagogues et des cimetières ont été endommagés, a-t-il dit, et pour Rosh Hashanah, des drones iraniens ont survolé les dizaines de milliers de Juifs qui étaient venus en pèlerinage annuel dans la ville d'Uman : « Les drones ont ciblé et frappé les synagogues et autres sites juifs, y compris ceux liés à Israël, comme à Kiev, le lieu de naissance de Son Excellence, la distinguée Première ministre d'Israël, Golda Meir. »

SUPRIYO CHATTERJEE
Un curry korma pour la Britannia blanche : Rishi Sunak Premier ministre

Supriyo Chatterjee, Tlaxcala, 28/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Près de deux siècles après que Thomas Babington Macaulay,
peut-être l'idéologue le plus éloquent de l'empire britannique, eut rédigé sa vision de la création d' « une classe qui puisse être l'interprète entre nous et les millions de personnes que nous gouvernons ; une classe de personnes, indiennes par le sang et la couleur, mais anglaises par le goût, les opinions, la morale et l'intellect », l'un de ses produits gouverne maintenant la Grande-Bretagne. Ce n'est pas sans importance, mais ce n'est pas non plus une revanche des indigènes périphériques sur la métropole. Il s'agit plutôt d'un triomphe des intérêts de classe sur la couleur de peau de tous les côtés.

Rishi Sunak (ou Rashid Sanook, comme l’a appelé le comique en chef Joe Biden) est jeune, riche, très riche, soigné comme le sont les hommes de sa classe, et un enfant de l'Empire qui ne s'en cache pas. Ses grands-parents ont migré du Pendjab vers l'Afrique et ses parents se sont installés en Grande-Bretagne. En Afrique, les Indiens étaient des travailleurs qualifiés et des commis et servaient de contremaîtres pour superviser la main-d'œuvre africaine. Ils jouaient le rôle d'intermédiaires coloniaux que Macaulay leur avait assigné, cette fois sur un continent étranger.

Les Africains détestaient largement ces colons indiens. La plupart d'entre eux, en tant qu'orientalistes de couleur, suivirent leurs maîtres coloniaux en Grande-Bretagne, préférant affronter le racisme des Britanniques blancs plutôt que de rester dans l'Afrique indépendante ou de retourner en Inde. Le contingent afro-indien, comme la Brigade chinoise de Hong Kong, est férocement fidèle à la Grande-Bretagne et croit en l'idée de son empire civilisé.

Le jeune Sunak, né en Grande-Bretagne, a bénéficié d'une éducation privée privilégiée, a travaillé dans le secteur financier, notamment chez Goldman Sachs, comme le font les yuppies indiens de caste supérieure qui réussissent, car cela n'implique pas de travail manuel, et a épousé la fille d'un milliardaire indien. La plupart des richesses de la famille Sunak proviennent du côté de sa femme, mais elle a maintenant le droit de vivre à Downing Street, un privilège que l'argent peut acheter s'il est investi intelligemment.

En tant qu'enfant fidèle de l'empire, le foyer politique de Sunak est le parti conservateur, qui croit en la devise de Mme Thatcher, à savoir que la cupidité est une bonne chose. Il est le membre du Parlement le plus riche, deux fois plus riche que le roi Charles, et on murmure qu'il a mis de l'argent de côté sur des comptes bancaires offshore. On a découvert que sa femme évitait les impôts en Grande-Bretagne et il a été condamné à une amende pour avoir violé les normes covidiennes. Bref, ses références pour le parti de la loi et de l'ordre sont incontestablement impeccables.

Sunak est un Premier ministre accidentel. Il est au parlement depuis seulement sept ans. En tant que Chancelier pendant le confinement covidien, sa gestion de l'économie se situait entre la médiocrité et le désastre. Il a eu de la chance que Boris Johnson et Liz Truss aient trébuché dans leurs fonctions.  Le parti travailliste d'opposition a purgé son aile socialiste et s'est refondu en équipe B de l'establishment. Le Brexit a radicalisé la base conservatrice, si bien que Sunak a dû être nommé plutôt qu'élu par les membres du parti, qui auraient à nouveau voté Boris.

Les adversaires de Sunak se sont retirés de la course sans dire pourquoi ni qui les avait persuadés de le faire et les hommes de l'ombre ont adoubé Sunak comme leur homme. La version britannique de l'État profond a vu en lui une paire de mains sûres, leur meilleur pari dans un champ médiocre. Sunak n'est pas le premier chef de gouvernement d'origine indienne en Europe : l'Irlande et le Portugal en ont déjà eu. Sa position de Premier ministre britannique de couleur est néanmoins une nouveauté. Macaulay était peut-être un visionnaire, mais il est difficile de croire que même lui aurait prédit que la classe dirigeante britannique aurait un jour besoin d'un “indigène assimilé” pour garder la population blanche sous contrôle. Pire, la menace d'Enoch Powell de rivières de sang a été réduite à un torrent écumant de curry insipide.

SUPRIYO CHATTERJEE
Rishi Sunak PM: Karma curry for white Britannia

Supriyo Chatterjee, Tlaxcala, 28/10/2022

Almost two centuries after Thomas Babington Macaulay, perhaps the most eloquent ideologue of the British empire, drafted his vision of crafting “a class who may be interpreters between us and the millions whom we govern; a class of persons, Indian in blood and colour, but English in taste, in opinions, in morals, and in intellect”, one of his products now governs Britain. This is not without significance, but neither is it a revenge of the peripheral natives on the metropolis. More a triumph of class interests over skin colour on all sides.

Rishi Sunak (or Rashid Sanook, as comedy gold Joe Biden called him) is young, rich, very rich, well-groomed as men of his class are,  and an unapologetic child of the Empire. His grandparents migrated to Africa from Punjab and his parents moved to Britain. In Africa, the Indians were skilled workers and clerks and supervised African labour. They played the part of colonial intermediaries that Macaulay had set out for them, this time in an alien continent.

The Africans largely detested these settler-colonial Indians. Most of them, as Orientalists of colour, followed their colonial masters back to Britain, preferring to face the racism of the white Britons to staying in independent Africa or returning to India. The African Indian contingent, like the Hong Kong Chinese brigade, is ferociously loyal to Britain and believes in the idea of its civilised empire .

Young Sunak, born in Britain, had privileged private education, worked for the financial sector, including at Goldman Sachs, as successful higher-caste Indian yuppies do since it does not involve manual labout and married the daughter of an Indian billionaire. Most of the Sunak family wealth comes from his wife's side, but now she gets to live in Downing Street, a privilege money can buy if cleverly invested.

As a loyal child of the empire, Sunak's political home is the Conservative Party where they believe in Thatcher's motto of greed is good. He is the richest member of Parliament, twice as rich as King Charles, and there are whispers that he has put away money in offshore bank accounts. His wife was found to be avoiding taxes in Britain and he was fined for violating Covid norms. In short, there can be no questions of his impeccable credentials for the party of law and order.

Sunak is an accidental Prime Minister. He has been in parliament for only seven years. As Chancellor during the Covid lockdown, his handling of the economy was somewhere between poor and disastrous. He was lucky that Boris Johnson and Liz Truss both stumbled in their jobs.  The opposition Labour Party has purged its Socialist wing and recast itself as an establishment B team. Brexit has radicalised the Conservative rank and file, so Sunak had to be appointed rather than elected by party members, who had have voted Boris in again.

Sunak's opponents withdrew from the race without saying why or who had persuaded them to and the men in the shadows annointed Sunak as their man. The British version of the deep state saw in him a safe pair of hands, their best bet in a mediocre field. Sunak is not the first ethnic Indian head of government in Europe: Ireland and Portugal have had them before. His position as a British Prime Minister of colour is nevertheless a novelty. Macaulay might have been a visionary, but it is difficult to believe that even he would have predicted that the British ruling class would one day need a “learned native” to keep the white population in check. Worse, Enoch Powell's threat of  rivers of blood has been reduced to a foaming torrent of tasteless curry.

 

 

 

27/10/2022

ADAM RAZ
Pourquoi Israël a secrètement décidé d'effacer la Ligne verte des cartes

Adam Raz, Haaretz, 9/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

النسخة العربية  لماذا قررت إسرائيل محو الخط الأخضر سراً؟

Les procès-verbaux des réunions très secrètes du cabinet en 1967 révèlent comment la décision d'effacer la Ligne verte de la carte officielle d'Israël a été prise. Et ce n'était pas la seule chose qui a été effacée

Une tempête médiatique a éclaté le mois dernier à la suite de la décision de la municipalité de Tel-Aviv d'accrocher dans les salles de classe des cartes d'Israël montrant la Ligne verte – la ligne d'armistice sur laquelle Israël et ses voisins se sont mis d'accord en 1949, à la suite de la guerre d'indépendance d'Israël. Jusqu'en 1967, cette ligne représentait la frontière orientale de facto d'Israël et délimitait son territoire souverain. La ligne n'est pas apparue sur les cartes officielles de l'État d'Israël pendant toutes les années de l'occupation, et ce délibérément, à la suite de décisions secrètes prises par le cabinet de sécurité à la fin de 1967. Au lieu de la Ligne verte, il a été décidé de désigner les frontières (non officielles) d'Israël par les lignes de cessez-le-feu de la guerre de six jours qui a eu lieu en juin de la même année, englobant les territoires de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), la bande de Gaza, la péninsule du Sinaï et les hauteurs du Golan.

Depuis lors, les cartes officielles imprimées par Survey of Israel, le service cartographique gouvernemental, n'ont pas établi de distinction entre le territoire de l'État tel qu'il était à la veille de la guerre de 1967 et ce qu'il comprenait par la suite. Dans la pratique, comme le montre la carte officielle, Israël (et non « État de » ni « Terre de ») s'étend de la mer Méditerranée, à l'ouest, au Jourdain, à l'est. La décision politique de 1967 d'effacer la ligne de la carte officielle a peut-être eu pour but de laisser ouvertes toutes les options concernant l'avenir de ces territoires. Toutefois, avec l'établissement de colonies de peuplement dans les territoires occupés et leur transformation, aux yeux de beaucoup, en une partie intégrante d'Israël, l'effacement de la ligne est passé d'un exercice cartographique à une réalité politique. La Ligne verte a en fait été oubliée et, pour de nombreux Israéliens, elle n'existe plus concrètement.

La réaction du maire Benny Kashriel, de Ma'aleh Adumim, une colonie urbaine en Cisjordanie, à la décision de la mairie de Tel-Aviv reflète fidèlement la réalité politique d'Israël. Selon Kashriel, « l'État de Tel-Aviv et ses dirigeants pensent que les frontières de la Terre d'Israël se terminent à Gush Dan [agglomération de Tel-Aviv]. Je les invite à quitter Sheinkin et Ibn Gavirol [rues de Tel-Aviv] et à venir nous voir à Ma'aleh Adumim pour voir de près ce qu'est une colonie. »

Au-delà du verbiage anti-Tel Aviv, qui est à la mode dans certains milieux, la position du maire, selon laquelle Ma'aleh Adumim fait partie d'Israël, reflète une position étatique de longue date. En effet, hityashvut (le terme politiquement neutre utilisé par Kashriel pour « colonisation », au lieu de hitnahlut, le mot habituellement employé, parfois de manière dérisoire, pour désigner la colonisation dans les territoires occupés) est un projet d'État. Cependant, comme les décideurs l'ont très bien compris, il était nécessaire d'être ambigu dès le départ sur la question.

Ainsi, en octobre 1967, lors d'une réunion du comité ministériel sur la sécurité concernant la « disparition » de la Ligne verte, le projet de colonisation n'étant pas encore à l'horizon, le ministre de la Défense Moshe Dayan a clairement indiqué que, selon certains, « nous ne devrions pas manifester nos intentions expansionnistes ». Depuis lors, Israël a clairement manifesté ses intentions. De son côté, le ministre sans portefeuille Menahem Begin a déclaré qu'il « n'était pas d'accord avec le terme « expansion » [hitpashtut, en hébreu], tout comme je n'étais pas d'accord avec le terme « occupation ». C'est une très mauvaise phraséologie. » 

Cartes officielles d'après les guerres de 1948,  1967 et 1973

 

Un certain nombre de réunions des hauts dirigeants israéliens en octobre et novembre 1967 ont été consacrées à l'avenir de la Ligne verte sur des cartes publiées par l'État. Pour les participants, il était clair que la décision sur le sujet n'était pas anodine. À la suite de la décision prise par le gouvernement à l'automne d'annuler les lignes d'armistice de 1949, le ministre du Travail, Yigal Allon, a soumis une résolution au comité ministériel sur la sécurité. Allon dit : « Ma proposition est simple. Prendre un instantané de la vraie réalité reconnue, telle qu'elle est. » 

 

« Assis sur de nouvelles lignes »

Ce qu'il voulait dire, c'est que l'État devrait publier des cartes basées sur le « statut du cessez-le-feu » dans la guerre des Six Jours et non sur celui des lignes d'armistice de 1949. En d'autres termes, effacer la frontière orientale reconnue d'Israël de la carte officielle. Comme l'a expliqué Allon lors d'une des réunions : « La logique est la suivante : le gouvernement a décidé que lors de la déclaration de la guerre des Six Jours, les accords d'armistice ont cessé d'exister, avec tout ce que cela implique. S'il n'y a pas de lignes d'armistice, il n'y a pas de frontières... Nous sommes assis sur de nouvelles lignes, qui ont le statut de lignes de cessez-le-feu. »

Pratiquement tous les ministres étaient en faveur du projet de résolution. Le Premier ministre, Levi Eshkol, l'a accepté, expliquant dans l'une des discussions : « C'est aujourd'hui une carte qui n'est qu'un instantané de la situation existante. [Mais] cela ne signifie pas que c'est la carte finale. » Les ministres étaient conscients des implications de leur décision. Le ministre du Commerce et de l'Industrie, Zeev Sherf, a noté que « la publication d'une carte du service cartographique gouvernemental est un acte politique, important et grave ». C'est pourquoi Eshkol a dit qu'il « préférerait que nous n'ayons pas d'opinions divergentes à ce sujet ».

Le ministre de la Police Eliahu Sasson, qui était également en faveur de la décision, a expliqué la logique qu'il y a trouvée : « Les territoires administrés sont trois fois plus grands que la zone précédente de l'État d'Israël. Il y a des pays qui savent que nous avons conquis tel ou tel territoire, mais ils n'imaginent pas la taille des territoires que nous avons conquis. Si nous leur donnons une carte sur laquelle nous marquons séparément les territoires administrés par les Forces de défense israéliennes, ils verront à quel point Israël était minuscule et quelle est la taille des territoires administrés. Nous ne devrions pas placer une telle carte entre les mains de ceux qui veulent que nous nous retirions des territoires administrés. »

Les discussions ont porté sur divers points. L'un des plus intéressants d'entre eux concernait le titre de la carte : « État d'Israël » ou simplement « Israël » ? « Nous avons convenu, nota Allon, que pour éviter les allégations d'annexions et autres, le titre de la carte serait ‘Israël’ et le sous-titre ‘Carte des lignes de cessez-le-feu’. »

Un débat a été consacré à la question de la censure et à la crainte que la décision d'effacer cette ligne ne devienne publique avant la réunion de l'Assemblée générale des Nations Unies, prévue quelques semaines plus tard, début novembre. C'est le ministre des Affaires étrangères Abba Eban qui a demandé que les cartes ne soient imprimées qu'après les sessions de l'Assemblée générale, et c'est ce qui s'est passé. Cependant, ce n'était pas seulement une question de diplomatie, c'était aussi une question intérieure. En effet, Eban lui-même a déclaré dans l'une des discussions : « Je pense qu'il y a des raisons internes et externes pour effacer la ligne de la carte. »

L'une de ces raisons était probablement le désir d'établir des colonies sur les hauteurs du Golan. À l'époque, la plupart des ministres n'aspiraient pas à un vaste projet de colonisation en Cisjordanie. Mais les choses étaient différentes quand il s'agissait des hauteurs du Golan ; Allon a expliqué que laisser les cartes avec la Ligne verte dessus était quelque chose qui « ne pouvait nous contrarier que dans le cas des hauteurs du Golan ». Il avait raison. Aux yeux de la plupart des Israéliens, les colonies de peuplement qui ont été construites sur les hauteurs du Golan depuis lors sont considérées comme des yeshuvim - terme politiquement neutre – et non comme des hitnahaluyot, le terme utilisé, comme on l'a noté, pour désigner les colonies de peuplement d'après 1967.

Le ministre de la justice Yaakov Shimshon-Shapira a également évoqué la dissimulation de la décision et ses implications. « Des cartes [des lignes] du cessez-le-feu ont déjà été publiées des dizaines de fois. Quel est le secret ici ? Le secret est que le gouvernement a décidé de publier une carte de ce genre en tant que carte officielle. » Ainsi, les décisions du comité ministériel pour la sécurité d'effacer la Ligne verte des cartes officielles ont été qualifiées de « top secret » et n'ont pas été publiées pendant des années.

L'effacement de la ligne n'avait pas pour but de délimiter une nouvelle frontière pour Israël, mais cette question a été soulevée tout au long des discussions. « Il faut qu'il y ait une note [indiquant] qu'il ne s'agit pas d'une carte des frontières du pays, mais des lignes de cessez-le-feu. Cela enlève tout le « piquant » » », a déclaré le ministre de l'Information Israël Galili. Dans la pratique, cependant, la question de la frontière a été divisée en plusieurs questions. Le directeur général du ministère de l'Intérieur, Meir Silverstone, a écrit en septembre 1967 à son ministre, Haim-Moshe Shapira, que « le ministre de la Défense (et peut-être d'autres ministres) sont favorables à une approche de « brouillage » de la frontière entre l'État et le territoire administré. Pour cette raison, ils ne veulent pas que nous nous occupions de la question par le biais d'une supervision des frontières sur la base de la loi sur l'entrée en Israël. »

« Un seul Israël »

Il convient de rappeler que la municipalité de Tel-Aviv n'a pas été le premier organisme à vouloir restaurer la Ligne verte sur les cartes – le sujet a en fait été débattu au fil des ans. Par exemple, en 2006, lorsque le ministre de l'Éducation, Yuli Tamir (travailliste), a lancé une enquête pour déterminer si la ligne pouvait être restaurée sur des cartes dans les manuels scolaires, cela a généré une brève fureur politique. Le fait que la Ligne verte n'apparaisse pas sur les cartes officielles, et que l'histoire de son existence ne soit pas correctement enseignée dans le système éducatif, a permis de reproduire pendant des décennies l'ignorance sur les limites du territoire souverain d'Israël. « Il n'y a pas de Ligne verte. Il y a un Israël. Un enfant dans [la colonie de] Karnei Shmron, dans Netivot [en Israël souverain], dans [les colonies de] Ariel ou Ofra – ils sont un seul et même enfant », a déclaré le ministre de l'Éducation Naftali Bennett des années plus tard. « Nous enseignons sur toute la Terre d'Israël, sans distinction. »

La décision d'effacer la Ligne verte des publications de Survey of Israel a également été adoptée pour d'autres cartes. En décembre 1967, par exemple, de nouvelles cartes ont été imprimées pour marquer les « nouveaux sentiers » de la Société pour la protection de la nature en Israël. « La carte contient les nouveaux sentiers qui ont été marqués dans le désert de Judée libéré, le long desquels des milliers de jeunes vont faire de la randonnée durant quelques jours pendant les sorties de Hanoukka des mouvements de jeunesse », a écrit le journal Lamerhav (l'organe du parti de Galili et Allons, les travaillistes). La Ligne verte, notait-on dans l'article, avait été « complètement retirée de la carte ».

Les considérations étaient très claires. Dans l'une des discussions sur la question, le Premier ministre Eshkol a explicitement fait référence à la considération cachée qui sous-tend l'effacement de la Ligne verte et la décision de le garder secret, disant : « Nous savons tous pourquoi une mariée vient se tenir sous le dais*. Mais nous n’en parlons pas ».

NdT

*Dais : la houppa est un dais sous lequel les mariés juifs se tiennent lors de la cérémonie de mariage, pour symboliser le foyer commun qu’ils fondent


 

Pour apporter un peu d'oxygène, quelques cartes de la Palestine, réalisées par Rami Abou Qa'adan, un jeune Palestinien de Cisjordanie, sans aucune ligne, ni verte, ni bleue. Yalla Filastin!

 



 

“Ras-le-bol des machines à laver ! Vivement qu’on en revienne à la polygamie !” : Meir Mazzouz, le rabbin tunisien de Bnei Brak, n’en rate pas une

 


Haaretz, 26/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : Meir Mazzouz, illustre rejeton de Matsliah Mazzouz, le rabbin et posseq [docteur ès halakha-loi juive] de Djerba, assassiné en 1971 en Tunisie (son meurtrier était, selon les sources, un “nationaliste arabe” ou un “fanatique musulman” ou même un Palestinien), est le doyen de la yeshiva Kissé Rahamim à Bnei Brak, capitale du sionisme religieux, et pourrait fort bien se retrouver ministre en cas de victoire de Netanyahou aux prochaines élections, étant donné que l’ensemble des partis et groupes  dits orthodoxes se sont coalisés derrière Bibi et son Likoud. Ce partisan de la lapidation des gays et lesbiennes a trouvé l’explication au fait que selon lui, les pays arabes avaient été épargnés par le COVID-19 : ils ont interdit les gay prides ! En revanche, il a expliqué la propagation du virus en Iran par le fait que les Iraniens sont des “tordus” qui “haïssent Israël”. Cet allumé du bocal vient d’en remettre une couche.

“Aujourd'hui, nous avons quatre femmes à la maison. Nous avons une machine à laver, c’en est une. Nous avons une cuisinière à gaz, c’en est une autre. Nous avons un séchoir...” : le chef de la communauté juive tunisienne en Israël, le rabbin Meir Mazzouz, lors de son cours hebdomadaire de Torah diffusé en direct.

Un éminent dirigeant ultra-orthodoxe proche de nombreux députés du camp pro-Netanyahou a été filmé en train de comparer les femmes à des machines à laver et des cuisinières et de pleurer la fin de la polygamie sanctionnée par le rabbinat.

Dans une vidéo de l'une de ses conférences qui a été partagée en ligne, le rabbin Meir Mazzouz, chef de la communauté juive tunisienne en Israël et figure influente dans le monde de la politique nationaliste et ultra-orthodoxe, se plaint qu’« autrefois, la femme faisait tout, même la lessive. Pourquoi était-il permis, à l'époque [talmudique], à un homme de prendre jusqu'à quatre épouses ? Il était fou de chaque femme une semaine par mois ».

« Aujourd'hui, nous avons quatre épouses à la maison. Nous avons une machine à laver le linge, c'en est une. Nous avons une cuisinière à gaz, c’en est une autre. Nous avons un sèche-linge... Autrefois, une femme était un lave-linge, une cuisinière, une meunière, une couturière ».

Mazuz a fait les gros titres cet été lorsqu'il a qualifié les ministres Yair Lapid et Avigdor Liberman de “pires que des nazis”, exprimant l'espoir de leur mort en raison de leur soutien à des changements au statu quo religieux de longue date du pays.

« Il y a beaucoup de mauvaises personnes et nous attendons qu'elles disparaissent un jour du monde », a déclaré Mazzouz lors de sa conférence biblique hebdomadaire diffusée en direct.

« Les nazis aimaient leur peuple. [Lieberman et Lapid] détestent leur peuple. Ils veulent détruire les enfants et les personnes âgées » et fermer les écoles orthodoxes, a-t-il accusé.

Mazzouz est connu pour ses opinions controversées et ses critiques acerbes à l'égard des hommes politiques avec lesquels il est en désaccord. Il avait déjà traité l'ancien Premier ministre Naftali Bennett de "traître" et déclaré que voter pour le ministre des affaires étrangères Yair Lapid revenait à "faire de l'idolâtrie".

En novembre dernier, Mazzouz s'est emporté contre plusieurs groupes au sein du judaïsme, affirmant que les Juifs de l'ancienne Union soviétique et les Juifs réformés sont des non-croyants qui détruisent le judaïsme en Israël.

« Vous devez savoir que ce qui nous arrive n'est pas moins grave que ce qui s'est passé en Russie. Lieberman vient de Russie et en Russie il n'y a pas de religion, il n'y a pas de Dieu, rien, [ce sont] des hérétiques complets », a déclaré Mazzouz à l'époque, ajoutant que « les juifs réformés ont détruit le peuple d'Israël. »

En mars 2020, Mazzouz a affirmé qu'Israël souffrait de la pandémie de coronavirus parce qu'il avait autorisé les parades de gay pride, tandis qu'en 2016, il a prétendu que l'effondrement d'un parking en construction à Tel-Aviv, qui a fait six morts, était dû au manque de respect du shabbat. À l'époque, il était le chef spirituel du parti Yachad, fondé par l'ancien chef du parti ultra-orthodoxe Shas, Eli Yishai.

En 2014, Ynet a rapporté qu'il avait déclaré que les juifs séfarades n'avaient pas péri pendant l'Holocauste parce qu'ils étudiaient la Torah et que l'évasion fiscale des étudiants à plein temps de yeshiva pouvait être autorisée.

Tsahal ne se laisse pas “fragiliser” par les terroristes (parole d'expert)

“L'épisode Abou Aqleh aurait pu fragiliser Tsahal”, mais il n'en a rien été : c'est une des perles de cet “expert” militaire israélien, habitué du studio de la chaîne de propagande israélienne en français i24, interviewé récemment à propos de l'opération destinée à “éliminer le zoo”, comme il appelle les combattants du groupe de Naplouse Arin Al Ousoud (La Tanière des Lions). Notre expert considère en outre que Naplouse se trouve en Israël. Bref, il officialise l'annexion de fait de la Cisjordanie. Deux exemples scolaires du volet médiatique de la guerre contre-insurrectionnelle menée par l'armée la plus morale du monde, en concurrence sérieuse pour ce titre avec l'armée ukrainienne.