La campagne
de harcèlement contre le ministre de la Défense Yoav Gallant s’est intensifiée
cette semaine, mais il n’a pas l’intention de démissionner ■ Cette semaine pourrait
bien rester dans les mémoires comme celle où Netanyahou a renoncé à la récupération des
otages ■ Ben-Gvir et Smotrich ne
se laissent pas intimider par la menace d’une guerre régionale qui engloberait la
Cisjordanie ; au contraire, ils aspirent à l’Armageddon
Yossi
Verter, Haaretz, 6/9/2024
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Illustration
: Amos Biderman
Ce samedi,
Yoav Gallant fête son onzième mois en tant que ministre de la défense au cours
d’une guerre effroyable comme Israël n’en a jamais connue. Ce n’est pas le seul
événement auquel son nom sera associé dans les années et les décennies à venir,
lorsque les élèves apprendront le massacre du 7 octobre, les échecs qui l’ont
précédé et la guerre qui s’en est suivie.
Les élèves
apprendront que le ministre de la défense - un illustre ancien général - a été
le seul ministre d’un gouvernement d’échec à se préoccuper du sort
des otages retenus à Gaza. Ils apprendront qu’il a été le seul à se battre
pour leur retour face à un Premier ministre cynique et indifférent et à ses
collègues apeurés, pour lesquels le terme de lemming est trop gentil.
Ils
apprendront que, malgré son rôle dans les échecs précédents, le public lui
faisait grandement confiance et qu’il était en conflit permanent avec le
premier ministre (comme tous les autres ministres de la défense qui ont servi
sous Netanyahou). Dans les livres, ils liront qu’à certains moments, il
semblait que se débarrasser du ministre de la défense était l’un
des objectifs de Netanyahou pour la guerre. Cela aurait-il pu être le cas ?
Ils se poseront la question avec incrédulité.
Les
membres de la coalition Shalom Danino, à gauche, David Amsalem, David Biton et
Simcha Rothman à la Knesset le mois dernier. Photo Olivier Fitoussi
La semaine
dernière, la campagne de harcèlement organisée contre Gallant s’est
intensifiée. Lors d’une conférence de presse, Netanyahou a présenté une note
écrite en arabe qui avait été trouvée à Gaza par des troupes en janvier et qui
avait été rapportée par Channel 12 News : elle contenait des
directives pour mener une guerre psychologique contre Israël. L’une des
sections stipulait qu’il fallait augmenter la « pression psychologique sur
Gallant ».
Au même
moment - et ce n’est pas une coïncidence - quatre députés du Likoud à la
Knesset ont envoyé une lettre au premier ministre pour lui demander de
renvoyer l’ensemble de la direction des Forces de défense israéliennes et
le ministre de la défense avec elle « avant d’entamer la guerre au Liban ». D’autres
députés marginaux comme Moshe Saada et Nissim Vaturi ainsi que le ministre du
Venin [des Communications, NdT] Shlomo Karhi se sont joints à eux. Ils ont
affirmé que Gallant est faible, qu’il représente l’opposition et qu’il doit
partir.
Personne au
sein du parti ou du cabinet n’a pris la défense de Gallant. Même les
collaborateurs du ministre admettent que la situation n’est pas bonne. Le
discours sur sa faiblesse risque de s’amplifier. Entre-temps, il continue de
jouir de la confiance de la population [israélienne juive, NdT] qui,
dans sa grande majorité, refuse d’avaler les pilules empoisonnées. Grâce à l’opinion
publique, Gallant n’a pas été poussé vers la sortie, même s’il a « adopté le récit du Hamas », pour citer
Netanyahou.
Le
ministre de la Justice Yariv Levin, le ministre de la Défense Yoav Gallant et
Benjamin Netanyahou à la Knesset en février. Photo Olivier Fitoussi
Il a été
demandé à Gallant de convoquer une conférence de presse et de présenter son
cas, mais ce serait peut-être aller trop loin. Cela reviendrait à provoquer
directement Netanyahou et, contrairement à ce que l’on pense, Gallant ne « veut
pas être viré ». Il est convaincu que sans lui, un larbin de Netanyahou sera
installé dans le bureau du ministre de la défense au 14ème étage du
quartier général de la défense à Tel Aviv. Cela pourrait profiter à Netanyahou
personnellement, mais ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la
guerre, et certainement pas l’objectif que Gallant considère comme le plus
important : sauver la vie des otages.
« Tout ce
qui a été réalisé à Gaza peut être revendiqué, à l’exception de la vie des
otages », dit Gallant aux personnes qu’il rencontre en privé et au cabinet. «
Si nous ne concluons pas un accord maintenant, non seulement nous les perdrons,
car ils mourront s’ils restent là-bas, mais nous continuerons à nous battre à
Gaza et nous ne serons pas en mesure de traiter avec le Liban, que ce soit par
le biais d’un accord ou d’une opération militaire ».
C’est
pourquoi il a demandé à Netanyahou de réunir le cabinet il y a une semaine, au
cours de laquelle Gallant a présenté son « carrefour
stratégique »: l’escalade ou l’accord. « Comprenez ce sur quoi vous votez
», a dit Gallant aux ministres. « Si vous choisissez l’escalade, nous risquons
de nous retrouver dans une guerre régionale ».
Le reste
appartient à l’histoire. Après de longues heures de discussions que plusieurs
participants ont qualifiées de sérieuses et approfondies, le premier ministre a
demandé un vote sur le maintien de Tsahal dans le corridor de Philadelphie (son
« Masada », selon les associés de Gallant). L’objectif, selon l’entourage du
ministre de la défense, était de détourner l’attention du carrefour
stratégique, moins confortable pour Netanyahou, et de l’orienter vers le
corridor. C’est le roc de notre existence, ai-je écrit dimanche avec sarcasme.
Mais soyons clairs : c’est le roc de l’existence (politique) de Netanyahou.
Netanyahou
en conférence de presse, mercredi. Photo Ohad Zwigenberg/AP
L’embuscade
du cabinet a donné lieu à deux conférences de presse de Netanyahou, l’une en hébreu et l’autre en anglais,
consacrées à l’importance de la route Philadelphie. Netanyahou est premier
ministre depuis 2009. Il a présidé trois opérations militaires à Gaza, s’est
catégoriquement opposé à la prise du corridor, n’a pas exigé que les FDI s’en
emparent au début de l’opération terrestre actuelle et, pendant des années, a
approuvé le transfert de milliards de shekels au Hamas dans le but de le
renforcer. Il explique maintenant au monde entier, par le biais d’une multitude
de présentations et de documents, pourquoi cette bande de sable garantit l’existence
d’Israël et que, sans elle, le massacre du 7 octobre se reproduira encore et
encore.
Si le sens
de cette farce n’était pas si triste - les derniers espoirs d’une prise d’otages
s’amenuisant - nous serions morts de rire.
Gallant
connaît la vérité : Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich détiennent le droit de
veto sur toute mesure considérée comme un retrait des FDI de la bande de Gaza.
Ils ne peuvent pas non plus être effrayés par l’idée d’une guerre régionale impliquant la Cisjordanie.
Au contraire, ils aspirent à l’apocalypse. C’est leur rêve. À une autre époque,
avec d’autres partenaires et sans qu’un procès pour corruption ne plane sur
lui, Netanyahou aurait agi différemment. Aujourd’hui, il est leur otage.
Sa captivité
est volontaire ; d’autres otages n’ont jamais choisi leur sort.
La
mentalité du troupeau
Les
personnes qui ont rencontré Gallant cette semaine disent avoir vu un homme le cœur
est honnêtement touché par le sort des otages. Disons-le franchement : jusqu’à
ce que survienne cette tragédie nationale, nous n’aurions jamais soupçonné qu’il
était capable d’une telle humanité et d’une telle compassion. Nous l’avons
connu courageux le 25 mars 2023 lorsqu’au plus fort de la controverse sur la
réforme du système judiciaire, il a mis en garde contre le danger clair et présent pour la sécurité
nationale d’Israël (ce qui lui a valu d’être licencié puis réembauché). Au
courage et à la responsabilité dont il a fait preuve s’ajoutent désormais l’humanité
et les valeurs [sic].
Le problème
est qu’il est seul et isolé. Il est l’un des 32 membres du groupe parlementaire
du Likoud, l’un des 64 membres de la coalition. Lorsqu’on lui a demandé ce que
c’était que d’être l’animal que le troupeau expulse, Gallant a répondu
nonchalamment qu’il était plus rapide que le troupeau et que personne ne
devrait douter de son endurance, car il a subi des épreuves plus difficiles
dans sa vie, dans des endroits beaucoup plus rudes que la salle du cabinet.
Des
manifestants à Tel-Aviv jeudi ; sur la pancarte : « Les otages avant tout ».
Photo Itai Ron
Les insultes
et les humiliations qu’il y subit le laissent indifférent. Il n’a pas appris
grand-chose de Shimon Peres, mais il a adopté l’un de ses dictons : « C’est moi
qui décide par qui je suis prêt à être offensé ».
Malgré les
difficultés, il n’a pas l’intention de démissionner. Même si, à Dieu ne plaise,
les négociations sur les otages échouent, si la proposition imminente des USAméricains ne se
concrétise pas, si la situation va de mal en pis et si sa mise en garde contre
une escalade en l’absence d’un accord se vérifie, il ne démissionnera pas pour
autant. « C’est la chose la plus importante que j’ai faite ou que je ferai dans
ma vie publique », avait-il coutume de dire. « Il y a des choses importantes -
l’Iran, le Liban. J’ai une responsabilité unique. La trajectoire de ma vie m’a
amené à ce point ».
Lors de
cette fameuse réunion du cabinet, connue sous le nom de « séance de coups de
gueule », alors qu’il tentait d’empêcher Netanyahou de soumettre la question de
Philadelphie à un vote, Gallant a déclaré aux ministres : « Avec cette
décision, vous poussez [Yahya] Sinwar, le chef du Hamas, à dire : “Si c’est le
cas, il n’y a pas d’accord” ». Ils l’ont regardé d’un air absent. L’accord en
question, qui pourrait démanteler le gouvernement, les renverrait à la maison.
D’ailleurs,
cette question le concerne. Comme les autres, Gallant a également un intérêt
personnel à la survie du gouvernement. Il considère son poste de ministre de la
Défense comme le plus important de sa vie. Mais ce n’est pas la chose la plus
importante pour lui. Un drôle d’oiseau. Un excentrique.
À ses yeux, toute cette agitation autour de la route Philadelphie,
comme s’il s’agissait du Saint des Saints, est absurde. L’establishment de la
défense qu’il dirige a des réponses à toutes les objections, certainement pour
les 42 jours de la première étape de l’accord proposé qui devrait ramener plus
de 20 personnes vivantes en Israël - des jeunes femmes, des personnes âgées,
des malades et des blessés.
D’autres
manifestants à Tel Aviv jeudi. Photo Hadas Parush
Le Washington
Post a rapporté jeudi que le Hamas envisageait d’exécuter d’autres otages
afin d’exacerber les divisions en Israël et de susciter davantage de
protestations. Un responsable diplomatique affirme la même chose. Les vidéos
publiées par le Hamas sur les six otages qui ont été exécutés par la suite sont
choquantes. Les jeunes hommes et femmes sont maigres et pâles, faibles, les
yeux enfoncés dans les orbites. Comment peut-on dire que le maintien d’une
barrière terrestre est plus important que la libération immédiate des otages ?
Netanyahou,
je suis désolé de le dire, a perdu sa dernière once d’humanité il y a quelque
temps. Monstrueux,
sans cœur, têtu, Netanyahou déteste autant Gallant car la comparaison est
si peu flatteuse.
On se
souviendra peut-être de cette semaine (et on l’oubliera peut-être) comme celle
où le premier ministre israélien a déclaré au monde que l’objectif de la
guerre, à savoir le retour des otages, était à ses yeux lettre morte.
Lors de sa
rencontre avec le secrétaire d’État usaméricain Antony Blinken, il y a deux
semaines, le ministre de la défense lui a demandé : « Vous voulez que nous
mettions fin à la guerre, mais si, après 42 jours, nous sommes contraints de
reprendre le combat et que le Conseil de sécurité des Nations unies vote contre
nous, comment les USA voteront-ils ? » « Nous opposerons notre veto »,
a promis Blinken. Cela aurait dû apaiser les inquiétudes du premier ministre.
Même si Ben-Gvir et/ou Smotrich quittent la coalition pendant l’accord, ils
reviendront quand Israël reprendra la guerre.
Gallant ne
comprend pas : si les USA sont de notre
côté, comment pouvons-nous insister sur Philadelphie au prix de l’abandon
des otages ? Comment pouvons-nous agir de la sorte sur le plan moral ? Qu’en
est-il des valeurs de Tsahal ? De l’éthique israélienne ? Il sait exactement où
elles se trouvent. Sur le tas de cendres de cette coalition du désastre.
Faux
cercueils d’otages à Tel-Aviv, jeudi. Photo Itai Ron
Les
erreurs de Bibi hier et aujourd’hui
D’accord, ce
n’est plus drôle. Les erreurs de Netanyahou sur le jour où ont eu lieu les
massacres à la frontière de Gaza peuvent être considérées comme un événement
médical, psychologique ou cognitif. Appelez cela comme vous voulez, mais il n’est
pas raisonnable qu’une personne, et certainement pas un Premier ministre, ne se
souvienne pas de la pire date de l’histoire du pays.
Lors de la
journée de commémoration de l’Holocauste, il a lu un discours et a dit « 7
novembre ». Cette semaine, lors de sa conférence de presse en hébreu, il a dit
« 9 octobre ». Le lendemain, lors d’une interview accordée à Fox News, il a de
nouveau dit « 7 novembre ».
Au moins, il
n’est pas loin. En fait, il lui arrive quelque chose. Les gens qui passent du
temps avec lui disent qu’il a mauvaise mine. À la télévision, caché sous des
couches de maquillage, c’est moins visible. Ce qui est sûr, c’est que si Joe
Biden se trompait aussi souvent sur Israël, il se ferait lyncher par les
porte-parole de Bibi sur Canal 14.
Outre le
nombre croissant d’erreurs, regarder les discours de Netanyahou est également
devenu une sorte de jeu. On peut l’appeler « Le jeu du mensonge » ou « Twister », même s’il ne
s’agit pas d’une façon particulièrement stimulante de tester ses capacités
cérébrales.
Au
contraire, il est devenu plus facile de détecter les tromperies de Netanyahou.
Ses mensonges, manipulations et demi-vérités sont devenus superficiels et
maladroits. Ils ne présentent pas de véritable défi intellectuel.
Prenons l’exemple
du retrait de Gaza en 2005. Tous les consommateurs israéliens raisonnables d’informations
peuvent réciter dans leur sommeil comment Netanyahou, ministre des finances à l’époque,
a soutenu le plan d’Ariel Sharon d’évacuer les colonies de Gaza (et quatre
autres dans le nord de la Cisjordanie). Ils se souviennent des remarques de Netanyahou
à la Knesset, de son rôle dans la rédaction de la proposition au cabinet, puis
de sa volte-face et de sa démission une semaine avant que la décision de la
Knesset (pour laquelle il avait voté) n’entre en vigueur.
Manifestants
devant la résidence du premier ministre à Jérusalem, lundi. Photo Olivier Fitoussi
C’est
simple. Mais un autre détail a été négligé, et c’est le plus important en ce
qui concerne le rôle de Netanyahou dans la poursuite du désengagement.
En mai 2004,
environ 15 mois avant le retrait des forces de défense israéliennes, le Likoud
de Sharon a sondé les militants pour savoir s’ils soutenaient le plan.
Netanyahou - et les médias s’en sont fait l’écho - a annoncé qu’il voterait en
faveur du plan. L’hypothèse était qu’il s’agissait d’une affaire réglée et que
la plupart des membres du parti voteraient en faveur du plan. Mais ce ne fut
pas le cas : 60 % des députés se sont opposés au retrait. Sharon subit une
défaite humiliante.
Sharon a
promis qu’il respecterait le vote du parti, mais quelques heures après l’annonce
des résultats, il a clairement fait savoir qu’il ne le ferait pas. Un démocrate
?
Le moment
était venu pour Netanyahou de contrecarrer le retrait. Quoi de plus légitime
que de dire : « Le parti a voté contre, nous représentons un mouvement et nous
devons respecter sa décision. » Mais même là, alors qu’un cadeau tombait du
ciel, Netanyahou n’a rien fait.
D’accord, ce
n’est pas tout à fait exact. Netanyahou a fait quelques remarques indécises, et
c’est ainsi qu’a commencé une farce qui a été appelée plus tard « l’affaire
Livni ». La ministre du logement, Tzipi Livni, s’est interposée entre lui,
Sharon et plusieurs ministres indécis, et a rédigé un document évoquant un
retrait par « étapes », avec une évaluation de la situation à l’issue de
chacune d’entre elles.
Au sein du
cabinet, Netanyahou et ses amis ont voté en faveur de ce document. Plus tard,
Sharon a rejeté le plan de Livni. Mais même à ce moment-là, Netanyahou est
resté silencieux. Toutes les raisons qu’il a invoquées cette semaine pour
démissionner du gouvernement Sharon existaient depuis de nombreux mois avant qu’il
n’agisse, et chaque fois qu’il a soutenu un retrait.
Une semaine
avant l’évacuation elle-même, un de ses proches conseillers m’a appelé le matin
de la réunion du cabinet. « Bibi est en route pour la réunion avec sa démission
plus tard », m’a-t-il chuchoté.
« Pourquoi ? »
lui ai-je demandé.
« Il est
paniqué. Les sondages montrent qu’Uzi
Landau* le devance dans la course à la direction du Likoud. »
Non, ce ne
sont pas les armes passées en contrebande sur la route Philadelphie qui l’ont
fait changer d’avis. C’était juste un Uzi.
NdT
*Uzi
Landau (81 ans) est un caméléon bien représentatif de la caste politico-militaire
israélienne. Il a été député et ministre un nombre conséquent de fois, outre d’avoir
présidé l’entreprise militaire Rafael. Il s’est promené au fil des années entre
le Likoud et Yisrael Beiteinu (Avigdor Liberman), le parti « russe »
disputant l’héritage révisionniste de Jabotinsky au Likoud.