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27/01/2023

GIANFRANCO LACCONE
Prix des carburants et changement climatique

Gianfranco Laccone, ClimateAid.it, 26/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Expliquer en quelques lignes la relation entre le changement climatique et le prix des produits pétroliers est une tâche presque impossible, mais utile si l’on veut comprendre la nécessité de lutter contre le changement climatique.

 

Et le point de départ de tout cela, c’est le pétrole, la substance produite à partir de végétaux détruits et enterrés dans les entrailles de la terre il y a quelques centaines de millions d’années, qui a permis la création du plastique en plus de son utilisation directe. Le plastique et le pétrole sont les deux éléments qui caractérisent la révolution industrielle du XXe siècle, non seulement en raison de leurs caractéristiques techno-industrielles et de leur utilisation généralisée, mais aussi en raison de leur histoire, qui ne pourrait représenter notre société de manière plus significative. Ce sont l’énergie et la matière qui ont permis le développement économique du siècle dernier, car le pétrole a permis de disposer rapidement d’une énorme quantité d’énergie à des coûts limités (inférieurs à ceux nécessaires à l’extraction du charbon), tandis que le plastique (dérivé du pétrole) a été le matériau utilisé pour la fabrication d’objets de toutes sortes à faible coût, caractérisés par leur polyvalence et leur légèreté, une combinaison qui a permis l’explosion de la consommation et la mentalité consumériste qui caractérise les sociétés du marché mondial actuel. Le moyen par lequel cette propagation a pu avoir lieu est l’argent organisé par le système financier.

 Steve Sack

 Le pétrole est une matière première (commodity, en jargon) qui s’échange actuellement sur le marché financier par le biais de contrats à terme, cotés sur deux marchés distincts (le NYMEX - New York Mercantile Exchange - à New York, et l’ICE Futures Europe - Intercontinental Exchange - situé à Londres). Il est clair que les aspects financiers caractérisent son marché de manière substantielle. C’est l’évolution qui s’est produite dans la seconde moitié du 20ème  siècle avec le passage, après le choc pétrolier de 1973, d’une structure de prix basée sur le prix du pétrole brut offert aux USA (zone à coûts élevés) par les grandes raffineries aux producteurs indépendants, elle est passée sous le contrôle de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, qui regroupe les principaux pays producteurs du Moyen-Orient à l’exception d’Omān, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine), qui a décidé de prendre en charge à la fois le volume de la production et le prix, afin de maintenir le premier au plus bas et le second au plus haut, augmentant ainsi la part du pays producteur. Cette décision, qui a provoqué des pénuries de produits en Italie et les premiers dimanches sans voiture, a eu d’autres conséquences plus importantes : attirées par les gains possibles, de grandes masses de capitaux se sont aventurées sur le marché au comptant (spot market), une forme de commerce à haut risque qui consistait à acheter et à vendre des lots de pétrole à l’endroit où se trouvaient les navires de transport, puis à diriger le navire vers tel ou tel acheteur ; c’était une sorte de “contrôle” du prix acceptable, comme lorsque vous jouez au poker et que vous allez “voir les cartes” et, comme dans ce cas, vous pouvez gagner ou perdre beaucoup. Cette importante course à la hausse s’est interrompue en 1985, lorsque l’Arabie saoudite a lié son pétrole brut à celui du gisement de Brent en mer du Nord et a provoqué l’effondrement du prix, et le commerce au comptant a servi de base au passage au marché à terme (futures), ce qui est le scénario actuel.

Les contrats à terme sont basés sur deux types de pétrole brut “léger”, le West Texas Intermediate (WTI) et le Brent, qui représentent un faible pourcentage de la production mondiale mais attirent les acheteurs et les vendeurs, dont la grande majorité sont des spéculateurs, qui négocient un prix convenu pour une livraison fixée après certains jours, mois ou années. Cette clause permet de renégocier les différents lots un très grand nombre de fois, ce qui entraîne un nombre énorme de transactions (en un jour de marché, on négocie théoriquement plus que la totalité de la production pétrolière d’une année) et représente une zone importante pour le capital-risque à la recherche d’un emploi rentable. Nous devons nous rappeler que ce jeu risqué se joue sur de nombreux produits et même de services, et nous ne devrions pas être surpris si les grandes sociétés d’investissement jouent sur différents tableaux.

Une baisse du rendement des obligations d’État ou des obligations produit un flux de capitaux hors de ces obligations et vers les contrats à terme sur le pétrole, produisant une augmentation de la demande (fictive, car elle n’implique pas une demande réelle du produit, mais augmente son prix), et vice versa. Maintenant que les taux ont augmenté, des changements sont susceptibles de se produire.

Par conséquent, le marché du pétrole brut est un marché spéculatif extrêmement sensible aux plus petites variations des attentes des traders individuels, qui répondent très souvent aux attentes non pas tant du marché pétrolier que du marché financier (un marché dans lequel les taux d’intérêt, l’inflation et les taux de change sont importants).

Là aussi, la situation qui s’est progressivement créée a entraîné des changements substantiels chez tous les acteurs : les compagnies pétrolières ne gèrent plus le marché du pétrole brut (elles seraient devenues des preneurs de prix [price takers], alors qu’auparavant elles étaient des faiseurs de prix [price makers]) et ne visent plus à intégrer la chaîne de production (exploration, extraction, transport, vente) ; l’OPEP contrôle le volume de la production, mais tout le monde se désintéresse désormais de problèmes tels que le transport et le raffinage (ceux qui affectent le plus directement nos vies) qui sont devenus des coûts courants - variables - et non des investissements (ainsi, une raffinerie comme Priolo, qui était à l’origine un investissement de l’État italien par le biais de l’ENI, devient un produit “commercial” à vendre à des tiers pour la gestion). Même l’exploration et l’extraction sont confiées à des tiers et les entreprises ne conservent que les fonctions de décision et les négociations avec les pays producteurs. Dans la pratique, chaque compagnie pétrolière contrôle la lecture électronique de toutes les lignes sismiques (système de lecture) dans son propre dépôt, ce qui augmente la capacité de découvrir de nouveaux gisements. Sur le marché pétrolier, les entreprises opèrent souvent par l’intermédiaire de négociants, vendeurs et acheteurs, qui ont une position d’indépendance et constituent un centre de profit autonome au sein de l’entreprise, pouvant vendre toute leur production, en choisissant l’option la plus rentable pour obtenir ce dont l’entreprise a besoin pour le raffinage et la distribution des produits.

Il est important de comprendre que les compagnies pétrolières participent au marché à terme comme tout autre opérateur et que la tendance des traders à se professionnaliser les a influencées au point qu’elles se comportent de la même manière que les grandes organisations financières et bancaires opérant sur ce marché.


Au terme de cette explication, on pourrait se demander : mais les problèmes de pollution pétrolière directe et indirecte, ceux des effets de la combustion du pétrole, avec le rejet de CO2 et d’autres substances dans l’atmosphère, sans parler des problèmes produits par les matières plastiques, où se sont-ils retrouvés dans cette grande mobilisation du capital ? Ils sont complètement ignorés ; au contraire, ils ont été transformés en une nouvelle forme de profit avec le marché des “droits de pollution”, connu sous le nom de marché ETS.

Il est peut-être même pléonastique d’essayer de comprendre à quel point cette intervention d’un peu plus d’un siècle a modifié les tendances climatiques de la planète. Après avoir constaté qu’elle a une incidence, même minime, nous devons agir pour limiter cette contribution qui, en ce qui nous concerne, détériore considérablement les perspectives de vie des prochaines générations.  Et nous devons le faire en commençant par ce qui est en notre plein pouvoir : le marché financier.

Rendre la vie de milliards de personnes dépendante du jeu financier (c’est-à-dire virtuel) de quelques (rares) sociétés est le fruit de l’histoire du XXe siècle, qui a vu dans les guerres et la diffusion de deux produits (les voitures et le plastique) les moyens de réaliser cette dépendance.

Face à une telle dimension, discuter de la question de savoir si les prix à la pompe dépendent de quelques “pollueurs” qui augmentent arbitrairement le prix de vente de quelques centimes, ou si la réduction des accises peut affecter la tendance du marché, c’est penser que l’on peut vider la mer avec un seau. 

La défense contre l’extrême volatilité structurelle des prix du pétrole brut ne peut se faire qu’en soustrayant les consommateurs à la nécessité de consommer du pétrole et en demandant à l’offre, aux compagnies pétrolières devenues aujourd’hui des sociétés financières, de commencer à investir dans des activités qui stabilisent les prix de l’énergie et rendent le coût de production plus bas, à la fois parce qu’il est possible sur les lieux de consommation et parce qu’il est exempt des coûts cachés que produit la pollution pétrolière.

Pour en venir à des faits plus proches de nous, la situation actuelle des prix des carburants (pour le gaz le discours est similaire) n’est pas une urgence, mais un élément structurel avec lequel il faut vivre et contre lequel il faut se défendre.

Seule parmi toutes les associations de consommateurs, l’ACU [Association Consommateurs Usagers], lors de sa rencontre avec le ministre délégué pour traiter cette patate chaude, a exprimé son mécontentement à l’égard des mesures prévues, en soulignant certains aspects :

Il n’existe actuellement aucune stratégie concernant le prix des carburants sur le marché, mais seulement des mesures d’endiguement et une augmentation des contrôles et des amendes. Nous sommes en faveur d’une plus grande transparence du marché et de la réduction ou de l’annulation de la TVA (une mesure qui rendrait la hausse des prix moins injuste pour les bas revenus et les revenus fixes, qui n’ont aucun moyen de récupérer la TVA) afin de stabiliser le prix à la pompe.  Mais ce n’est certainement pas cette intervention tampon, ou la menace de plus de contrôles et de sanctions, qui arrêtera la course aux prix. Il est nécessaire de s’attaquer à la hausse généralisée des prix, un fait central qui ne dépend pas uniquement de l’augmentation des prix des carburants.

En ce qui concerne l’approvisionnement en carburant au détail, aucune stratégie n’a été proposée pour coordonner les entreprises, du moins au niveau national, afin de faire baisser les prix. Mais il y a une absence manifeste de proposition au niveau de l’UE pour établir un marché commun de l’énergie dont le moment est venu, et, au niveau national, une proposition qui responsabiliserait et impliquerait l’ENI, une entreprise dans laquelle l’État a un poids prépondérant et qui a une position capable de guider le marché lui-même. Il serait significatif, sur un plan symbolique, de parler à ENI, surtout maintenant qu’elle lance une nouvelle image et un paquet d’actions à vendre, et de proposer un geste qui guiderait le marché.

Du côté de la demande, aucune stratégie n’a été proposée pour réduire la pression des consommateurs : à ceux qui, sans alternative, doivent utiliser leur voiture pour se déplacer quotidiennement, que proposez-vous ? Nous parlons de mesures visant à réduire rapidement le parc automobile polluant en circulation, à convertir les moteurs utilisés, à stimuler l’utilisation d’énergies de traction alternatives, à soutenir les transports publics.

La situation actuelle n’est pas une situation d’urgence, c’est une situation qui, selon nous, sera normale dans un avenir proche, une phase dans laquelle le changement climatique modifiera notre comportement et dans laquelle le Covid et les guerres en cours (pour mieux le dire avec le Pape François, la troisième guerre mondiale en cours) créeront les conditions pour la hausse des prix et la spéculation.

Enfin, nous pensons que la stratégie de confrontation utilisée, en créant des tables techniques séparées entre les distributeurs (stations-service), les syndicats et les consommateurs, est utile pour les mesures d’urgence, alors que nous considérons aujourd’hui qu’il est opportun de disposer d’une seule table permanente et stratégique qui aborde le problème de la hausse des prix et de l’inflation et qui implique les associations d’entreprises, les syndicats, les associations de consommateurs, les associations environnementales et le tiers secteur.

Ce qui s’est produit n’est pas une urgence qu’il faut surmonter, ce n’est pas le résultat d’une spéculation généralisée, mais une orientation du marché des carburants, la pointe de la tendance générale des prix qu’il faut changer radicalement pour donner un avenir à l’Italie et à l’Europe.

 

 

26/01/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Lumières, zones grises et ombres du sommet de la CELAC

Sergio Rodríguez Gelfenstein, 25/1/2023
Original : Luces, grises y sombras de la Cumbre de la CELAC

English
Lights, grayzones and shadows of the CELAC Summit
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'histoire des relations internationales de l'Amérique latine est l'histoire de la contradiction non résolue entre la pensée de Monroe et la pensée de Bolivar. La première a donné naissance à l'idée panaméricaine fondée sur l'hégémonie des USA sur la région, dans laquelle le reste des pays occupe une position subordonnée et soumise.

La pensée bolivarienne est née de la nécessité de réunir les « républiques américaines, anciennement colonies espagnoles » pour « nous servir de conseil dans les grands conflits, de point de contact dans les dangers communs, d'interprète fidèle des traités publics lorsque des difficultés surgissent, et enfin de conciliateur de nos différends » selon l'idée du Libérateur formulée dans l'appel de convocation au Congrès de Panama en décembre 1824.

Près de 70 ans plus tard, dans l'essai Notre Amérique publié le 10 janvier 1891 dans la Revista Ilustrada de Nueva York et, quelques jours plus tard, dans le journal mexicain El Partido Liberal, José Martí a donné forme à une idée plus complète que celle de Bolívar concernant l'identité qui nous intègre et doit nous rassembler. Martí écrivait : "Du [Rio] Bravo à Magallanes, assis sur le dos du condor, le Grand Semi a arrosé la graine de la nouvelle Amérique à travers les nations romantiques du continent et les îles douloureuses de la mer ! »

Un peu plus d'un an auparavant, le 19 décembre 1889, à l'occasion d'une soirée artistique et littéraire organisée à la Société littéraire hispano-américaine de New York, à laquelle assistaient les délégués de la Conférence internationale américaine convoquée par Washington pour mettre en pratique l'idée monroiste, Martí voulut mettre en garde les représentants fascinés des républiques du Sud que leurs hôtes avaient asomés en leur montrant les merveilles ostentatoires du capitalisme naissant : « […] si grande que soit cette terre, et si bénie pour les hommes libres que soit l'Amérique où naquit Lincoln, pour nous, dans le secret de notre poitrine, sans que personne ose nous l’effacer ou nous en tenir rigueur, celle qui est plus grande, parce qu'elle est à nous et parce qu'elle a été plus malheureuse, c’est l'Amérique où naquit [Benito] Juarez ». Ainsi fut semé pour toujours ce qui devait être l'identité de Notre Amérique qui nous unit.

La pensée monroïste est née du discours prononcé par le président James Monroe devant le Congrès usaméricain le 2 décembre 1823, et a ensuite été transformée en doctrine de politique étrangère usaméricaine pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Bien qu'il y ait eu quelques tentatives d'institutionnalisation tout au long de ce siècle, c'est en 1889 que l'intention de donner une structure à l'idée va se concrétiser. Ainsi, la première conférence panaméricaine a été convoquée. Entre cette date et 1954, deux conférences interaméricaines, quatre réunions consultatives et dix conférences panaméricaines ont été organisées.

Lors de la neuvième, tenue à Bogota en 1948, dans le contexte d'une nouvelle réalité après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Organisation des États américains (OEA) a été créée. L'année précédente, à Rio de Janeiro, avait été signé le traité interaméricain d'assistance réciproque (TIAR), qui donnait naissance à un prétendu système de sécurité collective pour les Amériques. Ainsi, avec les instruments militaires et politiques à leur disposition, les USA ont pu établir une structure de domination qui garantissait leur contrôle sur la région. L'idée monroïste d'une « Amérique pour les Américains » (lire USA) était ainsi mise en œuvre. L'histoire plus récente est bien connue.

La pensée bolivarienne semblait être morte avec la disparition physique du Libérateur en 1830. Depuis lors, plusieurs penseurs et hommes politiques latino-américains ont donné une continuité à l'idéologie de Bolívar dans leurs écrits et leurs travaux. De même, deux événements ont eu lieu au Pérou au milieu du XIXe siècle, en 1847-1848 et en 1864-1865, lorsque des participants de différents pays se sont réunis afin de ne pas laisser mourir l'idée bolivarienne et de reprendre sa proposition d'unité.

Mais il a fallu attendre près de 150 ans pour que Hugo Chávez, le plus éminent continuateur de la pensée bolivarienne, commence à changer cette perspective. Chávez a entrepris de transformer la structure injuste de la domination régionale en initiant la récupération du rêve bolivarien pour en faire le projet qui avait été tronqué en 1830.

Ainsi, en 2010, le Sommet de l'unité de l'Amérique latine et des Caraïbes s'est tenu à la Riviera Maya, au Mexique, suite à la fusion des deux mécanismes qui existaient auparavant. L'année suivante, dans le cadre du bicentenaire de l'indépendance du Venezuela, la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) est née lors d'une réunion au sommet des dirigeants de la région. À cette occasion, le Commandant Chávez a déclaré : « Nous posons ici la pierre angulaire de l'unité, de l'indépendance et du développement de l'Amérique latine et des Caraïbes ».

Quelques années plus tard seulement, l'avancée oligarchique dans la région a généré des forces centrifuges qui, sous une forte influence monroiste, ont agi comme un élément désintégrateur, répondant au besoin des USA d'empêcher l'unité de l'Amérique latine et des Caraïbes de se matérialiser.

L'arrivée au pouvoir d'Andrés Manuel López Obrador et les efforts extraordinaires du gouvernement mexicain en faveur de l'intégration ont permis de reprendre le projet en 2020, sauvant une fois de plus l'idéologie de Bolívar comme instrument de consolidation de l'unité régionale.  Et nous arrivons donc à Buenos Aires en 2023.


 Le sommet qui s'est terminé hier dans la capitale argentine a montré de grandes lumières, mais aussi quelques zones grises et des ombres.  Les ombres sont liées aux informations transmises par les médias transnationaux de désinformation : « Le sommet de la CELAC commence sans Maduro », « Le sommet de la CELAC se déroule avec de nombreuses absences », « Lopez Obrador prend ses distances avec Alberto Fernández  et ne se rend pas à Buenos Aires ». Les titres véhiculent une haine, un négativisme et un pari sur l'échec qui expriment clairement la volonté monroïste de désintégration qui se dégage de la presse vendue qui répond aux intérêts impériaux et oligarchiques.

D'autre part, la crise péruvienne a montré que sur certaines questions, il n'y a pas de consensus et que, finalement, la question des droits humains est politisée en fonction de ce que les USA et les oligarchies - encore au pouvoir - comprennent, en termes d'utilisation politique à faire de cette question. Il n'y a pas eu de déclaration unique, forte et énergique contre l'emprisonnement du président Castillo, la répression du peuple péruvien, la violation de l'autonomie des universités et l'atteinte à la démocratie tant vantée.

De même, l'invitation des USA au sommet est obscure. De la même manière que, dans le dos du Libérateur, le vice-président colombien Francisco Santander avait invité Washington  au Congrès de Panama à en 1826, Alberto Fernández a fait de même et inutilement en invitant Joe Biden, président d'un pays qui nous exclut et nous méprise.

La non-participation du président Maduro doit également être considérée comme un point noir pour le sommet. Un pays dans lequel la vice-présidente se trouve être en vie après une attaque terroriste contre elle n'a pas assuré la sécurité du président du Venezuela. C'est une chose d'être courageux et une autre d'être un connard. N'oublions pas que le gouvernement usaméricain a mis à prix la tête du président Maduro. Pour 15 millions de dollars, n'importe quel fou, et d'autres qui ne sont pas si fous, seront absolument prêts à commettre un assassinat. L'“enquête” sur la tentative d'assassinat de la vice-présidente Cristina Fernández montre la pleine collusion du pouvoir judiciaire, des médias, de l'ultra-droite et du crime organisé en Argentine, afin de générer complicité et impunité.

Le courage du Président Maduro ne se mesure pas à sa présence ou non au Sommet, mais à ses 8 années de résistance à la tête du peuple vénézuélien pour faire face et vaincre toutes les actions des groupes terroristes et déstabilisateurs organisés et financés par les USA, et en sortir victorieux. En particulier, le Venezuela est toujours représenté en Argentine par les immenses manifestations d'amitié de millions de citoyens qui ont donné une continuité pendant 200 ans à l'étreinte fraternelle de Guayaquil entre les libérateurs José de San Martín et Simón Bolívar.


 Pour l'avenir, il faudra aller de l'avant pour faire la lumière sur les zones d'ombre qui subsistent. Il n'y a toujours pas d'idée unique de l'intégration. Je ne fais pas référence à ce que pensent les droites cavernicoles et monroïstes, mais aux interprétations de l'idéologie bolivarienne qui se font dans la région. En ce sens, les appels du président López Obrador à la bonne volonté des USA envers la région sont équivoques.

Au-delà des bons vœux, cela n'a aucune chance de se concrétiser. La condition impérialiste des USA est dans leur ADN ; s'ils devaient y renoncer, ils deviendraient autre chose, et il n'y a aucun signe de cela. Les Cubains le savent depuis plus de 60 ans, le Nicaragua depuis 1979 et le Venezuela depuis l'arrivée au pouvoir du commandant Hugo Chávez. Notre intégration sera latino-américaine et caribéenne ou ne sera pas. Parler d'un grand espace américain incluant les USA est un non-sens et contredit ce que le président Lopez Obrador lui-même a dit à d'autres occasions. Mais la situation du Mexique est compréhensible, « si loin de Dieu et si proche des USA ». En tout cas, il ne faut pas oublier que Cuba est dans la même situation.

Le président colombien Petro, quant à lui, veut presque obsessionnellement généraliser sans fondement une situation personnelle qui s'est résolue positivement en sa faveur lorsqu'il a été irrégulièrement et illégalement démis de ses fonctions de maire de Bogota. Ayant épuisé toutes les voies de recours internes, il avait fait appel devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), qui avait annulé la décision du tribunal colombien et l'avait réintégré dans son poste. Mais supposer que cette institution dépendante de l'OEA, dont ni les USA ni le Canada ne sont membres mais sur laquelle ils ont le pouvoir de décision, puisse être le summum d'une politique commune en matière de droits humains n'est rien moins qu'une chimère.

Si nous croyons en la CELAC, nous devons être en mesure de créer un corps structurel, avec nos propres institutions, y compris celles des droits humains, afin de résoudre nos problèmes sans ingérence des USA.

Je ne doute pas de la volonté intégrationniste des présidents López Obrador et Petro, mais je me sens obligé de signaler ces zones d'ombre qui, j'en suis sûr, seront résolues par le dialogue et le débat fraternel.

La CELAC devrait également rechercher des mécanismes permettant à un plus grand nombre de chefs d'État et de gouvernement de participer aux réunions du sommet. Si ce n'est pas le cas, les réunions doivent se tenir par téléconférence, avec la participation des ministres des affaires étrangères et des experts techniques pour la rédaction et la révision des documents à approuver. Bien que tous les pays aient été présents à Buenos Aires, la non-participation de certains dirigeants montre que les USA continuent de susciter la peur en utilisant les instruments de coercition, de menace et de chantage qui composent leur vaste arsenal.

Quoi qu'il en soit, les lumières sont si brillantes qu'elles couvrent toute l'insignifiance et les vues mesquines du Sommet. Le plus important est que malgré les intimidations, la coercition et la pression des forces réactionnaires et anti-intégration, la réunion a eu lieu. Dans ce domaine, nous devons être reconnaissants pour le grand travail du gouvernement et du ministère des affaires étrangères argentins.

La tenue du Sommet à Buenos Aires après celui de Mexico en 2020 permet de reprendre la continuité de ces événements, permettant ainsi de penser à nouveau que l'intégration de la région est possible. Les impératifs d'unité et la reconnaissance par la majorité de la nécessité de construire en acceptant la diversité, ainsi que la volonté d'avancer vers l'intégration avec un développement basé sur l'inclusion, sont des signes indubitables d'un avenir prometteur.

La réincorporation du Brésil et la possibilité d'ajouter les présidents Lula et Petro au nécessaire leadership collectif de la région, laissant derrière eux l'obscurantisme médiéval de Bolsonaro et Duque, sont également des signes incontestables que la région évolue dans une direction positive. 

Ralph Gonsalves

L'élection de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et de son Premier ministre Ralph Gonsalves comme président pro tempore de la CELAC est une reconnaissance incontestable des pays insulaires des Caraïbes. Il convient de noter que l'OEA, c'est-à-dire les USA, n'a jamais permis à un ressortissant des Caraïbes d'accéder à la plus haute fonction de cette organisation. La démocratie qui est censée exister dans la CELAC doit être égalitaire. En tant qu'attribut de l'intégration bolivarienne, les différences qui ressortent de la dimension géographique, du nombre d'habitants ou de la taille de l'économie des pays membres ne devraient pas importer au moment de la prise de décision. C'est ce qui a permis à Saint-Vincent-et-les-Grenadines d'être élu par consensus pour représenter l'ensemble de la région à partir d'aujourd'hui et pour un an.

La constitution de la CELAC sociale et la tenue de son propre Sommet à Buenos Aires est l'expression du fait que les peuples de Notre Amérique ont appris du passé. Les gouvernements vont et viennent, les peuples persistent dans leurs luttes, parmi lesquelles celles pour rendre effective l'unité de l'Amérique latine et des Caraïbes. L'intégration ne sera irréversible que lorsque les peuples la prendront en charge. Heureusement, les accords du sommet social de la CELAC vont dans ce sens.

La déclaration de Buenos Aires, instrument final du conclave, réitère l'engagement de tous « à faire progresser l'unité et l'intégration politiques, économiques, sociales et culturelles régionales ». Les 111 points du document, ainsi que les 11 déclarations spéciales, constituent une base de travail solide pour avancer correctement vers l'avenir.

De mon point de vue, les points 92 et 93, ainsi que le point 98, sont particulièrement intéressants. Les deux premiers reconnaissent la « pertinence d'intervenir de manière concertée et de présenter des initiatives consensuelles dans les différents forums multilatéraux ». Ils reconnaissent également la nécessité de : « promouvoir [...] un plus grand nombre d'interventions conjointes dans toutes les enceintes multilatérales sur des questions d'intérêt commun, convaincus que cela contribuera directement à renforcer le rôle et le leadership de la région dans les organisations internationales ». L'idée d'aller vers la construction d'un véritable bloc de puissance régional qui nous montrerait ainsi au monde donne un caractère stratégique à cette déclaration.

D'autre part, le point 98 indique : « Nous nous félicitons des progrès réalisés dans l'approfondissement du dialogue politique de l'Amérique latine et des Caraïbes avec les partenaires extrarégionaux, notamment l'Union européenne, la Chine, l'Inde, l'Union africaine et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) ». Je ne sais pas s'il s'agit d'un oubli, d'une décision consensuelle ou d'un dérapage nécessaire, mais les USA ne figurent nulle part, marquant ainsi la volonté manifeste de la région de s'engager auprès de blocs de puissance mondiaux qui nous reconnaissent sur un pied d'égalité. Peut-être s'agit-il simplement de l'acceptation du fait qu'il n'existe pas de « dialogue politique » avec les USA, ou que ceux-ci ne sont pas considérés comme un « partenaire extrarégional ».

Enfin, comme l'a dit le président Petro, nous devons passer de la rhétorique aux actions et aux actes. Si la déclaration de Buenos Aires est respectée, tous les pays de la région devraient régulariser leurs relations avec Caracas, en revenant à la normalité qui existait avant qu'Obama et Trump n'entreprennent de renverser le président Maduro par la force. De mon point de vue, le point 104 concernant le Venezuela, bien qu'il s'agisse d'un pas en avant, reste faible en ce qui concerne la reconnaissance du gouvernement constitutionnel du président Nicolás Maduro.

Au terme de cet événement et en regardant vers l'avenir, avec Martí, nous pourrions nous demander « Où va l'Amérique, et qui la rassemble et la guide ? ». Et avec l'apôtre de l'indépendance de Cuba, répondre : Et à l'apôtre de l'indépendance cubaine de répondre : « Seule, et comme un seul peuple, elle se lève. Seule, elle se bat. Elle gagnera, seule ».

 

 

ZVI BAR’EL
En ajoutant les Gardiens de la révolution islamique à la liste des terroristes, l’Europe pourrait en fait porter préjudice à Israël

Zvi Bar’el, Haaretz, 24/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tsahal et le Shin Bet pourraient se retrouver confrontés à de graves allégations si l’UE ajoute l’organisation iranienne à sa liste noire du terrorisme. L’atteinte aux droits humains et les ventes d’armes à des ennemis de l’UE sont susceptibles d’être incluses dans la définition élargie du terrorisme.

Le commandant des Gardiens de la révolution, Hossein Salami (au centre), en visite au Parlement de Téhéran, lundi. Photo : AFP

La résolution approuvée par le Parlement européen la semaine dernière, recommandant d’ajouter le Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran à la liste des groupes terroristes de l’Union européenne, a provoqué une tempête.

La résolution n’est pas contraignante et devra passer par un long processus juridique pour être mise en œuvre. Comme l’a déclaré le Haut représentant pour les Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, après le vote, « C’est quelque chose qui ne peut être décidé sans un tribunal [de l’UE], une décision de justice d’abord. Vous ne pouvez pas dire : je vous considère comme un terroriste parce que je ne vous aime pas ».

Le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amirabdollahian a rapporté que lors d’un appel téléphonique jeudi dernier avec Borrell, ce dernier lui a dit que la résolution ne serait jamais mise en application.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, s’adresse aux journalistes lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue libanais, Abdallah Bouhabib, à Beyrouth, au Liban, vendredi. Photo : Bilal Hussein/ AP

Pour les ministres des affaires étrangères de l’UE, il est beaucoup plus facile d’adopter un ensemble de sanctions supplémentaires contre l’Iran - ce qu’ils ont fait lundi - qui visent 37 personnalités gouvernementales connues pour avoir utilisé la force brutale contre des Iraniens participant aux manifestations qui ont suivi le meurtre de Mahsa Amini en septembre dernier. Des sanctions comme celles-ci ne nécessitent pas de grandes délibérations, elles sont faciles à mettre en œuvre et, surtout, elles ne perturbent pas le statu quo dans les relations entre l’Europe et l’Iran.

Ce ne sont pas les premières sanctions occidentales imposées en réponse à la répression des manifestations par Téhéran. Toutefois, la décision de l’Iran de mettre à mort au moins quatre des manifestants - en plus d’Alireza Akbari, qui avait été vice-ministre iranien de la Défense ainsi que citoyen britannique - a incité l’UE à intensifier ses actions contre le régime de Téhéran.

À la suite des actions iraniennes, l’opinion publique européenne est devenue encore plus hostile au régime. Mais les appels à ajouter le Corps des gardiens de la révolution à la liste des organisations terroristes de l’UE ont déjà suscité un débat, car le libellé de la résolution du Parlement européen justifie l’inscription des Gardiens de la révolution sur la liste en raison de leurs activités terroristes, de la répression des manifestants et de la fourniture de drones à la Russie.

La Grande-Bretagne, qui a imposé la semaine dernière ses propres sanctions à l’encontre de personnes et d’organisations iraniennes, a été avertie par un haut responsable des conséquences de la désignation des GRI comme organisation terroriste.

« Proscrire une entité étatique en vertu de la loi sur le terrorisme de 2000 s’écarterait de la politique britannique cohérente en vigueur depuis des décennies et remettrait en question la définition du terrorisme qui, jusqu’à présent, s’est avérée pratique et efficace », a déclaré Jonathan Hall, l’examinateur indépendant de la législation sur le terrorisme du gouvernement, dans un rapport obtenu par The Independent

« Si les forces de l’État sont capables d’être “impliquées dans le terrorisme”, la question de savoir comment la définition du terrorisme s’applique aux autres forces de l’État devra être abordée, au risque de bouleverser la signification établie du terrorisme dans le droit national », indique le rapport.

Israël devrait prêter une oreille attentive à l’avertissement de Hall, car une décision concernant les GRI pourrait avoir des répercussions sur les Forces de défense israéliennes et les services de renseignement israéliens. Ils pourraient eux aussi se retrouver accusés d’activités terroristes si la définition des GRI comme organisation terroriste est approuvée.

Défilé des Gardiens de la révolution à Téhéran. Photo : AP

Les pays de l’UE devront examiner les désignations comme terroristes à deux niveaux. Une première question est de savoir si un organe gouvernemental peut être désigné comme une organisation terroriste sans que cette désignation ne s’applique au gouvernement qui le gère. Une autre question est de savoir si la définition d’une organisation terroriste doit inclure les atteintes aux droits humains, la répression des manifestations et la vente d’armes à des ennemis de l’Europe. C’est ce dilemme qui pourrait créer un problème complexe pour Israël dans l’Union européenne.

Compte tenu des critiques sévères de l’Europe à l’égard de la politique israélienne dans les territoires, des violations des droits humains qui pourraient s’aggraver sous le nouveau gouvernement, des assassinats ciblés et des plans visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême, il s’agit d’un débat important.

Jusqu’à présent, la Haute Cour de justice a servi de barrière défensive contre les interférences juridiques internationales. Comme l’ont suggéré le Parlement européen et de nombreux Britanniques, si la définition du terrorisme  est élargie, les parties intéressées dans l’UE et au Royaume-Uni seront en mesure de poursuivre les FDI, le Shin Bet et même des individus spécifiques.

Il serait bon que le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, qui avait initialement félicité le gouvernement britannique pour « son intention d’inscrire les Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes » et qui a été contraint de se rétracter après avoir appris qu’aucun changement n’était en vue, examine attentivement l’impact d’une telle décision pour Israël.

Outre le fait qu’ils sont aux prises avec des questions de droit et de principe, les pays européens craignent qu’une telle décision rende encore plus improbable la conclusion d’un accord. C’est particulièrement vrai pour l’Allemagne et la France, qui participent aux négociations sur le nucléaire iranien. Le ministre iranien des Affaires étrangères maintient que l’accord n’a pas encore expiré et que Washington prévoit de le renouveler.

En déplaçant le débat sur le statut des GRI devant les tribunaux, sans fixer de date d’audience ni de délai, l’UE s’offre une échappatoire facile. Maintenant, le groupe de travail de l’UE sur le terrorisme fera ses recommandations au Conseil européen (un forum des chefs d’État de l’Union), et ce n’est qu’alors qu’une décision finale sera prise.

La liste noire européenne du terrorisme a été créée après le 11 septembre. Elle comprend aujourd’hui 13 personnes et 21 organisations, mais la liste n’est pas figée et est mise à jour tous les six mois. Certaines organisations peuvent être retirées de la liste - tant de la version européenne que de la version usaméricaine - pour des raisons politiques, comme lorsque le président Joe Biden a retiré les rebelles yéménites de la liste usaméricaine pour permettre des négociations avec eux en vue d’un cessez-le-feu.

De même, il convient de se demander pourquoi les talibans ne figurent pas sur la liste usaméricaine malgré leur longue histoire d’actes de terreur contre les forces US en Afghanistan et leur répression brutale des droits humains. De plus, les USA ont négocié un accord avec les talibans pour se retirer de l’Afghanistan, qui comprenait une clause selon laquelle les forces usaméricaines ne seraient pas attaquées pendant leur retrait.

Washington entretient des liens étroits avec le gouvernement libanais et aide son armée, même si le Hezbollah, qui figure sur la liste usaméricaine des organisations terroristes, est représenté au sein du cabinet et participe activement aux activités gouvernementales.

L’inscription du Corps des gardiens de la révolution islamique sur la liste noire usaméricaine n’a pas empêché Washington de négocier avec Téhéran un nouvel accord nucléaire. Si un accord est finalement conclu, la désignation n’empêchera pas les USA de le signer.

Téhéran a également fermé les yeux sur la liste noire. Dans un premier temps, il a exigé le retrait des GRI de la liste noire comme condition à la poursuite des négociations sur le nucléaire. Selon les dirigeants iraniens, la levée des sanctions économiques sévères qui lui sont imposées est plus importante que le fait que les GRI figurent ou non sur la liste noire du terrorisme. En définitive, le débat sur le statut des Gardiens de la révolution pourrait contraindre les gouvernements à reconsidérer ces listes.

 

25/01/2023

ULI GELLERMANN
L'Ukraine ordonne, le chancelier Scholz s’exécute et livre des Leopard

Uli Gellermann, RationalGalerie, 24/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Certes, la politique étrangère et de guerre allemande se fait aux USA, mais les relations publiques pour l'extension de la guerre en Ukraine peuvent être assurées par l'ambassadeur ukrainien Oleksii Makeiev aux Tagesthemen*. Avec un sourire joyeux, il confie à la soumise Caren Miosga : « Je crois que la coalition des chars est en train de se former ». Avant tout le monde, le proconsil ukrainien des USA en Allemagne peut annoncer la poursuite de l'intensification de la guerre.

Le meilleur char de combat au monde

Depuis plusieurs jours déjà, les médias allemands débordent d'enthousiasme à propos du char de combat Leopard. Le journal télévisé sait ce qui le « rend si particulier » : il est rapide, maniable et facile à réparer. La rédaction de la Tagesschau a explosé de fierté : « Ces chars, surtout dans leurs versions les plus modernes, sont supérieurs aux engins russes et peuvent détruire l'adversaire au combat. Le 'Leopard' est considéré par les spécialistes comme le meilleur char de combat au monde toutes générations confondues ».

Dans le mauvais film

L'ancien commandant en chef de l'armée usaméricaine en Europe, Ben Hodges, a clairement indiqué sur la chaîne de radio US NPR que l'Ukraine pourrait ainsi porter un coup au corridor conquis par la Russie du Donbass à la péninsule annexée de Crimée. Pour ce faire, l'Ukraine pourrait former une unité lourdement blindée avec des chars de combat occidentaux, « le fer de lance d'une force qui pourrait percer les lignes russes en direction de Marioupol ». On se serait cru dans un mauvais film, dans la Deutsche Wochenschau** hitlérienne. Et quand on sait que le Leopard porte en lui les gènes techniques d'un développement de Porsche, du « Königstiger » [Tigre royal] développé par Porsche [et Henschel], la dernière arme miraculeuse de la Seconde Guerre mondiale, on ne s'étonne plus de rien.

Tunisie, décembre 1942 : un Königstiger, ancêtre du Leopard, en action

Une offensive de printemps sanglante

L'ancien général de l'OTAN Hans-Lothar Domröse s'attend à « une offensive de printemps terriblement sanglante ». Personne n'aime parler officiellement de la possible réponse sanglante de l'armée russe. Mais contrairement aux médias et aux politiques allemands ivres de guerre, la population allemande est sceptique : dans le dernier  sondage d’opinion DeutschlandTrend pour le magazine matinal de la télévision publique ARD, seule une courte majorité s'est prononcée en faveur de la livraison de chars de combat lourds à l'Ukraine. Si l'on tient compte du fait que cette majorité a été obtenue au prix d'un pilonnage continu depuis des mois par tous les canaux, on sait que les médias n'ont pas encore complètement atteint leur objectif.

Un plan de paix à la Kissinger ?

« Le moment Kissinger pour un plan de paix est-il proche ? » demande la chaîne "ntv en étayant la « position Kissinger » par une citation du chef d'état-major usaméricain Mark Milley - tout de même le militaire le plus haut gradé des USA - , qui avait déjà déclaré avant Noël avec une franchise déconcertante : « La probabilité d'une victoire militaire de l'Ukraine, définie comme l'expulsion des Russes de toute l'Ukraine, y compris de la Crimée qu'ils revendiquent, n'est pas élevée dans un avenir prévisible ».

Combat final manifestement sur le sol allemand

Une majorité de médias et de politiques ne veut pas entendre parler de négociations. Mais alors que la lutte contre la Russie devait jusqu'à présent être menée jusqu'au dernier Ukrainien, des existentialistes comme Anton Hofreiter [président vert de la commission Europe du Bundestag] et Marie-Agnes Strack-Zimmermann [présidente libérale (FDP) de la commission Défense] veulent manifestement mener le combat final sur le sol allemand. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, dit sans ambages où nous allons : « La Russie doit savoir qu'une guerre nucléaire ne peut jamais être gagnée ». Le bunker antiatomique usaméricain le plus sûr au monde se trouve à Cheyenne Mountain, dans l'État du Colorado. Stoltenberg y a peut-être réservé une place.

NdT

* Tagesthemen est la deuxième émission d'informations de la première chaîne allemande, après l'édition de 20 heures de la Tagesschau (JT).

**Die Deutsche Wochenschau (« revue hebdomadaire allemande ») était une émission d'actualités cinématographiques diffusée de 1940 à 1945 sous le Troisième Reich pour servir la propagande nazie dans le contexte de la mise au pas de la société allemande.

 

Placide, 23/1/2023