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25/10/2023

AZMI BISHARA
Briser la cage de Gaza : pourquoi l’attaque du 7 octobre n’est pas le 11 septembre d’Israël et sa victoire n’est pas garantie

Azmi Bishara, The New Arab, 12/10/2023

Alors qu’Israël affiche ouvertement son intention d’intensifier ses bombardements brutaux sur Gaza et d’affamer la population pour se venger de l’opération militaire du Hamas, le Dr Azmi Bishara insiste sur la nécessité de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher de se livrer à un véritable génocide.


Gaza est assiégée depuis près de vingt ans. Dessin d’Emad Hajjaj

La diffusion par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, relayé par le président usaméricain Joe Biden, d’affabulations et de désinformations sur les événements du 7 octobre à Gaza n’est pas une bavure mais un acte délibéré de propagande. Elle vise à justifier une guerre israélienne barbare et totale, sans retenue, pour faire payer un prix insupportable à la population palestinienne de Gaza, l’objectif principal de cette guerre.

En d’autres termes, justifier l’usage illégal de la violence et de l’intimidation contre les civils palestiniens dans la poursuite d’objectifs politiques. N’est-ce pas là la définition même du terrorisme ?

Le contre-objectif devrait donc être de limiter leur capacité à bombarder Gaza sans retenue, en dénonçant et en protestant contre les crimes de la guerre israélienne et en soutenant la solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Pendant deux décennies, les Gazaouis n’ont pas connu de quartier, vivant sous un siège paralysant et de fréquents assauts israéliens ; et aujourd’hui, ils sont soumis à une cruauté qu’aucun humain n’est capable de tolérer.

La stupeur et l’émotion combinées depuis les événements chocs du 7 octobre, qui ont remis en question l’arrogance israélienne et les frustrations arabes, font qu’il est difficile d’écrire sans passion sur l’opération “Déluge d’Al-Aqsa” et l’assaut qui s’en est suivi contre Gaza. Il ne fait aucun doute que la jeune génération se souviendra de cette journée et qu’elle modifiera sa perception de la suprématie de l’occupant et de la dignité des victimes de l’occupation, ainsi que des possibilités de résistance à l’occupation.

Quelques jours plus tard, alors même que l’occupation peine à se remettre de cette attaque choc, les responsables israéliens se sont empressés d’annoncer les crimes de guerre qu’ils ont perpétrés à Gaza, déclarant ouvertement leur intention d’en commettre d’autres. L’administration israélienne a ignoré de manière flagrante la déclaration du secrétaire général des Nations unies selon laquelle l’imposition d’un siège total, y compris la coupure de l’eau et de l’électricité, constituerait une violation du droit humanitaire international. Empêcher l’accès à l’eau, aux médicaments et à la nourriture est reconnu comme une arme de guerre inacceptable depuis le Moyen-Âge, mais Israël a pris l’habitude et le droit d’agir au-dessus de la loi.

L’attaque menée par les Brigades Al-Qassam le 7 octobre contre les bases militaires et les villes situées dans ce que l’on appelle “l’enveloppe de Gaza” représente un tournant dans les relations entre la résistance palestinienne et Israël. La planification, la mise en œuvre et la puissance (réelle et projetée) qui la sous-tendent occuperont les analystes pendant des années. Ce matin-là, non seulement les fortifications en béton le long de la frontière ont été détruites, mais aussi les forteresses mentales construites sur des idées fausses et des stéréotypes.

Les Israéliens se sont laissé aller à la complaisance, malgré les souffrances qu’ils ont infligées à un peuple indigène qui étouffe sous deux décennies d’un blocus inhumain et illégal et malgré la complicité croissante du gouvernement d’extrême droite dans les attaques contre la mosquée Al-Aqsa, au point que des plans ont été élaborés pour diviser le site d’Al-Aqsa et attribuer des heures de prière distinctes aux musulmans et aux juifs. Ils se sont reposés sur leurs lauriers alors même qu’ils permettaient l’escalade des attaques de colons contre les Palestiniens et leurs biens et que le gouvernement annonçait son intention d’annexer de vastes pans de la Cisjordanie.

Que l’on soit israélien ou non, personne ne devrait être choqué par la réaction palestinienne. L’autocensure israélienne a commencé et sera un processus continu, mais elle ne conduira pas à des conclusions correctes sur la relation de l’occupant avec la réalité vécue par ceux qui vivent sous l’occupation. Au lieu de cela, il cherchera des réponses internes et incomplètes aux questions relatives au maintien de l’occupation, telles que : « Qui est responsable de l’échec des services de renseignement ? Pourquoi n’y avait-il pas assez de soldats ? Pourquoi ont-ils réagi si tardivement ? »

La véritable surprise pour les Israéliens, les Palestiniens et les Arabes est venue de la capacité de la résistance gazaouie à produire et à faire entrer en contrebande l’équipement militaire nécessaire malgré un siège étouffant dans une bande de terre exposée et plate, sans montagnes ni vallées. Les seules personnes qui n’ont pas été prises au dépourvu sont celles qui sont au courant. La plupart des gens qui ont dépassé l’image romantique des parapentes survolant les frontières ont commencé à s’interroger sur la manière dont la fabrication et l’entraînement nécessaires ont été réalisés et sur le nombre de tunnels existants.

Indépendamment des différences d’attitudes et d’origines, voire des hostilités entre eux, les Palestiniens, et les Arabes en général, ont le droit de ressentir un certain regain de confiance face à la persévérance, l’assiduité, la détermination et l’imagination dont la résistance a fait preuve dans des conditions impossibles.

Israël a maintenant lancé une guerre contre Gaza, il ne s’agit donc plus d’une opération militaire isolée. Israël a déclaré publiquement qu’il continuerait à commettre des crimes contre l’humanité, dont l’ampleur et la gravité ne feront que croître. Il rase des quartiers entiers de la bande de Gaza, la zone la plus densément peuplée du monde, le plus grand camp de réfugiés et la plus grande prison à ciel ouvert. Il tente d’effacer le souvenir des images vidéo diffusées à grande échelle par la résistance et, en semant la mort et la destruction à Gaza, de restaurer son prestige aux yeux de son peuple et son image intimidante aux yeux des Arabes, à la fois ses ennemis et les régimes qui poursuivent la normalisation.

Mais il y a d’autres éléments à prendre en compte dans ses actions. L’acharnement et la poursuite des bombardements après l’épuisement de toutes les cibles sont l’expression de la confusion et de l’hésitation quant à la marche à suivre, et constituent une tactique qui masque l’absence d’un plan et d’une stratégie. En outre, le feu vert de Washington et des gouvernements européens a encouragé Israël à agir sans calcul sérieux.

Les bombardements intensifs visent à creuser un fossé entre l’idée de résistance et la population en augmentant de manière prohibitive le coût de la résistance et les sacrifices consentis par les habitants de Gaza, dans l’espoir que les souffrances continues qui leur sont imposées les mobiliseront non pas contre l’occupation, mais contre le Hamas.

JEAN BAUDRILLARD
L'esprit du terrorisme (3 novembre 2001)

 Jean Baudrillard, Le Monde, 3/11/2001

Des événement mondiaux, nous en avions eu, de la mort de Diana au Mondial de football - ou des événements violents et réels, de guerres en génocides. Mais d'événement symbolique d'envergure mondiale, c'est-à-dire non seulement de diffusion mondiale, mais qui mette en échec la mondialisation elle-même, aucun. Tout au long de cette stagnation des années 1990, c'était la " grève des événements " (selon le mot de l'écrivain argentin Macedonio Fernandez). Eh bien, la grève est terminée. Les événements ont cessé de faire grève. Nous avons même affaire, avec les attentats de New York et du World Trade Center, à l'événement absolu, la " mère " des événements, à l'événement pur qui concentre en lui tous les événements qui n'ont jamais eu lieu.


Plantu

Tout le jeu de l'histoire et de la puissance en est bouleversé, mais aussi les conditions de l'analyse. Il faut prendre son temps. Car tant que les événements stagnaient, il fallait anticiper et aller plus vite qu'eux. Lorsqu'ils accélèrent à ce point, il faut aller plus lentement. Sans pourtant se laisser ensevelir sous le fatras de discours et le nuage de la guerre, et tout en gardant intacte la fulgurance inoubliable des images.

Tous les discours et les commentaires trahissent une gigantesque abréaction à l'événement même et à la fascination qu'il exerce. La condamnation morale, l'union sacrée contre le terrorisme sont à la mesure de la jubilation prodigieuse de voir détruire cette superpuissance mondiale, mieux, de la voir en quelque sorte se détruire elle-même, se suicider en beauté. Car c'est elle qui, de par son insupportable puissance, a fomenté toute cette violence infuse de par le monde, et donc cette imagination terroriste (sans le savoir) qui nous habite tous.

Que nous ayons rêvé de cet événement, que tout le monde sans exception en ait rêvé, parce que nul ne peut ne pas rêver de la destruction de n'importe quelle puissance devenue à ce point hégémonique, cela est inacceptable pour la conscience morale occidentale, mais c'est pourtant un fait, et qui se mesure justement à la violence pathétique de tous les discours qui veulent l'effacer.

A la limite, c'est eux qui l'ont fait, mais c'est nous qui l'avons voulu. Si l'on ne tient pas compte de cela, l'événement perd toute dimension symbolique, c'est un accident pur, un acte purement arbitraire, la fantasmagorie meurtrière de quelques fanatiques, qu'il suffirait alors de supprimer. Or nous savons bien qu'il n'en est pas ainsi. De là tout le délire contre-phobique d'exorcisme du mal : c'est qu'il est là, partout, tel un obscur objet de désir. Sans cette complicité profonde, l'événement n'aurait pas le retentissement qu'il a eu, et dans leur stratégie symbolique, les terroristes savent sans doute qu'ils peuvent compter sur cette complicité inavouable.

24/10/2023

ZIAD
Journal de Gaza, septième partie : “Je suis faible, je suis vulnérable. Mais je veux vivre”

Ziad à Gaza, The Guardian, 23/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ziad, un Palestinien de 35 ans, raconte les derniers jours passés à Gaza : sa peur de manquer d'eau, le coût financier de la guerre et son souhait d'avoir à nouveau des conversations normales.

Des personnes en deuil lors des funérailles des personnes tuées lors de la frappe aérienne israélienne qui a endommagé l'église Saint-Porphyre dans la ville de Gaza. Photo : Reuters

Vendredi 20 octobre

8 heures du matin Je n'aurais jamais pensé que, dans la trentaine, je deviendrais comme ces personnes âgées qui se réveillent et consultent la rubrique nécrologique des journaux pour voir qui est mort. Dans mon cas, c'est l'internet et non le journal - si nous avons une connexion - et je vérifie si quelqu'un que je connais est mort dans les frappes aériennes et les bombardements. Pour ce qui est de l'âge, je crois qu'on est aussi vieux qu'on se sent, et ces jours-ci, je me sens vieux. Très vieux.

 

Toute une famille que je connais est morte. Nous n'étions pas proches, mais c'est complètement différent lorsque vous associez des visages à des noms, lorsque vous vous souvenez des interactions. Il s'agissait de personnes de chair, de sang et de souvenirs qui n'existent plus. L'idée d'être vivant une minute et mort la minute suivante me terrifie.

 

Hier, l'église de Gaza où de nombreuses familles musulmanes et chrétiennes s'étaient réfugiées a été bombardée. Je sais que mon ami, sa femme et sa fille vont bien. J'appelle aujourd'hui pour prendre de ses nouvelles. “Jusqu'à présent, nous continuons à sortir les gens des décombres”, me dit-il. “Un membre de ma famille est mort et un autre est dans un état critique à l'hôpital”.

 

Il ajoute qu'ils ne sont pas en état de réfléchir à l'avenir. Je me sens impuissant. J'aimerais pouvoir être là pour lui.

 

10h. Ahmad, le fils du milieu de notre famille d'accueil, est une personne très serviable. Il s'efforce toujours d'aider les familles qui ont été évacuées en leur trouvant un endroit où loger, en leur fournissant des produits de première nécessité comme des vêtements, des chaussures et du lait, ou en leur indiquant où se trouvent certains services.

 

Autour d'une tasse de café, il nous fait part de l'impact considérable de la situation sur les moyens de subsistance des habitants de Gaza : “Un de mes amis avait enfin obtenu un bon revenu en travaillant comme programmeur indépendant en ligne. Ces deux dernières semaines, il n'a pas travaillé. Il m'a appelé pour me dire qu'il n'avait plus d'argent”.

 

Pour de nombreux habitants de Gaza, le travail en free-lance a été le “ticket” qui leur a permis de sortir du chômage. Pour la première fois, les habitants de Gaza n'avaient pas besoin de franchir une frontière ou d'avoir un certain passeport pour être acceptés - tout ce dont ils avaient besoin était un ordinateur portable, une connexion internet et de l'électricité, et maintenant, même ces éléments ont disparu.

Je m'interroge sur les travailleurs quotidiens : les plombiers, les nettoyeurs, les charpentiers. Comment ont-ils pu se permettre de vivre ces moments horribles ? Car les catastrophes ont un prix. Comment peuvent-ils acheter tous les produits de première nécessité sans aucun revenu ? Je pense aux jeunes entrepreneurs que je connais, qui ont créé de petites entreprises grâce à un talent qu'ils possèdent ou à un vide qu'ils ont comblé sur le marché. Maintenant que la plupart de leurs boutiques sont détruites ou endommagées, je m'inquiète pour leur avenir.

 

Midi. J'ai envie de me lever et de crier.

 

C'est le deuxième vendredi depuis le début de cette situation. Le vendredi, les familles se réunissent pour déjeuner, les amis sortent pour s'amuser et les gens se détendent. Pour nous, nous sommes coincés, pleins de peur, dans l'attente de l'inconnu.

 

Cela me tue de voir sur Internet des images de longues files d'attente pour acheter l'iPhone 15 alors que les habitants de Gaza attendent dans de longues files d'attente pour obtenir du pain et de l'eau pour leurs familles. Je déteste que de nombreuses personnes dans le monde ne sachent pas que nous existons et que nous mourons chaque jour. J'ai envie de pleurer... et j'ai désespérément besoin d'un câlin.

 

18 h. Depuis hier, la famille d'accueil essaie de se procurer de l'eau potable. L'eau que nous avons peut durer un jour ou deux. Jusqu'à présent, ils n'ont pas réussi, mais ils m'assurent qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Je suis inquiet.

 

Ma sœur décide de réduire la quantité de nourriture et de friandises qu'elle donne aux chats. Leur nourriture et leurs affaires occupaient la plus grande place dans les sacs que nous avons emportés, mais elle dit que nous ne savons pas combien de temps cette situation va durer, et que nous devons en garder le plus possible.

 

Les chats commencent à miauler et à aller chercher une friandise dans le sac. Au début, elle refuse de leur donner quoi que ce soit, puis elle cède et leur donne des friandises.

22 heures. Je m'allonge sur le canapé pour compter mes bénédictions de la journée. Je me souviens que mon chat a sauté sur mon ventre et s'est mis à ronronner ; Ahmad m'a dit qu'un commerçant vendait des produits à des prix plus bas pour ceux qui ont été évacués parce qu'il veut aider ; j'ai vu une courte vidéo d'enfants gazaouis nageant dans la mer ; et - oh, je suis toujours en vie.

Des équipes de recherche et de sauvetage participent aux efforts de sauvetage des civils piégés sous les décombres après une frappe aérienne israélienne à Khan Younis, à Gaza. Photo : Anadolu Agency/Getty Images

 

Samedi 21 octobre

 

8h. L'explosion de ce matin a été si forte que j'ai littéralement senti mon corps se soulever au-dessus du canapé sur lequel j'étais allongé.

 

La maison visée était à quelques mètres de là. Je me réveille, terrifié, essayant d'aller chercher les chats avec ma sœur, mais cette fois, je n'y arrive pas. Mes oreilles bourdonnent si fort que je n'arrive pas à me concentrer. Je n'arrive pas non plus à garder l'équilibre.

 

Ma sœur prend les chats et nous nous asseyons sur les canapés, comme d'habitude, en attendant un signal pour bouger. Quelques minutes plus tard, elle ouvre la porte du balcon et nous ne voyons rien à cause e la poussière. Plus tard, Ahmad va voir ce qui se passe. Ahmad - un Ahmad enthousiaste et positif - revient en se couvrant le corps de ses propres mains, comme s'il essayait de se serrer dans ses bras. Il a l'air perdu... il a peur.

 

Combien de temps ce cauchemar va-t-il durer ? Combien de temps ?

 

9 heures. La plupart des fenêtres de la maison de la famille d'accueil sont brisées à cause des bombardements. En ouvrant la porte des toilettes, je me rends compte que la fenêtre de taille moyenne qui s'y trouvait est tombée, laissant une immense surface rectangulaire de lumière et laissant apparaître la fenêtre de l'immeuble voisin. Je fais marche arrière et je reviens. Le grand-père me dit : “Entre et fais ce que tu as à faire. Je te promets que personne ne regardera”. Je refuse poliment, en disant que j'attendrai que ce soit couvert.

 

Il y a beaucoup de choses nouvelles auxquelles je me suis forcé à m'habituer depuis que cette horrible situation a commencé, mais me soulager dans un endroit ouvert où les gens peuvent regarder n'en fait pas partie.

 

Midi. J'ai l'occasion de parler à mon amie pour prendre de ses nouvelles après cinq jours de tentatives infructueuses. Elle me dit qu'elle, qui a évacué sa maison et vit dans la peur avec ses enfants, s'est portée volontaire pour prendre des nouvelles de tous ses collègues afin de leur apporter un soutien émotionnel. Je n'arrive pas à la croire. Est-elle capable d'absorber toute l'énergie négative des autres, a-t-elle tout ce qu'il faut pour qu'ils se sentent plus forts ? Je me demande, à Gaza, qui aide ceux qui aident ? Ceux qui essaient d'apporter un petit changement positif.

 

Je reçois également un message d'une amie à l'étranger qui me dit qu'elle est stupéfaite de ma résilience et de ma force. Qui lui a dit cela ? Faire de son mieux pour survivre n'est pas de la résilience. J'aime et je veux vivre la vie au maximum. Je veux voyager, écouter de la musique, apprendre de nouvelles cultures. Je ne veux pas courir pour sauver ma vie. Je ne veux pas prier chaque jour pour voir le soleil de la prochaine journée. Je ne suis pas résilient. Je suis faible, je suis vulnérable. Mais je veux vivre.

 

À Gaza, pour certains, il est tabou de chercher un soutien psychosocial, les gens préfèrent vivre dans la honte plutôt que de parler ouvertement de leurs problèmes. D'autres sont tellement occupés à subvenir aux besoins de leur famille qu'ils ne peuvent même pas envisager de prendre soin d'eux-mêmes. Je crois que chaque habitant de Gaza a un besoin urgent de thérapie.

 

16 heures. Pour la première fois depuis que nous avons été évacués dans cette maison, la grand-mère n'a pas préparé le déjeuner. “Je suis vraiment désolée”, dit-elle. “Pour une raison quelconque, je ne peux pas cuisiner aujourd'hui”.

 

Mais tout le monde connaît la raison : cette femme forte, qui a fait de son mieux pour que sa famille et ses invités restent forts en ces temps difficiles, a peur. Elle voit la mort autour d'elle et se retrouve impuissante face à elle.

 

18 heures. Nous manquons toujours d'eau potable. Après de nombreuses tentatives, ils n'ont pu remplir que cinq bouteilles.

 

Ils nous en donnent une, à ma sœur et à moi, mais nous la rendons. Nous avons encore deux bouteilles avec nous, et ils en profiteront davantage. Je crains qu'il n'y ait bientôt plus d'eau potable.

 

20 heures. Assis sur le canapé, ne se concentrant sur rien, entendant de temps à autre des bombes, ma sœur et Ahmad entament une conversation sur le théâtre. Ils parlent de l'histoire du théâtre dans le monde arabe et des pièces les plus emblématiques qui ont marqué la culture et les perspectives du public. Ils partagent leurs recommandations sur leurs pièces préférées.

 

J'admire la façon dont ils apprécient une discussion normale que n'importe quelle personne dans le monde pourrait avoir.

Je repense à une conversation que j'ai eue plus tôt dans la journée avec l'une des enfants. Elle m'a demandé si je pouvais avoir un superpouvoir, lequel serait-il ? Je lui ai répondu que j'aimerais être invisible. J'ai changé d'avis - je veux le superpouvoir d'être normal, de vivre une vie banale et de discuter de sujets quotidiens.

       

Un âne blessé près de maisons et de bâtiments détruits par les frappes israéliennes, à Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza. Photo : Reuters

 

21/10/2023

AMIRA HASS
Sans eau ni électricité en provenance d'Israël, les habitants de Gaza risquent la déshydratation et les maladies

Amira Hass, Haaretz, 18/10/2023
Traduit par Fausto Giudice,
Tlaxcala

Même en « temps normal », 90 % de l’eau du robinet de Gaza est impropre à la consommation, et la situation empire en temps de guerre.

 

Des Palestiniens collectent de l’eau dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, pendant les bombardements israéliens du mardi 17 octobre 2023. Photo : Hatem Moussa /AP

La famille de mon amie M. a décidé de ne pas fuir vers le sud, mais de rester dans sa maison du quartier de Tel al-Hawa, dans la ville de Gaza. Ils n’ont nulle part où aller dans le sud, personne avec qui être, m’a dit M..

Il est également difficile de partir avec une mère âgée et un fils handicapé en fauteuil roulant, et de vivre avec eux dans l’une des écoles gérées par l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine), transformées en refuges pour des centaines de milliers de personnes.

Selon les estimations de l’ONU, plus d’un million de personnes ont été déracinées de leurs maisons et ont fui vers la partie sud de la bande de Gaza, en raison des bombardements directs, suivis de l’annonce par l’armée israélienne de l’obligation d’évacuer les lieux. Mais il reste encore un nombre inconnu de familles qui, comme celle de M., ont décidé de ne pas quitter la partie nord de la bande et de rester chez elles. Certaines d’entre elles sont allées chercher refuge dans les hôpitaux de Gaza, m’a écrit M., un jour avant que l’hôpital Al Ahli ne soit touché.

« Ce soir, nous avons été sauvés d’une trentaine de bombes et de missiles lancés sur le quartier », m’a-t-elle envoyé par texto le matin du 16 octobre, avant de poursuivre : « La Hajja (la mère de M.) dit : ‘Dieu soit loué, nous avons encore une goutte d’eau à boire’ ».

 

Des Palestiniens collectent de l’eau dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, pendant les bombardements israéliens, le 17 octobre 2023. Photo : AP Photo/Ali Mohmoud

Même en temps « normal », la bande de Gaza souffre d’une pénurie d’eau chronique. Environ 90 % de l’eau des robinets n’est pas potable. La majorité des 2,2 millions d’habitants dépendent de l’eau qui a été dessalée et purifiée dans des installations spéciales et qui est vendue ou distribuée dans des conteneurs et à des fontaines spéciales dans les villes. Seule une petite catégorie de personnes peut se permettre d’acheter de l’eau minérale en bouteille.

La situation s’aggrave pendant les guerres. Aujourd’hui en particulier, outre le danger physique que représentent à chaque instant les bombardements israéliens, outre la terreur, le deuil et la crainte constante du sort des parents et des amis, la soif et la conscience de la nécessité de boire avec parcimonie sont constamment présentes à l’esprit de chacun des habitants de la bande de Gaza.

L’annonce par Israël que « l’approvisionnement en eau du sud de la bande a été renouvelé », à la demande des USA, environ une semaine après que le ministre de l’énergie, Israel Katz, a ordonné l’arrêt de toutes les fournitures d’électricité, d’eau et de carburant, a donné l’impression erronée qu’il s’agissait d’un geste significatif. Mais ce n’est pas le cas.


Des Palestiniens transportent leurs bouteilles d’eau après que les autorités israéliennes ont cessé de leur fournir de l’électricité, de l’eau et de la nourriture, dans la bande de Gaza, le 17 octobre 2023. Photo : Ali Jadallah / Anadolu via AFP

La consommation annuelle d’eau à Gaza est d’environ 110 millions de mètres cubes. Selon Gisha, le centre des droits de l’homme qui se concentre sur la situation à Gaza et qui est en contact permanent avec les services des eaux des villes de Gaza, cela représente environ 85 % de la quantité nécessaire aux besoins humains.

Cette eau provient de trois sources. La première est l’aquifère côtier, dont environ 85 millions de mètres cubes sont pompés chaque année grâce à quelque 300 forages et puits. Il s’agit du seul réservoir d’eau de la bande de Gaza et il est pompé à l’excès depuis des décennies, en raison de la croissance démographique. Cet aquifère est contaminé par l’eau de mer et l’intrusion d’eaux usées ; son eau n’est donc pas potable et doit être purifiée. Dans de nombreux endroits, elle n’est même pas propre à la toilette. Très peu de personnes peuvent se permettre de se laver avec de l’eau purifiée achetée.

Une deuxième source est constituée par trois stations de dessalement de l’eau de mer établies grâce aux dons de la communauté internationale et en collaboration avec l’Autorité palestinienne. Elles produisent environ 8 millions de mètres cubes d’eau par an et, en temps normal, approvisionnent environ 300 000 personnes dans la bande de Gaza.

Des enfants palestiniens remplissent des récipients d’eau provenant de robinets publics pendant le conflit avec Israël à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 11 octobre 2023.Photo : REUTERS/Ibraheem Abu Mustafa

La troisième source est l’eau de la compagnie nationale israélienne Mekorot. L’Autorité palestinienne la paie (par le biais d’une déduction automatique des frais de douane qu’Israël applique aux marchandises importées destinées à la zone palestinienne). Il y a environ deux ans, la quantité achetée était de 15 millions de mètres cubes par an et, selon Gisha, à la veille de la guerre, la quantité est passée à environ 18 millions de mètres cubes par an.

Mais l’utilisation de ces trois sources d’eau dépend d’un approvisionnement régulier en électricité et de la constitution de stocks de carburant pour faire fonctionner les générateurs. Par conséquent, même en temps « normal » l’approvisionnement en eau est irrégulier et n’est pas quotidien, car l’approvisionnement en électricité ne répond pas non plus aux besoins de la bande de Gaza. Israël vend à la bande 120 mégawatts d’électricité par jour.

Cet approvisionnement a été interrompu sur les instructions de Katz dès le début de la guerre. La centrale électrique locale, qui dépend du carburant, produit 60 mégawatts supplémentaires par jour et a cessé de fonctionner à la fin de la semaine dernière. Le carburant utilisé par les propriétaires des grands générateurs de quartier, qui fournissaient de l’électricité pendant plusieurs heures par jour, est épuisé. (Les besoins quotidiens totaux de la bande de Gaza sont d’environ 500 mégawatts).

Les trois installations de dessalement de l’eau de mer ont également fermé, faute de carburant et d’électricité - la dernière a fermé dimanche, selon le rapport de l’ONU. Plusieurs installations privées ou publiques de purification de l’eau disposent peut-être encore d’un stock de diesel pour leurs générateurs, mais il sera lui aussi épuisé d’ici quelques jours, voire quelques heures.

Quant aux camions qui livrent l’eau purifiée encore disponible, ils ont de plus en plus de mal à atteindre les quartiers résidentiels car les routes sont bombardées. L’agence de presse AP a rapporté qu’en l’absence d’électricité, la plupart des zones n’ont pas d’eau courante, et l’eau qui coule du robinet environ 30 minutes par jour est une eau salée, contaminée et impropre à la consommation. Les gens achètent encore de l’eau dans les stations d’approvisionnement municipales, mais celle-ci se raréfie également. Les bouteilles d’eau purifiée des magasins encore ouverts s’épuisent.

Des Palestiniens se rassemblent pour collecter de l’eau, dans un contexte de pénurie d’eau potable, à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 octobre 2023.Photo : Mohammed Salem/REUTERS

Les Nations unies ont confirmé que Mekorot avait repris l’acheminement de l’eau vers la station de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. Gisha dit ne pas savoir combien d’eau il y a, mais il n’y a aucun moyen de savoir quelle part de cette quantité limitée atteint même les habitants, alors qu’il n’y a ni électricité ni carburant. Tout cela est d’autant plus grave que les infrastructures hydrauliques ont été endommagées par les bombardements.

Étant donné que la plupart des habitants du nord de la bande s’entassent dans le sud par tous les moyens possibles, la quantité d’eau qui se trouve dans les infrastructures, ou que les familles stockaient dans des conteneurs sur le toit ou dans des jerricans dans la maison avant la guerre, doit servir à deux fois plus de personnes. Dans les écoles et les bâtiments publics où s’entassent des centaines de déracinés du nord, le problème est bien plus grave.

En raison du manque d’eau courante et de la promiscuité qui règne dans toutes les maisons et tous les bâtiments publics remplis de réfugiés, les gens essaient d’utiliser les toilettes le moins possible. C’est aussi une raison pour boire moins.

Les habitants disent qu’ils essaient de boire environ un demi-litre par jour. Les gens se douchent au maximum une fois par semaine. Dans les bâtiments publics, il est également impossible de se doucher. En l’absence d’eau purifiée en quantité suffisante, les hôpitaux sont obligés de nettoyer les plaies avec de l’eau salée et polluée (quand il y en a).

Les installations de traitement des eaux usées fermeront également bientôt, si ce n’est déjà fait, et les quantités d’eaux usées qui s’accumuleront et créeront des lacs dans la bande et se déverseront dans la mer augmenteront le risque de maladies et d’épidémies. C’est pourquoi le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a qualifié la crise actuelle de l’eau dans la bande de Gaza de question de vie ou de mort. En début de semaine, il a prévenu que si le carburant et l’eau ne parvenaient pas rapidement dans la bande de Gaza, « les gens commenceraient à mourir de déshydratation sévère ».