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15/07/2023

VIRIATO SOROMENHO-MARQUES
De Sarajevo à Vilnius, via Bucarest

Viriato Soromenho-Marques, Diário de Noticias, 15/7/2023

Versión española

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

José Viriato Soromenho Marques (nom de plume Viriato Soromenho-Marques) (Setúbal, Portugal,1957) est professeur titulaire à la faculté des lettres de l'université de Lisbonne depuis 2003. Il est diplômé en philosophie de l'université de Lisbonne (1979). Maîtrise en philosophie contemporaine de l'Universidade Nova de Lisboa, obtenue avec la soutenance d'une thèse sur La caractérisation tragique du nihilisme chez Nietzsche (1985). Doctorat en philosophie de l'université de Lisbonne, avec une thèse sur La raison et le progrès dans la philosophie de Kant (1991). Depuis 1978, il a développé une intense activité dans le mouvement associatif lié à la défense de l'environnement, ayant été - de 1992 à 1995 - président de la plus importante association environnementale nationale, QUERCUS- Association nationale pour la conservation de la nature. Membre fondateur de ZERO, en 2016. Bio-bibliographie

La guerre en Ukraine est une tragédie, comme l'était la situation dans les Balkans avant la Première Guerre mondiale. Cependant, l'attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 contre l'héritier de l'empire austro-hongrois, en fait un épisode de la tourmente balkanique, n'est resté dans les mémoires que parce qu'il a déclenché la grande hécatombe européenne et mondiale de 1914-1918. 

L'étincelle balkanique a mis le feu à l'équilibre fragile de l'Europe, qui existait depuis le Congrès de Vienne (1815) et avait été rétabli en 1871, après la fondation de l'Allemagne, à la suite des victoires rapides de Bismarck contre le Danemark, l'Autriche et la France. Dans les quelques semaines qui séparent Sarajevo de l'invasion de la Belgique par l'armée allemande le 4 août 1914, un processus d' “irresponsabilité organisée” (dixit Ulrich Beck), typique des sociétés bureaucratisées contemporaines, s'est mis en place.


Bons baisers de Vilnius, par Oli, Belgique

Un petit groupe de dirigeants médiocres (il n'y avait pas une seule personnalité marquante) refusa d'aller à la racine du problème pour trouver une alternative diplomatique à un conflit généralisé. Ils ont préféré s'en tenir au scénario des alliances et des plans de guerre existants, en aggravant la situation par quelques pincées d'ambiguïté diplomatique (voir le comportement des Britanniques). Médiocrité et dogmatisme “patriotique”, et voilà le monstre de la guerre industrielle moderne en roue libre pendant plus de 4 ans !

Le sommet de l'OTAN à Vilnius présente de dangereuses analogies avec 1914. La multitude de politiciens, de diplomates et de conseillers présents démontre le peu d'attrait actuel de la fonction publique pour le recrutement de talents et la promotion de l'esprit critique. L'OTAN semble souffrir du symptôme que Hannah Arendt a qualifié de “mensonge moderne” : l'adhésion à une falsification de la vérité factuelle qui trompe les créateurs mêmes de la falsification. Ce qui est ressorti de Vilnius, c'est l'escalade sur une voie qui pourrait transformer le prix de la guerre en cours en une hécatombe de destruction thermonucléaire dont le bilan serait des centaines de fois supérieur aux vies perdues entre 1914 et 1918.

S'il y avait eu une quelconque intelligence collective, Vilnius aurait peut-être pu se rappeler le sommet de l'OTAN à Bucarest en avril 2008, lorsque l'Alliance atlantique a invité Kiev à devenir membre. Poutine était présent. Il a expliqué les raisons pour lesquelles, pour la Russie, l'Ukraine devait rester neutre. Il l'a fait devant le secrétaire général de l'OTAN de l'époque, Jaap de Hoop Scheffer, devant le président G.W. Bush et les autres chefs d'État et de gouvernement. Il a souligné la nature “compliquée” de la formation de l'État ukrainien, avec des territoires originellement polonais, tchèques et roumains, et d'autres cédés par la Russie à l'époque de l'URSS, dont la stratégique Crimée. Il a rappelé que 17 des 45 millions d'Ukrainiens (à l'époque) étaient russophones. L'intervention s'est faite dans un esprit de conciliation (malgré les élargissements de l'OTAN en 1999 et 2004). Les propos de Poutine à Bucarest ont eu un certain écho à Paris et à Berlin, mais aucun effet à Washington.

La guerre en Ukraine ne prendra fin, et la paix en Europe ne sera rétablie, que lorsque les intérêts essentiels des différents membres du système international et européen seront pris en compte, y compris ceux de la Russie. Dans les relations internationales, la priorité est de comprendre même ce que l'on condamne. Repousser la plus grande puissance nucléaire du monde hors du concert européen et mondial, en pensant lui faire accepter une défaite sur le champ de bataille conventionnel, est un signe d'incompétence profonde et un danger pour notre survie à tous.

Un bus de l'OTAN sur lequel on peut lire “Armons l'Ukraine” et “Pendant que vous attendez ce bus, l'Ukraine attend des F-16” sur le site du sommet de l'OTAN, à Vilnius, le 11 juillet 2023. Photo Ludovic Marin / AFP

 

14/07/2023

ANTONIO MAZZEO
L’OTAN sort du sommet de Vilnius plus riche, plus agressive et mieux armée

Antonio Mazzeo, Pagine Esteri, 12/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Si, au lieu du sommet de l’OTAN, la capitale lituanienne Vilnius avait accueilli des Jeux olympiques, le podium des vainqueurs aurait certainement accueilli le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, le président usaméricain Joe Biden et le président turc Recep Tayyip Erdoğan.

 Erdoğan, Stoltenberg et Ulf Kristersson à Vilnius. Photo Reuters

Le premier a été récompensé par une nouvelle prolongation de son mandat pour avoir élargi l’adhésion de jure à l’OTAN de la Finlande et de la Suède et l’adhésion de facto de la moitié du monde. Le second pour avoir imposé la vision géostratégique de Washington et du Pentagone à tous les alliés, en réaffirmant la suprématie militaire et nucléaire incontestée des USA et en transformant l’Union européenne et les puissances moyennes du vieux continent en distributeurs automatiques de billets pour financer la folle course mondiale aux armements. Le troisième pour avoir obtenu l’accord unanime des alliés sur le plan de liquidation de la question kurde à coups de raids et de bombes en échange d’un oui à l’entrée de la Suède, autrefois non-alignée, dans l’OTAN. 


 Le grand perdant des “Jeux olympiques” de Vilnius 2023 a été le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy : il s’attendait à être accueilli immédiatement et à bras ouverts par ceux qui lui garantissaient des armes et des munitions d’une valeur de dizaines et de dizaines de milliards d’euros pour les contre-offensives anti-Moscou, mais il a finalement été congédié avec un “on veut bien de toi, mais on se revoit demain” très mal digéré. Très décevantes ont été les performances des chefs diplomatiques et militaires de Londres, Paris, Berlin, Rome et Bruxelles, figurants opaques d’une compétition qui consacre la surpuissance du complexe militaro-industriel et nucléaire transnational, grand sponsor et divinité tutélaire de l’OTAN du troisième millénaire. Une alliance qui sort de Vilnius tout sauf monolithique, mais encore plus agressive et armée, de plus en plus antirusse et antichinoise, et plus prête à intervenir rapidement pour imposer la pax americana dans tous les coins de la planète.

Oliver Schopf, Autriche

 « L’entrée de la Finlande est une étape historique pour l’OTAN et nous serons encore plus grands et plus forts lorsque le processus d’adhésion de la Suède sera achevé », a souligné le secrétaire Jens Stoltenberg à l’issue du sommet qui s’est tenu sur le sol lituanien. « Nous sommes très heureux de l’engagement pris par le président turc de présenter le protocole de ratification de l’adhésion de la Suède à l’OTAN à l’assemblée parlementaire nationale dès que possible. La Turquie et la Suède continueront à coopérer dans la lutte contre le terrorisme. Les autorités de Stockholm ont modifié la constitution, changé les lois et augmenté de manière significative la coopération antiterroriste contre le PKK et repris les exportations d’armes vers la Turquie ». (1) Washington a également œuvré personnellement pour obtenir le feu vert d’Erdoğan à la 32e étoile suédoise de l’OTAN : à la veille du sommet de Vilnius, le chef du Pentagone, Lloyd Austin, a fait savoir au dirigeant turc qu’il était déterminé à autoriser le transfert de 40 chasseurs-bombardiers F-16 à Ankara, une commande attendue depuis plusieurs années par l’armée de l’air turque. (2)

Les invités d’honneur en Lituanie, aux côtés des chefs de gouvernement des deux nouveaux pays membres de l’alliance, étaient également les représentants de l’Union européenne, avec laquelle l’OTAN partage des missions stratégiques et des charges financières afin de renforcer les réseaux de production de guerre et d’infrastructure pour la mobilité des hommes et des moyens militaires, les ministres des Affaires étrangères de la Géorgie, de la République de Moldavie et de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que ceux de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Japon et de la Corée du Sud. Pour l’OTAN, la région Indo-Pacifique joue un rôle fondamental « dans les efforts euro-atlantiques de sécurité et de défense en Ukraine » et dans « la coopération dans le domaine de la cyberdéfense, de la lutte contre le terrorisme et de la production d’armes et de nouvelles technologies ». Dans le document final du sommet de Vilnius, les États membres de l’Alliance atlantique appellent également à un partenariat plus étroit avec certaines des principales organisations internationales et régionales telles que l’ONU, l’OSCE et l’Union africaine. « Nous renforcerons ces interactions afin de promouvoir nos intérêts communs et de contribuer à la sécurité mondiale », promet l’OTAN. « Nous étudions également la possibilité d’établir un bureau de liaison à Genève afin de renforcer nos liens avec les Nations unies ».

Arcadio Esquivel, Costa Roca

Une grande partie du communiqué final du sommet de Lituanie est consacrée à l’ennemi numéro un de l’alliance militaire, la Russie de Poutine. « La Fédération de Russie a violé les normes et les principes qui contribuent à un ordre de sécurité européen stable et fiable », écrivent les pays de l’OTAN. " La Fédération de Russie viole les règles et les principes qui contribuaient à la stabilité et à la prévisibilité de l’ordre de sécurité européen. Elle constitue la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. (...) La Russie porte l’entière responsabilité de la guerre d’agression, illégale et injustifiable, qu’elle mène contre l’Ukraine, guerre qui ne fait suite à aucune provocation et nuit gravement à la sécurité euro-atlantique et internationale, et pour laquelle elle devra pleinement répondre de ses actes. (…) Nous ne reconnaissons pas et ne reconnaîtrons jamais les annexions, illégales et illégitimes, auxquelles la Russie a procédé, y compris celle de la Crimée. Les crimes de guerre et autres atrocités perpétrés par la Russie ne sauraient rester impunis, notamment les attaques contre des civils et les destructions d’infrastructures civiles, qui empêchent des millions d’Ukrainiens d’accéder aux services de base. (…) La destruction du barrage de Kakhovka est un exemple des terribles conséquences de la guerre déclenchée par la Russie ».

13/07/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
L’inéluctable dédollarisation du monde (II)

Sergio Rodríguez Gelfenstein,  13/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

English version

Première partie

La semaine dernière, nous avons effectué un “voyage” à travers le processus de dédollarisation que nous avons qualifié d’inévitable. Aujourd’hui, nous poursuivons l’analyse en essayant de tirer quelques conclusions, tout en tenant compte du fait que l’alternative au dollar en tant que principale monnaie d’échange n’est toujours pas claire. Plusieurs options sont envisagées.


L’une d’entre elles découlera de la décision prise par les BRICS lors de leur sommet qui se tiendra en Afrique du Sud au mois d’août prochain. À cet égard, le gouverneur de la Reserve Bank of South Africa, Lesetja Kganyago, a déclaré que toute discussion visant à établir une monnaie commune conduirait à un autre débat, celui de la création et de la localisation d’une banque centrale. Le dirigeant sud-africain a exprimé son incertitude sur la question, disant qu’il ne savait pas comment on pourrait parler d’une « monnaie émise par un bloc de pays situés dans des lieux géographiques différents, parce que les monnaies sont nationales par nature ».

 Ce qui est certain, en revanche, c’est que lors du sommet, les pays membres du conglomérat discuteront - en tête de l’ordre du jour - des mesures nécessaires pour protéger la Nouvelle banque de développement (NDB) du groupe de l’hégémonie du dollar. Dans ce contexte, le Brésil a proposé de mettre en place des mécanismes de protection des transactions financières au sein de l’Union afin d’éviter
“l’abus de dollars”, selon le ministre des Affaires étrangères du pays, Mauro Vieira.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que la dédollarisation avait déjà commencé, mais qu’il était nécessaire de développer d’autres initiatives pour donner forme au processus. Dans le cas de son pays, il a expliqué qu’il avait été obligé de « répondre fermement, par principe et de manière cohérente à la guerre qui nous a été déclarée ».

Dans le cadre de ce débat, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a soutenu la proposition de son homologue brésilien Lula da Silva de créer de “nouvelles monnaies d’échange”.

Dans le prolongement de l’article précédent sur les mesures concrètes qui ont été prises pour faire avancer le processus de dédollarisation, il est important de souligner l’annonce faite par le ministre russe des Finances, Anton Siluanov, selon laquelle plus de 70 % des accords commerciaux entre la Russie et la Chine utilisent désormais soit le rouble, soit le yuan. De même, les échanges de pétrole entre la Russie et l’Inde ont commencé à se faire en roupies. Un accord a également été signé entre la Russie et le Bangladesh pour la construction de la centrale nucléaire de Rooppur, qui sera financée en dehors du dollar. Le premier paiement de 300 millions de dollars sera effectué en yuans, mais la Russie essaiera de le convertir en roubles.

Même en Occident, le processus a commencé à éclore. La China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et la société française Total ont signé leur premier contrat de GNL en yuans par l’intermédiaire de la Bourse du pétrole et du gaz naturel de Shanghai.

En Amérique latine, des signes positifs ont également été observés dans le cadre de la dédollarisation. Ainsi, il y a quelques semaines, la banque brésilienne Bocom BBM est devenue la première banque latino-américaine à participer directement au système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS), qui est l’alternative chinoise au système de messagerie financière occidental SWIFT. Ces derniers jours, il a également été convenu que le commerce bilatéral entre la Russie et la Bolivie accepterait désormais les règlements en pesos boliviens. Cette mesure est cruciale à un moment où la société russe Rosatom va commencer à jouer un rôle clé dans le développement des gisements de lithium de la Bolivie.

Lors du récent sommet du Mercosur qui s’est tenu à Puerto Iguazú, en Argentine, le 4 juillet, la Bolivie a souligné la nécessité de réduire la dépendance à l’égard du dollar, de diversifier les relations économiques et de renforcer les liens commerciaux et financiers entre les pays afin d’encourager les investissements nationaux et de promouvoir la coopération en matière de politique monétaire. Le président bolivien Luis Arce a affirmé que « la réduction de la dépendance au dollar, par le biais d’une plus grande intégration et coopération régionales, implique de modifier les termes de l’échange qui, jusqu’à présent, ne favorisent que le pays du nord ». Il a donc proposé de renforcer les liens commerciaux et financiers entre les pays, notamment en renforçant les monnaies au niveau régional, en encourageant les investissements nationaux et en promouvant la coopération en matière de politique monétaire et financière, ainsi qu’en recherchant des alliances stratégiques avec d’autres acteurs internationaux, tels que la Chine, qui offrent des alternatives au dollar dans le domaine du commerce et de l’investissement.

Dans une perspective plus large, le dirigeant bolivien a déclaré : « Nous ne pouvons pas ignorer, dans l’analyse de ce monde en transition, l’émergence d’un bloc eurasien et asiatique qui, organisé au sein des BRICS et d’autres mécanismes d’intégration, est projeté comme un espace pour la construction d’un nouvel ordre économique mondial ».

Parallèlement, en Asie, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ont également décidé, à l’issue de leur réunion des 30 et 31 mars en Indonésie, de réduire leur dépendance à l’égard du dollar usaméricain. À cette fin, ils ont convenu de « renforcer la résilience financière [...] par l’utilisation de monnaies locales pour soutenir le commerce et les investissements transfrontaliers ».

Dans la même logique, lors du récent sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le président chinois Xi Jinping a jugé opportun d’augmenter le pourcentage de paiements en monnaies nationales au sein de l’organisation. Il convient de noter que la relation de Xi entre cette question et d’autres à l’ordre du jour international est extrêmement importante lorsqu’il a fait référence à la responsabilité de l’OCS de faire face aux “révolutions de couleur” et à l’ingérence de puissances extérieures dans les affaires des pays de la région.

Dans ce domaine, le dirigeant chinois a proposé aux pays de l’OCS d’augmenter leurs paiements en monnaie nationale, les exhortant à lutter contre les sanctions économiques unilatérales, l’hégémonisme et la politique de puissance. Il a également appelé à la “coopération plutôt qu’à la concurrence”, exposant l’engagement de son pays à travailler ensemble pour la sécurité mondiale. Manifestement, Xi a lié la question de la dédollarisation à celle de la sécurité et de la souveraineté mondiales, lui conférant ainsi un caractère stratégique.

Du point de vue de la Russie, la concrétisation de cette initiative passe par la mise en place d’une alternative au système d’échange de messages financiers SWIFT. À cet égard, le président du conseil d’administration de la banque russe VTB - l’une des plus grandes du pays - Andrei Kostine, a proposé à la Banque centrale de Russie de créer un nouveau système bancaire pour le Sud, dans le but de réduire la dépendance à l’égard de la réglementation internationale. Kostine a fait valoir que le moment était venu de procéder à une transformation plus profonde, car il ne suffisait pas que chaque pays s’attaque au problème individuellement. Il a estimé qu’il fallait « entreprendre une réforme fondamentale pour construire un nouveau système de paiement international et l’infrastructure nécessaire à un marché mondial des capitaux ».

Pour concrétiser cette décision, le directeur de la VTB a établi une feuille de route en quatre points : la première consisterait à établir une alternative à SWIFT, la plupart des grandes banques russes ayant été déconnectées en raison des sanctions occidentales. Bien que la Russie, la Chine et l’Inde disposent de leurs propres systèmes de messagerie financière, ceux-ci ne sont ni unis ni cohérents.

Le deuxième point propose de remplacer l’actuel système usaméricain de banques correspondantes par une interconnexion entre les banques qui rejoignent le partenariat grâce aux nouvelles technologies, telles que la blockchain.

De même, il est essentiel de rechercher de nouveaux outils pour attirer les capitaux, en évitant qu’ils ne proviennent de l’Union européenne, comme c’est le cas actuellement. De même, il faut construire une infrastructure parallèle qui ne soit pas située en Occident, ce qui crée une extrême faiblesse pour les ressources financières qui peuvent faire l’objet de sanctions et de blocus.

Enfin, pour éviter l’effet des sanctions, Kostine propose de créer un “hub” [plaque tournante] international dans un pays du golfe Arabo-Persique qui fonctionnerait comme une alternative de règlement des dépôts, en profitant du fait que cette région « a une forte concentration de capitaux ».

Cependant, ce processus ne peut être considéré comme une question technique ; son dépassement vient des implications politiques et géopolitiques qu’il génère. Au fond, il s’agit d’une expression de la crise de l’hégémonie usaméricaine qui a commencé dans l’avant-dernière décennie du XIXe siècle ou, si nous l’envisageons dans une perspective plus large, nous pourrions parler d’une crise de l’hégémonie anglo-saxonne qui a commencé en 1763 après la victoire anglaise sur la France dans la guerre de Sept Ans et s’est consolidée en 1815 après la défaite napoléonienne à Waterloo.

Cependant, force est de constater que nous n’en sommes qu’au début du processus. Bien qu’en net déclin d’un point de vue stratégique militaire face à la Russie et à la Chine, les USA conservent une force militaire puissante et un appareil culturel et médiatique qui favorise leur hégémonie. Toutefois, comme l’indique le sociologue argentin Gabriel Merino, « le déclin de 10 % au cours des dix dernières années du dollar en tant que monnaie de réserve et moyen de paiement mondial témoigne d’un processus qui risque de s’aggraver dans les années à venir ».

Merino ajoute que les conditions sont en train d’être créées pour le développement d’un scénario “multi-monnaie ou bloc monétaire”. Son argument est étayé par le fait que l’utilisation du dollar comme arme de guerre économique accélère ce processus. La secrétaire au Trésor usaméricain, Janet Yellen, a elle-même déclaré que : « Les sanctions économiques imposées par les USA, en particulier à la Russie, constituent un “risque” pour l’hégémonie du dollar, pour lequel les pays concernés cherchent des alternatives. ». Bien que, selon elle, ces alternatives soient difficiles à mettre en place.

Merino observe que « les cycles d’hégémonie du système capitaliste mondial, les étapes de sa crise et son expression dans l’orbite économique, s’observent d’abord dans la perte de la primauté productive de l’hégémon (de nouveaux “ateliers du monde” apparaissent), puis dans le commerce mondial et, enfin, dans la monnaie et la finance. Nous entrons probablement dans cette dernière phase et il y aura un conflit central, qui sera défini par rapport à un processus global ».

En d’autres termes, la voie de la dédollarisation doit être considérée - comme l’a dit le président Xi Jinping - comme un processus large, marqué par la nécessité de garantir la sécurité et la stabilité de la planète, ce qui est très complexe lorsque le système international évolue vers la multipolarité.

Une différence avec le passé est que cette approche ne se limite plus aux pays du Sud. La participation de la Chine, de la Russie et du groupe des BRICS en tant que protagonistes actifs du processus pourrait être la garantie que, cette fois-ci, il est possible d’avancer dans un processus qui fracturera définitivement l’un des piliers fondamentaux de l’hégémonie usaméricaine et occidentale.

GIDEON LEVY
Le système judiciaire pourri et raciste d’Israël “libère” Jérusalem
La judaïsation du Quartier musulman avance

Gideon Levy, Haaretz, 13/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors, maudits colons, vous avez dormi comment dans la maison du quartier musulman de Jérusalem que vous avez convoitée et volée à un couple âgé et malade qui en avait été chassé ? À quoi a ressemblé votre première nuit entre les anciens murs ?

Nora Sub Laban (à droite) réagit après l’expulsion de sa famille de sa maison à Jérusalem-Est pour faire place à des colons juifs, mardi. Photo : Olivier Fitoussi

Qu’est-ce que ça fait d’entrer dans une maison qui a sauvegardé 70 ans de souvenirs d’une famille, des souvenirs qui ne sont pas les vôtres ? Qu’est-ce que ça fait d’entrer, comme en 1948, dans les maisons des expulsés, avec les casseroles qui mijotent encore sur le gaz et les vêtements dans les placards ? Quel effet ça fait-il d’envahir la maison de quelqu’un d’autre ? Et qu’est-ce que ça fait de voir des policiers traîner un vieil homme hors de sa maison pour débarrasser la propriété pillée pour vous ?

Avez-vous vu les graffitis sur les murs, “Nous reviendrons” et “La Palestine sera libre” ? Je vois que vous avez déjà accroché le drapeau israélien à la fenêtre, comme un voleur qui s’empresse de changer les plaques d’immatriculation de la voiture qu’il a volée pour dissimuler des preuves. Maintenant, la maison est juive pour toujours et à jamais. Elle est maintenant à vous, grâce au célèbre système judiciaire israélien, qui est corrompu, pourri et raciste lorsqu’il s’agit des droits de votre nation. Comment les juges de Jérusalem ont-ils résolu la contradiction insoluble entre le sort des biens juifs d’avant 1948 et le sort des biens palestiniens ? Existe-t-il une autre façon de décrire le verdict que celle d’une véritable réponse d’apartheid ?

Comment avez-vous dormi la nuit, maudits colons ? Et comment dormirez-vous dans les nuits à venir ? Penserez-vous, ne serait-ce qu’un instant, au sort de Mustafa Sub Laban, un Palestinien poli de 74 ans, qui a servi dans la police israélienne et qui, aujourd’hui, dans sa vieillesse, est sans abri, s’entassant dans la maison de son fils à Shoafat ? Et le sort de son impressionnante épouse, Nora Gheith Sub Laban, née dans cette maison il y a 68 ans et hospitalisée mardi ? Avez-vous pris la peine de les regarder dans les yeux ? Leur image se dresse-t-elle devant vous ? On ne peut que souhaiter que l’image de leur expulsion de leur maison vous hante dans vos cauchemars jusqu’à la fin de vos jours. Que leur image surgisse devant vous chaque soir lorsque vous mettez vos enfants au lit.

Mais cela n’arrivera pas. Pour vous, ils ne sont pas des êtres humains, ils sont moins qu’humains - ils ne sont pas juifs. Et cette honte a été autorisée par le système judiciaire.

Avez-vous entendu parler de la parabole “la brebis du pauvre” ? Peut-être pourriez-vous ouvrir le livre de Samuel, chapitre 12, et la lire ? Vous êtes des Juifs religieux, n’est-ce pas ? L’image de l’un d’entre vous, un colon trafiquant portant une énorme kippa et une barbe, installant des haut-parleurs dans la maison, un sourire diabolique de triomphe étalé sur son visage, un officier de police à ses côtés, est comme un millier de mots d’accusation. Ahmad Sub Laban, le fils du couple expulsé, m’a raconté hier que l’homme barbu avait l’habitude de harceler la famille avec de la musique juive assourdissante diffusée par le grand haut-parleur qu’il transportait.

La nation israélienne a de nouveau gagné mardi, cette fois une victoire particulièrement glorieuse, une victoire sur un vieux couple. Les familles Sharabi, Wormser et Friedman, qui vivent déjà dans l’ancien bâtiment situé au cœur du quartier musulman, seront rejointes par une autre famille qui loue la propriété au Kollel Galicia trust. S’ils entrent dans l’appartement aujourd’hui, ils pourront encore manger le ragoût de riz et de poulet que la fille du couple avait préparé pour ses parents et qui se trouve dans le réfrigérateur, sur l’étagère du haut. Ce plat a été préparé en milieu de semaine et peut encore être mangé. Tous les biens de la famille sont encore dans l’appartement, à l’exception des albums de photos de famille qu’elle a emportés avec elle.

Entre-temps, la serrure de l’entrée principale a été changée et la famille n’a plus accès à ce qui a été sa maison, où le couple vivait en tant que locataire protégé. Une fois de plus, il est apparu que les Palestiniens ne bénéficient d’aucune protection, pas même en tant que locataires.

« Cette maison restera une prison jusqu’à ce que nous revenions », m’a dit Nora avec tristesse il y a environ un mois, dans sa maison. Mardi, le jour où la protestation israélienne [contre la réforme judiciaire, NdT] a remporté un nouveau succès impressionnant, où des voix rauques ont crié “démocratie” et “honte” aux quatre coins du pays, cette honte a eu lieu à Jérusalem. Nora et Mustafa n’y vivent plus. Le quartier musulman sera juif et Israël sera un État d’apartheid, officiellement aussi.