01/08/2025

GIDEON LEVY
Ce n’est pas juste une guerre, c’est un génocide, et il est commis en notre nom

Gideon Levy, Haaretz, 30/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Deux importantes organisations israéliennes de défense des droits humains ont nommé ce que d’autres continuent de nier : la campagne menée à Gaza n’est pas seulement brutale ou disproportionnée, elle vise délibérément à détruire un peuple. Les preuves sont accablantes, l’intention indéniable et le silence complice.


Un journaliste montre le résumé du rapport « Notre génocide » publié par B’Tselem lors d’une conférence de presse à Jérusalem, lundi. Photo Maya Alleruzzo/AP

Le moment est venu. Il n’est plus possible de tourner autour du pot et d’éviter de donner une réponse. Nous ne pouvons plus nous cacher, éluder, marmonner, apaiser et obscurcir. Nous ne pouvons pas non plus nous accrocher à des sophismes juridiques sur la « question de l’intention » ou attendre la décision de la Cour internationale de justice de La Haye, qui ne sera peut-être rendue que lorsqu’il sera trop tard.

Il est déjà trop tard. C’est pourquoi le moment est venu d’appeler l’horreur par son nom – et son nom complet est génocide, l’extermination d’un peuple. Il n’y a pas d’autre façon de le décrire. Sous nos yeux horrifiés, Israël commet un génocide dans la bande de Gaza. Cela n’a pas commencé aujourd’hui, cela a commencé en 1948. Mais aujourd’hui, les preuves sont suffisantes pour appeler par son nom monstrueux ce qui se passe dans la bande de Gaza.

C’est un moment de désespoir, mais aussi de libération. Nous n’avons plus besoin d’éviter la vérité. Lundi, dans le sous-sol d’un hôtel de Jérusalem-Est, deux importantes organisations israéliennes de défense des droits humains ont annoncé que les dés étaient jetés. B’Tselem et Physicians for Human Rights ont déclaré qu’elles étaient parvenues à la conclusion qu’Israël commettait un génocide. Elles l’ont fait devant des dizaines de journalistes du monde entier et une représentation honteusement clairsemée des médias israéliens.

D’une fiabilité et d’un courage incomparables, ils ont franchi une étape historique. Il était évident que leurs porte-parole n’avaient pas la tâche facile. Le malaise était palpable dans la salle de conférence.

B’Tselem a intitulé son rapport « Notre génocide » – et c’est bien d’un génocide qu’il s’agit, et c’est le nôtre. Cette déclaration dramatique a été accueillie en Israël avec un mépris quasi total. Mais cela aussi prouve la gravité de la situation. Le génocide est presque toujours nié par ceux qui le commettent.

La signification est grave. Vivre dans un pays dont les soldats commettent un génocide est une tache indélébile, un visage déformé qui nous regarde dans le miroir, un défi personnel pour chaque Israélien. Ce terme soulève de profondes questions sur le pays et notre part dans ce crime. Il nous rappelle d’où nous venons et soulève des questions difficiles sur notre avenir. Le plus facile maintenant, c’est la charge de la preuve. La confirmation juridique viendra peut-être de La Haye, mais les preuves morales s’accumulent chaque jour.

Un enfant palestinien souffrant de malnutrition dans le camp d’Al-Shati à Gaza, la semaine dernière. Photo Jehad Alshrafi/AP

Depuis des mois, les rares personnes en Israël qui voient dans la bande de Gaza une question d’intention souffrent. Israël a-t-il vraiment l’intention de commettre un génocide, ou a-t-il peut-être provoqué ces résultats sans le vouloir ? Cette question est désormais superflue. Ce n’est pas le nombre de morts et l’ampleur des destructions qui l’ont fait disparaître de l’ordre du jour, mais la manière systématique dont elles sont perpétrées.

Lorsque vous détruisez 33 hôpitaux sur 35, l’intention est claire et le débat clos. Lorsque vous effacez systématiquement des quartiers, des villages et des villes entiers, les doutes quant à vos intentions n’ont plus lieu d’être. Lorsque vous tuez chaque jour des dizaines de personnes qui font la queue pour obtenir de la nourriture, la méthode a été prouvée sans l’ombre d’un doute. Lorsque vous utilisez la famine comme arme, il n’y a plus aucun doute possible.

Il ne manque plus rien pour comprendre que ce qui se passe à Gaza n’est pas le dommage collatéral d’une guerre horrible, mais bien l’objectif. La famine, la destruction et la mort à grande échelle sont le but, et de là, le chemin vers la conclusion est court : le génocide.

Israël a clairement l’intention de détruire la société palestinienne dans la bande de Gaza, de la rendre invivable. Il a l’intention de la nettoyer ethniquement, que ce soit par le génocide ou le transfert de population, de préférence les deux.

Manifestation organisée par Standing Together à Tel Aviv la semaine dernière. Photo Tomer Appelbaum

Cela ne signifie pas que la cabale aboutira complètement, mais elle va dans le sens de cette solution absolue. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, père de cette cabale et son principal exécutant, l’appelle « victoire totale », et cette victoire est le génocide et le transfert de population. Netanyahu et son gouvernement ne feront aucun compromis. Pendant ce temps, les partis juifs de l’opposition n’ont personne qui s’y oppose vraiment.

Israël n’a plus personne pour arrêter cette marche vers le génocide ; il n’y a que ceux qui l’ignorent. Aussi effrayant que cela puisse paraître, le danger existe que cela ne s’arrête pas à Gaza. Ils ont déjà mis en place l’infrastructure idéologique et opérationnelle nécessaire à cet effet en Cisjordanie. Les citoyens arabes d’Israël pourraient bien être les prochains sur la liste. Il n’y a personne pour l’arrêter, et nous devons l’arrêter.

➤Lire le rapport de B'Tselem en français

31/07/2025

ARIK ASCHERMAN
Si des Israéliens et des Juifs n’agissent pas maintenant, nous sommes complices : voici comment mettre fin à la famine à Gaza

Rabbin Arik Ascherman, Haaretz, 30/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le rabbin Arik Ascherman (Erié, Pennsylvanie, USA, 1959) a dirigé l’organisation Rabbins pour les droits humains pendant 21 ans et est cofondateur et directeur exécutif de Torat Tzedek - Torah de Justice.

 

Nous, Israéliens et Juifs de l’étranger, sommes tous responsables de ce que notre gouvernement fait subir aux Palestiniens à Gaza. C’est pourquoi nous devons exiger la seule mesure efficace qui reste, celle que le gouvernement Netanyahou ne peut ignorer

« Arrêtez d’affamer Gaza » : manifestants à Tel Aviv. Photo Itai Ron

Il est difficile ces jours-ci de ne pas se demander « en faisons-nous assez alors qu’Israël affame à mort les Palestiniens à Gaza ? »

Mais que pouvons-nous faire alors que l’opinion publique a si peu d’importance pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou et son gouvernement ? Je me sens impuissant. Lorsque je participe à des manifestations pour obtenir la libération de nos otages détenus par le Hamas et mettre fin à la guerre à Gaza, je sais que je soutiens les familles des otages et que je plaide pour la fin des morts absurdes de soldats israéliens à Gaza, mais je ne fais pas grand-chose pour changer la politique du gouvernement. En même temps, je suis rempli d’angoisse quand je pense au nombre d’Israéliens qui se soucient légitimement de nos otages et de nos soldats, mais qui ne se soucient guère des milliers d’enfants morts à Gaza et des milliers d’autres qui meurent de faim.

Je comprends les raisons tactiques qui poussent beaucoup de gens à concentrer leurs protestations sur le sort de leurs compatriotes juifs. Mais aujourd’hui, alors que des gens meurent de faim à cause de la politique israélienne, ce n’est plus une option.

Toutes les personnes de conscience doivent dire clairement et publiquement qu’elles s’opposent à causer davantage de souffrances et de morts aux enfants de Gaza et aux autres non-combattants. La tradition juive enseigne qu’il existe une ligne rouge à ne pas franchir, même en cas de légitime défense : le traité Sanhédrin nous interdit de tuer des innocents, même si c’est pour sauver notre propre vie.

Jusqu’à présent, je me suis dit que même si les horreurs sont encore plus grandes à Gaza que là où je passe mes journées à travailler avec Torat Tzedek pour protéger les communautés de bergers palestiniens de Cisjordanie menacées par des colons violents et pour lutter pour le retour de ceux qui ont déjà été expulsés par le système judiciaire, je dois continuer à me concentrer là où mes actions ont au moins une chance limitée de réussir.

Mais je ne peux plus rationaliser notre travail ailleurs comme une excuse pour rester silencieux sur Gaza.

Je me suis toujours demandé ce qui, historiquement, avait empêché les gens de s’opposer aux actions malveillantes de leur gouvernement. Après coup, ils peuvent dire qu’ils ne connaissaient pas l’ampleur du problème ou qu’ils s’y étaient toujours opposés, même si c’était en silence. La tradition juive nous enseigne que Noé était furieux contre Dieu lorsqu’il est sorti de son arche après le déluge et a vu la mort et la destruction. Dieu l’a réprimandé en lui disant : « Pendant 60 ans, tu as construit l’arche sans prononcer un mot de protestation. Et maintenant, tu es en colère ? »

Dans les dictatures oppressives, les gens risquent leur vie pour s’opposer à la politique. En Israël, c’est rarement le cas. Et comme nous l’a enseigné le rabbin Abraham Joshua Heschel, « dans une société libre, certains sont coupables, mais tous sont responsables ».

Nous, Israéliens, sommes tous responsables de ce que fait notre gouvernement. Les Juifs vivant à l’étranger qui ont un sentiment d’appartenance à Israël et au peuple juif partagent également cette responsabilité. Que pouvons-nous faire, en tant que citoyens, face à un gouvernement qui refuse de changer sa politique alors que des milliers d’Israéliens manifestent chaque semaine dans les rues ?

Noé aurait peut-être pu empêcher le déluge s’il avait discuté avec Dieu, mais dans notre cas, les protestations se sont avérées insuffisantes.

C’est pourquoi nous devons exiger les seules mesures efficaces qui restent, celles que notre gouvernement ne peut ignorer. Nous devons appeler à une grève générale de toute l’économie israélienne, menée par l’Histadrout*. Il ne peut y avoir de retour à la normale tant que nous affamons la population de Gaza.


Un jeune Palestinien tient une boîte de pois chiches provenant d’un colis humanitaire largué depuis un avion, alors que la famine sévit à Zawayda, dans le centre de la bande de Gaza. Photo  Hatem Khaled / Reuters

L’Histadrout doit prendre l’initiative, mais il n’y a pas de temps à perdre. Tous les commerçants et tous les propriétaires de petites ou grandes entreprises doivent fermer leurs portes. Les dirigeants de cinq universités ont désormais déclaré leur opposition, et ils doivent passer à l’action en faisant grève et en fermant leurs portes. Tous les services non essentiels qui peuvent être fermés doivent l’être.

Ceux d’entre vous qui vivent à l’étranger doivent informer l’Agence juive et vos fédérations juives que vous placez vos contributions prévues dans un fonds bloqué. Que vous souhaitez soutenir Israël, mais pas tant qu’Israël continuera à laisser mourir de faim des enfants.

Je comprends ce qui motive tant d’Israéliens. Nous avons le droit de nous défendre et d’assurer notre sécurité. Mais il ne s’agit pas d’un débat entre ceux qui croient en la légitime défense et ceux qui n’y croient pas, il s’agit aussi de se soucier des non-juifs. C’est un débat entre ceux qui pensent que l’on peut justifier de laisser mourir de faim des enfants au nom de la légitime défense et ceux qui savent que rien ne peut justifier de laisser mourir des enfants de faim.

Nous voulons tous pouvoir dire à nos enfants et petits-enfants que nous avons fait quelque chose d’important lorsque notre peuple a réagi de manière immorale. Comme le dit l’interprétation rabbinique du Psaume 119:126, « Il est temps de violer ta Torah pour agir au nom de Dieu. »

Que direz-vous à vos enfants et petits-enfants lorsque nous sortirons de l’arche et verrons ce que nous avons fait ? Que direz-vous à Dieu lorsque vous arriverez devant le tribunal céleste ? Que vous direz-vous à vous-même ?

NdT

*L'Histadrout, créée en 1920, se présente comme un syndicat de travailleurs juifs. Elle s'est toujours opposée à l'adhésion de travailleurs non-juifs. Depuis sa fondation, elle a fonctionné de fait comme un bureau de travail juif et a fourni la base des partis travaillistes. Ayant connu un fort déclin, parallèlement à celui de la "gauche" sioniste, il y a peu de chances qu'elle suive les conseils de notre brave rabbin et entre en dissidence. Il n'est pas interdit de rêver.

TikTok recrute une ancienne instructrice de l’armée israélienne comme responsable de la lutte contre les “discours de haine”, suscitant de vives réactions

 MEE, 29/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Erica Mindel, ancienne contractuelle du département d’État usaméricain, dirigera la politique de TikTok en matière de discours de haine, en se concentrant sur les contenus antisémites

La nouvelle recrue de TikTok chargée de superviser les politiques de lutte contre les discours de haine sur l’application entretient des liens de longue date avec l’armée israélienne, a confirmé lundi l’entreprise à Jewish Insider.

La plateforme de médias sociaux a annoncé qu’Erica Mindel, une ancienne contractuelle du département d’État usaméricain qui a travaillé pour l’ambassadrice Deborah Lipstadt, envoyée spéciale de l’administration Biden pour surveiller et combattre l’antisémitisme, rejoindra l’équipe chargée des politiques publiques et des discours de haine de TikTok aux USA.

Selon la description officielle du poste partagée par TikTok, Mme Mindel sera chargée de « développer et de promouvoir la position de l’entreprise sur les discours de haine », d’« influencer les cadres législatifs et réglementaires » et d’« analyser les tendances en matière de discours de haine », en mettant particulièrement l’accent sur les contenus antisémites.

Elle a indiqué sur sa page que son nouveau poste chez TikTok était celui de « responsable des politiques publiques, discours de haine, chez TikTok ».

 


Avant sa carrière au département d’État, Mindel était instructrice dans le corps blindé de l’unité des porte-parole de l’armée israélienne, selon les informations qu’elle a fournies lors de son passage dans un podcast de l’American Jewish Committee.

Dans le podcast, Mindel explique qu’elle s’est portée volontaire et s’est enrôlée dans l’armée israélienne, où elle a servi pendant deux ans.

De nombreux utilisateurs des réseaux sociaux ont critiqué la décision de TikTok, suggérant que la plateforme vise à faire taire les discours propalestiniens.

Par ailleurs, il semble que ce poste ait été créé à la suite d’une « réunion de haut niveau » coordonnée l’année dernière par l’Anti-Defamation League (ADL), selon Dan Granot, directeur national de la politique vis-à-vis de ‘lantisémitisme de l’ADL.

Dans une déclaration à Jewish Insider, M. Granot a déclaré que ce rôle était apparu comme « une recommandation clé pour toutes les plateformes de réseaux sociaux » lors de cette réunion.

L’année dernière, les éditeurs de Wikipédia ont voté pour déclarer l’ADL « généralement peu fiable » sur Israël et la Palestine ainsi que sur la question de l’antisémitisme, ajoutant l’organisation à une liste de sources interdites, selon un rapport de la Jewish Telegraph Agency.

L’ADL a une longue histoire d’attaques contre les mouvements de défense des droits des Palestiniens, qu’elle qualifie d’antisémites, et a déjà collaboré avec les forces de l’ordre usaméricaines pour espionner des groupes arabo-usaméricains. Elle a également facilité et financé des voyages de formation de la police usaméricaine en Israël.

L’ADL a publié un tweet de célébration sur X, suggérant qu’elle se réjouissait de cette décision.

De nombreux utilisateurs des réseaux sociaux ont suggéré que TikTok avait « cédé à la pression » de l’ADL, laissant entendre que TikTok « se conformait à ces exigences de censure pour tenter d’éviter une interdiction » aux USA.

En 2024, un projet de loi visant à interdire l’application a été adopté à une écrasante majorité au Congrès usaméricain. Le projet de loi, qui a été adopté à la Chambre des représentants par 352 voix contre 65, exigeait que TikTok soit vendu à une entreprise usaméricaine sous peine d’être interdit aux USA.

TikTok a été brièvement interdit aux USA après l’adoption d’une loi obligeant son propriétaire chinois, ByteDance, à le vendre pour des raisons de sécurité nationale ou à faire face à une interdiction le 19 janvier.

Bien que le président Donald Trump ait temporairement annulé l’interdiction de TikTok le lendemain de son entrée en fonction, l’avenir de l’application dans le pays, ainsi que le statut de son contenu propalestinien, restent incertains.

En février, des membres du Congrès ont révélé que la principale raison derrière la volonté des USA d’interdire TikTok était l’image d’Israël sur la plateforme plutôt que la crainte d’une infiltration chinoise.

La semaine dernière, les représentants Josh Gottheimer (Démocrate-New Jersey) et Don Bacon (Républicain-Nebraska), ainsi que le PDG de l’ADL, Jonathan Greenblatt, ont annoncé la réintroduction du STOP HATE Act, un projet de loi visant à lutter contre la propagation de l’antisémitisme sur les réseaux sociaux tels que TikTok.

Plusieurs parlementaires usaméricains et personnalités éminentes ont attaqué la plateforme en raison de la prétendue prééminence de contenus propalestiniens, notamment le sénateur républicain et ancien candidat à la présidence Mitt Romney.

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Le Venezuela et les USA ont-ils amélioré leurs relations ?

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 30/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Les gouvernements vénézuélien et usaméricain ont réussi à stabiliser une ligne de communication permanente. Cela tient davantage à des décisions internes aux USA qu'à une réelle amélioration des relations entre les deux pays. Finalement, aux USA, la proposition pragmatique MAGA (Make American Great Again) l'emporte sur l'idéologie des néoconservateurs emmenés par Marco Rubio.

La situation internationale et l'acceptation du fait que la Chine est l'ennemi principal de Washington ont gagné du terrain au sommet du pouvoir usaméricain, amenant une bonne partie des dirigeants de l'administration à comprendre cette situation et obligeant les néoconservateurs et Marco Rubio à céder.

Sa politique de pression maximale (qui n'est aujourd'hui soutenue au Venezuela que par le groupe de María Corina Machado) a échoué. La production et l'exportation de pétrole se sont stabilisées et ont même légèrement augmenté pour dépasser le million de barils par jour. Cela a été rendu possible en grande partie grâce au soutien de la Chine, qui semble adopter une position plus active en ce qui concerne ses liens économiques et commerciaux avec le Venezuela, en augmentant ses achats de pétrole et en comblant le vide laissé par la suspension des licences spéciales accordées à Chevron pour opérer au Venezuela malgré les sanctions. Alors que la politique usaméricaine visant à renverser le président Nicolás Maduro continue de faire naufrage au Venezuela, la vision stratégique du président Xi Jinping a fini par l'emporter sur le court-termisme et le simple intérêt lucratif des entrepreneurs chinois.

Dans ce contexte, la libération de 252 migrants vénézuéliens qui avaient été arrêtés aux USA et envoyés dans une prison au Salvador a été l'expression publique d'une apparente amélioration des relations. En réalité, ce qui s'est produit, c'est une amélioration de la communication. Si tel n'était pas le cas, il n'y aurait aucune raison de continuer à associer le gouvernement vénézuélien à la criminalité organisée et au trafic de drogue, ce qui reste présent dans le regard et la rhétorique politique du département d'État. 

Par ailleurs, des enfants qui avaient été enlevés aux USA et séparés de leurs parents sont également rentrés chez eux, même si 33 d'entre eux sont toujours détenus illégalement par Washington. Il n'est pas exclu que Marco Rubio, dans son obsession aberrante de renverser le gouvernement vénézuélien, veuille les utiliser comme monnaie d'échange en faveur de l'une de ses vilenies habituelles. Dans ce contexte, les licences spéciales accordées à Chevron ont été rétablies et l'entreprise reprendra ses activités au Venezuela, même si elle n'est pas autorisée à payer le pays en espèces

En échange, le Venezuela a dû payer un prix élevé : il a dû libérer 10 terroristes usaméricains emprisonnés dans le pays et un grand nombre de terroristes vénézuéliens militants des partis d'opposition radicale qui avaient commis des crimes punis par la Constitution et les lois. Marco Rubio lui-même a reconnu qu'il n'y avait aucune raison de maintenir les migrants vénézuéliens en détention aux USA et qu'ils n'étaient que des otages destinés à être échangés contre leurs compatriotes. On a même appris que l'un d'entre eux est un meurtrier qui a avoué son crime et a déjà été jugé en Espagne.


Grenell et Maduro, janvier 2025

Finalement, la politique menée par l’envoyé spécial Richard Grenell a prévalu sur la position extrémiste de Marco Rubio. L’interlocuteur du gouvernement vénézuélien a été en communication permanente avec lui. La position de Grenell est que le Venezuela n’a pas adopté une position agressive à l’égard des USA et il a finalement assuré, dans une optique de pragmatisme absolu, que le Venezuela n’avait jamais refusé de vendre du pétrole aux USA, ce qui est tout à fait vrai.

Il n’a pas non plus refusé de rapatrier les migrants, utilisant même des avions vénézuéliens pour aller les chercher, libérant ainsi Washington du paiement de ces opérations qui sont désormais quasi quotidiennes et qui ont ramené un nombre quantitativement faible de migrants dans le pays, mais qui ont eu un énorme impact médiatique, émotionnel et symbolique en tant qu’expression de la volonté du gouvernement de faire face à cette situation qui trouve son origine dans la désignation du Venezuela, par Washington comme une menace pour la sécurité nationale des USA, avec les répercussions que cela a eu depuis plus de dix ans. 

D’autre part, les mensonges de Rubio ont été mis en évidence. Il a déclaré que la « libération » des dirigeants terroristes réfugiés à l’ambassade d’Argentine à Caracas était le fruit d’une opération des forces spéciales usaméricaines, alors qu’il s’agissait en réalité d’une négociation avec Grenell. Il a maintenant déclaré avoir fait pression sur Maduro pour qu’il libère les prisonniers usaméricains, alors qu’il s’agissait en réalité d’un autre accord conclu avec l’envoyé spécial de Trump. Cela a également affaibli et discrédité davantage la position de María Corina Machado, principale alliée de Rubio au Venezuela.

À l’heure actuelle, dans la logique de Trump, le Venezuela n’est plus un problème et il se concentre sur ceux qui le sont (selon sa logique) et pour différentes raisons : le Mexique et la Colombie pour le trafic de drogue et l’envoi de drogues aux USA, et le Brésil parce que, en tant que puissance industrielle, il est en concurrence avec les entreprises usaméricaines.

Lorsque les circonstances ont contraint Trump à remettre le département d’État aux néoconservateurs et qu’il a dû nommer Rubio contre son gré à ce poste, il a contrebalancé cette décision en nommant 24 envoyés spéciaux qui ne répondent pas à Rubio mais à lui seul. Avec ces envoyés, qui s’occupent des aspects les plus importants et les plus stratégiques, Trump gère l’essentiel de la politique étrangère des USA. En effet, face à la perte d’importance du département d’État, Rubio a été contraint de réduire ses effectifs, mettant sur la ouche des centaines de diplomates de carrière et d’autres fonctionnaires.

En échange, Trump a confié à Rubio la gestion de la politique envers l’Amérique latine et les Caraïbes, qui ne présente pas un grand intérêt pour Trump et qui est en réalité gérée par le Pentagone à travers le Commandement Sud des Forces armées. Dans cette mesure, la région subit le plus fort impact de la haine de celui que Trump a appelé « le petit Marco ». Dans le cas du Venezuela, en tant que pays pétrolier, l’agenda bilatéral dépasse ses possibilités, de sorte que le pouvoir de décision est de plus en plus transféré à Trump, par l’intermédiaire de Grenell.

En réponse aux progrès réalisés dans la communication entre le Venezuela et les USA, et au grand dam de Rubio et à sa perte de protagonisme, le département d’État, par l’intermédiaire du Bureau des affaires de l’hémisphère occidental, a déclaré que le « Cartel des Soleils », une création artificielle des USA prétendument composée de hautes autorités vénézuéliennes, était une organisation terroriste. Il a ensuite désigné le président Maduro comme le chef de cette organisation fantoche, l’accusant sans fondement d’avoir des liens avec le Tren de Aragua, une autre organisation criminelle détruite au Venezuela par l’action résolue du gouvernement, mais que Washington maintient en vie avec sa rhétorique afin de justifier sa politique envers le Venezuela.

De même, afin de donner une dimension internationale à cette idée, le département d’État a ajouté une faction du Cartel de Sinaloa, accusé d’être l’une des principales organisations introduisant de la drogue aux USA, à la triade mafieuse imaginaire qui n’existe que dans l’esprit fiévreux et pervers de l’extrême droite terroriste yankee.

L’acceptation de cette aberration ne répond qu’aux besoins de Trump de maintenir l’équilibre et de maintenir unis les groupes opposés qui se sont réunis, « collés avec du chewing-gum », dans son administration.

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Venezuela y USA ¿han mejorado las relaciones?

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 31-7-2025

El gobierno de Venezuela y el de Estados Unidos han logrado estabilizar una línea de comunicación permanente. Ello se debe más a definiciones de orden interno en Estados Unidos que a un mejoramiento real de los vínculos entre los dos países. Finalmente, en Estados Unidos se está imponiendo la pragmática propuesta MAGA (Make American Great Again) frente a la ideológica de los neoconservadores liderados por Marco Rubio.

La situación internacional y la aceptación de que China es el enemigo principal de Washington ha ido ganando espacios en la cúpula del poder estadounidense llevando a una buena parte del liderazgo de la administración a entender esta situación, obligando a los neoconservadores y a Marco Rubio a ceder. Su política de máxima presión (que en Venezuela hoy solo sostiene el grupo de María Corina Machado), ha fracasado. 

La producción y exportación de petróleo se ha estabilizado e incluso ha crecido un poco por encima del millón de barriles diarios. En gran medida eso ha sido posible gracias al apoyo de China que parece asumir una posición más activa en cuanto a sus vínculos económicos y comerciales con Venezuela elevando las compras de petróleo y llenando el vacío que había dejado la suspensión de las licencias especiales otorgadas a Chevron para operar en Venezuela a pesar de las sanciones. Mientras la política estadounidense orientada al derrocamiento del presidente Nicolás Maduro sigue naufragando en Venezuela, la mirada estratégica del presidente Xi Jinping se terminó imponiendo al cortoplacismo y al mero interés de lucro de los empresarios chinos.

En este contexto, la liberación de 252 migrantes venezolanos que fueron detenidos en Estados Unidos y enviados a una cárcel en El Salvador ha sido expresión pública de un aparente mejoramiento de las relaciones. En realidad lo que ha ocurrido es un mejoramiento de la comunicación. Si no fuera así, no tendría porque seguirse vinculando al gobierno de Venezuela con la delincuencia organizada y el narcotráfico que sigue presente en la mirada y en la retórica política del Departamento de Estado. 

Junto a lo anterior, también han regresado niños que habían sido secuestrados en Estados Unidos y separados de sus padres, aunque aún hay 33 de ellos retenidos ilegalmente por Washington. No se descarta que Marco Rubio en su aberrante obsesión por derrocar al gobierno de Venezuela, los quiera utilizar como moneda de cambio en favor de alguna de sus habituales fechorías. En este contexto, las licencias especiales a Chevron fueron restablecidos y la empresa volverá a operar en Venezuela aunque no está autorizada a pagar en efectivo al país.

A cambio, Venezuela tuvo que pagar un alto precio: debió liberar a 10 terroristas estadounidenses presos en el país y a una cantidad alta de terroristas venezolanos militantes de los partidos de la oposición radical que habían cometido delitos sancionados en el marco de la Constitución y las leyes. El propio Marco Rubio reconoció que no había razones para tener a los migrantes venezolanos presos en Estados Unidos y que solo eran rehenes para buscar intercambiarlos con sus compatriotas. Incluso, se ha sabido que uno de ellos, es un asesino confeso que ya fue juzgado en España.


Grenell y Maduro, enero de 2025

Finalmente, la política conducida por el enviado especial Richard Grenell se ha impuesto a la posición extremista de Marco Rubio. El interlocutor del gobierno de Venezuela ha estado en comunicación permanente con él. La posición de Grenell es que Venezuela no ha tenido una posición agresiva contra Estados Unidos y que finalmente –en el marco de una visión de absoluto pragmatismo - ha asegurado que Venezuela jamás se ha negado a vender petróleo a Estados Unidos, lo cual es totalmente cierto.

Tampoco se ha negado a repatriar los migrantes incluso utilizando aviones venezolanos para irlos a buscar liberando a Washington de pagar por esas operaciones que a estas alturas son casi diarias y que han traído un número cuantitativamente pequeño de migrantes de regreso al país pero que ha tenido un enorme impacto mediático, emocional y simbólico como expresión de la voluntad del gobierno de encarar esta situación que tuvo su origen en la designación de Venezuela, por parte de Washington, de ser una amenaza a la seguridad nacional de Estados Unidos con las consecuentes repercusiones que ello ha tenido por más de diez años. 

Por otro lado, se han puesto en evidencia las mentiras de Rubio. Dijo que la “liberación” de dirigentes terroristas asilados en la embajada de Argentina en caracas había sido una operación de fuerzas especiales de Estados Unidos, cuando en realidad fue producto de una negociación con Grenell. Ahora, ha dicho que él presionó a Maduro para liberar a los estadounidenses presos cuando en realidad también fue obra de otro acuerdo con el enviado especial de Trump. Con ello también se ha debilitado y desacreditado aun más, la posición de María Corina Machado, principal aliada de Rubio en Venezuela.

En este momento, en la lógica de Trump, Venezuela ha dejado de ser un problema y se está abocando a los que sí lo son (según su lógica) y por diferentes razones: México y Colombia por el narcotráfico y el envío de drogas a Estados Unidos y Brasil porque al ser una potencia industrial, compite con las empresas estadounidenses.

Cuando las circunstancias obligaron a Trump a entregarle el departamento de Estado a los neoconservadores y tuvo que nombrar a Rubio contra su voluntad en ese cargo, lo contrarrestó con el nombramiento de 24 enviados especiales que no responden a Rubio sino a él. Con estos enviados, que atienden los aspectos más importantes y estratégicos, Trump maneja lo sustancial de la política exterior de Estados Unidos. De hecho ante, la pérdida de protagonismo del Departamento de Estado, Rubio se vio obligado a reducir su plantilla dejando fuera a centenares de diplomáticos de carrera y otros funcionarios.

A cambio, Trump le entregó a Rubio el manejo de la política hacia América Latina y el caribe que no revisten mayor interés para Trump y que en realidad está siendo manejada por el Pentágono a través del Comando Sur de las Fuerzas Armadas. En esa medida la región está recibiendo el impacto más fuerte del odio de quien Trump llamó “el pequeño Marco”. En el caso de Venezuela, por ser un país petrolero, la agenda bilateral rebasa sus posibilidades por lo que cada vez más se va traspasando a Trump el poder de decisión, a través de Grenell.

En respuesta a los avances en la comunicación entre Venezuela y Estados Unidos, y ante la desesperación de Rubio y su pérdida de protagonismo, el Departamento de Estado a través de la Oficina de Asuntos del hemisferio occidental declaró que el “Cartel de los Soles”, una creación artificial de Estados Unidos supuestamente conformada por altas autoridades de Venezuela era una organización terrorista. A continuación, sindicó al presidente Maduro como jefe de ese engendro, acusándolo sin fundamento alguno de tener vínculos con el Tren de Aragua, otra organización delictiva destruida en Venezuela por la acción decidida del gobierno pero que Washington mantiene viva con su retórica a fin de argumentar a favor de su política hacia Venezuela.

Así mismo, y para darle ámbito internacional a la idea, el Departamento de Estado ha agregado a una facción del Cartel de Sinaloa, acusada de ser una de las principales organizaciones que introduce droga en Estados Unidos, como parte del imaginado triunvirato de poder mafioso que solo existe en la mente afiebrada y perversa de la extrema derecha terrorista de Estados Unidos

La aceptación de esta aberración solo responde a las necesidades de Trump de mantener los equilibrios y sostener unidos a los contradictorios grupos que se han reunido, “pegados con chicle”, en su administración.

MAX MANSOUBI
L’intelligence artificielle et l’avancée de l’impérialisme postnational : une analyse sociologique

Max Mansoubi, Walking Makes The Road,  30/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Max Mahmoud Mansoubi est un universitaire aujourd’hui retraité et vivant dans la Silicon Valley (Californie). Il a étudié à l'université de Florence, puis à l’université de Pise (Italie) où il a obtenu son doctorat. Il a mené des activités d’enseignement et de recherche dans diverses universités et institutions privées italiennes. Au cours de sa longue carrière, qui a débuté au milieu des années 1970, il a également été journaliste, critique de cinéma, animateur de radio, chroniqueur, éditeur de livres universitaires, architecte logiciel, directeur de réseau et de centre de données, fondateur de start-up, directeur technique et PDG. 

Le monde connaît actuellement de profondes transformations catalysées par les technologies numériques, en particulier l’IA. Le développement de l’intelligence artificielle générale (IAG) et la possibilité théorique d’une superintelligence ajoutent de nouvelles dimensions à la dynamique du pouvoir mondial. Ces technologies n’émergent pas de manière isolée, mais s’inscrivent dans un système mondial caractérisé par la diminution de la souveraineté des États-nations, l’intensification de l’interdépendance économique et la complexité des systèmes de gouvernance transnationaux, dont elles sont également le produit. Cette note de laboratoire soutient que l’IA et ses itérations avancées jouent un rôle déterminant dans la reconfiguration du pouvoir mondial et l’émergence de ce que l’on pourrait appeler l’impérialisme postnational.


Colonialisme numérique, par Zoran Svilar

Cadre théorique

Le pouvoir passe des États-nations à des entités transnationales, une caractéristique déterminante de la mondialisation. Comme l’ont fait valoir Saskia Sassen et Manuel Castells, les paradigmes de la société en réseau et de la ville mondiale révèlent comment le capital et l’influence circulent à travers les frontières, remodelant l’autorité des États. La théorie des souverainetés qui se chevauchent de David Held et le concept de réalisme cosmopolite d’Ulrich Beck fournissent des éléments essentiels pour comprendre cette évolution.

Le déterminisme technologique, en particulier dans sa forme douce, suggère que la technologie façonne les résultats sociaux sans les déterminer de manière rigide. La théorie critique de la technologie d’Andrew Feenberg met l’accent sur la co-construction de la technologie et de la société. L’IA, l’IAG et la Superintelligence doivent être considérées comme des systèmes sociotechniques, c’est-à-dire qu’elles évoluent grâce aux interactions entre les possibilités [« affordances »] technologiques et les acteurs sociaux.

Le concept d’« Empire » de Michael Hardt et Antonio Negri est essentiel. Dans cette optique, l’impérialisme ne consiste plus en une conquête territoriale, mais en l’imposition de systèmes de contrôle et de valeurs par le biais du capitalisme mondial, des institutions internationales et, désormais, des technologies numériques.

L’IA et la restructuration du pouvoir mondial

Le développement de l’IA est principalement impulsé par des entreprises transnationales (par exemple Google, Meta, Microsoft, Tencent), des institutions de recherche mondiales et des organismes de gouvernance supranationaux. Ces acteurs transcendent les limites des États-nations et forment un empire diffus et interconnecté. La propriété et le déploiement des technologies d’IA contribuent à un nouveau mode d’influence qui n’est pas lié à la géographie, mais aux flux de données, au contrôle algorithmique et aux dépendances infrastructurelles.

Nick Couldry et Ulises Mejias ont inventé le terme « colonialisme des données » pour décrire l’extraction de l’expérience humaine comme matière première pour le développement de l’IA. Ce phénomène reflète l’extraction coloniale classique, mais s’effectue par des moyens numériques. La gouvernance algorithmique, qui fonctionne souvent sans contrôle démocratique, permet une forme de contrôle impérial dans laquelle les décisions qui affectent des milliards de personnes sont prises par des systèmes opaques appartenant à un petit nombre d’entités.

L’IA permet la capitalisation des connaissances, de l’information et des capacités cognitives (capitalisme cognitif), où l’attention, l’interaction et même le travail émotionnel des êtres humains sont exploités et monétisés. Le déploiement de l’IA dans les plateformes de travail et les systèmes de surveillance intensifie cette tendance, entraînant de nouvelles asymétries de pouvoir et une restructuration de la dynamique du travail à l’échelle mondiale.

L’IAG et l’horizon de la superintelligence : une nouvelle avant-garde impériale ?

L’IAG, en tant que système capable d’effectuer toutes les tâches intellectuelles dont l’être humain est capable, représente un bond qualitatif en matière de capacités technologiques. Les acteurs qui contrôlent l’IAG auront une influence sans précédent sur la production de connaissances, la prise de décision et, éventuellement, la gestion des risques existentiels. L’IAG devient ainsi un atout stratégique comparable à l’énergie nucléaire au XXe siècle.

Des théoriciens comme Nick Bostrom affirment que les superintelligences, c’est-à-dire des entités largement plus intelligentes que les humains, pourraient remodeler la civilisation. Si elle était monopolisée par un seul acteur ou une seule coalition, la superintelligence pourrait imposer un nouvel ordre impérial, caractérisé non pas par la force brute, mais par une domination cognitive totale. Il s’agirait d’un empire postnational, non gouverné par des humains, mais peut-être par des intermédiaires machiniques.

La course au développement de l’IAG est intrinsèquement géopolitique. La Chine, les USA et les conglomérats technologiques transnationaux en sont les principaux acteurs. La lutte porte moins sur la suprématie nationale que sur l’accès aux données d’entraînement, aux infrastructures informatiques et à la marge de manœuvre réglementaire. Il en résulte un passage d’une géopolitique westphalienne à une géopolitique des plateformes.

Caractéristiques des futures puissances impériales postnationales

Ces puissances n’auront pas besoin d’armées terrestres ni de frontières officielles. Le contrôle s’exercera par le biais de la dépendance aux plateformes, des points d’étranglement des infrastructures (services cloud, réseaux satellitaires, production de puces) et des cadres de gouvernance numérique.

Les empires futurs combineront des acteurs publics et privés, avec des frontières floues entre le pouvoir des entreprises et celui de l’État. La responsabilité juridique sera fragmentée et la gouvernance sera mise en œuvre par le biais de conditions d’utilisation, d’algorithmes et d’organismes de normalisation.

Dans l’impérialisme postnational, le contrôle des flux d’informations, guidé par l’IA et la curation algorithmique, sera primordial. L’IA déploiera des technologies persuasives avancées pour façonner le discours public, influençant les résultats électoraux, le comportement des consommateurs et l’opinion publique grâce à des messages personnalisés et à une présentation sélective de l’information. L’intégration omniprésente de l’IA dans la vie quotidienne lui permet déjà de guider subtilement la pensée et l’action collectives, servant ainsi les objectifs de ceux qui contrôlent l’infrastructure informationnelle.

L’architecture économique émergente sera fondamentalement remodelée par une centralisation extrême du capital, des données et des capacités de production. Dans ce nouveau paradigme, la valeur sera principalement générée non pas par les moyens industriels traditionnels, mais par le contrôle et l’exploitation d’écosystèmes d’IA sophistiqués. Cela englobe l’ensemble du cycle de vie de l’intelligence artificielle : de la collecte et de la curation méticuleuses de vastes quantités de données d’entraînement, en passant par le développement et le perfectionnement de modèles d’IA avancés, jusqu’au déploiement d’applications innovantes. L’objectif ultime dans ce cadre est la monétisation du travail cognitif à une échelle sans précédent, transformant la production intellectuelle humaine en une ressource marchandisée gérée et optimisée par l’IA.

L’avènement de l’intelligence artificielle générale (AGI) ou de la superintelligence inaugure une ère où les empires postnationaux pourraient redéfinir fondamentalement leurs rôles, pour devenir des entités principalement axées sur la gestion planétaire. Ce profond changement dépasse l’influence géopolitique traditionnelle et englobe des domaines critiques tels que la modélisation climatique sophistiquée, la gestion globale de la biosphère et l’atténuation proactive des risques existentiels. La capacité même de ces IA avancées à traiter de vastes ensembles de données, à prédire des tendances écologiques complexes et à optimiser l’allocation des ressources confère à ces empires émergents une autorité techno-morale. Cette autorité, qui découle de leurs prouesses technologiques inégalées et de leur engagement en faveur du bien-être mondial, devrait dépasser l’efficacité et l’influence des institutions internationales existantes, souvent entravées par des intérêts nationalistes et des inefficacités bureaucratiques. Dans ce paradigme futur, la gouvernance des défis les plus urgents de la Terre ne relèverait plus uniquement de la compétence des États-nations ou de leurs organisations intergouvernementales, mais serait de plus en plus influencée et potentiellement dirigée par ces entités postnationales technologiquement avancées.

Défis et contre-forces

Les tendances anti-impérialistes émergentes contre les forces centralisatrices de l’IA comprennent l’IA open source, la gouvernance décentralisée des données et la souveraineté numérique. Des technologies telles que la blockchain et l’apprentissage fédéré soutiennent cette tendance en permettant une gestion transparente et distribuée des données et une formation décentralisée des modèles d’IA, atténuant ainsi les risques liés à la confidentialité et au contrôle. En fin de compte, une surveillance démocratique de l’IA est essentielle pour garantir la responsabilité, le développement éthique et une large participation, empêcher la consolidation du pouvoir et garantir que l’IA serve les intérêts de la société plutôt que de nouvelles formes d’impérialisme.

Les efforts déployés par l’UE, l’UNESCO et la société civile pour établir des lignes directrices éthiques et des contraintes juridiques en matière d’IA constituent des tentatives pour lier le développement de l’IA aux normes démocratiques. Cependant, leur application reste faible et fragmentée.

La résistance culturelle à l’homogénéisation algorithmique, qui se manifeste dans les mouvements indigènes pour la souveraineté des données et les critiques de la conception occidentale de l’IA, remet en question les tendances universalistes des empires postnationaux.

Conclusion

L’IA, l’IAG et la superintelligence ne sont pas de simples innovations technologiques, mais des éléments fondamentaux d’un nouvel ordre mondial. L’impérialisme post-national qu’elles engendrent se caractérise par un contrôle déterritorialisé, une gouvernance hybride, une domination épistémique et une concentration économique. Ces évolutions posent des défis importants aux conceptions traditionnelles de la souveraineté, de la citoyenneté et de la démocratie. Les futures recherches sociologiques devront s’interroger de toute urgence sur ces changements, en soulignant la nécessité de cadres inclusifs, éthiques et pluralistes qui empêchent l’émergence d’un ordre impérial médiatisé par le numérique.

Bibliographie

Beck, U., Qu’est-ce que le cosmopolitisme ?, Aubier 2006

Bostrom, N.,  Superintelligence, Dunod, 2017

Castells, M., La société en réseaux : l’ère de l’information, Fayard, 1998

Couldry, N., & Mejias, U. A. (2019). The Costs of Connection: How Data Is Colonizing Human Life and Appropriating It for Capitalism. Stanford University Press.

Feenberg, A. (1999). Questioning Technology. Routledge.

Hardt, M., & Negri, A., Empire, 10/18? 2004

Held, D. (1995). Democracy and the Global Order: From the Modern State to Cosmopolitan Governance. Stanford University Press.

Mezzadra, S., & Neilson, B. (2013). Border as Method, or, the Multiplication of Labor. Duke University Press.

Sassen, S. (2006). Territory, Authority, Rights: From Medieval to Global Assemblages. Princeton University Press.

Srnicek, N. (2017). Platform Capitalism. Polity Press.

UNESCO,  Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle,  2021 

Zuboff, S., L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2020

30/07/2025

NUESTRO GENOCIDIO: versión española del informe de B’Tselem

 

«En este momento, el reconocimiento de que el régimen israelí está cometiendo un genocidio en la Franja de Gaza y la profunda preocupación de que pueda extenderse a otras zonas donde los palestinos viven bajo dominio israelí exigen una acción urgente e inequívoca por parte de la sociedad israelí y de la comunidad internacional.

 Es hora de actuar. Es hora de salvar a quienes aún no están perdidos para siempre y de utilizar todos los medios disponibles en virtud del derecho internacional para poner fin al genocidio de los palestinos por parte de Israel. »

Estas son las palabras conclusivas del abrumador informe que acaba de publicar la ONG israelí BTselem y que Tlaxcala pone a disposición de los lectores hispanófonos que no conocen el hebreo, el árabe ni el inglés o el francés. Para leer y difundir...


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MOSTAFA GHAHREMANI
« La bombe atomique iranienne » ! - Sans aucun doute, je serais très heureux d’entendre une telle nouvelle

Mostafa Gahremani,  30/7/2025

John Mearsheimer, professeur renommé de relations internationales à l’université de Chicago et théoricien du « réalisme offensif » en politique étrangère :

« Je suis prêt à parier que l’Iran développe probablement une arme nucléaire en secret, et que ni les USA ni Israël ne sont en mesure de l’en empêcher. Non seulement ils n’ont pas réussi à dissuader l’Iran de ses ambitions nucléaires, mais ils ont en fait aggravé la situation. Je ne serais pas du tout surpris si l’Iran finissait par construire une arme nucléaire. »

Ceux qui qualifient l’attaque terroriste contre l’Iran, le massacre de plus d’un millier d’innocents et le génocide ouvert à Gaza de « sale boulot nécessaire » mené par un régime belliciste et violent (Israël) au service de « l’Occident et de ses intérêts » ne méritent aucune confiance morale ou juridique.

Pour cet Occident sans freins culturels, le vieil adage reste d’actualité : « Le seul bon Indien est un Indien mort. »

Le seul moyen efficace de dissuasion et de sauvegarde de l’indépendance et de la sécurité nationales est l’établissement d’un équilibre de la terreur.

Et il faut enfin reconnaître que cet équilibre ne peut être atteint sans capacités de dissuasion fondées sur des armes non conventionnelles.

Cet ordre mondial impitoyable et sans compassion, dominé par les valeurs et les systèmes de connaissance occidentaux, n’est pas une œuvre de charité.

Les droits ne sont pas accordés, ils doivent être conquis. Et l’Occident ne les cède jamais sans résistance.

La logique déshumanisante et autoritaire de l’Occident ne reconnaît aucune limite morale lorsqu’il s’agit de détruire des États ou des peuples qui résistent à l’exploitation de leurs ressources, à la violation de leur souveraineté ou à leur assujettissement aux structures de pouvoir occidentales.

Ni le droit international ni l’autorité morale et philosophique prétendument universelle – revendiquée principalement par l’Occident européen – ne sont en mesure de l’arrêter.

Dans ce contexte, même l’impératif catégorique de Kant, autrefois salué comme le plus haut accomplissement moral et philosophique de la civilisation occidentale, n’est aujourd’hui qu’une variante banalisée de la « raison pure » entièrement mise au service de la domination.

Et cette « raison pure » est, surtout en ce qui concerne l’être humain non occidental, essentiellement intouchable et donc immunisée contre toute critique.

Dans sa fonction réelle, la philosophie occidentale n’est pas une voie vers la justice, mais plutôt une construction idéologique utilisée pour légitimer la domination, la discrimination et le pouvoir hégémonique.

Ni plus, ni moins.

Au final, une seule question subsiste : l’Occident sait-il encore ce qu’est la moralité ?