Le Pont sur le détroit : “une œuvre de
référence de l’ingénierie italienne dans le monde”. C’est la définition
utilisée par le géant de la construction Webuild* dans le communiqué
de presse annonçant la “livraison de la documentation mettant à jour le
projet final” à la Società Stretto di Messina S.p.A..
Le préfet de police Gianni De Gennaro, le président nommé par Webuild à la tête d'Eurolink
En attendant de connaître toutes les “mises à jour”
prévues pour contourner les innombrables aspects critiques du point de vue technique
et de l’ingénierie, socio-environnemental et économique de l’infrastructure
pour la liaison stable entre Charybde et Scylla, il y a un passage de la note
de Webuild qui frappe par ses approximations et son caractère de propagande
ridicule.
« La structure accueillera deux routes à
trois voies dans chaque direction (deux voies de circulation et une voie d’urgence)
et une ligne ferroviaire à double voie, permettant un flux de 6 000 véhicules
par heure et jusqu’à 200 trains par jour, révolutionnant la mobilité de la zone
et de tout le sud de l’Italie », tonitrue le grand groupe
économico-financier.
Je laisse aux économistes et aux universitaires le
soin d’examiner scientifiquement l’“étude” économique et de transport de
Webuild, et je me permettrai seulement de faire quelques calculs au boulier
pour mettre en évidence le caractère insoutenable et le surdimensionnement des
données.
La traversée du pont par 6 000 véhicules par heure
correspond à 144 000 véhicules par jour ou 52 560 000 par an. En ce qui
concerne les trains (aujourd’hui un nombre correspondant aux doigts d’une main
suite au démantèlement progressif du trafic ferroviaire dans le détroit par
Trenitalia), les 200 quotidiens correspondraient à 73 000 trains par an.
Imaginons que les véhicules et les trains
circulent sur le pont avec un nombre de passagers vraiment minimal, 2 par
voiture et pas plus de 200 par train, ce qui représente un énorme gaspillage de
ressources financières pour les particuliers et pour Trenitalia.
En termes de véhicules, 105 120 000 passagers
passeraient ainsi en un an, et 14 600 000 en train. Au total, cela
représenterait 119 720 000 passagers en transit, soit près de douze fois plus
que ce qui a été calculé pour l’année 2022 par l’Autorité portuaire du détroit.
Plus précisément, l’autorité a documenté qu’entre
les ports de Messine, Villa San Giovanni et Reggio Calabria, « plus de 10
000 000 de passagers transitent chaque année, à pied et à bord d’environ 1 800
000 voitures et 400 000 véhicules lourds, auxquels s’ajoutent plus de 1 500 000
passagers et 800 000 véhicules lourds et voitures sur les itinéraires
Tremestieri-Villa San Giovanni-Reggio Calabria ».
Compte tenu du coût prévu des péages pour les
véhicules et les poids lourds, deux/trois fois supérieur à la valeur du billet
payé aujourd’hui sur les ferries, il est tout simplement inimaginable que tous
les véhicules choisissent le pont (voir ce qui se passe dans la Manche, où le
tunnel enregistre chaque année d’énormes déficits économiques, précisément
parce que ceux qui voyagent entre la France et le Royaume-Uni continuent à
privilégier le ferry).
Mais imaginons aussi un scénario dans lequel plus
aucun ferry n’emprunterait le détroit. L’Autorité portuaire du détroit a estimé
qu’un quart des passagers en transit sont des navetteurs qui se déplacent
quotidiennement, principalement pour leur travail, entre les provinces de
Messine et de Reggio de Calabre : seraient-ils prêts à subir des tranches très
longues entre les deux capitales, sur des kilomètres et des kilomètres entre
tunnels, galeries et viaducs, alors qu’ils peuvent désormais rejoindre les
centres-villes en hydroglisseur avec des temps de trajet inférieurs à 20/30
minutes ? Impossible à croire.
Un quart de 10 millions correspond à 2 500 000
passagers, soit 2 500 000 personnes qui ne doivent pas lutter pour atteindre
les maxi-piles entre Scylla et Charybde mais qui ont besoin d’un moyen de
transport rapide, confortable et écologiquement durable.
En fin de compte, seuls 7 500 000 passagers
traversent le détroit chaque année pour parcourir des distances moyennes. Mais
Webuild fera les choses en grand, il y aura de la place pour tout le monde,
soit près de quinze fois la demande réelle de mobilité. Pour balancer des
conneries, faut surtout pas se priver. De toute façon, c’est l’État qui casque.
Note du traducteur
*Webuild S.p.A. est depuis 2020 le nouveau nom de Salini
Impregilo S.p.A.. C’est le principal groupe italien de bâtiment et travaux
publics, avec un chiffre d’affaires de 8,2 milliards d’euros en 2022. Son PDG
Pietro Salini, membre de la Commission Trilatérale, est le petit-fils de Pietro
Salini, fondateur de l’entreprise principale du conglomérat en 1936 et le fils
de Simonpietro, membre de la loge P2 de Licio Gelli. La première réalisation du
fondateur fut le stade de 100 000 places construit sur ordre de Mussolini
pour accueillir Hitler, appelé Stade olympique depuis 1960, suivi de grands
travaux en Éthiopie grâce aux bons offices de Giulio Andreotti, ou du métro de
Stockholm ou encore du doublement du Canal de Panama. En 2005, Impregilo était
le premier de cordée d’un consortium d’entreprises, Eurolink S.C.p.A., qui
remporta l’appel d’offres pour la construction du pont sur le détroit, avec un
devis de 3,88 milliards d’euros et un temps prévu de réalisation de 70 mois. La
société créée à cet effet, Stretto di Messina S.p.A., fut dissoute 2 ans plus
tard. Les aventures byzantines du projet dans les années qui ont suivi
sont dignes d’un roman de Leonardo Sciascia. En 2012, le gouvernement Monti a
voté un paiement de 300 millions d’euros de pénalités pour non-réalisation du
projet. En 2013, la société a été mise en liquidation.
18 ans plus tard, Eurolink refait surface, grâce au duo
Meloni-Salvini, mais avec d’autres composantes : Webuild (45%), l’Espagnol
Sacyr (18,7%), Condotte d’Acqua (15%), CMC (13%), le Japonais IHI (6,3%) e
Consorzio ACI (2%). Et Webuild nomme à sa tête Gianni De Gennaro, ancien chef
de la police, ancien PDG de Leonardo (ex Finmeccanica) et président depuis 10
ans du Centre d’Études Américaines.
Idem pour la “ Società Stretto di Messina”, que l’on croyait liquidée depuis 10
ans.
N’oublions pas que
la scène se joue à Messine, qui fut, avec Syracuse, la seule cité sicilienne à
ne pas porter plainte contre le propréteur
Verrès pour concussion, abus de pouvoir, détournement de fonds et vols d’œuvres
d’art. Cela Se passait en l’an 70 avant J.-C... 2093 ans plus tard, la Sicile
-et l’Italie avec elle - attend en vain son nouveau Cicéron.
Ci-dessous deux
articles de Nir
Hassondans Haaretz
des 3 et 5 octobre 2023 sur une pratique des fous d’Adonaï consistant à cracher
sur tout ce qui est chrétien, un exemple de plus du caractère d’Israël :
le plus grand asile psychiatrique de la planète. Waddie Abu Nasser, conseiller et ancien porte-parole de l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre sainte., a déclaré mercredi à la radio de l'armée israélienne que l'incident (rapporté ci-dessous) avait atteint les plus hautes sphères de la foi. "L'incident a atteint le monde entier, jusqu'au grand patron", a-t-il déclaré. "Le pape est informé de chaque incident, il est furieux". (NdT)
Augmentation
du nombre de juifs crachant sur des fidèles chrétiens à Jérusalem
Alors que
des dizaines de milliers de Juifs se rendent à Jérusalem pour la fête de
Souccot, certains ont été filmés en train de cracher sans raison sur des
fidèles chrétiens. Les églises de Jérusalem confirment que le nombre
d'incidents similaires est en augmentation.
Policiers et manifestants lors d'une manifestation de droite contre un événement évangélique dans la vieille
ville de Jérusalem, en mai dernier. Photo : Olivier Fitoussi
Plusieurs
incidents au cours desquels des Juifs ont craché sur des fidèles chrétiens ou
près d’eux dans la vieille ville de Jérusalem ont été filmés dimanche et lundi
derniers, ce qui confirme la généralisation de ces attaques.
Ces
derniers jours, des dizaines de milliers de Juifs ont participé à des
manifestations et à des prières à l'occasion de la fête de Souccot, au cours
desquelles de nombreux incidents de crachats ont été enregistrés. La plupart
des personnes filmées en train de cracher sont des jeunes juifs qui ont craché
sur des églises ou sur des fidèles chrétiens qu'ils ont croisés.
L'un de ces
crachats a été enregistré alors qu'un groupe de fidèles chrétiens sortait d'une
église par la porte des Lions, dans la vieille ville de Jérusalem, en portant
une grande croix. Alors que le groupe remontait la rue, il est tombé sur une
procession de centaines de Juifs qui faisaient le chemin inverse en portant les
quatre espèces.
Dès qu'ils ont remarqué les fidèles chrétiens, ils se sont mis à cracher,
principalement par terre.
Religieuses à l'Église du Saint-Sépulcre. Photo: Ohad Zwigenberg
Si ces
crachats n'ont rien de nouveau, les autorités ecclésiastiques confirment qu'ils
se sont récemment généralisés. En août dernier, le Global Religious Freedom
Action Center a recensé 21 attaques de ce type visant des chrétiens ou des institutions
chrétiennes, la plupart dans la vieille ville de Jérusalem.
Une statue
de Jésus profanée a été vandalisée par un extrémiste juif dans l'église de la
Flagellation à Jérusalem, en février. Photo : AMMAR AWAD/ REUTERS
Lors d'une
conférence de presse précédant son élévation au rang de cardinal il y a deux
semaines, Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, a déclaré que
ces incidents n'étaient pas nouveaux, « mais nous avons l'impression
qu'ils sont devenus plus fréquents ces derniers temps. Ils sont liés à des
groupes et mouvements ultra-orthodoxes et religieux-sionistes. La présence de
ces groupes dans la vieille ville [de Jérusalem] est plus importante que par le
passé. Il ne fait aucun doute que certains rabbins l'approuvent, voire
l'encouragent ».
Le futur cardinal, le patriarche
latin italien de Jérusalem Pierbattista Pizzaballa, arrive au Vatican la
semaine dernière. Photo : TIZIANA FABI - AFP
Mgr.
Pizzaballa a ajouté que l'augmentation de ces attaques est liée au gouvernement
d'extrême droite d'Israël. « Il se peut que certains de ces mouvements
aient le sentiment, sinon d'être soutenus [par l'État], mais au moins protégés ».
« Ce
qui se passe avec les chrétiens n'est pas isolé. Nous constatons une
augmentation de la violence dans les sociétés israélienne et palestinienne. Ce
que nous voyons avec les chrétiens fait partie d'un phénomène plus large. Les
voix modérées ne sont pas entendues et les voix extrêmes se renforcent. Nous
sommes en contact avec les autorités et la police à ce sujet », a-t-il ajouté.
En août, le
commandant de la police du district de Jérusalem, le général de division Doron
Turgeman, a promis, lors d'une réunion avec les responsables des églises de la
ville, de lutter contre ces attaques. Depuis le début de l'année, la police a
ouvert 16 enquêtes concernant des actes de vandalisme, de violence ou de
harcèlement à l'encontre de chrétiens et d'institutions chrétiennes et a arrêté
21 suspects. Cependant, la police affirme qu'il est difficile d'inculper les
agresseurs, en particulier ceux qui crachent par terre et non sur un individu.
“Comportement
barbare” : l'ancienne coutume juive qui consistait à cracher près de prêtres
chrétiens n'avait rien à voir avec la pratique actuelle
« Cela
n'a jamais été une pratique courante », déclare un historien de Jérusalem.
Bien que le phénomène ne soit pas nouveau, il change de nature et devient de
plus en plus courant et de plus en plus extrême. L'évolution la plus importante
de ces dernières années a été son extension au Quartier musulman.
Des religieuses chrétiennes orthodoxes
tiennent des bougies et des fleurs lors d'une procession à Jérusalem, en août.
Photo : Ohad Zwigenberg /AP
Le clip
vidéo dans lequel on voit de jeunes juifs cracher sur un défilé chrétien dans
la vieille ville de Jérusalem cette semaine a suscité des réactions houleuses.
Un militant
d'extrême droite, Elisha Yered [impliqué dans l'assassinat de Qusai Jamal Maatan, 19 ans, près de Burqa en août dernier, et ancien porte-parole de la députée Limon Son Har-Melech du parti Otzma Yehudit (Force Juive), NdT], a notamment réagi en affirmant que la coutume
de cracher à côté d'une église ou sur des prêtres était une “coutume ancienne
et de longue date”. Cette déclaration a suscité la colère d'un grand nombre de
personnes. Le président, le maire de Jérusalem et même le ministre de la Sécurité
nationale, Itamar Ben-Gvir, ont condamné la coutume du crachat et la
déclaration de Yered.
Mais Yered a
raison, la coutume a vraiment des racines profondes dans le judaïsme ashkénaze.
Le problème est qu'il s'agit d'une coutume entièrement différente. La coutume
originale a été inventée comme une protestation discrète et interne d'une
petite minorité persécutée, et elle était pratiquée en secret. Les crachats
actuels sur les églises chrétiennes et les défilés à Jérusalem sont un acte de
défi public et d'humiliation des croyants qui appartiennent à un groupe
minoritaire.
« Mais
aujourd'hui, les relations ont changé, nous sommes les souverains et il y a des
minorités qui sont sous notre responsabilité, à qui nous sommes obligés de
fournir une protection. Dans une telle situation, il n'est plus possible de se
justifier, ni vis-à-vis de soi-même, ni vis-à-vis des autres », déclare le
Dr Yaakov Maoz, président de Lishana, une organisation pour le renouveau de
l'araméen en Israël, qui a des liens avec les communautés chrétiennes.
Les sources
juives conservent des preuves de cette coutume. Dans le livre du Maharil (XVIe
siècle), qui fait autorité en matière de coutumes des juifs ashkénazes, l'écrivain
Rabbi Yaakov Halevi Ben Moshe Moelin mentionne une coutume consistant à cracher
pendant la récitation de la prière “Aleinu Leshabeah” en prononçant les mots
faisant référence aux adorateurs d'idoles.
Des fidèles
juifs dans la vieille ville de Jérusalem mercredi. Photo : Olivier Fitoussi
Le Maharil
mentionne également qu'il était d'usage de cracher en passant près des églises.
Mais cette coutume est totalement différente de ce qui s'est fait cette semaine
à Jérusalem, affirme A., un jeune religieux, ancien haredi, qui a étudié la
coutume.
« Quand
je marchais avec mon père, il m'apprenait à cracher, mais c'est comme crier “Shabbes”
aux voitures le jour du Shabbat, ce n'est pas une mitzvah [prescription,
commandement], c'est un acte éducatif. Il s'agit d'éduquer l'enfant à
rejeter Avoda Zara (le culte des idoles). L'idée était de le faire
discrètement, sans démonstration, le but n'est pas d'humilier quelqu'un
d'autre, mais il y a un but interne, que je fais pour moi-même », dit A..
« Cela
n'a jamais été une pratique courante », déclare Amnon Ramon, de l'Institut
de recherche politique de Jérusalem. « Elle était pratiquée dans certains
endroits, principalement en Europe de l'Est, et en secret. Il s'agit de l'acte
d'une minorité qui, en secret, passe près de l'église la nuit sans que personne
ne la voie. C'est une coutume et il n'y a pas de halakha (loi religieuse) à ce
sujet ».
De même, il
semble que l'ancienne coutume ashkénaze convienne bien à certains cracheurs qui
ont des idées nouvelles et plus agressives sur le christianisme. « Toutes
les halakhot [prescriptions] antichrétiennes sont devenues plus
sévères dans la seconde moitié du 20e siècle », explique le Dr
Karma Ben Johanan, du département des religions comparées de l'université
hébraïque.
« En ce
qui concerne la question de savoir si le christianisme est un culte idolâtre,
il y a trois halakhot, mais il est clair que nous suivons Maïmonide qui a
statué que c'est le cas, et il est également affirmé que les rabbins qui
disaient le contraire avaient peur des chrétiens et qu'il n'y a maintenant plus
besoin de ces justifications », déclare-t-il.
La
caractérisation du christianisme comme un culte idolâtre convient parfaitement
à l'ultranationalisme hardali
(ultra-orthodoxe, sioniste de droite) et kahaniste qui parle de la nécessité
d'éliminer le christianisme du pays. C'est, par exemple, ce qui a motivé ceux
qui ont incendié l'église de la multiplication (des pains et des poissons) près
de la mer de Galilée, et ceux qui attaquent les églises.
Une
chronique des crachats
Depuis des
décennies, les croyants et les religieux chrétiens connaissent très bien la
coutume du crachat et en souffrent. Contrairement à l'affirmation de la police
selon laquelle il est difficile de poursuivre les cracheurs, dans le passé, des
personnes ont été poursuivies pour avoir craché. En 1995, un acte d'accusation
a été déposé contre un homme qui avait craché lors d'un défilé dans le quartier
arménien de Jérusalem. Il a été condamné à deux mois de prison avec sursis et à
une amende de 750 shekels.
Dans le
recours déposé devant la Cour suprême, son avocat Naftali Wurzberger a affirmé
que la liberté d'expression permettait à une personne de cracher “même en
présence d'un défilé d'ecclésiastiques portant une croix” : « Il est
impossible d'ignorer la halakha qui prévaut dans le judaïsme et selon laquelle
c'est une mitzvah pour un juif de cracher lorsqu'il passe devant une église ou
qu'il rencontre une croix ». Mais les juges de la cour de district ont
rejeté cet argument.
En 2004, un
jeune homme de la yeshiva de droite Har Hamor à Jérusalem a craché sur le
patriarche arménien lors d'une parade religieuse dans la vieille ville. Le
patriarche Nourhan Manougian a giflé le jeune homme et la police a arrêté
Manougian pour l'interroger. Par la suite, une réunion de réconciliation a eu
lieu au cours de laquelle les rabbins de la yeshiva, l'une des principales
yeshivas hardali d'Israël, se sont excusés auprès du patriarche et ont affirmé
qu'ils n'éduquaient pas leurs étudiants à cette coutume.
En 2011, le
juge du tribunal de première instance de Jérusalem a acquitté un prêtre grec
orthodoxe qui avait frappé un jeune juif qui lui avait craché dessus. « Il
est intolérable qu'un ecclésiastique chrétien soit humilié en raison de sa
religion, tout comme il est intolérable qu'un juif soit humilié parce qu'il est
juif », a écrit le juge, ajoutant que les autorités sont incapables de
gérer le problème.
« Les
cracheurs ne sont pas pris et ne sont pas punis pour leurs actes. Ce n'est pas
un phénomène nouveau, il existe depuis des années. Les cracheurs ne violent pas
seulement la loi, ils ne nuisent pas seulement à leurs victimes, mais à nous
tous, à notre image, à notre tourisme et à nos valeurs », a déclaré le
juge. Il a donc décidé d'acquitter le prêtre pour cause de légitime défense.
Bien que le
phénomène ne soit pas nouveau, il change de nature et devient de plus en plus
courant et de plus en plus extrême. L'évolution la plus importante de ces
dernières années a été son extension au Quartier musulman. Dans le passé, ce
sont surtout les membres de l'église arménienne, adjacente au quartier juif,
qui ont souffert des crachats.
Ces
dernières années, il s'est étendu à la Via Dolorosa, qui va de la porte des
Lions à l'église du Saint-Sépulcre, et qui traverse principalement le Quartier
musulman. Il s'agit d'un itinéraire sur lequel des centaines de milliers de
pèlerins chrétiens défilent chaque année, et avec la présence accrue de Juifs
religieux dans ces zones, ils sont également devenus les victimes des crachats.
Le clip
vidéo qui a mis le pays en émoi ces derniers jours a été filmé dans la rue de
la Porte des lions. Il a été tourné au cours d'un défilé qui fait le tour des
portes de la ville. Ces défilés sont devenus populaires ces dernières années parmi
les groupes hardali et haredi, comme une sorte de réponse aux mouvements qui
montent sur le Mont du Temple. La visite comprend une marche autour du Mont du
Temple et des prières aux portes du Mont. Elle donne souvent lieu à des
frictions et à des provocations à l'encontre des passants musulmans et
chrétiens.
Photo : Ammar
Awad/Reuters
La veille de
Yom Kippour, un groupe de Juifs a été filmé en train de prier et de chanter sur
des tombes dans le cimetière musulman situé en face de la Porte dorée, ce qui s'inscrivait
également dans le contexte de l'encerclement des portes. La période de l'année
a également son importance. Les fêtes juives sont considérées comme un mauvais
moment pour cracher, en particulier Pourim, où de nombreux chrétiens ont
coutume de s'abstenir de sortir dans la rue pour ne pas être confrontés aux
crachats et à la violence.
Après les
récentes réactions houleuses, les rabbins de la communauté religieuse sioniste
se sont également empressés de condamner les cracheurs et ont appelé à mettre
fin à cette coutume.
Le rabbin
Shlomo Aviner, l'un des chefs du courant hardali, le père spirituel d'une
grande partie des colons de Jérusalem-Est et lui-même résident de la vieille
ville, a écrit mardi : « Il n'existe pas de loi juive stipulant qu'il faut
cracher sur le culte des idoles. Cette règle ne figure ni dans la Gemara, ni
chez Maïmonide, ni dans le Shulchan Aruch. Si nous crachions sur le culte des
idoles et que cela mettait fin à tout le culte des idoles, ce serait une
question intéressante, mais cela ne sert à rien. Cela ne fait qu'engendrer des
conflits et des querelles, et nous y perdons. Nous devons éduquer les enfants à
se comporter de manière respectueuse ».
Amnon Ramon
ajoute : « Cela reflète le problème de l'incapacité à passer d'une situation
de minorité persécutée qui essaie de compenser sa persécution à une situation
où on est maintenant les rois et où on est testés, entre autres, par l’
attitude envers les minorités ».
Hanna
Bendcowsky, guide touristique, chercheuse chevronnée sur le christianisme et
directrice du Centre de Jérusalem pour les relations judéo-chrétiennes,
s'insurge contre la discussion même des racines historiques de la coutume. « Cette
discussion ne devrait pas être ouverte, si vous êtes opposé au christianisme,
gardez votre crachat dans votre bouche. La discussion même revient à légitimer
la question de savoir s'il est légitime de cracher. La discussion devrait
porter sur des comportements barbares au 21e siècle».
Il y a fort à parier qu’être un
refuge pour les prédateurs sexuels juifs n’était pas l’intention lorsque la
Déclaration d’indépendance d’Israël a proclamé que le pays ouvrirait ses portes
à “l’immigration juive et au rassemblement des exilés”
Andrés Roemer Slomianski, petit-fils du compositeur et chef d'orchestre viennois Ernst Römer, réfugié au Mexique après l'annexion de l'Autriche par le Reich, avec sa dernière épouse en date (2018), Pamela Cortés, influenceuse, mannequin et amuseuse de télé. Un couple “très ouvert”
Le diplomate mexicain Andrés Roemer
est arrivé en Israël avec un faux passeport en 2021, apparemment pour éviter d’être
inculpé dans son pays d’origine, où plus de 60 femmes l’ont accusé de viol et
de harcèlement sexuel.
Roemer, qui est juif, avait déjà
séjourné en Israël après avoir pris une position pro-israélienne qui lui avait
coûté son poste d’ambassadeur du Mexique auprès de l’UNESCO. Le maire de Ramat
Gan (et ancien ambassadeur à l’UNESCO), Carmel Shama-Hacohen, a été tellement
impressionné par Roemer qu’il a décidé de donner son nom à une rue, en disant
qu’il “aime Israël, s’est battu pour Israël et a payé le prix pour cela”.
Carmel avec son ami Emmanuel en 2018
Shama-Hacohen a été moins
impressionné par la décision du procureur général mexicain d’inculper Roemer et
d’émettre un mandat d’arrêt international à son encontre. Le maire israélien a
déclaré que, puisque Roemer nie les allégations, il ne retirera pas son nom de
la rue.
Maintenant que Roemer est enfin sur
le point d’être extradé vers le Mexique (les autorités mexicaines affirment qu’Israël
a ignoré leurs demandes pendant longtemps), Israël reçoit un nouvel accusé de
viol - le cinéaste hollywoodien Brett Ratner, qui a décidé de faire son aliyah
dans l’État juif.
En 2017, six femmes ont accusé
Ratner, qui a réalisé les films “Rush Hour” et “X-Men : The Last Stand”, d’agression
sexuelle et de harcèlement sexuel.
Toutes les femmes ont fait part de
leurs allégations dans un article du Los Angeles Times. L’une d’entre
elles, l’actrice Natasha Henstridge, affirme que Ratner l’a forcée à lui faire
une fellation lorsqu’elle avait 19 ans. L’actrice Olivia Munn a décrit dans l’article
comment Ratner s’est masturbé devant elle sans son consentement.
Les studios hollywoodiens ont
immédiatement coupé leurs liens avec sa société de production. L’État d’Israël,
lui, ne l’a pas fait. Selon un rapport publié mardi par Tal Shalev sur le site
d’information israélien Walla, le Premier ministre israélien Benjamin
Netanyahou a personnellement invité Ratner à assister à son discours devant l’Assemblée
générale des Nations unies le mois dernier. Ratner a même téléchargé une photo
sur Instagram avec Netanyahou et sa femme Sara en marge de l’Assemblée
générale.
James Packer sur son yacht à 200 millions
Les graves allégations liées au nom
de Ratner n’ont pas dissuadé Netanyahou de dérouler le tapis rouge pour le
nouvel immigrant. Pas plus que le fait que Ratner soit un ami proche et un
ancien partenaire commercial du milliardaire australien James Packer, l’homme
au centre d’une affaire pénale contre le premier ministre israélien. Netanyahou
a été accusé de fraude et d’abus de confiance pour avoir accepté des cadeaux d’une
valeur de plusieurs centaines de milliers de shekels de la part de Packer - et
il fréquente maintenant Ratner en public alors que son procès est toujours en
cours.
James et Sara Netanyahou
Personne n’attend grand-chose de
Netanyahou, un homme qui n’a jamais manqué une occasion de se lier d’amitié
avec un riche juif, même si la relation est inappropriée ou contraire à l’éthique.
Malheureusement, le premier ministre n’est pas la seule raison pour laquelle
Ratner sait qu’il sera le bienvenu en Israël.
Le pays est devenu un point chaud
pour les prédateurs sexuels juifs étrangers. Selon Jewish
Community Watch, une organisation qui traque les personnes accusées de
pédocriminalité, plus de 60 citoyens usaméricains entrant dans cette catégorie
ont fui les USA pour Israël au cours des dernières années.
Ratner n’est même pas le premier
réalisateur des X-Men accusé de crimes sexuels à avoir trouvé un nouveau foyer
en Israël. Bryan Singer, qui a réalisé plusieurs films de la franchise X-Men, a
été accusé de viol et d’agression sexuelle sur plusieurs mineurs. Il vit en
Israël depuis quelques années et n’a eu aucun mal à trouver des collaborateurs
israéliens pour ses futurs projets.
Lorsque la Déclaration d’indépendance d’Israël a
proclamé qu’Israël ouvrirait ses portes à “l’immigration juive et au
rassemblement des exilés”, il y a fort à parier qu’offrir un refuge aux
prédateurs sexuels juifs fuyant la justice n’était pas l’intention.
Photos ingimage / Matan Mittelman, photoshopées par Anastasia Shub pour Haaretz
Lorsqu'il
s'agit de migrations, de droits des migrant·es, de racisme et d'antiracisme, le
discours public italien, même dans ses variantes non racistes, semble souvent se
déployer comme si chaque fois était la première : les antécédents et le
développement de tel ou tel événement, de tel ou tel problème, de telle ou
telle revendication, de tel ou tel concept sont tout simplement escamotés.
Cet oubli,
pour ainsi dire, n'affecte pas seulement la rhétorique publique majoritaire,
mais influence parfois l'attitude et le discours des minorités actives, se
reflétant également dans le langage et le vocabulaire, influencés par la
vulgate médiatique et même par le jargon du sens commun.
Alors qu'on
les croyait remisés aux archives grâce à un long travail critique, les formules
et le vocabulaire liés aux schémas interprétatifs, même spontanés, font leur
retour. Faute de pouvoir en dresser le catalogue complet, nous nous attarderons
sur quelques-uns d'entre eux.
Race-racial
Le racisme
est avant tout une idéologie, donc une sémantique : il est constitué de mots,
de notions, de concepts. L'analyse critique, la déconstruction et la
dénonciation du système-racisme ont donc nécessairement un versant lexical et
sémantique. Ainsi, si l'on parle de discrimination raciale au lieu de discrimination
raciste, on peut finir par légitimer inconsciemment la notion et le paradigme
de “race”, en suggérant l'idée que ce sont les personnes différentes par la “race”
qui sont discriminées.
De telles
maladresses lexicales peuvent également être commises par des locuteurs qui se
considèrent comme antiracistes et, de surcroît, cultivés, voire par des
institutions et associations chargées de lutter contre le racisme ou même de
promouvoir le respect de codes éthiques dans le domaine de l'information. Cela
apparaît d'autant plus paradoxal aujourd'hui que même en Italie, à l'initiative
d'un groupe d'anthropologues-biologistes, puis d'anthropologues culturels, une
campagne est en cours pour effacer le mot “race” de la Constitution.
Bien que la
notion de “race” ait également été expurgée du domaine de la biologie et de la
génétique des populations, son utilisation persiste dans les cercles
intellectuels et/ou même “de gauche”, faisant l’objet d’un usage banal et
dangereux que l'on ne peut ignorer.
Ethnie-ethnique-ethnicité
Comme le
note l'anthropologue Mondher Kilani, coauteur avec René Gallissot et Annamaria
Rivera de l'essai collectif L'Imbroglio ethnique en quatorze mots
clés (Payot, Lausanne, 2000), l'adjectif “ethnique” a une consonance inquiétante dans des expressions
telles que “nettoyage ethnique”, “guerre ethnique”, “haine ethnique”. En outre,
le sens commun et une partie des médias et des intellectuels ont tendance à
considérer les soi-disant “groupes ethniques” comme des entités
quasi-naturelles, connotées par l'ancestralité et les liens de sang
primordiaux, et par conséquent à les associer à une diversité insurmontable.
Par conséquent, le terme “ethnie” est souvent utilisé comme un euphémisme pour
"race".
Même dans
les milieux antiracistes, l'utilisation abusive d'expressions telles que “société
multiethnique”, “quartier multiethnique”, “parade multiethnique” est
fréquente... Bien qu'elles soient parfois utilisées dans un sens se voulant
positif, ces formules font toujours référence à l'“ethnicité” : une notion très
controversée, puisqu'elle repose sur l'idée qu'il existe des groupes humains
fondés sur un principe ancestral, sur une identité originelle.
En réalité,
dans les contextes discursifs dominants, “ethnique” désigne toujours les
autres, les groupes considérés comme particuliers et différents de la société
majoritaire, considérée comme normale, générale, universelle. Il n'est pas rare
que le terme “ethnicité” soit utilisé, en référence aux minorités, aux Rroms,
aux populations d'origine immigrée, comme un substitut euphémique du terme “race”.
À tel point que même dans la meilleure presse italienne, il est possible de
rencontrer des expressions absurdes et paradoxales telles que personnes
d'ethnie latino-américaine ou même chinoise, alors qu'il ne nous est
jamais arrivé de lire ethnie européenne ou nord-américaine.
En tout
cas, qu'il s'agisse de préjugés ou d'intentions discriminatoires,
d'incompétence ou de négligence, lorsqu'il s'agit de qualifier les citoyens
d'origine immigrée ou appartenant à des minorités, le critère neutre, ou du
moins symétrique, de la nationalité ne semble pas s'appliquer.
La guerre
des pauvres
C'est l'une
des rhétoriques les plus abusives, même à gauche, même dans la gauche supposée
éduquée. Elle est généralement utilisée en référence à deux catégories de
belligérants supposés, imaginés comme symétriques, dont l'une est une
collectivité de migrants ou de Rroms.
L'usage
abusif de cette formule est révélateur d'un tabou ou d'un retrait : on a du mal
à admettre que le racisme puisse s'insinuer dans les classes subalternes pour
déclencher des guerres contre les plus pauvres. Guerres asymétriques, non
seulement parce que les agresseurs sont généralement les nationaux, mais aussi
parce que ceux-ci, aussi défavorisés soient-ils, jouissent encore du petit
privilège de la citoyenneté italienne, qui leur donne quelques droits
supplémentaires.
Ce racisme
- que la littérature sociologique appelle le racisme “ordinaire” ou “des petits
Blancs” - prend souvent racine chez ceux qui souffrent d'une certaine forme de
difficulté sociale et/ou de marginalité, voire de marginalité spatiale.
Favorisé par des politiques malavisées en matière de logement, d'urbanisme et,
plus généralement, de politique sociale, il est aussi souvent habilement
fomenté par des entrepreneurs politiques du racisme.
Parfois, la formule passe-partout de “guerre
entre les pauvres” n'a pas le moindre fondement pour justifier son utilisation,
comme cela s'est produit dans le cas notoire des assauts armés répétés contre
le centre de réfugiés Viale Morandi, dans la banlieue romaine de Tor Sapienza,
en novembre 2014. La tentative de pogrom contre des adolescents fuyant les
guerres et autres catastrophes a été présentée comme l'expression spontanée de
la colère de résidents exaspérés par la “dégradation”, et donc comme un épisode
de la “guerre entre les pauvres”. En réalité, les agressions, auxquelles un
nombre limité de résidents a participé, ont été dirigées par une escouade de “fascistes
du troisième millénaire”, eux-mêmes exécutants probables de commanditaires liés
à la Mafia de la capitale.
Peu de
temps auparavant, on avait parlé de “guerre entre les pauvres”, même à gauche,
à propos d'un crime particulièrement odieux survenu le 18 septembre 2014 à
Marranella, un quartier romain de Pigneto-Tor Pignattara : le massacre à coups
de pied et de poing de Muhammad Shahzad Khan, un Pakistanais de 28 ans, doux et
malchanceux, par une brute du quartier, un garçon romain de 17 ans, à
l'instigation de son père fasciste.
Les
précédents de ce schéma interprétatif paresseux sont nombreux. Il a été
appliqué de temps à autre aux pogroms contre les Rroms à Scampia (2000) et
Ponticelli (2008), fomentés par la camorra et les intérêts spéculatifs ; au
massacre de Castelvolturno par la camorra (2008) ; aux graves événements de
Rosarno (2010), également fomentés par les intérêts mafieux et patronaux.
Tout cela est révélateur d'une aversion croissante
pour les interprétations complexes, favorisée par le bavardage des médias
sociaux, qui contribue à son tour au conformisme croissant qui caractérise le
débat public. Le racisme, on le sait, repose sur une montagne de gros mots. Les
déconstruire et les abandonner n'est pas se livrer à un exercice abstrait de “politiquement
correct” (bien que ce dernier ne soit pas aussi méprisable qu'il a longtemps
été de bon ton de le faire croire), mais plutôt saper son système idéologique
et sémantique.
Grado
Giovanni Merlo (1945) est un historien italien, spécialiste de l’histoire
des églises et mouvements religieux dans l’Italie du Moyen-Âge, auteur,
notamment, de Au nom de saint François. Histoire des Frères mineurs et du
franciscanisme jusqu’au début du XVIe siècle, traduit de l’italien
par Jacqueline Gréal, préface de Giovanni Miccoli, Paris, Éditions du
Cerf/Éditions franciscaines, 2006
NdT
Le pape Jean-Paul II l’avait proclamé, dans une bulle de 1979, “Patron
céleste des cultivateurs de l’écologie”.L’archevêque jésuite argentin Jorge Mario
Bergoglio a choisi en 2013 le nom papal de François en son honneur. Et la
gauche italienne, des communistes aux opéraïstes, n’a pas manqué de le
revendiquer, ce qui n’est pas étonnant, vu qu’elle a été très fortement
imprégnée de catholicisme et a toujours eu un certain mal à comprendre les vers
de l’Internationale proclamant « Il n’est pas de sauveur
suprême/Ni Dieu, ni César, ni tribun ». Ci-dessous l’analyse d’un
médiéviste, qui remet les pendules à l’heure.
DANS LES “CAHIERS DE PRISON”
ANTONIO GRAMSCI MENTIONNE RAREMENT SAINT-FRANçOIS
Juxtaposé, en 1934, à “un Passavanti” et à “un
(Thomas) a Kempis”
pour sa “naïve effusion de foi”, saint François était auparavant entré dans la
compagnie des “mouvements religieux populaires du Moyen Âge”. (...) Les
fragments de Gramsci ne mettent pas en valeur ou ne mythifient pas saint
François, dont l’histoire est considérée dans ses limites politiques, pour
ainsi dire, mais aussi dans ses effets institutionnels.
ALESSANDRO NATTA : SIMPLE FRÈRE
En 1989 est paru le texte d’une longue
interview d’Alceste Santini, “vaticaniste” de L’Unità, avec Alessandro
Natta, jusqu’à l’année précédente secrétaire du Parti communiste italien (...).
Vers la fin de l’entretien, Santini demande à Natta : « Quelle figure
spirituelle ou religieuse vous semble la plus conforme ? » La réponse de l’ex-secrétaire
communiste est la suivante : saint François, “homme d’une remarquable modernité”
et “fondateur d’un des mouvements les plus modernes, proche, même
historiquement, des problèmes du monde actuel”, au point de pousser le leader
communiste à visiter “les lieux où il a prêché, fondé et animé son ordre
religieux” : « J’étais à Assise en octobre 1987 (...). À cette occasion, j’ai
rendu visite aux frères franciscains, dans leur couvent, renouvelant la visite
faite précédemment par Berlinguer. Le prieur (sic !) était absent, et je suis
revenu le lendemain pour le remercier de l’accueil qu’il m’avait réservé (...).
Intéressé et intrigué, d’autant plus que le prieur (sic !) me semblait être à
la fin de son second mandat, je lui demandai : “Et quand on n’est plus prieur ?”.
Il me répondit : “Le prieur redevient simple frère”. Ce n’est pas un hasard si,
dans sa lettre de démission du secrétariat du Parti communiste italien du 10
juin 1988, Natta déclare que pour lui “s’applique la règle des Franciscains,
parmi lesquels le prieur (sic !) qui a terminé son mandat redevient simple
frère”.
La statue de saint François
d’Assise devant la cathédrale Saint-Jean de Rome, entre deux affiches
électorales, novembre 1960.
LE “MILITANT
COMMUNISTE” FRANCISCAIN
Poursuivant
notre chemin dans la gauche, nous rencontrons Empire. Ses auteurs sont
Michael Hardt et Antonio Negri, plus connu sous le nom de Toni Negri. Le livre
vise à illustrer “le nouvel ordre de la mondialisation”, avec la conviction que
“l’Empire est le nouveau sujet politique qui régule le commerce mondial, le
pouvoir souverain qui gouverne le monde” et dans la perspective d’identifier et
d’illustrer “les forces qui contestent l’Empire et préfigurent en fait une
société mondiale alternative”. Au terme d’une lecture laborieuse, on trouve un
médaillon décrivant “le militant”, c’est-à-dire “l’agent de production
biopolitique et de résistance à l’Empire”, celui qui, en se rebellant, se
projette “dans un projet d’amour”. Nous assistons ici à l’entrée en scène de
saint François d’Assise : « Il existe une légende ancienne qui pourrait
éclairer la vie future du militantisme communiste : la légende de saint
François d’Assise. Voyons quel fut son exploit. Pour dénoncer la pauvreté de la
multitude, il a adopté la condition commune et y a découvert la puissance
ontologique d’une société nouvelle. Le militant communiste fait de même (...).
Contre le capitalisme naissant, François rejette toute discipline instrumentale
et la mortification de la chair (dans la pauvreté et l’ordre établi) et lui
oppose une vie joyeuse (à) la volonté de puissance et (à) la corruption. Dans
la post-modernité, nous sommes toujours dans la situation de François, opposant
la joie d’être à la misère du pouvoir ». On pourrait dire que nous sommes
face à un Saint François situationniste-esthétisant dans une conception
révolutionnaire situationniste-esthétisante. L’empire est laid et misérable,
être un communiste militant est beau et joyeux, tout comme “sa” révolution. [Lire Le siècle bref de Toni Negri]
À
ce stade, une association d’idées se fait jour qui nécessiterait de comparer l’élaboration
de Hardt et Negri avec certains aspects connotant le MoVimento5Stelle. L’élément
spéculaire qui confronte l’un à l’autre est, en l’occurrence, Saint François.
LE M5S ET LE
FRANCISCANISME
Sur le blog de
Beppe Grillo, on peut lire : « Le M5S est né, par choix, le jour de saint
François, le 4 octobre 2009. C’était le saint qu’il fallait pour un mouvement
sans contributions publiques, sans siège, sans trésoriers, sans dirigeants. Un
saint écologiste et animaliste. Les gars du M5S (...) se sont appelés en 2010
les "fous de la démocratie", tout comme les Franciscains étaient
appelés les "fous de Dieu". Il y a beaucoup d’affinités entre le
franciscanisme et le M5S ». Peu importe que ces prétendues “affinités”
soient très difficiles à percevoir ou, mieux encore, qu’elles n’existent pas du
tout. Et lorsqu’elles sont mises en évidence, il ne faut pas longtemps pour se
rendre compte qu’elles sont basées sur des données peu fiables ou fausses. On s’en
aperçoit dès que l’on cherche à comprendre quel saint François les dirigeants
du MoVimento s’imaginent être. À cet égard, le livret Il grillo canta sempre
al tramonto [Le grillon chante toujours au crépuscule], un dialogue “à
trois” entre Dario Fo, Gianroberto Casaleggio et Beppe Grillo, est éclairant. C’est
Fo qui se charge de retracer, par rapport aux “faussetés” “qui nous ont été
racontées pendant des siècles”, certains aspects de la “véritable histoire” de
saint François.
LE “GRAND RÉVOLUTIONNAIRE” ÉCOLOGISTE ET
ANIMALISTE
L’image de saint François écologiste et
animaliste est très répandue. Elle occupe par exemple une place de choix dans
le “dialogue de l’hiver 1994” entre les “communistes” Paolo Volponi et Francesco Leonetti.
À un moment donné, le philosophe demande au célèbre écrivain “à quel classique
italien” il fait référence. La réponse de Volponi est immédiate : « La leçon
de saint François est toujours d’actualité, et aujourd’hui plus que jamais
(...). J’aime (...) sa leçon. C’est celle d’un grand révolutionnaire, au nom de
la beauté de la Terre et de l’honnêteté des êtres (...). Saint François, c’est
l’idée du bonheur et de la vérité, dans le nouveau, de la révolution, du
présent possible ». La réponse de Volponi ne contient pas seulement l’image
d’un Saint François “écologiste et animaliste”, mais d’un Saint François qui
fut même un “grand révolutionnaire” capable d’indiquer aux hommes de la fin du
vingtième siècle les voies d’un changement radical dans leur façon d’agir et de
se rapporter à la vie. Un air de famille semble envelopper et respirer la
position exprimée synthétiquement par Volponi et Leonetti et celle de Hardt et
Negri. Il est curieux de noter que Leonetti et Negri - ce dernier après avoir
commencé sa militance dans l’Action catholique - ont à l’origine coulé leur
vision communiste dans l’opéraïsme des années 1960.
La nÉcessitÉ D’UN “NOUVEAU MONDE”
Il n’est pas
dans mon intention de suivre ce chemin “à rebours”, car je serais arrivé à l’extraordinaire
“ouverture” que constitue l’élection de Jorge Mario Bergoglio comme évêque de
Rome. Nombreux sont ceux qui ont repris des concepts qui ne sont pas nouveaux
pour évoquer son choix de prendre le nom de Pape François. Pensons à un ancien
militant et dirigeant du PCI, Alfredo Reichlin, qui, au début du mois d’avril
2103, s’exprimait ainsi : « Nous sommes entrés de plain-pied dans la
mondialisation et nous la vivons sans nous rendre compte de l’énormité et du
danger du fait qu’elle est dirigée par la logique des mouvements financiers
(...). Qui la prend en charge ? (...) J’ai été très impressionné par l’élection
de ce pape (François). C’est un grand événement qui fait allusion à un monde nouveau
; il fait allusion au fait que l’illusion de diriger la mondialisation à
travers les marchés financiers a échoué et qu’une grande question sociale s’est
ouverte au niveau planétaire. Le nom de François d’Assise a cette signification ».
Ici encore, pour la énième fois, se fait sentir la nécessité d’un « monde
nouveau » vers lequel les “François” d’hier et d’aujourd’hui sont en
mesure de conduire l’humanité parce qu’ils sont les témoins actifs de valeurs “autres”,
même si le franciscanisme n’est pas un humanisme ni n’est réductible à un
humanisme “révolutionnaire” qui trouverait en lui-même justification et
légitimité, mais est l’une des plus hautes expressions de la foi dans le Dieu
trinitaire.
POST SCRIPTUM
Nous lisons
dans La Stampa du 13 avril 2014, dans le compte rendu de l’événement d’ouverture
de la campagne électorale pour les élections européennes de mai 2014 avec la
participation éminente de Matteo Renzi, en tant que secrétaire du Parti
démocrate, quelques nouveautés significatives dans le déroulement de l’événement
: « Pas de VIP (...). Les présentateurs de la kermesse étaient également inhabituels
(...). Les vidéos de Fantozzi,
Maradona et Frankenstein Junior. Les citations racoleuses de Saint François d’Assise ».
Bref, dans la culture de gauche, ou plutôt de centre-gauche, l’Assisiate risque
de se transformer, de témoin de Jésus-Christ, en testimonial.
“...Et que vous le vouliez ou non, moi, je deviendrai célèbre, et pas qu'à Assise”: Franz, une BD d'Altan sur Saint-François, de 1982