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25/09/2022

YOSSI VERTER
Quand Lapid parle de solution à deux États, ce n'est pas à Mahmoud Abbas qu'il s'adresse


Yossi Verter, Haaretz, 23/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En reprenant la solution à deux États, le Premier ministre israélien a cherché à gagner des voix de gauche, mais même s'il gagne les élections, il devra former une coalition avec des députés qui s'opposent à un État palestinien Netanyahou a créé un Likoud alternatif, un autre jalon important dans la transformation du parti en un mouvement d’un seul homme et d’une seule famille

Dessin d'Amos Biderman

Qu'est-ce qu'un chef de parti peut vouloir pour lui-même au milieu d'une campagne électorale interminable si ce n'est donner du grain à moudre, décider de l'ordre du jour, susciter un débat idéologique, déclencher une « tempête » (qui s'éteindra avant même Rosh Hashanah) ? Le Premier ministre Yair Lapid a réussi à se faire ce cadeau jeudi soir à l'Assemblée générale des Nations Unies. Quelques phrases génériques sur la nécessité d'une solution à deux États « à condition que l'État palestinien recherche la paix et ne devienne pas une nouvelle base de terrorisme » ont provoqué une émeute du feu de Dieu dans notre petit shtetl tout droit sorti d’ Un violon sur le toit.

Il s'avère que le vrai et éprouvé conditionnement pavlovien n'a pas rouillé après des années pendant lesquelles sa cause moisissait au grenier. Tout le monde a joué son rôle dans le show : à gauche, ils ont ont fait un bon accueil (même si c’était avec des dents serrées pour des raisons expliquées ci-dessous), à droite ils ont fulminé, au centre ils l'ont ignoré et la claque de l'orateur a fait la fête.

Peu importe que Lapid ait déjà dit ces choses il y a environ deux mois à côté de Joe Biden à Jérusalem. Peu importe que Benjamin Netanyahou ait annoncé sur cette même tribune en 2016 qu'il « restait attaché à la solution à deux États », ait exhorté le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à se rencontrer, l'ait invité à faire un discours à la Knesset et lui-même au parlement à Ramallah. Peu importe que quatre ans plus tard, il ait inauguré avec Donald Trump l '« Accord du siècle », dont le résultat final était le même : deux États.

Il n'est pas non plus important que la déclaration de Lapid en soi n'ait aucune signification pratique et aucune probabilité de mise en œuvre. Il n'y a pas de partenaire. Abou Mazen est en phase terminale, la Cisjordanie s'effrite entre ses doigts et même si Lapid parvient à former un gouvernement après les élections, il devra inclure des éléments qui s'opposent à un État palestinien. Incidemment, quelle différence cela fait-il que ce soit la position connue de Lapid, d'autant plus qu'il s'est rendu compte qu'il était inutile pour lui de se déguiser en homme de droite ? Dans ce pâturage il n'y a pas d'herbe pour son parti Yesh Atid, il n'y en a jamais eu et il n'y en aura jamais.

Les émotions qui ont explosé dans le sillage de ce qui a été rapporté la veille du discours, de sorte qu'il pourrait occuper tout un cycle de nouvelles avant vendredi, samedi et une longue fête, étaient excessives. Tout comme l'ancien Premier Ministre Naftali Bennett a exprimé son point de vue contraire à chaque occasion, que ce soit dans une déclaration proactive ou en ignorant la question de manière démonstrative, son successeur a le droit d'exprimer un point de vue opposé. Le ministre de la Justice de Nouvel Espoir, Gideon Sa'ar, et le ministre du Logement, Zeev Elkin, ainsi que les chefs de l'aile droite du Parti de l'unité nationale, ont dénoncé les petites phrases de Lapid. Le ministre des Finances, Avigdor Lieberman, de Yisrael Beiteinu, les a rejoints – lui aussi avec en tête les élections. Le ministre de la Défense Benny Gantz et l'ancien chef d'état-major Gadi Eisenkot, dans l'autre partie de l'Unité nationale, n'ont pas moufté.

Le Premier ministre Yair Lapid s'adressant à l'Assemblée générale des Nations Unies jeudi. Photo : Mike Segar/Reuters

Eisenkot est sur la même longueur d’ondes que Lapid. Et Gantz aussi, plus ou moins. Si Lapid espérait révéler les atomes crochus entre eux, il y est parvenu. Il espère non seulement les révéler, mais aussi ramasser des votes. En fin de compte, l'histoire est entièrement politique. Quarante jours avant les élections, le prisme ne reflète qu'une seule valeur : TOUT est politique. Le bien-être est politique, le crime est politique, l'économie est politique. Même une mariée ivre qui embarrasse un crooner célèbre est politique. Lorsque le Premier ministre par intérim et chef de Yesh Atid déclare son soutien à la solution à deux États, il dit partition mais il pense occupation. Lapid délimite des territoires qu'il entend annexer : des territoires du centre-gauche. Pour le moment, c'est sa devise : le parti d'abord, le bloc plus tard.

Le virage à gauche s'adresse aux électeurs de Meretz et des travaillistes et à gauche de l'Unité nationale. Lapid aspire à plus que les 23 ou 24 sièges de la Knesset que les sondages d'opinion lui prédisent. S'il réussit à piquer au moins un siège aux trois autres listes (son maximum a été et reste sa percée en 2013, avec 19 sièges), il en sortira heureux. La cheffe de Meretz Zehava Galon, la ministre travailliste des Transports Merav Michaeli et Gantz le seront moins.

HAARETZ
Familiares de los 43 desaparecidos de Ayotzinapa piden a Israel la extradición de un exfuncionario buscado, y la embajada de Israel en la Ciudad de México es “vandalizada” (más bien decorada)

 Haaretz, 22/9/2022
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

Familiares de los 43 estudiantes desaparecidos de Ayotzinapa y simpatizantes se manifestaron frente a la Embajada de Israel en la Ciudad de México para exigir la extradición del ex director de la ACI (Agencia de Investigación Criminal, el “FBI mexicano”, 2013-2018), Tomás Zerón; el embajador israelí: “Escribir “muerte a Israel” en los muros de la embajada no tiene nada que ver con el caso”.

Los familiares de 43 estudiantes mexicanos que fueron secuestrados y asesinados en 2014 se manifestaron el miércoles frente a la embajada de Israel en México, exigiendo la extradición de un ex investigador buscado en relación con este caso. Durante la manifestación, decenas de manifestantes enmascarados decoraron la embajada de Israel con grafitis que decían “muerte a Israel”.

Cientos de manifestantes se reunieron frente a la Embajada de Israel en la Ciudad de México, algunos con fotos de los estudiantes desaparecidos, otros pintando grafitis en los muros de la embajada. Las familias de los 43 estudiantes, que desaparecieron por la fuerza tras ser detenidos por la policía municipal hace ocho años, exigen a Israel la extradición del ex investigador Tomás Zerón, acusado de haber manipulado la investigación sobre el secuestro de los estudiantes.

Tomás Zerón en 2015. Foto Tomás Bravo—Reuters

Buscado por tortura y falsificación de pruebas, Zerón fue uno de los autores intelectuales de la versión de los hechos respaldada por el Estado, presentada en 2015 y rechazada por los familiares de las víctimas y expertos independientes. Zerón vive en Israel desde hace tres años y solicitó asilo oficialmente en 2021. A pesar de las múltiples peticiones de México, Israel sigue negándose a entregarlo a la justicia.

HAARETZ
Des parents des 43 disparus d’Ayotzinapa demandent à Israël d'extrader un ancien fonctionnaire recherché, et l'ambassade d’Israël à Mexico est “vandalisée” (plutôt décorée)

 Haaretz, 22/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Des parents des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa et des sympathisants ont manifesté devant l'ambassade d'Israël à Mexico pour demander l'extradition de l'ancien directeur de l’ACI (Agence d’enquêtes criminelles, le “FBI mexicain”, 2013-2018), Tomás Zerón ; l’ambassadeur d'Israël : « Écrire 'mort à Israël' sur les murs de l'ambassade n'a rien à voir avec l'affaire ».

Les proches de 43 étudiants mexicains qui ont été enlevés et tués en 2014 ont manifesté mercredi devant l'ambassade d'Israël au Mexique, demandant l'extradition d'un ancien enquêteur recherché dans le cadre de cette affaire. Pendant la manifestation, des dizaines de manifestants masqués ont vandalisé l'ambassade d'Israël avec des slogans graffités, dont “mort à Israël”.

Des centaines de manifestants se sont rassemblés devant l'ambassade d'Israël à Mexico, certains portant des photos des étudiants disparus, d'autres peignant des graffitis sur les murs de l'ambassade. Les familles des 43 étudiants, qui ont disparu de force après avoir été arrêtés par la police municipale il y a huit ans, exigent qu'Israël extrade l'ancien enquêteur Tom160s Zerón, accusé d'avoir manipulé l'enquête sur l'enlèvement des étudiants.

Tomás Zerón en 2015. Foto Tomas Bravo—Reuters

Recherché pour torture et falsification de preuves, Zerón était l'un des cerveaux de la version des événements soutenue par l'État, présentée en 2015 et rejetée par les proches des victimes et des experts indépendants. Zerón vit en Israël depuis trois ans et a officiellement demandé l'asile en 2021. Malgré de multiples demandes du Mexique, Israël refuse toujours de le remettre à la justice.

23/09/2022

« Sans la paix avec la planète, il n'y aura pas de paix entre les nations »
Discours historique du président Gustavo Petro à l'Assemblée générale des Nations unies

 Gustavo Petro, Nations unies, 20 septembre 2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

M. le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, Vos Excellences, Chefs d'État et Chefs de Mission accrédités à la 77ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies, Mme la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies, Amina Mohammed, à vous toutes et  tous.

Je viens de l'un des trois plus beaux pays du monde.

Il y a là-bas une explosion de vie. Des milliers d'espèces multicolores dans les mers, dans les cieux, dans les terres... Je viens du pays des papillons jaunes et de la magie. Là, dans les montagnes et les vallées de tous les verts, non seulement les eaux abondantes coulent, mais aussi les torrents de sang. Je viens d'un pays à la beauté ensanglantée.

Mon pays n'est pas seulement beau, il est aussi violent.

Comment la beauté peut-elle se conjuguer avec la mort, comment la biodiversité de la vie peut-elle éclater avec les danses de la mort et de l'horreur ? Qui est coupable de rompre le charme avec la terreur ?

Qui ou quoi est responsable de noyer la vie dans les décisions routinières de la richesse et de l'intérêt ? Qui nous conduit à la destruction en tant que nation et en tant que peuple ?

Mon pays est beau parce qu'il a la jungle amazonienne, la jungle du Chocó, les eaux, la cordillère des Andes et les océans.

Dans ces forêts, de l'oxygène planétaire est émis et le CO2 atmosphérique est absorbé. L'une de ces plantes absorbant le CO2, parmi des millions d'espèces, est l'une des plus persécutées sur terre. On cherche à tout prix à la détruire : c'est une plante amazonienne, la coca, la plante sacrée des Incas.

Comme à un carrefour paradoxal, la forêt qu’on tente de sauver est, en même temps, détruite.

Pour détruire la plante de coca, on jette des poisons et du glyphosate dans l'eau, on arrête les cultivateurs et les emprisonnent. Pour avoir détruit ou possédé la feuille de coca, un million de Latino-Américains sont tués et deux millions d'Afro-Américains sont emprisonnés en Amérique du Nord. Détruisez la plante qui tue, crient-ils depuis le Nord, mais la plante n'est qu'une plante de plus parmi les millions qui périssent lorsqu'ils déclenchent le feu contre la jungle.

Détruire la forêt, l'Amazonie, est devenu le mot d'ordre suivi par les États et les commerçants. Peu importe le cri des scientifiques qui désignent la forêt tropicale comme l'un des grands piliers climatiques. Pour les rapports de force du monde, la forêt tropicale et ses habitants sont à blâmer pour le fléau qui les frappe. Les relations de pouvoir sont rongées par l'addiction à l'argent, pour se perpétuer, au pétrole, à la cocaïne et aux drogues les plus dures afin de s'anesthésier davantage.

Rien n'est plus hypocrite que le discours pour sauver la forêt tropicale.

La forêt tropicale brûle, messieurs, pendant que vous faites la guerre et jouez avec elle. La forêt tropicale, pilier climatique du monde, disparaît avec toute sa vie. La grande éponge qui absorbe le CO2 planétaire s'évapore. La forêt salvatrice est considérée dans mon pays comme l'ennemi à vaincre, comme la mauvaise herbe à éradiquer. L'espace de la coca et des agriculteurs qui la cultivent, parce qu'ils n'ont rien d'autre à cultiver, est diabolisé. Vous ne vous intéressez à mon pays que pour jeter des poisons dans ses jungles, mettre ses hommes en prison et jeter ses femmes dans l'exclusion. Vous ne vous intéressez pas à l'éducation des enfants, mais au fait de tuer leurs forêts et d'extraire du charbon et du pétrole de ses entrailles. L'éponge qui absorbe les poisons est inutile, on préfère jeter davantage de poisons dans l'atmosphère.

Nous leur servons d’excuse pour le vide et la solitude de leur propre société qui les conduit à vivre dans les bulles de la drogue. Nous leur cachons leurs problèmes qu'ils refusent de réformer. Il est préférable de déclarer la guerre à la forêt, à ses plantes, à ses habitants.

Pendant qu'ils laissent brûler les forêts, pendant que les hypocrites chassent les plantes avec des poisons pour cacher les désastres de leur propre société, ils nous demandent toujours plus de charbon, toujours plus de pétrole, pour calmer l'autre addiction : celle de la consommation, du pouvoir, de l'argent.

Qu'est-ce qui est le plus toxique pour l’humanité : la cocaïne, le charbon ou le pétrole ? Les diktats du pouvoir ont ordonné que la cocaïne est le poison et qu'il faut la persécuter, même si elle ne provoque que des morts minimes par overdose, et plus par les mélanges provoqués par son statut clandestin, mais que le charbon et le pétrole doivent être protégés, même si leur utilisation peut provoquer l’extinction de l'humanité entière. Ce sont les choses du pouvoir mondial, les choses de l'injustice, les choses de l'irrationalité, parce que le pouvoir mondial est devenu irrationnel.

Ils voient dans l'exubérance de la jungle, dans sa vitalité la luxure, le péché ; l'origine coupable de la tristesse de leurs sociétés, imprégnées de la compulsion illimitée de l'avoir et du consommer. Comment cacher la solitude du cœur, sa sécheresse au milieu de sociétés sans affection, compétitives au point d'emprisonner l'âme dans la solitude, sinon en la rendant responsable de la solitude de leurs sociétés, qui sont imprégnées de la compulsion illimitée d'avoir et de consommer. Comment cacher la solitude du cœur, sa sécheresse au milieu de sociétés sans affection, compétitives au point d'emprisonner l'âme dans la solitude, sinon en accusant la plante, l'homme qui la cultive, les secrets libertaires de la forêt. Selon le pouvoir irrationnel du monde, ce n'est pas la faute du marché qui réduit l'existence, c'est la faute de la forêt et de ceux qui l'habitent.

Les comptes bancaires sont devenus illimités, l'argent épargné des personnes les plus puissantes de la planète ne peut même pas être dépensé au long de siècles. La tristesse de l'existence produite par cet appel artificiel à la compétition est remplie de bruit et de drogues. La dépendance à l'argent et à l'avoir a un autre visage : la dépendance à la drogue chez les perdants de la compétition, chez les perdants de la course artificielle en laquelle l'humanité s'est transformée. La maladie de la solitude ne sera pas guérie par du glyphosate sur les jungles. Ce n'est pas la jungle qui est à blâmer. Le coupable est leur société éduquée dans la consommation sans fin, dans la confusion stupide entre consommation et bonheur qui permet, oui, aux poches du pouvoir de se remplir d'argent.

Ce n'est pas la jungle qui est à blâmer pour la toxicomanie, c'est l'irrationalité de votre pouvoir mondial.

Donnez un coup de raison à votre pouvoir. Rallumez les lumières du siècle.

La guerre contre la drogue dure depuis 40 ans, si nous ne rectifions pas le tir et qu'elle se poursuit pendant 40 ans encore, les USA verront 2 800 000 jeunes mourir d'overdoses de fentanyl, qui n'est pas produit dans notre Amérique latine. Elle verra des millions d'Afro-Américains emprisonnés dans leurs prisons privées. L’Afro emprisonné deviendra le fonds de commerce des entreprises pénitentiaires, un million de Latino-américains de plus seront assassinés, nos eaux et nos champs verts seront remplis de sang, le rêve de la démocratie mourra dans mon Amérique comme dans l'Amérique anglo-saxonne. La démocratie mourra là où elle est née, dans la grande Athènes d'Europe occidentale.

Pour avoir caché la vérité, vous verrez la jungle et les démocraties mourir.

La guerre contre la drogue a échoué. La lutte contre la crise climatique a échoué.

La consommation mortelle a augmenté, des drogues douces aux drogues dures, un génocide a eu lieu sur mon continent et dans mon pays, des millions de personnes ont été condamnées à la prison, et pour cacher leur propre culpabilité sociale, ils ont accusé la forêt tropicale et ses plantes. Ils ont rempli les discours et les politiques d'absurdités.

J'exige d'ici, depuis mon Amérique latine meurtrie, la fin de la guerre irrationnelle contre la drogue. La réduction de la consommation de drogues ne nécessite pas de guerres, elle nécessite que nous construisions tous une société meilleure : une société plus solidaire, plus affectueuse, où l'intensité de la vie sauve des dépendances et des nouvelles formes d'esclavage. Voulez-vous moins de drogues ? Pensez à moins de profit et à plus d'amour. Pensez à un exercice rationnel du pouvoir.

Ne touchez pas avec vos poisons la beauté de ma patrie. Aidez-nous sans hypocrisie à sauver la forêt amazonienne pour sauver la vie de l'humanité sur la planète.

Vous avez réuni les scientifiques, et ils ont parlé avec raison. Avec les mathématiques et les modèles climatologiques, ils ont dit que la fin de l'espèce humaine était proche, que ce n'est plus une question de millénaires, ni même de siècles. La science a déclenché les sonnettes d'alarme et nous avons cessé de l'écouter. La guerre a servi d'excuse pour ne pas prendre les mesures nécessaires.

Quand il fallait agir, quand les discours ne servaient plus à rien, quand il était indispensable de mettre de l'argent dans des fonds pour sauver l'humanité, quand il fallait sortir au plus vite du charbon et du pétrole, ils ont inventé guerre après guerre après guerre. Ils ont envahi l'Ukraine, mais aussi l'Irak, la Libye et la Syrie. Ils ont envahi au nom du pétrole et du gaz.

Ils ont découvert au XXIe siècle la pire de leurs addictions : l'addiction à l'argent et au pétrole.

Les guerres leur ont servi d'excuse pour ne pas agir contre la crise climatique. Les guerres leur ont montré à quel point ils sont dépendants de ce qui va tuer l'espèce humaine.

Si vous voyez des gens affamés et assoiffés qui migrent par millions vers le nord, là où se trouve l'eau, alors vous les enfermez, construisez des murs, déployez des mitrailleuses, tirez sur eux. Vous les expulsez comme s'ils n'étaient pas des êtres humains, vous reproduisez au quintuple la mentalité de ceux qui ont créé politiquement les chambres à gaz et les camps de concentration, vous reproduisez à l'échelle planétaire 1933. Le grand triomphe de l'assaut contre la raison.

Ne voyez-vous pas que la solution au grand exode déclenché vers vos pays est de revenir à ce que l'eau remplisse les rivières et que les champs se remplissent d’aliments ?

La catastrophe climatique nous remplit de virus qui nous envahissent, mais vous faites des affaires avec les médicaments et transformez les vaccins en marchandises. Vous proposez que le marché nous sauve de ce que le marché lui-même a créé. Le Frankenstein de l'humanité consiste à laisser le marché et la cupidité agir sans planification, en abandonnant les cerveaux et la raison au marché. En agenouillant la rationalité humaine devant la cupidité.

A quoi sert la guerre si ce dont nous avons besoin est de sauver l'espèce humaine ? A quoi servent l'OTAN et les empires, si ce qui se profile est la fin de l'intelligence ?

La catastrophe climatique va tuer des centaines de millions de personnes et écoutez bien, elle n'est pas produite par la planète, elle est produite par le capital. La cause de la catastrophe climatique est le capital. La logique du rapport à l'autre pour consommer toujours plus, produire toujours plus, et pour certains gagner toujours plus, produit la catastrophe climatique. Ils ont articulé à la logique de l'accumulation étendue, les moteurs énergétiques du charbon et du pétrole et ont déclenché l'ouragan : le changement chimique profond et mortel de l'atmosphère. Maintenant, dans un monde parallèle, l'accumulation élargie du capital est une accumulation élargie de la mort.

Depuis les terres de la jungle et de la beauté, là où ils ont décidé de faire d'une plante de la forêt amazonienne un ennemi, d'extrader et d'emprisonner ses cultivateurs, je vous invite à arrêter la guerre, et à mettre fin à la catastrophe climatique.

Ici, dans cette forêt amazonienne, il y a un échec de l'humanité. Derrière les feux qui la brûlent, derrière son empoisonnement, il y a un échec intégral, civilisationnel, de l'humanité.

Derrière la dépendance à la cocaïne et aux drogues, derrière la dépendance au pétrole et au charbon, se cache la véritable dépendance de cette phase de l'histoire humaine : la dépendance au pouvoir irrationnel, au profit et à l'argent. C'est l'énorme machine mortelle qui peut éteindre l'humanité.

Je vous propose, en tant que président de l'un des plus beaux pays du monde, et l'un des plus ensanglantés et violés, de mettre fin à la guerre contre la drogue et de permettre à notre peuple de vivre en paix.

Je fais appel à toute l'Amérique latine à cette fin. J'appelle la voix de l'Amérique latine à s'unir pour vaincre l'irrationnel qui martyrise nos corps.

Je vous invite à sauver la forêt amazonienne intégralement avec les ressources qui peuvent être allouées globalement à la vie. Si vous n'avez pas la capacité de financer le fonds pour la revitalisation des forêts, si l'argent est plus important pour les armes que pour la vie, alors réduisez la dette extérieure pour libérer nos propres espaces budgétaires et avec eux, accomplissez la tâche de sauver l'humanité et la vie sur la planète. Nous pouvons le faire, nous, si vous, vous ne le voulez pas. Il suffit d'échanger la dette contre la vie, contre la nature.

Je vous propose, et j'appelle l'Amérique latine à faire de même, d'engager le dialogue pour mettre fin à la guerre. Ne nous poussez pas à nous aligner sur les champs de bataille. L'heure est à la PAIX. Que les peuples slaves se parlent entre eux, que les peuples du monde se parlent entre eux. La guerre n'est qu'un piège qui nous rapproche de la fin des temps dans la grande orgie de l'irrationalité.

Depuis l'Amérique latine, nous appelons l'Ukraine et la Russie à faire la paix.

Ce n'est que dans la paix que nous pourrons sauver la vie dans ce pays qui est le nôtre. Il n'y a pas de paix totale sans justice sociale, économique et environnementale.

Nous sommes également en guerre contre la planète. Sans paix avec la planète, il n'y aura pas de paix entre les nations.

Sans justice sociale, il n'y a pas de paix sociale.

        

 

ANNAMARIA RIVERA
Ce n'est qu'un animal

Annamaria Rivera, Comune-Info, 21/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice

Le mot spécisme* est fondé sur la notion d'espèce, par analogie avec les mots racisme et sexisme : c'est le système de domination, d'objectivation, d'appropriation des animaux, fondé sur le critère rigide et arbitraire de l'appartenance des individus à une espèce.

Un tel système est soutenu et justifié par le dogme de la Nature et l'idéologie de la centralité et de la supériorité de l'espèce humaine sur toutes les autres. La pensée occidentale moderne, bien qu’envisageant des formes de continuité dans la sphère matérielle - évolutive, biologique, mais aussi génétique - a surtout séparé culturellement et moralement non seulement le corps de l'esprit, le soma de la psyché, mais aussi les humains des non-humains.

Par conséquent, elle a souvent opéré une nette dissociation entre les sujets humains et les objets animaux, réifiant ces derniers et niant non seulement le fait qu'ils ont un “monde”, des cultures, une “histoire”, mais aussi leur qualité de sujets dotés d'une vie sensible, émotionnelle et cognitive.

Les croyances, préjugés et stéréotypes utilisés pour légitimer l'indifférence à l'égard des souffrances infligées aux animaux ou pour justifier la cruauté coutumière à leur égard sont étroitement liés aux formes de pensée racistes et sexistes.

Le mouvement antispéciste (ou mouvement de libération animale) affirme que l’assignation des individus à des catégories biologiques (d'espèces, mais aussi de “race”, de sexe, d'âge) n'est pas pertinente pour décider de la considération à accorder à leurs besoins, à leurs désirs, à leurs droits ; et elle sert simplement de prétexte idéologique à la discrimination, qui va jusqu'à la réification. Au sujet de cette dernière, il suffit de mentionner le fait que, jusqu'en 2015, pour le Code civil français, le statut juridique de l'animal était celui d'un bien meuble : ce n'est que plus tard qu'il est devenu « un être vivant doué de sensibilité » [voir ici].

Un des risques les plus sérieux est, à mon avis, l'infiltration du mouvement antispéciste ou l'appropriation de la “question animale” par des courants de droite ou d'extrême droite. Il est donc également nécessaire - et pas seulement pour des raisons tactiques - d'articuler l'antispécisme avec l'antisexisme et l'antiracisme. Les stéréotypes utilisés pour légitimer l'indifférence à l'égard des souffrances infligées aux animaux ou pour justifier la cruauté habituelle à leur égard sont étroitement liés aux modes de pensée racistes et sexistes.

Une partie de la gauche politique court également de tels risques, incapable, comme elle l'est souvent, de comprendre la valeur stratégique de l'antispécisme. Pour une partie de la pensée de gauche, la “question animale” est un luxe pour les privilégiés, qui seraient indifférents aux questions de classe, de justice sociale et d'égalité. Cependant, bien que la tradition de gauche ait souvent marqué ses distances par rapport à la “question animale”, il existe des exceptions historiques pertinentes auxquelles on peut se référer : de Rosa Luxemburg à Horkheimer et Adorno...

Quant au mouvement féministe, il a certainement développé une réflexion profonde sur ce qui est proclamé, proposé et imposé comme neutralité universelle. Mais, jusqu'à présent, du moins dans ses variantes italienne et française, il n'a pas su réfléchir suffisamment au “cycle maudit de l'exclusion des autres”, inauguré par le spécisme (l'expression est de Claude Lévi-Strauss).


En effet, affirmer que les animaux ne sont pas des choses, des biens ou des marchandises, mais bien des sujets d'une vie sensible, singulière, affective et cognitive (et agir en conséquence) signifie aller dans le sens d'un projet économique, social et culturel qui a pour fondement la redistribution des ressources à l'échelle mondiale, l'égalité économique et sociale, et en fin de compte le dépassement du système capitaliste. Et ceci dans la mesure où, notamment dans sa phase néolibérale et mondialisée, le capitalisme est fondé sur l'exploitation intensive des non-humains comme des humains.

Même les écologistes ont tardé non seulement à se préoccuper du bien-être animal, mais aussi à prendre en compte les énormes dégâts environnementaux causés par l'industrie de la viande. De fait, au moins 142 milliards d'animaux sont abattus chaque année dans le monde. Avant d'être tués, souvent de manière douloureuse et horrible, les animaux d'élevage n'ont aucune existence. Les cochons sont emprisonnés dans des cages qui compriment leur corps et les empêchent de bouger du tout ; les veaux sont arrachés à leur mère dès leur naissance ; les poussins mâles sont pulvérisés vivants...

Cette industrie est la principale responsable de la déforestation, de la consommation et de la pollution de l'eau, de la production de gaz à effet de serre, de l'utilisation planétaire des terres, de la consommation de produits agricoles ; en outre, elle est l'une des premières en termes de consommation d'énergie. Tout cela au profit presque exclusif des pays occidentaux riches et industrialisés, qui sont les plus gros consommateurs de viande par habitant. [voir ici]


En résumé, nous avons aujourd'hui tous les éléments pour affirmer que l'alimentation carnée provoque un véritable désastre écologique (il faut dix mille litres d'eau pour produire un kilo de viande bovine) ainsi qu'une importante sous-nutrition humaine : quatre milliards d'êtres humains de plus pourraient être nourris si les productions végétales destinées aux bovins étaient utilisées directement pour l’ alimentation des humains.


En réalité, les élevages industriels et les abattoirs, avec leur chaîne de démontage des corps des animaux, restent les exemples extrêmes d'“usines” typiquement fordistes. Là, une vache est tuée et dépecée toutes les minutes, un porc toutes les vingt secondes et un poulet toutes les deux secondes. Mais leurs dégâts n'affectent pas seulement la vie des animaux, bien sûr, et l'environnement, mais aussi les travailleurs qui y sont employés. En France, d'ailleurs, il y a eu des enquêtes de terrain sur les chaînes d'abattage, qui décrivent l'enfer des conditions des animaux et des travailleurs.

La rationalité technique de l'élevage et de l'abattage des animaux contient en elle-même une logique qui évoque celle qui a guidé les techniques de concentration et d'extermination des humains. Suivant la sémantique de l'euphémisme homicide, l'extermination planifiée selon la stricte logique industrielle était désignée par l'expression « donner une mort compatissante » afin d'éviter les « souffrances inutiles ». Ainsi, la mise à mort en série d'animaux destinés à l'abattage dans des abattoirs aseptiques et automatisés, prescrite par les lois des pays occidentaux “plus avancés”, est appelée et justifiée comme un “abattage sans cruauté”.

L'antispécisme s'oppose à la vision naturaliste des êtres vivants et s'intéresse non pas à ce que les individus représentent, mais avant tout à ce qu'ils ressentent et vivent. Ce qui compte, ce n'est pas le logos, la rationalité ou la capacité d'abstraction, mais, avant tout, la simple existence de la souffrance de l'animal, qui est la preuve de sa conscience et de sa subjectivité. On sait maintenant que la sensibilité et l'acuité affective des porcs sont parmi les plus développées. Et pourtant, cela n'empêche pas de tuer au moins deux milliards d'entre eux chaque année, après les avoir soumis à des conditions d'élevage horribles.

C'est l'homme occidental-moderne qui a inauguré la rhétorique selon laquelle l'altérité ne peut être définie que par un critère privatif. L'animal non humain serait caractérisé par ce qui lui manque : raison, âme, conscience, langage, culture...

Jamais par sa singularité. A cet égard, les découvertes nombreuses et novatrices dans les domaines de l'éthologie et de la psychologie cognitive nous ont amenés à abandonner progressivement les anciens critères privatifs. Néanmoins, la pensée dogmatique de la suprématie absolue des êtres humains invente toujours de nouvelles différences radicales, infondées ou même ridicules. On disait autrefois que l'utilisation d'outils était “propre à l'homme”, jusqu'à ce que l'on découvre que certaines espèces animales les utilisaient. Ensuite, on a prétendu que seuls les humains étaient capables de les fabriquer, alors qu'en fait les chimpanzés et d'autres animaux en sont également capables. Plus tard, il a été affirmé que les animaux n'avaient pas de langage articulé. Or  on a pu enseigner à certains primates le langage gestuel des sourds-muets humains, avec une syntaxe et d'autres règles.

Nous disposons donc aujourd'hui de tous les éléments scientifiques pour affirmer que les animaux sont des êtres sensibles, dans de nombreux cas dotés d'une conscience, au sens le plus fort du terme.

Certains anthropologues, au premier rang desquels Claude Lévi-Strauss, ont émis l'hypothèse que l'asservissement, la disqualification et l'exploitation des animaux étaient le modèle primaire qui permettait la domination, la réification et la hiérarchisation de certaines catégories d'êtres humains. Pour sa part, Theodor W. Adorno, dans un aphorisme mémorable de Minima Moralia, écrit que l'éventualité du pogrom est décidée « au moment où le regard d'un animal mortellement blessé rencontre un homme. L'obstination avec laquelle il rejette son regard – “ce n'est qu'un animal” - réapparaît irrésistiblement dans les cruautés commises sur les humains, dont les auteurs doivent constamment se convaincre que “ce n'est qu'un animal” ».

NdT

*Spécisme : traduction de l’anglais speciesism, un terme forgé par le psychologue britannique Richard Ryder, membre du Groupe d’Oxford, en 1970, et défini comme « un préjugé ou une attitude de partialité en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et contre ceux des membres d'autres espèces ».

  

  Le marché de la viande, par Carl Hassmann,magazine Puck, USA, 1906 [date de parution du roman d'Upton Sinclair La Jungle, sur les abattoirs de Chicago et de la promulgation de la première loi fédérale de régulation du marché de la viande] :

    Un boucher, "Le trust du bœuf", debout derrière le comptoir d'une boucherie, présentant des produits carnés étiquetés "Poison en pot, bœuf au maïs chimique, poulet de veau, saindoux tuberculeux, rôti de bœuf pourri, jambon désodorisé, saucisses embaumées, porc putréfié". Un verset de la Bible apparaît sous le comptoir : "C'est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni de ce que vous boirez. Matthieu VI:25".


22/09/2022

GIDEON LEVY
Israël veut une nouvelle Intifada

Gideon Levy, Haaretz, 22/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël veut une autre intifada, cela ne fait aucun doute. Il n'y a pas d'autre explication au comportement débridé de ces derniers mois, même si l'on ne voit pas bien quel bénéfice possible pourrait être tiré d'un inutile bain de sang de plus. Inutile, mais Israël le veut : ce qu'il fait dans les territoires occupés ces derniers temps conduira inévitablement à une nouvelle intifada. Israël le sait bien. Il faut donc en conclure que c'est ce qu'il veut.


Des manifestants palestiniens protestant contre l'arrestation de deux militants palestiniens affrontent les forces de sécurité palestiniennes, à Naplouse, en Cisjordanie occupée par Israël, le mardi 20 septembre. Photo MOHAMAD TOROKMAN/ Reuters

Tous les éléments nécessaires au déclenchement d'une nouvelle intifada ne manquent que du côté palestinien : les Palestiniens manquent de leadership, ils manquent de soutien arabe et international, ils manquent d'unité et de combativité, sans lesquelles l'intifada sera lente à venir, même si elle finira par arriver. Mais Israël a fait sa part pour alimenter un déchaînement de colère et de violence à son encontre.

« A quoi vous attendiez-vous ? », demande Trad Salah, dont le fils Uday, 17 ans, est mort lorsqu'un tireur d'élite des FDI lui a tiré une balle dans la tête et une balle dans le cœur à une distance de 100 mètres à Kafr Dan. La question est restée en suspens dans sa maison, qui ne se remettra jamais de son chagrin. Les deux hommes qui ont tué le major israélien Bar Falah au poste de contrôle de Jalamah la semaine dernière venaient de ce village militant. En avril, les soldats ont tué deux hommes non armés dans le village. Maintenant, ils ont tué Uday. Dans quelques jours, l'armée va faire une descente dans le village et raser les maisons des tueurs de Falah. L’évidence s’impose, ce n’est qu’une question de temps. Les fossoyeurs peuvent se mettre au travail dans le cimetière en face de la maison de Salah, qui peut voir la tombe de son fils depuis sa fenêtre.

A quoi vous attendiez-vous ? Demandez aux commandants de Tsahal et du Shin Bet qui laissent l'armée et les services de sécurité faire ce qu'ils veulent. A quoi vous attendiez-vous ? Demandez au Premier ministre et au ministre de la Défense du soi-disant gouvernement de changement et de guérison, qui ont permis et encouragé tout cela. À quoi vous attendiez-vous ? Il faut demander à chaque Israélien qui reste silencieux. Aucun peuple qui a souffert comme le peuple palestinien a souffert ne restera silencieux, et cela inclut le peuple palestinien entre Rafah, dans la bande de Gaza, et Jénine en Cisjordanie.

Ce qu'Israël fait depuis quelques mois est un aller simple vers un soulèvement populaire, même s'il échoue comme ses deux prédécesseurs. Le plus grand nombre de décès de Palestiniens et de détentions sans procès en sept ans et le plus grand nombre d'incidents violents commis par des colons - peut-être plus que jamais. À quoi vous attendiez-vous ? Des châtiments collectifs éhontés, des châtiments familiaux sans hésitation - à quoi vous attendiez-vous ? Qu'attendez-vous d'une armée dont le commandant se vante de sa capacité à tuer et dont les soldats savent que tout est permis ?

Il est difficile de savoir par où commencer - par l'apartheid quotidien, par l'agriculteur palestinien qui a essayé de se protéger et de protéger ses biens contre les voyous colons et qui a maintenant les mains écrasées, et qui est détenu depuis deux semaines alors que le colon qui l'a blessé est libre ? Avec le meurtre de Shireen Abu Akleh, suivi des tentatives mensongères des FDI de fuir toute responsabilité pour ce crime ignoble et de soutenir les soldats qui l'ont abattue lorsqu'ils ont vu qu'elle était journaliste ?

Avec l'incroyable légèreté avec laquelle les soldats tuent des manifestants non armés, presque tous les jours, et l'incroyable indifférence du public avec laquelle ces meurtres en série sont accueillis ? Avec la sanctification de l'armée de l'occupation ? Avec la façon écœurante dont l'armée est adulée dans les médias, une tendance qui, ces derniers temps, a encore une fois pris des proportions effrayantes ? Il ne se passe pas un jour sans que l'on parle d'un soldat ou d'une unité militaire exemplaire.

Qu'attendiez-vous de l'écrasement du président palestinien Mahmoud Abbas par Israël ? Que le Premier ministre Yair Lapid rencontre le roi Abdallah à l'ONU et ignore complètement Abbas, comme si nous étions revenus à l'époque de “l'option jordanienne” de Shimon Peres ? L'armée et les colons s'enivrent de plus en plus du pouvoir ? Par où commencer ?

C'est beaucoup plus facile de dire comment cela va se terminer. Cela se terminera par du sang. Plus de sang. Avec un soulèvement violent. Il pourrait être très brutal, et il sera assez facile d’en comprendre, et même de justifier, les motivations.


 

21/09/2022

FARAH STOCKMAN
Le “déferlement de migrants” sur Martha's Vineyard met en lumière une vérité : le système d'immigration usaméricain est obsolète

Farah Stockman, The New York Times, 16/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Farah Stockman (1974) a rejoint le comité de rédaction du New York Times en 2020 après avoir couvert la politique, les mouvements sociaux et les questions “raciales” pour le desk national. Elle avait auparavant passé 16 ans au Boston Globe, dont près de la moitié en tant que journaliste de politique étrangère à Washington. Elle a effectué des reportages en Afghanistan, au Pakistan, en Iran, au Sud-Soudan, au Rwanda et à Guantánamo Bay. Elle a également été chroniqueuse et membre du comité de rédaction du Globe, remportant un prix Pulitzer pour ses commentaires en 2016. Elle est l'auteure de American Made : What Happens to People When Work Disappears,
sur les ouvriers de l'usine de roulements à billes Rexnord à Indianapolis et les raisons de leur vote pour Trump, suite aux menaces de fermeture et de délocalisation à Monterey au Mexique, qui ont été effectivement mises à exécution. @fstockman

Depuis avril, le gouverneur Greg Abbott du Texas a fait transporter en bus plus de 7 900 migrants de l'État vers Washington, D.C. En août, il a commencé à envoyer des migrants à New York. Maintenant, le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, s'y met aussi, en envoyant deux cargaisons de migrants à Martha's Vineyard*, dans le Massachusetts. À en croire Mister Abbott, il veut ainsi  percer à jour le bluff des maires des États bleus (démocrates) qui prétendent accueillir à bras ouverts les immigrants sans papiers. Cela fait également partie d'un plan républicain pas si secret que ça, visant à attiser la colère du populo contre les démocrates avant les élections de mi-mandat.

Des immigrés se rassemblent le 14 septembre avec leurs affaires devant l'église épiscopale St Andrews à Edgartown, sur Martha's Vineyard. Photo Ray Ewing / Vineyard Gazette via AP

 Politicaillerie mise à part, une chose est claire : notre système d'immigration est depuis longtemps surchargé et obsolète, et la procédure d'asile est une grande partie de ce qui ne fonctionne pas. Le nombre de nouvelles demandes d'asile déposées devant les tribunaux usaméricains de l'immigration a explosé, passant de 32 895 pour toute l'année 2010 à 156 374 en 2022 - à quatre mois de la fin de l’année. Cela s'explique en partie par le fait que les conflits et le Covid ont créé une migration massive à travers le monde. Les tribunaux de l'immigration n'ont pas été en mesure de faire face à l'afflux de nouveaux arrivants. En 2010, il y avait un arriéré d'environ 100 000 dossiers d'asile en cours de traitement. Aujourd'hui, ce chiffre est passé à plus de 660 000. Si l'on inclut d'autres types d'affaires, comme les ordres d'expulsion, les dossiers en souffrance dans les tribunaux de l'immigration ont atteint plus de 1,8 million.

Ces chiffres reflètent un récent pic de migration. Au cours des deux dernières années, environ un million de personnes ont été autorisées à entrer dans le pays pour attendre une audience devant un tribunal de l'immigration, selon un rapport récent de ma collègue du Times, Eileen Sullivan. Chaque personne a eu un an pour déposer une demande d'asile. Ce n'est pas seulement un phénomène de l'ère Biden : un nombre similaire a été admis par l'administration Trump pendant une période de 24 mois en 2018 et 2019, lors de la dernière grande poussée migratoire.

Combinés, ces chiffres ont brisé le système. Bien que les audiences de demande d'asile soient censées se tenir dans les 45 jours suivant le dépôt d'une demande, le temps d'attente actuel pour une audience de demande d'asile est en moyenne de près de quatre ans et demi, selon les données des chercheurs compilées au centre TRAC de l'université de Syracuse. Plus la résolution d'un cas est longue, plus il peut être difficile de renvoyer les personnes dont la demande d'asile a été rejetée, comme cela s'est produit dans plus de la moitié des cas d'asile l'année dernière. Selon les prévisions, plus de 745 000 procédures d'expulsion seront engagées en 2022, soit plus du double de toutes les autres années, à l'exception de 2019. Les longs retards dans la résolution des dossiers d'asile sont devenus une crise grave et auto-entretenue : ces délais incitent les gens à déposer des demandes d'asile infondées, sachant que cela leur fera gagner des années, même s'ils sont finalement expulsés.

 

DeSantis déporte des dizaines d'immigrants
"Bienvenue à Marth's Vineyard ! Quoi que vous aimiez faire -pêcher, vous balader, faire du shopping, vous réunir, créer, manger, vous relaxer -, vous pouvez vous y livrer sans contraintes"

Dessin de Randall Enos

Le problème vient en partie du fait que l'asile est l'une des rares voies légales que les personnes économiquement désespérées peuvent utiliser pour obtenir la permission de vivre et de travailler aux USA. En vertu de la législation usaméricaine et des conventions des Nations unies établies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les personnes qui expriment une « crainte fondée d'être persécutées pour des raisons de race, de religion, de nationalité, d'appartenance à un groupe social particulier ou d'opinions politiques » sont autorisées à attendre que leur dossier d'asile soit jugé aux USA, où elles peuvent demander l'autorisation de travailler 150 jours après avoir déposé leur demande d'asile. Les documents d'autorisation de travail doivent être renouvelés tous les deux ans, ce qui crée une autre montagne de paperasse que la bureaucratie doit gérer.

Les demandeurs d'asile dont le dossier est authentique sont parmi les plus lésés par les fausses demandes, qui augmentent considérablement le temps qu'ils doivent attendre pour obtenir une protection juridique.

L'administration Trump a essayé un certain nombre de méthodes pour décourager les gens de déposer de nouvelles demandes d'asile, notamment en obligeant certaines personnes à rester au Mexique pendant qu'elles demandent l'asile aux USA. Néanmoins, les demandes d'asile ont en fait fortement augmenté sous le président Donald Trump, en partie en raison d'une poussée migratoire, mais aussi comme moyen de défense contre ses efforts accrus pour expulser les gens.

L'épidémie mondiale de Covid-19 a présenté une nouvelle opportunité de réduire les demandes d'asile. Le Titre 42 [du Code des USA], la politique de santé publique liée à la pandémie que l'administration Trump a instituée en mars 2020, a permis aux responsables usaméricains d'expulser rapidement les migrants à la frontière sans leur accorder la possibilité de déposer une demande d'asile. Beaucoup sont repoussés au Mexique, ce qui les expose à davantage de danger. L'administration Biden a annoncé qu'elle rouvrirait le traitement des demandes d'asile à la frontière et chercherait à mettre fin à l'utilisation du Titre 42, mais plus de 20 procureurs généraux républicains ont intenté une action en justice pour maintenir le Titre 42 en place, alors même que certains d'entre eux s'opposaient à d'autres efforts de prévention du Covid et insistaient sur le fait que la pandémie était exagérée. Jusqu'à présent, les efforts de l'administration pour modifier cette politique ont été bloqués par un juge fédéral.

Le Titre 42 finira par être levé ; à ce moment-là, le pays s'appuiera sur le Titre 8 [du Code des USA], l'autorité prépandémique en vertu de laquelle les agents usaméricains peuvent rapidement expulser ou mettre à l'amende les personnes prises en flagrant délit d'entrée illégale aux USA, à moins qu'elles ne soient jugées éligibles pour demander l'asile. Cela est juste ; un système bien géré doit être habilité à rejeter et à expulser rapidement les personnes dont la demande est infondée, tout en mettant en relation les personnes dont le cas est authentique avec des réseaux de soutien social. À cet égard, l'administration Biden n'a pas reçu le crédit qu'elle mérite pour un changement de règle important, bien que sous-estimé, qui pourrait remanier le système. Cet été, des agents d'asile formés ont statué sur certaines demandes d'asile dans une poignée de centres de détention de l'ICE (Police de l’immigration et des Frontières) au Texas, soulageant ainsi les tribunaux de l'immigration. Les demandeurs d'asile dont la demande est rejetée peuvent toujours faire appel auprès d'un juge. L'espoir est que les décisions rapides concernant les nouveaux cas empêcheront l'arriéré de s'accroître et décourageront les demandes fausses ou sans fondement.

La nouvelle règle n'est pas le tapis de bienvenue que de nombreux militants des droits des immigrants attendaient de l'administration Biden après quatre années de présidence Trump. Elle n'est pas non plus le traitement de tolérance zéro que de nombreux républicains considèrent comme le seul moyen de dissuader les migrants de s'amasser à la frontière. Mais il s'agit d'une politique saine fondée sur des recommandations et des recherches approfondies menées par des groupes respectés, notamment le Migration Policy Institute, un organisme non partisan. À une époque où presque tout ce que fait un président en matière d'immigration lui attire des poursuites judiciaires, elle a été soigneusement rédigée pour être le plus à l'abri possible des litiges. Combiné aux efforts bipartites visant à augmenter la capacité de traitement des non-citoyens à la frontière dans des centres d'accueil regroupant tous les départements et agences concernés sous un même toit, il pourrait finalement transformer un système défaillant en un système beaucoup plus efficace, moderne et équitable.

À une époque où les USAméricains sont déjà en désaccord entre eux sur ce que nous pourrions appeler les valeurs fondamentales - les croyances culturelles qui soudent notre pays - il est raisonnable de s'inquiéter de savoir si l'ajout de nouveaux arrivants au mélange compliquera la tâche de forger un avenir commun. Pourtant, il s'agit également d'une question qui touche au cœur de notre identité et qui nous permet de savoir si nous continuerons à être un endroit où les masses fatiguées, pauvres et entassées du monde peuvent obtenir une seconde chance. Pour être fidèles à notre identité de pays pluraliste, nous avons besoin d'un système d'asile qui garantisse que les personnes qui remplissent les conditions requises pour bénéficier d'une protection puissent l'obtenir - tout en réduisant au minimum les abus du système par ceux qui essaient simplement de passer la ligne.

NdT

Martha's Vineyard (« Le Vignoble de Martha ») est une île de l'État du Massachusetts, à 6 km de Cape Cod, au sud de Boston et à l’est de Newport. L'île est surtout connue comme résidence d'été de la jet set et des présidents  usaméricains, une mode lancée par Ulysses Grant en 1874 et suivie entre autres par Kennedy, Clinton et Obama, qui a été critiqué pour cela pendant la récession de 2007 à 2012. En 2019, les Obama y ont acheté un sam'suffit de 640 mètres carrés sur un terrain de 12 ha pour la modique somme de 11,75 millions de $. De quoi loger plusieurs centaines de migrants...

Entrée d'enfants sans papiers non accompagnés : "Venez, mais pas maintenant"