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12/06/2023

Les caricaturistes sont en deuil : le Cavaliere n'est plus de ce monde
Fumettisti in lutto: il Cavaliere non c'è più
Cartoonists in mourning: the Cavaliere is no more
Los dibujantes están de luto: el Cavaliere se fue

 
Tomas


Paolo Lombardi
 

C'est le collègue qui prend en charge l'enterrement de Berlusconi
It's the colleague in charge of Berlusconi's funeral
E' il collega incaricato  dei funerali di Berlusconi
Es el colega encargado del funeral de Berlusconi
Harm Bengen



Bart van Leeuwen


Farewell to Mr. Bunga Bunga
Marilena Nardi



Daniel Murphy

GIDEON LEVY
La contestation des Blancs : une “success story” israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 11/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La contestation des Blancs a réussi. Elle a mis un terme au projet de refonte du système judiciaire et, pour cela, ses participants méritent tout le respect et la gratitude qui leur sont dus. Il n'y a pas eu beaucoup de mouvements de protestation dans l'histoire de ce pays, et celui-ci semble avoir été le plus réussi. Applaudissements, chers amis. Vous avez prouvé que les Israéliens ne sont pas des Hongrois ou des Polonais. Mais ces applaudissements enthousiastes ne doivent pas masquer les maux et les défauts de cette protestation. Les symptômes n'ont fait qu'empirer ces derniers temps.


Manifestation contre la réforme judiciaire à Tel Aviv, samedi 10 juin 2023. Photos : Moti Milrod (en haut) & Ofer Vaknin (en bas)


Plus la protestation réussissait, plus l'autosatisfaction de ses initiateurs augmentait - regardez comme nous sommes merveilleux - et avec elle, la sauvegarde méticuleuse de la pureté du camp, ne permettant à aucune autre question de brouiller les cartes. Cette autosatisfaction a entraîné la satiété de la protestation : la pureté du camp l'a rendu trop blanc. L'histoire retiendra peut-être qu'il s'agit d'un mouvement qui a bloqué certaines législations dangereuses ; mais elle retiendra certainement qu'il s'agit d'un mouvement qui a systématiquement fait preuve de lâcheté en évitant des questions plus fatidiques.

Après tout, même si la protestation atteint pleinement ses objectifs, Israël ne fera que revenir à ce qu'il était il y a encore quelques années. Pour rappel, c'était aussi un pays moralement tordu, à peine moins que l'actuel dirigé par Netanyahou.

Le week-end dernier, les organisateurs de la contestation ont invité Rawia Aburabia, professeure de droit au Sapir Academic College, à parler de la violence dans les communautés arabes. La contestation étend ses ailes, diversifie les thèmes de sa campagne, devient plus pertinente et plus actuelle. Mais il s'est avéré que l'invitation comportait un piège : Il ne devait pas être question de l'occupation. Aburabia a évidemment décidé de refuser cette généreuse invitation, écrivant : « si c'est à cela que ressemble la liberté d'expression dans une vague de protestations visant la démocratie pour les Juifs seulement, dans laquelle les structures de pouvoir ethno-nationales et le contrôle des orateurs sont des copiés-collés [d'autres sphères], en vérité, je ne sais plus quoi dire ».

Il s'agissait manifestement d'un incident annoncé, dans le cadre d'un mouvement déterminé à combattre les personnes qui luttent contre l'occupation. L'occupation n'est manifestement pas liée à la démocratie aux yeux des démocrates de la rue Kaplan.

Shikma Schwartzman-Bressler s'adresse aux manifestants lors d'une manifestation à Tel Aviv en mars. Photo : Hadas Parush

L'héroïne photogénique de la contestation, Shikma Bressler, qui a récemment été photographiée dans une pose à la Che Guevara, tenant un drapeau israélien, a déclaré : « le fait de voir des Israéliens défendre la démocratie, manifester partout dans le monde et en Israël, devrait faire comprendre que nous sommes comme [le mouvement hassidique] Chabad, sauf que nous défendons la démocratie. Nous sommes pleins de foi dans notre façon de faire, nous nous battons en étant ce que nous sommes. Le drapeau a remplacé les vêtements noirs [portés par les disciples de Chabad] ».

Nous avons de la chance. Le drapeau israélien a remplacé l'habit noir et nous avons maintenant un nouveau Chabad. Oublions l'incroyable comparaison avec une organisation religieuse ultra-nationaliste, cette dangereuse organisation appelée Chabad, dont la leadeuse du mouvement de protestation s’inspire.

Laissons également de côté son attitude à l'égard des vêtements noirs, qui est inoffensive même si elle est différente - une protestation qui se glorifie de cette manière est une protestation qui s'est engraissée et rassasiée, une protestation de privilégiés. Si cette protestation rejette tout contact avec les personnes qui comprennent qu'une démocratie construite sur les bases d'une dictature militaire cruelle ne sera jamais une véritable démocratie, il s'agira d'un mouvement de protestation creux, trompeur et spécieux.

Il est bon que des masses de gens continuent à descendre dans la rue. Il est difficile de critiquer la conscience politique et la volonté d'agir des gens de bonne volonté. Mais à côté des drapeaux, il faut aussi dire la vérité. Et la vérité, c'est que cette manifestation n'a qu'un seul objectif : la destitution de Benjamin Netanyahou. Telle est la véritable passion des manifestants.

C'est un objectif légitime et même juste. Netanyahou porte l'entière responsabilité de l'effondrement insensé du système au cours des derniers mois. Mais les gens qui brandissent des drapeaux sur la rue Kaplan, blancs et rassasiés, juifs et sionistes, n'oubliez pas que même si Netanyahou s'en va, Israël continuera d'être un État d'apartheid.

Un État d'apartheid ne sera jamais une démocratie, même si les Juifs y préservent leurs droits, même si vous continuez à défiler avec des drapeaux dans la rue Kaplan pendant des années.

Ce n'est donc pas une véritable démocratie que vous défendez. Les vrais démocrates ne peuvent donc pas se joindre à votre combat.

 


 

 

11/06/2023

GIDEON LEVY
Un père met son petit enfant dans la voiture, puis est forcé de lui faire ses adieux
Scènes de la vie quotidienne à Nabi Saleh, en Cisjordanie occupée

 Gideon Levy et Alex Levac (photos) Haaretz, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Source J-Media
Un sniper israélien a abattu Mohammed Tamimi, âgé de deux ans et demi, d’une balle dans la tête, puis son père d’une balle dans la poitrine, alors qu’ils se rendaient à une fête d’anniversaire. L’enfant est mort quatre jours plus tard. Il s’agit du 150e Palestinien tué cette année

Haytham Tamimi, le père endeuillé, à droite, et son frère Hassan. “Un soldat qui tire sur un bébé de cette façon est un soldat qui a déjà fait ça par le passé”, dit leur cousin Sameh. “C’est un malade mental”.

Une famille se rend à l’anniversaire d’une tante, dans le village voisin. En rentrant du travail, le père s’était arrêté chez la tante pour déposer un gâteau d’anniversaire de la pâtisserie où il travaille. De retour à la maison, il prend son fils Mohammed dans les bras, l’installe sur le siège arrière de sa Skoda, puis fait le tour de la voiture pour s’asseoir à la place du conducteur.

Soudain, une volée de coups de feu. D’après ce que le père a raconté cette semaine à d’autres membres de sa famille, une balle l’a atteint avant même qu’il ne parvienne à entrer dans le véhicule. L’armée a affirmé que le père était déjà à l’intérieur lorsque le soldat a tiré sur la voiture. Quoi qu’il en soit, il a réussi à monter dans la voiture malgré sa blessure. Il a rapidement fermé la portière pour protéger son fils, puis a jeté un coup d’œil sur la banquette arrière.

Le spectacle qui s’offre à lui est effroyable. Le petit Mohammed est affaissé, inconscient, respirant à peine, avec un trou béant dans la tempe droite. Son sang a taché le siège. S’enfuyant pour sauver sa vie, le père horrifié a réussi à parcourir une courte distance. Au total, cinq balles ont atteint la voiture. Celle qui a frappé la tête du bambin a explosé et fait des ravages à l’intérieur, tandis que la balle qui a touché Haytham, le père, l’a atteint à la poitrine et est ressortie par l’épaule droite. Il a également été touché par des éclats de plus gros projectiles.

Lundi dernier, Haytham Tamimi se trouvait dans la maison de son père lorsqu’il a appris la mort de Mohammed. Nous étions là précisément à ce moment-là. Tamimi était naturellement bouleversé, à peine capable de prononcer un mot. De temps en temps, il éclatait en sanglots et son frère, Hassan, essuyait ses larmes. À l’hôpital pour enfants Safra, qui fait partie du centre médical Sheba à Ramat Gan, Marwa, la mère de l’enfant, était à ses côtés lorsqu’il a rendu son dernier soupir.

Le couple a encore un enfant, un fils, Osama, âgé de huit ans, qui errait lundi dans la maison de son grand-père, perplexe, ne comprenant apparemment pas pourquoi tout ce remue-ménage. Haytham, qui a lui-même été hospitalisé pendant deux jours à Ramallah, a rendu visite à son fils mourant la veille de sa mort, mais n’a pas pu rester en raison de son état de santé ; il a embrassé la tête bandée du garçon avant de partir. Le lundi après-midi, tout était fini. La nouvelle de la mort de Mohammed a déclenché un torrent de chagrin dans la maison, insupportable à voir.

Nabi Saleh, encore Nabi Saleh, le petit village militant, courageux et déterminé près de Ramallah, dont tous les habitants appartiennent à la famille Tamimi et dont la plupart participent activement à la lutte non violente contre l’occupation, la barrière de séparation et la colonie de Halamish, qui est adjacente au village. Nous étions ici il y a environ un an et demi, lorsque Qusai Tamimi a été tué par des soldats pour avoir mis le feu à un pneu. C’est également ici que Mustafa Tamimi a été tué en 2011 lorsqu’une grenade lacrymogène tirée par un soldat s’est écrasée sur son visage, et c’est ici qu’Ahed Tamimi a giflé un soldat en 2017, et qu’elle a été emprisonnée pendant huit mois. Son cousin de 15 ans, un autre Mohammed Tamimi, a reçu une balle dans la tête peu avant l’incident avec Ahed, ce qui lui a déformé le crâne et le visage. Un autre Mohammed Tamimi, âgé de 17 ans, a été tué par un soldat qui lui a tiré dessus depuis l’intérieur d’une jeep blindée.

C’est maintenant au tour du troisième Mohammed Tamimi d’être abattu ici, à l’âge de 2 ans et demi, la plus jeune personne du village à être tuée. Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il s’agit du 150e  Palestinien tué cette année, qui n’a même pas encore atteint son milieu.

Ce jeudi soir 1er juin, Faraj Tamimi a conduit en toute hâte son cousin Haytham et Mohammed, alors à peine vivant, hors du village. Il s’est arrêté en face de Halamish, où des équipes médicales de Magen David Adom, le service d’ambulance d’urgence, et des Forces de défense israéliennes ont tenté de réanimer le bambin. Faraj a ensuite emmené le père de l’enfant à l’hôpital arabe Istishari de Ramallah.

Haytham et Hassan Tamimi

Un silence pesant règne désormais dans la maison du grand-père, seulement brisé par des cris d’angoisse. Un visiteur des USA, l’oncle Sameh Tamimi, 34 ans, cyber-ingénieur et natif du village, qui a émigré à San Francisco, est le seul capable de parler de ce qui s’est passé en ce moment atroce. Il a accompagné Haytham dimanche pour voir son fils pour la dernière fois à l’hôpital. Il se demande à voix haute si le soldat qui a tiré une balle dans la tête de l’enfant n’est pas un psychopathe.

“Parce que quel autre soldat pourrait faire une telle chose ?” demande-t-il, alors que les médias israéliens ont déjà décidé, dans un réflexe effrayant, que le bambin avait été tué “par erreur”. Sameh exige une enquête, il veut savoir quel type de munitions a été utilisé pour tuer son petit neveu, après avoir appris que la balle a explosé à l’intérieur du minuscule crâne de Mohammed et détruit 80 % de son cerveau. « Un soldat qui tire sur un bébé de cette façon est un soldat qui a déjà fait ça dans le passé. C’est un malade mental. Il a tiré sur un bébé sans ménagement, dans le but de tuer. Il est susceptible de recommencer ».

Selon Sameh, la voiture a essuyé des tirs provenant de deux directions, un peu après 20 heures : d’en haut - de la tour de guet qui domine le village - et du côté droit, où Mohammed était assis. En d’autres termes, il pense que plus d’un soldat a tiré sur le père et le fils.

La maison de la famille est la plus proche de la tour menaçante de Nabi Saleh. Les seuls mots cohérents qu’Haytham a réussi à prononcer lors de notre visite, après l’annonce de la terrible nouvelle, sont qu’un ordre de démolition est en cours contre la structure depuis 2013. Le meurtre de son fils pourrait en fait accélérer le processus, tout comme il a incité l’armée à organiser un raid à grande échelle sur le village peu après que ses troupes ont abattu Mohammed et son père, et à revenir pour une deuxième série de raids le samedi soir.

L’unité du porte-parole des FDI, qui a regretté cette semaine que des non-combattants aient été blessés, a répondu comme suit à une question posée par Haaretz sur les raisons pour lesquelles les forces ont continué à envahir le village qui pleurait la mort de l’enfant : « Dans la nuit du 1er juin, des terroristes ont tiré en direction de la colonie de Neve Tzuf. Les forces des FDI qui assuraient la sécurité du poste militaire adjacent à la communauté ont répondu en tirant plusieurs balles.

« L’enquête initiale, menée immédiatement après l’événement, a révélé que lorsque deux terroristes ont tiré des coups de feu pendant plusieurs minutes sur la colonie, les forces de l’armée israélienne ont répondu par des tirs. Il s’avère qu’à la suite de ces tirs, deux Palestiniens ont été blessés. Les FDI regrettent que des non-combattants aient été blessés et s’efforcent d’éviter de tels incidents.

« Plus tard dans la nuit, les forces de sécurité sont intervenues dans le village de Nabi Saleh pour enquêter sur l’attaque. Au cours de cette action [d’enquête], des troubles violents ont éclaté, avec la participation de dizaines de Palestiniens qui ont jeté des pierres et des pneus enflammés et ont improvisé des grenades lacrymogènes [sic] contre les forces de l’ordre. Les forces ont pris des mesures pour dissiper les troubles et ont répondu avec des moyens destinés à disperser les manifestations. En outre, les forces ont examiné la zone le lendemain, dans le cadre de l’enquête sur l’événement. L’événement fait l’objet d’une enquête approfondie. À l’issue de l’enquête, et compte tenu de ses conclusions, une décision sera prise quant à l’ouverture d’une enquête [formelle] ».

Quelques centaines de mètres séparent la maison de la famille de la tour où était apparemment perché le soldat armé. Il n’était évidemment pas en danger dans la tour fortifiée, même si l’on accepte l’affirmation de l’armée selon laquelle son tir a été précédé d’un tir sur la colonie adjacente de Halamish. Personne à Nabi Saleh n’a entendu ces tirs. Le fait est que Haytam, qui réside dans une zone dangereuse, en face de la tour, n’a eu aucun scrupule à emmener son fils à l’extérieur pour se rendre à une fête d’anniversaire. Il ne l’aurait jamais fait s’il avait entendu des tirs.

Bilal Tamimi, 56 ans, qui travaille au département des médias du ministère palestinien de l’Éducation et qui est également bénévole à B’Tselem, a clairement entendu le bruit des coups de feu. Ce jeudi soir, il rendait visite à un cousin qui habite près de chez lui lorsqu’il a soudain entendu des coups de feu - probablement ceux qui ont tué Mohammed et blessé Haytham. Il est rentré chez lui en courant pour enfiler son gilet “presse” et son casque de protection, puis il est monté sur le toit avec des membres de sa famille pour observer et documenter le déroulement des événements avec la caméra de son téléphone. C’est un habitué. Dans la maison de Bilal, qui abrite une exposition permanente de différents types de douilles de munitions laissées par les soldats, il raconte ce qu’il a entendu et vu ce soir-là, après les tirs sur Haytham et Mohammed.

Wissam (à dr.) a été blessé à la tête

Lorsque nous avons rencontré Bilal, il revenait de l’hôpital Istishari où il était allé chercher son neveu Wissam, âgé de 17 ans, qui sortait de l’hôpital après avoir été soigné pour une blessure à la tête subie lors de cette terrible soirée dans le village. Wissam, qui a eu besoin de neuf points de suture, a été blessé par une balle métallique à pointe éponge, et non par une balle réelle, comme le petit Mohammed. Il a été hospitalisé pendant trois jours. Bilal a également été blessé par une balle en métal-éponge ; son bras droit est plâtré et maintenu par une écharpe.

Bilal Tamimi sur la terrasse  de sa maison à Nabi Saleh, cette semaine. Sa main a été cassée par une balle métallique à pointe éponge

Les deux hommes ont été abattus alors qu’ils observaient la scène depuis le toit. Des soldats sont entrés dans le village à bord de plusieurs jeeps et ont pris position sur les toits des maisons, y compris sur le toit opposé à celui où se trouvaient Bilal et les autres. Bilal raconte qu’il n’avait jamais vu de soldats aussi agressifs et ayant la gâchette aussi facile. Le correspondant militaire de Channel 11 News, Itay Blumenthal, a rapporté cette semaine que les soldats appartenaient au bataillon Duchifat de la brigade Kfir, qui est déployée en permanence en Cisjordanie, et qu’ils étaient arrivés dans le village ce matin-là pour la première fois. C’est peut-être pour cette raison qu’ils ont ouvert le feu avec autant d’enthousiasme.

Bilal se souvient qu’il a d’abord vu une jeep se précipiter sur une voiture palestinienne, jusqu’à ce que le véhicule disparaisse. La jeep s’est alors arrêtée à côté de la station-service à l’entrée de Nabi Saleh. Quelques jeunes ont attendu jusqu’à ce que la jeep se mette en route, puis ils ont commencé à lui jeter des pierres, leur réaction habituelle après l’invasion du village par l’armée. Entre-temps, deux autres jeeps sont arrivées. Les soldats ont tiré des grenades lacrymogènes et des balles métalliques enrobées de caoutchouc sur la poignée de jeunes qui leur jetaient des pierres. Les soldats sont montés sur le toit d’un magasin et, de là, ont fait pleuvoir des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur tout ce qui bougeait, raconte Bilal. Les troupes sont restées dans le village jusqu’aux premières lueurs du jour, tandis qu’à l’hôpital de Safra, les médecins tentaient de sauver la vie de Mohammed. 

Une grenade assourdissante et des balles en métal à pointe éponge

Bilal, sa femme, son fils, son frère et son neveu sont restés sur le toit jusqu’à ce que Wissam soit blessé. Manal, la femme de Bilal, âgée de 50 ans, l’a conduit pour qu’il reçoive des soins médicaux. N’aviez-vous pas peur de traverser les positions des soldats ? « J’avais peur qu’ils ne me laissent pas passer, mais quand j’ai vu le sang sur la tête de Wissam, j’ai oublié toutes mes craintes », raconte-t-elle. Près de la ville nouvelle palestinienne de Rawabi, une ambulance du Croissant-Rouge les a recueillis et a transporté Wissam jusqu’à l’hôpital. Il est en onzième année et a manqué le dernier de ses examens de fin d’année, en langue arabe, à cause de sa blessure. Il dit qu’il demandera une seconde session. Il a également manqué la fête de fin d’année de l’école.

Les soldats sont revenus à Nabi Saleh dans la nuit de samedi à dimanche. Cette fois, ils ont pris possession de la terrasse de la maison de Manal et Bilal. Lundi, nous sommes montés sur la terrasse, une ascension difficile et dangereuse. Des douilles jonchent encore le sol. En contrebas, tout le village se déploie. Ici, c’est la maison d’Ahed Tamimi, là-bas ce sont les maisons du premier Mohammed Tamimi qui a été tué, du deuxième Mohammed Tamimi et du troisième, qui a été enterré mardi dernier.

La maison dans laquelle vivait le petit Mohammed était vide cette semaine. La famille a préféré se recueillir dans la maison du grand-père, plus éloignée de la tour militaire. C’est de cette maison que provenaient les pleurs.

Les funérailles de Mohammed à Nabi Saleh le mardi 6 juin Photo: AHMAD GHARABLI/AFP



Comparaison d'un trajet similaire entre Nabi Saleh et Ramallah pour une voiture palestinienne (à gauche) et entre les colonies israéliennes de Halamish et Psagot pour une voiture israélienne (la durée pour la voiture palestinienne suppose que les postes de contrôle militaires ne sont pas opérationnels à ce moment-là).  Source : Léopold Lambert, The Funambulist, 2018

10/06/2023

AYMAN ODEH
Combien de temps les protestataires contre la refonte judiciaire pourront-ils ignorer l'occupation israélienne ?

Ayman Odeh, Haaretz, 4/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ayman Odeh (Haïfa, 1975) est un avocat et homme politique palestinien de 1948. Il dirige le parti communiste d'Israël Hadash/Ta'al et il est député à la Knesset de la coalition Liste unifiée (al-Qa'imah al-Mushtarakah/HaReshima HaMeshutefet), dont il est le président.

Depuis 22 semaines, des centaines de milliers de citoyens israéliens descendent dans la rue pour lutter pour la démocratie. C'est impressionnant et émouvant, et cela m'inspire un grand respect. Je n'ai pas été invité à dire quoi que ce soit lors de ces manifestations. Je ne suis ni blessé ni surpris, mais je sais que ces centaines de milliers de manifestants sont mes futurs partenaires dans la création d'une vie meilleure pour ce pays.

“J’ai peur des missiles, mais encore plus de la dictature” : manifestation contre le coup d'État judiciaire dans le centre de Tel Aviv, en mai dernier.
Photo : Tomer Appelbaum

Peut-être mes positions sont-elles difficiles à accepter pour certains d'entre eux, peut-être les organisateurs ont-ils choisi de dissimuler certaines opinions, craignant que le fait de parler de l'occupation et de la paix ne fasse fuir un grand nombre de manifestants.

Je profite donc de cette tribune pour me tourner vers les chers manifestants de la rue Kaplan et leur demander de consacrer quelques minutes à la réflexion sur le lien entre démocratie et occupation.

Nous vivons une réalité tragique dans ce pays, qui a connu tant d'effusions de sang que le mot “paix” semble presque étranger. C'est paradoxal, car nous savons que la question de la paix, ou du “conflit”, comme on aime à l'appeler, est la plus importante.

La grande majorité des Israéliens et des Palestiniens souhaitent vivre en sécurité, sans guerre, sans conflit. Mais même si de nombreuses personnes travaillent à l'instauration de la paix, l'occupation se durcit et la paix s'éloigne.

Certains pensent que le conflit peut être géré, qu'il n'a pas besoin d'être résolu. Mais ces dernières semaines, avec une nouvelle série de violences horribles, avec la reconnaissance par l'ONU de la Nakba palestinienne de 1948, avec la Marche des drapeaux raciste et la violence envers les Palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, nous avons reçu un nouveau rappel de la fausseté d'une telle conception.

Une politique de gestion du conflit ignore complètement la vie quotidienne de millions de Palestiniens qui se réveillent chaque matin pour une nouvelle journée de contrôle répressif sur leur vie. Pour eux, la gestion du conflit n'est pas une stratégie dont on peut s'accommoder jusqu'au prochain round, mais plutôt une réalité de souffrances permanentes qui pèsent sur les deux parties.

Il y a aussi ceux qui ne sont pas intéressés par la gestion ou la résolution du conflit, mais par la résolution du problème palestinien par le feu messianique du transfert, l'exacerbation de la violence et l'adoption rapide d'une abomination inimaginable. Je ne parle pas avec ces gens-là, évidemment, mais à ma grande joie, ils sont encore une minorité, même s'ils occupent actuellement des positions de pouvoir au sein du gouvernement.

 

"On est là pour sauver la démocratie juive !"


Mais notre tragédie est plus complexe. C'est une tragédie qui consiste en une réalité dans laquelle une majorité des deux peuples soutient les négociations pour une paix véritable, basée sur deux États, mais où il n'y a pas de négociations. Cette situation est tragique parce que la plupart des gens, après avoir désespéré, ne s'attaquent pas au problème. Les Israéliens savent que la seule solution à long terme qui ne rappelle pas les régimes obscurs est un accord de paix entre les deux nations.

Je pense que si l'on interrogeait la plupart des Israéliens, ils seraient même capables d'énoncer les principales composantes d'une telle paix, qui relèvent presque du bon sens. Mais en dépit de cette simplicité, nombreux sont ceux qui pensent que ce n'est tout simplement pas faisable à l'heure actuelle, si tant est que cela l'ait jamais été.

C'est profondément tragique, car nous ne sommes pas en stase, dans une situation où l'attente laisserait les choses inchangées, dans un sens ou dans l'autre. Notre situation est plutôt celle d'une cocotte-minute sur le feu, qui explosera si nous continuons à attendre sans agir. Cela pourrait prendre la forme d'une troisième intifada, d'une guerre à Gaza ou de toute autre forme d'effusion de sang destructrice qui ferait des milliers de victimes de part et d'autre.

C'est pourquoi il est important pour moi de lancer un appel à tous les chers manifestants. Le mouvement de protestation ne peut pas continuer à ignorer l'occupation. Après tout, la raison sous-jacente de la tentative de briser le système judiciaire, la société civile et les frontières démocratiques est de donner au fascisme les coudées franches dans les territoires, afin d'y perpétrer des crimes horribles sans aucune interférence.


"Démocratie pour tous" : manifestation du Bloc anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub : Fadi Amub

Dans un sens plus profond, l'occupation est le cordon ombilical du fascisme israélien. Partout ailleurs dans le monde, le fascisme se développe soit au sein du grand capital, soit dans les rangs des généraux de l'armée, mais ici, tant les généraux que le grand capital s'opposent à la refonte du système de gouvernement. Ici, la source du fascisme est l'occupation et les colonies, d'où viennent Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Simcha Rothman, et où se trouve leur principal soutien.

Par conséquent, la demande de mettre fin à l'occupation doit faire partie intégrante de la protestation, en partant du principe qu'il n'y a pas de démocratie en même temps qu'une occupation, et que l'occupation a besoin d'une révision judiciaire pour alimenter ce cycle qui se perpétue de lui-même.

Cette semaine marquera le 56e  anniversaire du début de l'occupation. Ce qui a commencé comme la mal nommée guerre des six jours s'est transformé en une guerre de 56 ans. Pour marquer cet événement, nous avons décidé d'organiser samedi une marche qui est partie de la rue Dizengoff pour rejoindre ensuite la grande manifestation de la rue Kaplan. Cette marche n'avait qu'une seule exigence : demander la fin de l'occupation et la paix sur la base de deux États pour deux peuples.

J'espère du fond du cœur que beaucoup jugeront bon de se joindre à cette cause : Juifs et Arabes, tous ceux qui ont encore de l'espoir, mais aussi ceux qui ressentent un profond désespoir, qui verront peut-être qu'en marchant avec nous, ils ne sont pas seuls. Peut-être y trouveront-ils un peu d'espoir dans cette période sombre. Nous avons le devoir de brandir ensemble la bannière de la paix, sinon la bannière noire de l'occupation continuera de flotter.

Certains diront que ce sont des espoirs vains. Que c'est la réalité et qu'il faut simplement l'accepter. Mais même si beaucoup ont désespéré de la paix, nous devons nous rappeler qu'en 2001 et 2008, nous en avons été très proches. Et que tous les tyrans sont destinés à tomber à la fin, que chaque peuple occupé continuera à se battre pour sa liberté et que la paix vaut tous les efforts. Je suis plein d'espoir qu'après avoir vaincu le désespoir, nous pourrons, ensemble, instaurer la paix.

KARIM EL SADI
Antonio Mazzeo : le pont sur le détroit de Messine vise à relier les bases de l’OTAN

Karim El Sadi, antimafiaduemila, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Karim El Sadi, né à Cattolica de parents palestiniens originaires de Kufr Zibad, près de Toulkarem, est étudiant en Études globales à l’université de Palerme, rédacteur du magazine en ligne AntimafiaDuemila et militant des associations Jeunes Palestiniens d’Italie, Our Voice et Voix dans le Silence.

L’interview du journaliste sur le mégaprojet de pont sur le détroit de Messine : « Le début des travaux entraînerait une augmentation de la présence militaire sur le territoire ». [vidéo en haut de cette page]

Après plus de dix ans, le spectre du pont sur le détroit est revenu occuper les sessions parlementaires, les pages des journaux et les réunions syndicales. La victoire du mouvement “No Ponte” - qui a eu lieu en 2012 lorsque le Conseil des ministres a adopté un arrêt du projet après une mobilisation populaire très suivie - n’est plus qu’un lointain souvenir maintenant que le gouvernement Meloni a ressuscité ce projet de construction utopique et dépourvu de sens pour le mener à bien d’ici 2030. Ces derniers jours, la Chambre des députés et le Sénat ont également donné leur feu vert à ce qui est considéré comme « la mère de tous les grands travaux en Italie » (il s’agirait du pont à travée unique le plus long du monde), les travaux devant commencer en 2024. Mais il s’agit d’une entreprise irréalisable, car sa construction va à l’encontre des lois de la physique, de l’ingénierie et même de l’économie (pas une seule brique n’a été posée et il a déjà coûté un demi-milliard d’euros aux caisses de l’État). Depuis que le ministre des infrastructures et des transports Matteo Salvini - qui, il y a quelques années encore, répudiait l’idée du pont entre Messine et Reggio de Calabre - a mis en branle les “bétonnières bureaucratiques”, le mouvement “No Ponte” est revenu sur le terrain pour empêcher la construction de cette folie d’ingénierie. Au sein de cette réalité populaire, on trouve des syndicats, des étudiants, des politiciens, des ingénieurs et des journalistes. Parmi eux, Antonio Mazzeo, journaliste et essayiste antimilitariste qui, depuis quarante ans, rapporte et dénonce l’implication de l’Italie et surtout de la Sicile dans les différents théâtres de guerre internationaux. Nous l’avons interviewé à Palerme à l’occasion de la présentation de sa BD-enquête “Sigonella, le guerre alle porte di Casa (La Revue Dessinée Italia) réalisée avec le dessinateur Lelio Bonaccorso et la coloriste Deborah Braccini.

 « Le pont sur le détroit est aussi irréalisable qu’il l’était il y a dix ans, mais cette fois-ci, certains acteurs font pression pour mettre en route ce chantier. Non pas la construction du pont, mais une série de travaux, justifiés par le pont, qui permettront évidemment le transfert de ressources qui seront soustraites aux besoins réels du territoire », a dit Mazzeo à nos micros. « Je pense à la sécurité : nous avons une zone perturbée du point de vue hydrogéologique ». Selon Mazzeo, par rapport à 2012, « cette fois-ci, on va faire face à une volonté de commencer à percer le territoire ». En arrière-plan, en effet, il y a la militarisation de la Sicile et la guerre en Ukraine pour laquelle l’île représente un territoire fondamental étant donné les différentes bases de l’OTAN déjà présentes : de Sigonella à Niscemi, à Trapani ou Augusta.

« Si les travaux commencent, on ne peut que s’attendre à un renforcement de la présence militaire sur le territoire », explique le journaliste. « Des casernes seront créées, la présence de l’armée et de la marine sera plus forte. Nous l’avons déjà vu dans le Val di Susa avec le NO TAV (TGV Lyon-Turin), où il y a eu une énorme pression du point de vue militaire et une énorme réduction de l’espace d’action démocratique ». Selon Antonio Mazzeo, ce qui est annoncé « c’est la vendabilité du pont ».

« Un ouvrage de cette importance ne peut que nécessiter - et les forces armées le disent - une série d’interventions : batteries de missiles (une seule batterie coûte 800 millions d’euros, ndlr), chasseurs-bombardiers, patrouilles constantes de sous-marins ». « Il s’agit évidemment d’une militarisation accrue du territoire », poursuit le journaliste. Mais ce qui est encore plus grave, selon Antonio Mazzeo, « c’est la justification que le gouvernement donne aujourd’hui pour effectuer ce travail ». « Nous avons découvert que le gouvernement considère qu’il est d’une importance géostratégique fondamentale de relier les bases de l’OTAN dans le sud de l’Italie aux bases de l’OTAN en Sicile. Le pont est alors justifié comme un élément fondamental du renforcement militaire de la mobilité militaire. C’est une fantaisie d’un point de vue technique, mais elle nous inquiète parce qu’elle peut être utilisée comme un cheval de Troie pour justifier la nécessité de commencer à opérer parce que dans un monde de guerre, dans un territoire de guerre, c’est fondamental pour la guerre ». Non seulement il accroît la militarisation de la Sicile, mais le pont aiguise également l’appétit des mafias, en particulier des deux mafias des deux régions, Cosa Nostra en Sicile et la ‘Ndrangheta en Calabre. Antonio Mazzeo a écrit un livre à ce sujet il y a 13 ans : “I padrini del ponte. Affari di mafia sullo stretto di Messina”(Edizioni Alegre).

« Il y a treize ans, nous avons identifié comment les grandes organisations mafieuses internationales voulaient investir dans ce projet pour se légitimer », a raconté Mazzeo. « Le risque, avertit le journaliste, est qu’aujourd’hui, face aux anticorps de la culture mafieuse, celui qui se présente comme le constructeur du pont, même s’il est un mafioso, gagne en légitimité. Les grandes organisations mafieuses pourraient se légitimer en tant que grand élément : “avant on posait des bombes et on commettait des massacres, aujourd’hui on fait le pont et vous nous pardonnez ».

 

Pont ? Mon cul ! (ou Quelle connerie !)-Art populaire sicilien, Messine, début du XXIème Siècle

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