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17/07/2023

BLANCHE PETRICH
Mexique : selon des experts, les archives de Tlaxcoaque vont changer notre regard sur la guerre sale
On en trouvera probablement dans trois dépôts récemment ouverts

Blanche Petrich, La Jornada, 15/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a deux décennies, le ministère de la Défense nationale et le Centre de renseignement et de sécurité nationale (CISEN), aujourd’hui disparu, ont remis aux Archives générales de la nation les fonds documentaires des années de la “guerre sale”. Bien qu’incomplets et fragmentés, ils peuvent être consultés par toute personne qui en fait la demande. Mais pour reconstituer l’ensemble du puzzle de la répression de cette période - en particulier entre 1965 et 1990 - il manque une pièce maîtresse : les archives de l’ancienne police de la capitale, la police secrète ou Division des enquêtes et de la prévention de la délinquance (DIPD).

La zone du centre de détention souterrain de Tlaxcoaque a perduré même après sa fermeture, suite à la dissolution de la DIPD ordonnée par Miguel de la Madrid lors de son entrée en fonction en 1982. Photo Alfredo Domínguez

Après de multiples demandes de renseignements et d’ouverture, ils avaient été considérés comme perdus ou détruits. Jusqu’à présent. Cela pourrait bientôt changer, affirme Carlos Pérez Ricart, l’un des quatre experts du Mécanisme de clarification historique ((Mecanismo para la Verdad y el Esclarecimiento Histórico, MEH).

Suite à la signature d’un accord entre le bureau du procureur général de Mexico et la Commission pour l’accès à la vérité, la clarification historique et la promotion de la justice, l’accès a été ouvert au début de ce mois à trois dépôts d’archives, un de la police et deux du bureau du procureur général lui-même.

Les chercheurs n’ont été admis que lundi dernier. « Si les archives de Tlaxcoaque sont là - ce qui est possible -, cela changera la façon dont nous avons perçu l’ère répressive au Mexique jusqu’à aujourd’hui, en particulier entre les années 1970 et 1980. Elle a toujours été étudiée d’un point de vue national, mais ce sont des organes infranationaux qui ont perpétré les violations les plus graves du droit humanitaire. Et c’est précisément dans ce qui était alors le district fédéral que les acteurs les plus répressifs du XXe siècle ont opéré, pire encore que les agents et les chefs de la direction fédérale de la sécurité ».

Lieu où les serpents regardent

En náhuatl [la langue des Aztèques], Tlaxcoaque signifie lieu où les serpents regardent.

Le livre Historia de las policías en México, de Pérez Ricart et du chercheur du MEH Daniel Herrera Rangel, montre comment, depuis l’époque des Services secrets de la police du District fédéral, fondés dans les années de la présidence de Lázaro Cárdenas [1934-1940], jusqu’à l’année de leur dissolution formelle en 1986, tous les commandants des forces de police étaient des généraux de l’armée.

16/07/2023

BLANCHE PETRICH
Mexique : à Tlaxcoaque, on torturait aussi des enfants et des adolescents pendant la Guerre sale

Blanche Petrich, La Jornada, 14/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Blanche Petrich (Mexico, 1952) est une journaliste mexicaine qui travaille principalement pour le quotidien La Jornada. Elle a notamment couvert les conflits armés en Amérique centrale et en Irak.

Mexico. María del Carmen Alonso Acevedo, 57 ans, se souvient du jour où elle a été arrêtée par la police de la Direction des enquêtes pour la prévention du crime et emmenée aux basses-fosses de Tlaxcoaque*. Ce jour-là, sa sœur aînée fêtait ses 15 ans et sa mère était allée la voir au Tutelar de Menores [centre de détention de mineurs] pour lui apporter un gâteau et des chuchulucos [friandises]. Maricarmen avait 12 ans et “par mimétisme et rébellion”, elle s’était elle aussi lancée dans l’aventure de la rue, des bandes d’enfants, du vol pour manger et “enfin... pour nos drogues”.

À cet âge, cette enfant des rues a appris ce qu’étaient la torture et l’emprisonnement illégal, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’elle sait que ce qu’elle a subi constitue une violation flagrante de ses droits humains.

Les caractéristiques les plus extrêmes de la police de la capitale qui opérait sous les ordres des généraux Luis Cueto et Raúl Mendiolea, Arturo “El Negro” Durazo et Francisco Sahagún Baca, n’excluaient pas les enfants parmi leurs victimes.

Arturo "El Negro" Durazo Moreno (1918-2000) a été chef du département de la police et de la circulation du district fédéral pendant les six années du mandat du président José López Portillo. Il a acquis une grande notoriété au début des années 1980, lorsque certaines de ses propriétés millionnaires ont été révélées et, surtout, grâce à la publication du livre Lo negro del "Negro" Durazo, écrit par l’un de ses anciens adjoints, José González González. Arrêté en 1984, il a passé huit ans en prison avant d’être libéré pour des raisons de santé et de “bonne conduite”. Il est mort dans son lit à Acapulco

Ni les jeunes, pour le simple fait d’avoir les cheveux longs ou d’avoir un joint de marijuana dans la rue. C’est ce qu’a vécu Luis Manuel Serrano Díaz, à l’âge de 17 ans. Il a été arrêté dans le quartier Insurgentes Mixcoac, à quelques rues de chez lui, avec ses frères. À l’intérieur de leur vocho [coccinelle volkswagen], ils étaient en train de faire la bringue.

Serrano est un artiste visuel qui dirige l’atelier de collage à la prison de Santa Martha Acatitla, Las Liternas de Santa Martha. Son cas ne s’est pas aggravé. Les jeunes ont été libérés quelques heures plus tard. La jeune Maricarmen, en revanche, n’a pas eu cette chance.

Environ 40 enfants

« Et ne croyez pas que nous n’étions que quelques-uns. Le jour où ils m’ont emmené, j’ai vu une quarantaine d’enfants. Les garçons étaient appelés ‘los pelones’ (les tondus) parce qu’ils les rasaient. Pas les filles : ils versaient simplement le ciment que nous inhalions dans nos cheveux. Ensuite, nous devions nous raser les cheveux nous aussi ».

Elle n’a rien oublié de ces huit jours passés dans les caves de Tlaxcoaque. « Ils m’ont attrapée dans la TAPO [gare routière de l’Est]. Je faisais la manche. Quelqu’un m’a demandé de garder un panier de gâteaux et c’est là qu’ils m’ont attrapée. Ils ont dit que je transportais de la marijuana, mais ce n’était pas le cas. Dès qu’ils nous ont fait monter dans la camionnette, une de ces camionnettes blanches sur lesquelles était écrit “Prévention sociale”, ils ont commencé à nous toucher partout. Et ça les faisait rire. Une fois à l’intérieur, ils nous ont donné des baffés partout. Et ils nous ont arrosés d’eau glacée ».

Il y a quelques jours, alors qu’elle se promenait dans la rue Corregidora, dans le centre historique, elle a vu une affiche à moitié effacée sur le mur. Sous le titre “La mémoire raconte l’histoire”, on peut lire un appel à ceux qui veulent partager leurs témoignages sur les graves violations des droits humains commises à Tlaxcoaque entre 1957 et 1989.

« Oh, maintenant ils le font. Ils se sont même souvenus de nous », se dit-elle. Pour elle, cet appel à faire partie de l’histoire de la ville a été l’une de ses plus grandes revendications. « J’ai toujours pensé que ce que nous, les enfants, avons vécu dans cet endroit épouvantable devait être connu. Eh bien, voyons si ça va être le cas maintenant ».

Elle a fini de décoller l’affiche, l’a pliée soigneusement et l’a mise dans son sac de courses. Dès qu’elle a pu, elle a cherché l’adresse indiquée dans le quartier boboïsé de Hipódromo Condesa, la Casa Refugio Citlaltépetl (CRC) - désignée par le Mecanismo para el Esclarecimiento Histórico (MEH, Mécanisme de clarification historique) pour recevoir les témoignages des victimes - et s’est inscrite pour témoigner. Devant la directrice du CRC, María Cortina, elle déplie l’affiche et demande : “C’est ici ?”

15/07/2023

DANI BAR ON
Liad Mudrik : cette neuroscientifique israélienne tente de percer le secret de la conscience humaine

Dani Bar On, Haaretz, 14/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La mesure de l’expérience consciente permettrait de mieux traiter les traumatismes crâniens et les accidents vasculaires cérébraux et de révéler à quel stade embryonnaire la conscience se développe, entre autres résultats importants. Liad Mudrik parviendra-t-elle à résoudre ce mystère vieux de 2 000 ans ?

Mudrik : “J’ai essayé de faire des recherches sur d’autres sujets, mais j’ai toujours été attirée par ce qui, pour moi, est la question : la question de la conscience. Photo : Daniel Tchetchik

« Je dois avoir un penchant masochiste », dit la professeure Liad Mudrik, « si on me dit qu’il y a une énigme qui n’a pas été résolue depuis 2000 ans, je m’y plonge ». À plusieurs reprises au cours de mes conversations avec elle, Mme Mudrik, qui est de nature très verbale, a décrit de manière créative l’enchevêtrement dans lequel elle s’est retrouvée.

« À plusieurs reprises, des personnes m’ont conseillé de ne pas explorer le sujet, car il est trop compliqué » ; ou encore, « c’est comme entrer dans un champ de mines, on ne sait pas quels organes on va perdre en chemin » ; et la cerise sur le gâteau, dans sa description de son travail : « c’est comme se frapper la tête contre un mur, encore et encore, et puis encore ». Masochisme ? Peut-être est-ce simplement le pouvoir de l’amour. « C’est ce qui allume un feu en moi », résume-t-elle, peut-être à regret. « C’est ce qui m’empêche de dormir. Il y a eu une période où j’ai essayé de faire des recherches sur d’autres sujets, mais j’ai toujours été attirée par ce qui est pour moi la question : la question de la conscience ».

La conscience n’est pas tout dans la vie. Même sans elle, nous sommes capables d’absorber et de traiter des informations, et d’agir en conséquence. C’est ce que sait tout conducteur qui arrive à bon port alors que ses pensées vagabondaient ailleurs pendant le trajet. Parfois, la conscience nous gêne même - pensez, par exemple, à ce qui se passerait si vous planifiez chaque mouvement à l’avance avant de le faire. L’intelligence artificielle a également la capacité de traiter des informations ; nous, contrairement à l’IA, pouvons vivre des expériences. Lorsque nous mangeons des toasts avec de la confiture, que nous sautons, que nous nous faisons masser ou que nous recevons une gifle, il ne s’agit pas seulement d’une entrée et d’une sortie. Nous ressentons également que c’est comme “quelque chose” pour nous. Ce sont nos expériences, et c’est pour elles que nous vivons. 

« Supposons que je vous offre un milliard de shekels ou la vie éternelle, selon votre choix », explique Mudrik, qui dirige le High-Level Cognition Lab à l’école des sciences psychologiques et à l’école des neurosciences Sagol de l’université de Tel-Aviv. « Menez votre vie dans le monde comme vous le faites : mangez, travaillez, ayez des enfants. Mais renoncez à votre expérience consciente. Rien n’aura de goût. Vous ne sentirez rien. Tout le monde rejetterait un tel marché ». Celui qui parviendra à comprendre comment l’expérience consciente est produite dans le cerveau aura en quelque sorte percé le secret de l’humanité. C’est cet objectif, dont certains disent qu’il ne sera jamais atteint, que vise le projet scientifique de Mudrik.

La résolution de l’énigme de la conscience serait une magnifique réussite en soi, mais elle aurait également une portée pratique. Si cela se produit, nous pourrons distinguer plus précisément les différents niveaux de conscience chez les personnes ayant subi un traumatisme crânien ou un accident vasculaire cérébral, et nous pourrons mieux les traiter. Nous saurons quels animaux possèdent une conscience et lesquels n’en ont pas, ce qui pourrait influer sur la manière dont nous les traitons. Nous saurions à quel stade embryonnaire la conscience se développe. Si nous parvenons même à créer un dispositif de mesure de la conscience sur une échelle standard, qui ne soit pas destiné uniquement aux entités dotées d’un cerveau, nous saurons si un groupe de cellules que nous avons élevé en laboratoire a développé une conscience, ou si un système d’intelligence artificielle l’a fait, et bien d’autres choses encore.

Un certain nombre de scientifiques de renommée mondiale relèvent le défi d’élaborer une théorie qui explique ce que l’on appelle les corrélats neuronaux (c’est-à-dire la base) de la conscience, et ont consacré une grande partie de leur carrière à ce sujet. Giulio Tononi, de l’université de Wisconsin-Madison, qui a conçu la Théorie de l’information intégrée (TII), et Stanislas Dehaene, du CNRS, qui a élaboré la Théorie de l’espace de travail global (TETG, Global Network Workspace Theory, GNWT). Chacun d’entre eux soutient que la racine de l’expérience consciente se trouve dans une partie différente du cerveau. Selon la TETG, il s’agit de la partie antérieure du cerveau, où se trouvent d’autres fonctions neuronales élevées telles que le contrôle du comportement, la planification et la compréhension. La TII, quant à elle, affirme que l’expérience consciente trouve son origine en grande partie dans la partie postérieure du cerveau, en raison d’une configuration particulière du réseau neuronal qui s’y trouve.

Les deux théories prospèrent malgré leurs contradictions. Comment cela est-il possible ? Une étude bouleversante menée par un doctorant du laboratoire de Mudrik, Itay Yaron, et publiée en 2022, portant sur des centaines d’expériences de conscience, a montré qu’il était possible de prédire quelle théorie l’expérience soutiendrait, quels qu’en soient les résultats, uniquement sur la base de la méthodologie utilisée. En science, comme dans les sondages électoraux, la façon dont la question est examinée peut, dans de nombreux cas, dicter le résultat.

Les mauvaises langues diront que tout le monde profite de l’existence de deux théories concurrentes. Les scientifiques reçoivent des fonds et de la gloire, leur ego est gonflé, les revues publient leurs études, les étudiants accumulent les diplômes et trouvent des postes dans le monde universitaire - mais l’objet de la recherche lui-même peut rester quelque peu irrésolu. En fin de compte, s’il y a une telle contradiction, il est probable que des erreurs ont été commises : Soit celui-ci est faux, soit celui-là, soit les deux, mais il n’y a aucune raison de penser que les deux sont corrects. Comment le saurons-nous ? « Il est possible que l’établissement de chaque théorie en soi ne nous ait pas aidés », explique Mudrik. « Certains diront que nous tournons en rond depuis quelques décennies et que la seule façon de progresser est de mener des expériences qui nous rapprochent d’une décision ».

C’est exactement ce que fait Mudrik. Avec les Profs. Lucia Melloni et Michael Pitts, ainsi que 26 autres chercheurs, elle dirige “Cogitate”, un projet unique en son genre, tant par son ampleur que par son financement - 5 millions de dollars alloués à cette fin par la Templeton World Charity Foundation - dont l’objectif est de trancher entre TETG et TII, qui sont considérées comme les deux théories les plus avancées à l’heure actuelle.

Le cœur du projet consiste en deux expériences. Dans la première, une tâche visuelle assez simple basée sur une expérience menée dans le passé par le professeur Leon Deouell de l’université hébraïque de Jérusalem, 256 sujets répartis dans six laboratoires à travers le monde ont participé. La seconde expérience porte sur une tâche plus complexe, une sorte de jeu vidéo dans lequel les sujets doivent attraper des balles imaginaires au milieu de visages et d’autres objets qui clignotent. Dans les deux expériences, l’activité neuronale des sujets a été suivie par une de trois méthodes d’imagerie différentes, afin de permettre un suivi étroit, par des moyens multidimensionnels, de l’éveil de la conscience dans le cerveau.

GIDEON LEVY
Un soldat israélien a “tiré en l'air”, tuant un Palestinien handicapé

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haretz, 15/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Versione italiana: Un soldato israeliano “spara un colpo in aria” e colpisce un palestinese disabile uccidendolo

Mohammed Hasanain était devenu handicapé il y a quatre ans lorsque des soldats israéliens lui ont tiré une balle dans la jambe lors d’une manifestation à Ramallah. Au cours d’une manifestation déclenchée par la récente invasion du camp de réfugiés de Jénine par les forces de défense israéliennes, il a été abattu.


La photo de Mohammed sur une banderole à Ramallah

Un père endeuillé est assis seul dans un appartement neuf et vide d’un quartier aisé de la ville de Ramallah, en Cisjordanie, et se remémore les catastrophes qui l’ont frappé depuis le début de l’année. La voix d’Imad Hasanain, 47 ans, originaire de la bande de Gaza et officier dans les services de renseignement palestiniens, ne laisse transparaître aucune émotion. Cette année a été pour lui « l’année de Job ».

Le 6 février, sa fille Noor Al Houda, âgée de 14 ans à peine, est décédée. Elle avait été complètement paralysée à la suite d’un accident de la route survenu à l’âge de 6 ans et avait été branchée à un respirateur. Au cours des années qui ont suivi, elle a été hospitalisée à l’hôpital de rééducation Reuth à Tel-Aviv et dans plusieurs autres établissements pour enfants en Israël. Son père consacrait la majeure partie de son temps à s’occuper d’elle. Noor Al Houda est décédée chez elle, à Ramallah, des suites de complications respiratoires. Son père nous montre des photos d’elle avant et après l’accident. Trois semaines après la mort de la fille d’Imad, sa grand-mère, Zarifa, 95 ans, est décédée dans le camp de réfugiés de Jabalya, dans la bande de Gaza. Quatre mois plus tard, sa mère, Azaya, est décédée à Jabalya à l’âge de 62 ans. Mais ce n’est pas la dernière perte qu’il a subie.

Imad, affilié au mouvement Fatah, a été coupé de sa famille lorsqu’il a été contraint de fuir Gaza à la suite de la prise de pouvoir du Hamas, et s’est installé à Ramallah. Deux ans plus tard, il a pu faire venir sa femme et ses 11 enfants dans cette ville de Cisjordanie, mais le reste de sa famille élargie est resté dans la prison connue sous le nom de bande de Gaza. Il n’a pas pu assister aux funérailles de sa grand-mère et de sa mère, bien entendu. Il n’a pas foulé son sol natal depuis le 16 février 2007.


La dernière photo de Nour Al Houda

Et puis, la semaine dernière, une quatrième calamité s’est abattue sur Imad - peut-être la plus dure de toutes. Son fils Mohammed, 21 ans, devenu handicapé lorsque des soldats des Forces de défense israéliennes lui ont tiré cinq fois dans la jambe droite en 2019, a de nouveau été abattu par l’armée israélienne - cette fois, mortellement. Il est difficile de croire que le soldat qui lui a ôté la vie n’a pas vu l’état de santé du jeune homme : Mohammed a été tué alors qu’il sautait sur une jambe pour se rendre à sa voiture. Il ne pouvait pas utiliser sa jambe blessée et se déplaçait avec des béquilles ou en sautillant. Aujourd’hui, son père est assis dans le nouvel appartement qu’il a récemment acheté pour sa famille et regarde dans le vide. Un père doublement endeuillé.

VIRIATO SOROMENHO-MARQUES
De Sarajevo à Vilnius, via Bucarest

Viriato Soromenho-Marques, Diário de Noticias, 15/7/2023

Versión española

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

José Viriato Soromenho Marques (nom de plume Viriato Soromenho-Marques) (Setúbal, Portugal,1957) est professeur titulaire à la faculté des lettres de l'université de Lisbonne depuis 2003. Il est diplômé en philosophie de l'université de Lisbonne (1979). Maîtrise en philosophie contemporaine de l'Universidade Nova de Lisboa, obtenue avec la soutenance d'une thèse sur La caractérisation tragique du nihilisme chez Nietzsche (1985). Doctorat en philosophie de l'université de Lisbonne, avec une thèse sur La raison et le progrès dans la philosophie de Kant (1991). Depuis 1978, il a développé une intense activité dans le mouvement associatif lié à la défense de l'environnement, ayant été - de 1992 à 1995 - président de la plus importante association environnementale nationale, QUERCUS- Association nationale pour la conservation de la nature. Membre fondateur de ZERO, en 2016. Bio-bibliographie

La guerre en Ukraine est une tragédie, comme l'était la situation dans les Balkans avant la Première Guerre mondiale. Cependant, l'attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 contre l'héritier de l'empire austro-hongrois, en fait un épisode de la tourmente balkanique, n'est resté dans les mémoires que parce qu'il a déclenché la grande hécatombe européenne et mondiale de 1914-1918. 

L'étincelle balkanique a mis le feu à l'équilibre fragile de l'Europe, qui existait depuis le Congrès de Vienne (1815) et avait été rétabli en 1871, après la fondation de l'Allemagne, à la suite des victoires rapides de Bismarck contre le Danemark, l'Autriche et la France. Dans les quelques semaines qui séparent Sarajevo de l'invasion de la Belgique par l'armée allemande le 4 août 1914, un processus d' “irresponsabilité organisée” (dixit Ulrich Beck), typique des sociétés bureaucratisées contemporaines, s'est mis en place.


Bons baisers de Vilnius, par Oli, Belgique

Un petit groupe de dirigeants médiocres (il n'y avait pas une seule personnalité marquante) refusa d'aller à la racine du problème pour trouver une alternative diplomatique à un conflit généralisé. Ils ont préféré s'en tenir au scénario des alliances et des plans de guerre existants, en aggravant la situation par quelques pincées d'ambiguïté diplomatique (voir le comportement des Britanniques). Médiocrité et dogmatisme “patriotique”, et voilà le monstre de la guerre industrielle moderne en roue libre pendant plus de 4 ans !

Le sommet de l'OTAN à Vilnius présente de dangereuses analogies avec 1914. La multitude de politiciens, de diplomates et de conseillers présents démontre le peu d'attrait actuel de la fonction publique pour le recrutement de talents et la promotion de l'esprit critique. L'OTAN semble souffrir du symptôme que Hannah Arendt a qualifié de “mensonge moderne” : l'adhésion à une falsification de la vérité factuelle qui trompe les créateurs mêmes de la falsification. Ce qui est ressorti de Vilnius, c'est l'escalade sur une voie qui pourrait transformer le prix de la guerre en cours en une hécatombe de destruction thermonucléaire dont le bilan serait des centaines de fois supérieur aux vies perdues entre 1914 et 1918.

S'il y avait eu une quelconque intelligence collective, Vilnius aurait peut-être pu se rappeler le sommet de l'OTAN à Bucarest en avril 2008, lorsque l'Alliance atlantique a invité Kiev à devenir membre. Poutine était présent. Il a expliqué les raisons pour lesquelles, pour la Russie, l'Ukraine devait rester neutre. Il l'a fait devant le secrétaire général de l'OTAN de l'époque, Jaap de Hoop Scheffer, devant le président G.W. Bush et les autres chefs d'État et de gouvernement. Il a souligné la nature “compliquée” de la formation de l'État ukrainien, avec des territoires originellement polonais, tchèques et roumains, et d'autres cédés par la Russie à l'époque de l'URSS, dont la stratégique Crimée. Il a rappelé que 17 des 45 millions d'Ukrainiens (à l'époque) étaient russophones. L'intervention s'est faite dans un esprit de conciliation (malgré les élargissements de l'OTAN en 1999 et 2004). Les propos de Poutine à Bucarest ont eu un certain écho à Paris et à Berlin, mais aucun effet à Washington.

La guerre en Ukraine ne prendra fin, et la paix en Europe ne sera rétablie, que lorsque les intérêts essentiels des différents membres du système international et européen seront pris en compte, y compris ceux de la Russie. Dans les relations internationales, la priorité est de comprendre même ce que l'on condamne. Repousser la plus grande puissance nucléaire du monde hors du concert européen et mondial, en pensant lui faire accepter une défaite sur le champ de bataille conventionnel, est un signe d'incompétence profonde et un danger pour notre survie à tous.

Un bus de l'OTAN sur lequel on peut lire “Armons l'Ukraine” et “Pendant que vous attendez ce bus, l'Ukraine attend des F-16” sur le site du sommet de l'OTAN, à Vilnius, le 11 juillet 2023. Photo Ludovic Marin / AFP