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08/07/2024

YANIV KUBOVICH
Le 7 octobre, l’armée israélienne a ordonné la mise en œuvre de la directive Hannibal pour empêcher le Hamas de capturer des soldats

Yaniv Kubovich, Haaretz, 7 /7/2024
Traduit par Alain Marshal, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala 

« Il y a eu une hystérie démente et on a commencé à prendre des décisions sans vérifier les informations » : des documents et des témoignages obtenus par Haaretz révèlent que l’ordre opérationnel Hannibal, qui ordonne l’utilisation de la force pour empêcher la capture de soldats, a été appliqué dans trois bases de l’armée israéliennes infiltrées par le Hamas, mettant potentiellement en danger des civils israéliens également.


Attaque du Hamas sur les communautés frontalières de Gaza dans le sud d'Israël, le 7 octobre. Photo Hani Alshaer, Anadolu Agency

Les opérations de la Division de Gaza et les frappes aériennes des premières heures du 7 octobre étaient basées sur des informations limitées. Les premiers longs instants qui ont suivi le lancement de l’attaque du Hamas ont été chaotiques. Des rapports étaient reçus, dont la signification n’était pas toujours claire. Lorsqu’ils ont été compris, on s’est rendu compte que quelque chose d’horrible s’était produit.

Les réseaux de communication ne parvenaient pas à suivre le flux d’informations, pas plus que les soldats qui envoyaient ces rapports. Cependant, le message transmis à 11h22 sur le réseau de la Division de Gaza a été compris par tous. L’ordre était le suivant : « Pas un seul véhicule [de combattants palestiniens] ne doit retourner à Gaza ».

À ce stade, les FDI ne connaissaient pas l’ampleur des enlèvements le long de la frontière de Gaza, mais elles savaient que de nombreuses personnes étaient impliquées. La signification de ce message et le sort réservé à certaines des personnes enlevées étaient donc parfaitement clairs.

Ce n’était pas le premier ordre donné par la division dans le but de déjouer un enlèvement, même au détriment de la vie des personnes kidnappées, une procédure connue dans l’armée sous le nom de « procédure Hannibal ».

Des documents obtenus par Haaretz, ainsi que des témoignages de soldats et d’officiers moyens et supérieurs de l’armée israélienne, révèlent une multitude d’ordres et de procédures établis par la Division de Gaza, le commandement sud et l’état-major général de Tsahal jusqu’aux heures de l’après-midi de ce jour-là, montrant à quel point cette procédure était répandue, dès les premières heures suivant l’attaque et en divers points le long de la frontière.

Haaretz ne sait pas si, ni combien de civils et de soldats ont été touchés à cause de ces procédures, mais les données cumulées indiquent que de nombreuses personnes kidnappées étaient en danger, exposées aux tirs israéliens, même si elles n’étaient pas la cible.

À 6h43, alors que des tirs de barrage de roquettes étaient lancés sur Israël et que des milliers d’hommes du Hamas attaquaient les bastions de l’armée et les équipements d’observation et de communication de la division, le commandant de la division, le général de brigade Avi Rosenfeld, a déclaré : « les Philistins ont envahi ».

C’est la procédure à suivre lorsqu’un ennemi envahit le territoire israélien. Un commandant de division peut alors assumer une autorité extraordinaire, y compris le recours à des tirs nourris à l’intérieur du territoire israélien, afin de bloquer un raid ennemi.

Une source très haut placée de l’armée israélienne a confirmé à Haaretz que la procédure Hannibal avait été utilisée le 7 octobre, ajoutant que le commandant de la division n’y avait pas eu recours. Qui a donné l’ordre ? Cela, a déclaré la source, sera peut-être établi par des enquêtes menées après la guerre.

En tout état de cause, selon un fonctionnaire de la défense qui connaît bien les opérations du 7 octobre à la division de Gaza, dans la matinée, « personne ne savait ce qui se passait à l’extérieur ». Il affirme que Rosenfeld était enfermé dans la salle de guerre, « alors qu’à l’extérieur une guerre mondiale faisait rage ».

« Tout le monde était choqué par le nombre de terroristes qui avaient pénétré dans la base. Même dans nos cauchemars, nous n’avions pas prévu une telle attaque. Personne n’avait la moindre idée du nombre de personnes enlevées ni de l’endroit où se trouvaient les forces armées. Il y a eu une hystérie démente, avec des décisions prises sans aucune information vérifiée », poursuit-il.

L’une de ces décisions a été prise à 7h18, lorsqu’un poste d’observation de l’avant-poste de Yiftah a signalé qu’une personne avait été enlevée au poste frontière d’Erez, à côté du bureau de liaison de Tsahal. Le quartier général de la division a donné l’ordre suivant : « Hannibal à Erez, envoyez un Zik ». Le Zik est un drone d’assaut sans pilote, et la signification de cet ordre était claire.

Ce n’était pas la dernière fois qu’un tel ordre était entendu sur le réseau de communication. Au cours de la demi-heure suivante, la division s’est rendu compte que les terroristes du Hamas avaient réussi à tuer et à enlever des soldats postés au point de passage et à la base adjacente. Puis, à 7h41, l’incident s’est reproduit : Hannibal à Erez, un assaut sur le point de passage et la base, juste pour que plus aucun soldat ne soit enlevé. De tels ordres ont également été donnés plus tard.

Le poste frontière d’Erez n’est pas le seul endroit où cela s’est produit. Les informations obtenues par Haaretz et confirmées par l’armée montrent que, tout au long de la matinée, la procédure Hannibal a été appliquée à deux autres endroits pénétrés par les terroristes : la base militaire de Re’im, où se trouvait le quartier général de la division, et l’avant-poste de Nahal Oz, où se trouvaient des guetteuses militaires. Cela n’a pas empêché l’enlèvement de sept d’entre elles et l’assassinat de 15 autres guetteuses, ainsi que de 38 autres soldats.

Au cours des heures suivantes, le quartier général de la division a commencé à rassembler les pièces du puzzle, réalisant l’ampleur de l’attaque du Hamas, mais manquant l’invasion du kibboutz Nir Oz, que les premières forces de l’armée n’ont atteint qu’après le départ des terroristes. En ce qui concerne la fréquence d’utilisation de la procédure Hannibal, il semble que rien n’ait changé. Ainsi, par exemple, à 10h19, un rapport est parvenu au quartier général de la division indiquant qu’un Zik avait attaqué la base de Re’im.

Trois minutes plus tard, un autre rapport de ce type est arrivé. À ce moment-là, les commandos de l’unité Shaldag [unité des forces spéciales sous le commandement de l'armée de l'air israélienne] se trouvaient déjà sur la base et combattaient les terroristes. À ce jour, on ne sait pas si l’un d’entre eux a été blessé lors de l’attaque du drone. Ce que l’on sait, c’est qu’un message a été diffusé sur le réseau de communication, demandant à tout le monde de veiller à ce qu’aucun soldat ne se trouve à l’extérieur de la base, car les forces de Tsahal étaient sur le point d’entrer et de chasser ou de tuer les terroristes restants.

Selon un haut fonctionnaire de la défense, la décision de mener des attaques à l’intérieur des avant-postes hantera les commandants toute leur vie. « Quiconque prenait une telle décision savait que nos combattants dans la zone pouvaient également être touchés. »

07/07/2024

GIDEON LEVY
La chutzpah des négasionistes
Israël n'a pas le droit de critiquer Roger Waters et d'autres personnes qui nient les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre

Gideon Levy, Haaretz, 7/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Israël est horrifié par Roger Waters. Israël est horrifié par les négationnistes du 7 octobre. Il n’y a rien de pire aujourd’hui aux yeux des Israéliens que de nier les atrocités. Ils ont raison. Cela revient à nier l’Holocauste. Les atrocités du 7 octobre sont la justification abusive d’Israël pour tout ce qu’il a fait depuis, et c’est pourquoi leur rage est si féroce.


Aux yeux d’Israël, il est même impossible de ne pas savoir qu’il y a un bébé israélien parmi les otages, même s’il y a 17 000 enfants palestiniens morts, dont la plupart des Israéliens nient l’assassinat odieux.

Guy Lerer, de l’émission d’actualité HaTzinor sur la Chaîne 13, comme ses collègues animateurs propagandistes de télévision, a délibéré la semaine dernière entre deux possibilités : soit Waters est devenu fou, soit il est trompeur. Lerer a choisi les deux. Waters n’est ni l’un ni l’autre, mais il n’a pas besoin de moi pour le défendre.

Le déni du 7 octobre est en effet une injustice qui témoigne d’un manque de compréhension. Le 7 octobre, des crimes horribles ont été commis contre des milliers d’Israéliens innocents, même si des bébés n’ont pas été assassinés dans des fours. On peut et on doit être choqué par ce qu’Israël a fait à Gaza depuis lors, même sans entretenir des théories complotistes sans fondement sur le 7 octobre.

On peut et on doit avoir de l’empathie pour les victimes israéliennes, du festival Nova au kibboutz Nir Oz, d’Ofakim au kibboutz Be’eri, et en même temps être choqué par les crimes d’Israël à Gaza et exprimer sa solidarité avec les millions de victimes qui s’y trouvent. Mettre en doute la véracité de tel ou tel détail n’est pas pertinent, car l’image globale du 7 octobre est claire et choquante.

Le fait que Waters pleure tous les matins pour les enfants de Gaza, comme il l’a dit dans une interview avec Piers Morgan, est une marque d’honneur pour lui et sa conscience. Je connais ses larmes, elles sont sincères.

J’aimerais que davantage d’Israéliens pleurent pour les enfants de Gaza. Ils sont tués, blessés et rendus orphelins en masse. Et pourtant, il ne faut pas minimiser l’ampleur du désastre israélien.

Cela dit, Israël n’a pas le droit de critiquer les négationnistes du 7 octobre ou de toute autre catastrophe nationale. Peu de nations nient les désastres qu’elles ont perpétrés contre d’autres peuples comme le fait le peuple d’Israël. Israël surpasse tous ceux qui nient la vérité, qui se mentent à eux-mêmes et aux autres.

GIDEON LEVY
Les images ne mentent pas, l’armée israélienne a une nouvelle façon de transporter les Palestiniens blessés : sur le capot de ses jeeps

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 6/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ce n’est pas un mais trois Palestiniens blessés et partiellement nus qui ont été humiliés par des soldats des FDI qui les ont forcés à s’allonger sur leurs véhicules chauffés à blanc et à défiler dans Jénine la semaine dernière. L’armée minimise les incidents

Hashem Selith devant sa jeep, cette semaine. Il a reçu deux balles dans la jambe avant d’être forcé à monter dans le véhicule de ses ravisseurs.

Pas une jeep, mais au moins trois véhicules différents des Forces de défense israéliennes. Et pas seulement une équipe de soldats, mais au moins trois équipes différentes convaincues qu’il est à la fois permis et correct d’ordonner à des Palestiniens blessés - non armés et, pour la plupart, ne figurant pas sur la liste des personnes recherchées par Israël - de se déshabiller en leur présence, puis de monter sur le capot brûlant de leur jeep, en s’accrochant désespérément à leur vie, pendant qu’ils sont transportés vers le site de détention et d’interrogatoire de l’armée.

Le clip vidéo qui a fait le tour du monde la semaine dernière montrait un homme blessé, Mujahed Abadi, gisant en sang et sans défense sur le capot d’une jeep conduite par ses ravisseurs et humiliateurs. Il a été libéré sans condition peu après et transporté dans un hôpital de Jénine, où il est toujours soigné pour ses blessures. Abadi n’était pas armé et n’était pas recherché par les FDI. Il a été abattu, battu et emmené par les troupes, sans raison apparente, comme l’atteste sa libération immédiate. Peut-être les soldats s’ennuyaient-ils ? Peut-être étaient-ils animés d’un esprit de vengeance, comme c’est souvent le cas dans l’armée depuis le 7 octobre ? Peut-être ont-ils décidé d’utiliser les blessés comme boucliers humains ?

Ce clip macabre a eu un retentissement considérable - il n’est pas facile de voir un homme blessé, presque nu, étalé sur une surface brûlante - mais beaucoup moins en Israël, bien sûr. Pour sa part, l’unité du porte-parole des FDI a tenté, comme d’habitude, de dissimuler, de blanchir et de minimiser l’incident. « La conduite observée dans la vidéo n’est pas conforme aux directives des FDI sur ce que l’on attend de leurs soldats », a déclaré l’unité dans un communiqué, ajoutant que « l’événement fait l’objet d’une enquête et sera traité en conséquence ».

@eye.on.palestine

Alors que l’armée “enquête” et “agit en conséquence” avec toute l’énergie requise - ce qui signifie, dans le jargon de l’armée, qu’elle ne lève absolument pas le petit doigt - nous nous sommes rendus sur les lieux cette semaine, en haut du quartier Al-Jabriat de Jénine, qui surplombe le camp de réfugiés de la ville, au sud. Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, nous a expliqué que, selon l’enquête qu’il a menée après l’incident, ce n’est pas un seul homme blessé qui a été soumis à cette humiliation par les soldats, le 22 juin. En fait, au moins quatre hommes ont été forcés de s’allonger sur les capots de trois jeeps. On soupçonne maintenant que ce qui a été filmé dans la vidéo d’Abadi n’était pas une anomalie, mais une pratique régulière, appelée procédure de transport des blessés.

06/07/2024

HANEEN ODETALLAH
La philosophie du Hamas dans le roman de Yahya Sinwar Épines et œillets


Haneen Odetallah, 3/7/2024
Original :
فلسفة «حماس»: السياسة والوجود عند يحيى السنوار

Version anglaise : The philosophy of Hamas in the writings of Yahya Sinwar

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Haneen Odetallah   حنين عودة الله est une critique culturelle, autrice et artiste (musique et cinéma) palestinienne. Elle est titulaire d’une licence en architecture de l’université de Bir Zeit et d’un master en analyse culturelle comparative de l’université d’Amsterdam. odhaneen @haneenodetallah

Les concepts d’abnégation, d’ascétisme et de sécurité étaient essentiels à la philosophie de résistance de Yahya Sinwar. La révolte qui a culminé le 7 octobre a été l’application directe de sa pensée politique.

Le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, participe à un rassemblement de victoire dans la ville de Gaza à la suite d’un cessez-le-feu avec Israël après 11 jours de combats, le 24 mai 2021. Photo : Ashraf Amra/APA Images

Le texte suivant a été publié à l’origine en arabe dans Babelwad, sous le titre « La philosophie du Hamas : La politique et l’existence selon Yahya Sinwar », par Haneen Odetallah. La version anglaise a été publiée par le Réseau d'information de la résistance (Resistance News Network). L’auteure utilise le roman du chef du Hamas Yahya Sinwar, “Épines et œillets”, pour analyser l’état d’esprit de la résistance contemporaine, en approfondissant les thèmes de l’autosuffisance [compter sur ses propres forces], du sacrifice et de la vigilance sécuritaire. Odetallah explore la manière dont ces concepts sont ancrés chez les individus pour favoriser l’ascension politique et la libération collective, illustrant les dimensions stratégiques et existentielles de la résistance et offrant une perspective unique sur le cadre idéologique de la résistance.-Mondoweiss

« Nous devons entrer dans l’esprit de Sinwar » : c’est le slogan de la phase actuelle des médias israéliens, qui continuent à diffuser des condamnations bruyantes après que Yahya Sinwar, le chef du Mouvement de résistance islamique (Hamas) à Gaza, a réalisé le plus grand tour de passe-passe en termes militaires et de renseignement de l’histoire de leur entité. Sinwar les a surpris par une bataille baptisée « Déluge d’Al-Aqsa », mais son véritable titre est celui des prisonniers palestiniens, auxquels Sinwar est resté fidèle, étant lui-même un ancien prisonnier libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers appelé « Loyauté des libres ».

Sinwar a passé 23 ans de sa vie en prison, dont quatre à l’isolement, mais il n’a pas perdu une seule de ces années. Il a appris l’hébreu et tout ce qu’il pouvait sur son ennemi, allant même jusqu’à formuler et exécuter un plan de renseignement à long terme derrière les barreaux, ce qui, à l’époque, était d’une grande portée. Sinwar a beaucoup étudié et réfléchi, et il a également écrit. Bien que nous n’ayons pas à « entrer dans l’esprit de Sinwar », je pense que nous devrions au moins « apprendre à connaître sa pensée », pour utiliser une expression moins intrusive.

Mais ce qui est peut-être plus facile que de « pénétrer dans l’esprit de Sinwar », c’est de lire les écrits qu’il a rédigés après des années d’isolement, de contemplation et d’étude.

 En 2004, après une opération complexe et de longue haleine qui a nécessité de grands efforts et le recrutement de nombreux prisonniers, Yahya Sinwar, alors prisonnier, a publié son roman, Al-Shawk wa’l Qurunful [Épines et œillets, ou, comme le voulait l’auteur, Épines d’œillets]*. Le roman traite d’un aspect de l’histoire de la lutte palestinienne au cours de la période historique allant de 1967 à l’Intifada Al-Aqsa du début des années 2000, et de l’émergence du mouvement islamique dans la résistance palestinienne - en particulier le Mouvement de résistance islamique, ou Hamas - dans son contexte social, politique et culturel.

Le roman raconte une histoire qui commence dans une maison d’un camp de réfugiés à Gaza et qui façonnera les valeurs et les choix de ces enfants, qui grandiront pour devenir des figures actives et clés du Mouvement de la résistance islamique. L’histoire s’étend ensuite à la famille, aux voisins, aux habitants du camp, à la bande de Gaza, à la Cisjordanie et au reste des territoires occupés, où chaque personnage forme une pierre qui construit l’expérience du Mouvement de la résistance islamique au cours de ces années.

Le roman historique, réceptacle de la philosophie

Ce roman met en scène des personnages fictifs, mais tous les événements sont réels ; l’aspect fictif provient de la transformation de ces événements en une œuvre qui remplit les conditions d’un roman, comme l’auteur l’indique dans l’introduction. Le choix de l’auteur, avant tout politique et militaire, de documenter cette étape charnière de l’histoire de la résistance armée et de la transmettre sous cette forme créative et romanesque indique qu’il s’agit d’une tentative qui va au-delà de la simple narration de l’histoire et de ses événements. Le roman historique n’est pas seulement un reflet des événements du passé ; c’est une exploration profonde des forces philosophiques et morales qui façonnent les mouvements historiques. Les personnages des romans historiques incarnent et mènent des luttes philosophiques dans le contexte de leur époque [1], c’est-à-dire qu’ils permettent de comprendre la relation complexe entre les croyances personnelles et l’étendue de l’histoire. Quant à l’auteur, il est l’une des figures pionnières du Hamas, qui a assisté à sa création et contribué à sa formation et à son développement depuis sa jeunesse jusqu’à aujourd’hui. En s’écartant des limites de l’historiographie traditionnelle pour aborder des luttes dramatiques novatrices dans l’histoire, il explore ses dimensions philosophiques, en particulier l’impact des croyances sur l’histoire. Dans le contexte de l’histoire du Hamas, cela lui permet de formuler une philosophie pour le mouvement de résistance islamique.

L’histoire est racontée du point de vue d’Ahmad, le fils du camp de réfugiés qui ouvre les yeux pour la première fois sur la dureté du monde : le camp, la guerre et la disparition de son père, un combattant de la résistance, sans laisser de traces. Ahmad observe l’environnement et les conditions de vie du camp, la pauvreté, le froid, la pluie qui s’infiltre par le plafond pendant qu’ils dorment et les suit jusqu’à leur salle de classe à l’école de l’UNRWA. Il observe la communauté du camp et sa culture, voyant le souci de sa mère pour l’honneur et la réputation des autres - surtout quand il s’agit de leurs filles - et sa sévérité en la matière. Inversement, il éprouve de la joie à accompagner son grand-père à la prière et aux réunions sociales dans la mosquée du camp.

Ahmad observe les transformations politiques dans le camp, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et dans l’ensemble des territoires occupés ; il est témoin des couvre-feux, des sièges, de la chasse incessante aux résistants et des punitions collectives. Il est témoin de la normalisation de l’occupation, de la stabilité matérielle, des permis de travail et des voyages d’agrément dans les territoires occupés, grâce auxquels de plus en plus d’individus sont contraints et forcés de collaborer avec l’ennemi. Ahmad observe les prisons israéliennes dont lui, ses frères, ses proches et ses connaissances sont sortis, témoignant du pouvoir de la détermination et de l’organisation pour changer la réalité. Plus important encore, Ahmad observe comment les armes et la lutte pour la liberté évoluent en réponse à ces conditions, en voyant des hommes qui ont été façonnés par la résistance et qui, à leur tour, l’ont façonnée. Ahmad retrace l’émergence du Hamas en suivant les personnages qui l’ont formé, développé et incarné, résumé dans son cousin Ibrahim, le fils du martyr qui a grandi avec lui dans la même maison avec la même mère, et qui est devenu un modèle de véritable leadership et de construction de la destinée politique.

Le narrateur joue le rôle d’un observateur participant : il ne se contente pas de regarder, mais il accompagne Ibrahim dans son travail, son éducation et son parcours de lutte. Bien qu’il ait rejoint Ibrahim dans les manifestations, qu’il ait organisé des sit-in religieux et éducatifs dans la mosquée Al-Aqsa et qu’il ait assuré la sécurité en chassant les collaborateurs, le narrateur n’a pas adhéré officiellement au mouvement jusqu’à la fin : « Bien que je ne me considère pas comme un membre ou un partisan du “Bloc islamique”, je n’avais pas d’autre choix que d’élire mon cousin et sa liste, car notre vie commune et mon admiration personnelle pour lui ne me permettaient pas de faire autrement ».

04/07/2024

GIDEON LEVY
La réaction à la libération du médecin de Gaza Mohammed Abu Salmiya révèle l’état effroyable de la société israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 3/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Quiconque veut savoir ce qui est arrivé aux Israéliens depuis le 7 octobre est invité à regarder comment s’est passée la libération de prison du directeur de l’hôpital Al-Shifa. Le Dr Mohammed Abu Salmiya est resté en prison pendant sept mois, sans contrôle judiciaire, sans inculpation, sans culpabilité.


Le docteur Mohammed Abu Salmiya, directeur de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza, en novembre 2023. Photo AFP

 

Mohammed Abu Salmiya après sa libération, à l’hôpital Nasser de Khan Younès, lundi. Photo Mohammed Salem/ REUTERS

Il a été enlevé par Israël de la même manière que le Hamas avait enlevé les otages israéliens et a été jeté en prison. Comme pour les otages israéliens, sa famille ne savait rien de son sort, et ni les représentants de la Croix-Rouge ni son avocat n’ont été autorisés à lui rendre visite.

Le Dr Issam Abu Ajwa, chirurgien, a été libéré avec lui lundi et a raconté les horribles sévices qu’il a subis. Sa photo avant et après ne laisse aucun doute sur la véracité de ses dires.

Les 50 autres Palestiniens libérés n’ont pas été montrés dans les médias israéliens, bien sûr, mais les spectateurs étrangers ont vu des adultes qui sont devenus des coquilles brisées : décharnés, timides, au corps osseux et aux jambes grêles, blessés, meurtris et pleins de blessures.

Abu Salmiya, heureusement pour lui, n’a pas été jeté dans le goulag de Sde Teiman, et n’a donc pas été torturé à mort comme ses deux collègues, le Dr Adnan Al-Bursh, chirurgien gazaoui de renom, et le Dr Iyad Rantisi, qui dirigeait un hôpital pour femmes, faisant partie de l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahiya.

Pour les Israéliens qui s’émeuvent de sa libération, Israël a eu tort de ne pas le tuer lui aussi, par les coups, la famine, la maladie ou d’autres formes de torture. Israël veut voir les médecins, comme tout le monde à Gaza, mourir d’une mort atroce.

03/07/2024

REBECCA RUTH GOULD
Effacer la Palestine
Liberté d’expression et liberté palestinienne

 Rebecca Ruth Gould, 2023

Ci-dessous une traduction du prologue du livre Erasing Palestine (Verso 2023), par Layân Benhamed, éditée par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Je suis... un Juif par la force de ma solidarité inconditionnelle avec les persécutés et les exterminés »
— Isaac Deutscher, « Qui est juif ? » (1966)

Prologue : Sur l’accusation d’antisémitisme (p. 1-11)

Février 2017 a marqué un tournant dans l’histoire de l’activisme pour la Palestine au Royaume-Uni. Ce mois tumultueux a vu les Palestiniens et les militants propalestiniens submergés par une vague sans précédent d’annulations d’événements et d’attaques contre leur droit de protester contre l’occupation. Février 2017 a également marqué un tournant dans mon propre engagement envers la Palestine et la liberté d’expression. J’étais arrivée au Royaume-Uni à l’été 2015 pour commencer à enseigner à l’Université de Bristol. Ma carrière académique itinérante m’avait menée de Damas à Berlin, et finalement en Palestine et en Israël. De 2010 à 2011, j’ai fait la navette entre la Palestine et Israël plusieurs fois par semaine. J’ai vécu à Bethléem en Cisjordanie, en face du mur de l’apartheid, le long duquel je marchais sur le chemin de l’Institut Van Leer où j’étais chercheuse postdoctorale1.

L’Institut Van Leer est situé au cœur du quartier historique de Talbia à Jérusalem-Ouest. À une autre époque, treize ans avant la fondation de l’État d’Israël en 1948, le critique palestino-américain Edward Said est né dans ce quartier. Son cousin a abandonné la maison familiale en 1948, juste après sa chute aux mains de la milice paramilitaire sioniste Haganah, coupant à jamais les liens de Said avec sa patrie.2 Maintenant, des décennies plus tard, l’Institut Van Leer a joué un rôle central dans les débats autour des définitions de l’antisémitisme. En 2020, il a servi de lieu virtuel et physique pour la rédaction de la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme (JDA) et a accueilli de nombreux événements pour soutenir sa diffusion.3


Bethléem-Jérusalem : un parcours du combattant de moins de 9 petits km


En rouge, le tracé de la “barrière de séparation” ou “clôture de sécurité” israélienne (Geder Habitahon), ou encore Mur de l’apartheid (جدار الفصل العنصري جدار الفصل العنصري, jidar alfasl aleunsurii) entre Bethléem et Jérusalem

 

Un labyrinthe de béton et d'acier. Source : Alexandra Rijke & Claudio Minca, “Inside Checkpoint 300: Checkpoint Regimes as Spatial Political Technologies in the Occupied Palestinian Territories”, Antipode, March 2019

Bien que l’Institut Van Leer fût situé à seulement quelques kilomètres de mon domicile, le trajet depuis Bethléem prenait plusieurs heures. Chaque matin, lorsque je devais me rendre à Jérusalem, je faisais la queue avec des travailleurs palestiniens fébriles et privés de sommeil au tristement célèbre Checkpoint 300 [poste de contrôle]. En attendant dans la file, j’observais souvent le traitement préférentiel que moi, en tant qu’étrangère, recevais de la part des soldats de l’armée israélienne (FDI) gardant le checkpoint. Le contraste entre la manière dont ils me traitaient et celle dont ils traitaient les autochtones de la Palestine était impossible à ignorer. Les soldats israéliens me permettaient, ainsi qu’aux autres détenteurs de passeports étrangers, de passer rapidement à travers les détecteurs de métal, tandis que les travailleurs palestiniens devaient souvent rester des heures, ce qui les retardait pour leur travail et leur faisait perdre un revenu vital.

Le deux poids deux mesures était visible partout. Les barrières métalliques derrière lesquelles nous attendions avaient des rangées séparées pour les étrangers et les Palestiniens. Des politiques différentes s’appliquaient à chaque rangée. À certaines heures, seuls les étrangers pouvaient attendre dans la file. Il n’était pas difficile de deviner quelles rangées nécessitaient le plus d’attente.

J’avais rarement vu une discrimination aussi flagrante. J’évoquais ces scènes dans quelques strophes que j’ai écrites à l’époque :

Les travailleurs saluent l'aube
derrière les barreaux du poste de contrôle 300,
en attendant de construire les maisons des colons
avec du calcaire volée
.4

J’ai appelé ce poème « Calcaire volé », en référence aux façades en albâtre des nombreux bâtiments qui brillaient sur les collines de Bethléem et de la ville voisine de Beit Jala, sur mon chemin vers Jérusalem. Ces bâtiments avaient été construits par des ouvriers palestiniens mal rémunérés, qui devaient attendre des heures aux checkpoints juste pour atteindre les bus qui les emmèneraient au travail.5 « Calcaire volé » réfléchit sur ma complicité au sein du système d’apartheid qui se développait à l’époque de ma résidence à Bethléem, et qui est devenu encore plus enraciné depuis mon départ.

Mon salaire était financé par une bourse établie par un philanthrope israélien. En acceptant cette bourse, je violais le boycott des institutions académiques israéliennes auquel participaient nombre de mes amis et collègues. Avant de l’accepter, j’ai débattu de l’éthique de cette décision avec des amis. Je voulais voir la Palestine – et y vivre – de première main. Une bourse de cinq ans à Jérusalem me permettrait de vivre en Palestine, spécifiquement à Bethléem en Cisjordanie, à quelques kilomètres seulement. Une amie proche venait de rentrer de Bethléem et elle a arrangé un appartement où je pourrais rester. C’était potentiellement une opportunité de changer ma vie à long terme en vivant en Palestine. Je sympathisais avec le boycott, mais je sentais aussi que je pourrais mieux contribuer à ces questions en étant témoin direct de l’occupation et en la vivant – même si ce n’était que temporairement.

Lorsque l’Institut Van Leer m’a attribué la bourse, il n’avait aucune idée que je prévoyais de vivre en dehors d’Israël et de faire la navette vers Jérusalem. Lorsque je suis arrivée à Jérusalem et leur ai dit que je vivrais en Palestine, il était trop tard pour qu’ils refusent ma demande. À la différence des Israéliens, j’étais légalement autorisée à résider dans les Territoires occupés. Contrairement aux Palestiniens, je pouvais entrer à Jérusalem sans demander de permission spéciale. Ces fréquentes navettes à travers des checkpoints encombrés et l’exposition à deux géographies radicalement différentes qui se jouxtaient m’ont amenée à voir l’occupation d’une manière complètement différente. Cette expérience directe de l’occupation a intensifié et justifié mon soutien au boycott. Jusqu’à mon arrivée en Palestine, mon soutien était basé sur des informations de seconde main.

C’est en vivant à Bethléem durant l’été 2011 que j’ai fini par écrire un article polémique qui condensait toute ma frustration face à tout ce que j’avais observé en Israël, en faisant la navette entre Bethléem et Jérusalem, en parlant avec des Israéliens qui n’avaient jamais visité les Territoires occupés – ce que la loi israélienne leur interdisait de faire – en observant et en habitant la bulle dans laquelle vivent les Israéliens tandis que leurs voisins palestiniens subissent des niveaux infiniment plus élevés de privation économique, de chômage et de violence en raison des politiques et préjugés israéliens.

Je vivais à quelques rues du mur que construisait Israël sous prétexte de sécurité, bien qu’il traversât directement le territoire palestinien. Des maisons avaient été coupées en deux par cette construction de pierre. Des plaques commémoratives avaient été érigées sur les décombres. Quelques années après mon départ de Bethléem, ces murs bifurqués seraient immortalisés dans le Walled Off Hotel, un édifice initialement créé par l’artiste de rue Banksy basé en Angleterre comme une exposition temporaire, devenant finalement un élément permanent de l’occupation. J’ai été témoin de patrouilles lourdement armées des FDI dans les rues, remplissant les Palestiniens de peur. Je ne pouvais plus justifier de vivre dans – et de recevoir un revenu de – ce système corrompu et discriminatoire. Bien que j’aie été témoin du carnage de la guerre de première main – j’avais visité Grozny peu après que la ville eut été rasée par des frappes aériennes russes en 2004 – les insultes et humiliations quotidiennes des Palestiniens que j’ai observées dans les Territoires occupés me rendaient malade. J’ai décidé de mettre fin à ma bourse pour le bien de ma propre santé mentale.

C’est à cette époque que j’ai écrit une courte polémique provocante intitulée « Beyond Antisemitism » (« Au-delà de l’antisémitisme »). Ce travail allait me hanter de nombreuses années plus tard, en me propulsant dans des circonstances qui ont conduit à la rédaction de ce livre. J’étais furieuse contre moi-même – entre autres – de ne pas pouvoir arrêter les abus historiques qui avaient normalisé la censure des voix palestiniennes. Je l’ai envoyé au magazine radical de gauche Counterpunch. J’ai reçu une réponse dans les heures qui ont suivi de la part du journaliste et rédacteur Alexander Cockburn, décédé l’année suivante. Cockburn l’a apprécié et m’a dit qu’il le publierait dans l’édition imprimée.6

Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un chèque de 100 dollars dans ma boîte aux lettres à l’Institut Van Leer, avec une courte note me remerciant pour ma contribution. Nous n’avions jamais discuté des termes de paiement, et je n’avais jamais partagé mon adresse avec Cockburn, donc l’argent fut une surprise.

Rétrospectivement, je peux voir comment le titre « Beyond Antisemitism » pouvait avoir semblé incendiaire, surtout sorti de son contexte. Il était calculé pour provoquer. Le titre a également été choisi pour critiquer l’utilisation politique du discours sur l’antisémitisme pour faire taire les discussions sur l’occupation de la Palestine. J’ai écrit sur ce que j’avais observé de première main pendant ma résidence en Palestine et mes trajets réguliers en Israël. Je n’aurais pas utilisé un tel titre si j’avais vécu n’importe où en Europe, où les sites de la plus grande atrocité du XXe siècle forment un sous-texte perpétuel à chaque discussion sur l’antisémitisme aujourd’hui. Mais je n’écrivais pas depuis l’Europe, ni d’ailleurs depuis le Royaume-Uni. Je n’avais jamais mis les pieds en Angleterre à ce moment de ma vie. J’écrivais depuis la Palestine après avoir travaillé un an en Israël, et par frustration de ma complicité avec le système injuste dans lequel je vivais et travaillais. On pourrait se demander : quel rapport l’antisémitisme a-t-il avec cela ? Indirectement, sinon explicitement, l’antisémitisme était le prétexte pour les injustices que j’observais chaque jour contre les Palestiniens. La peur d’être accusé d’antisémitisme rend difficile de s’exprimer, et c’est pourquoi tant d’entre nous qui témoignons de la discrimination anti-palestinienne – Israéliens et non-Israéliens – gardent le silence. Notre silence est une complicité. Cette complicité réduit également les Palestiniens au silence, cachant leurs expériences à la vue du public.

« Beyond Antisemitism » soutenait que la longue histoire de l’antisémitisme et de l’Holocauste constitue la toile de fond contre laquelle des vies palestiniennes sont sacrifiées. L’idée ne m’était pas venue quand je vivais à Berlin, avant d’accepter la bourse de Jérusalem. J’ai découvert cette dynamique intégrée dans la vie quotidienne des Israéliens en faisant la navette entre mon bureau en Israël et ma maison palestinienne. L’amnésie dans laquelle vivent les Israéliens me rappelait grandement ma propre éducation aux USA. Le génocide des Amérindiens était complètement supprimé de nos programmes scolaires, et l’esclavage était un sujet délicat que nos enseignants évitaient de discuter directement. Les traumatismes de l’histoire juive, et la peur compréhensible que cette histoire puisse un jour se répéter, avaient également conduit à des distorsions et des suppressions du passé. Les mémoires traumatiques et la peur de leur répétition hantaient mes conversations avec les Israéliens. Ces peurs remplissent les ondes radio israéliennes et façonnent la mémoire culturelle du peuple israélien. L’État israélien fait tout ce qu’il peut pour maintenir l’accent sur le traumatisme historique des Juifs. Pourtant, comme l’a remarqué Isaac Deutscher en 1967, même lorsque les dirigeants israéliens « surexploitent Auschwitz et Treblinka... Nous ne devrions pas permettre des invocations d’Auschwitz pour nous faire du chantage afin que nous soutenions une mauvaise cause. »7 « Beyond Antisemitism » était une polémique contre les silences forcés imposés par les traumatismes du XXe siècle, qui détournent l’attention de l’occupation des terres palestiniennes et de la dépossession du peuple palestinien. Après un an de résidence à la frontière entre Israël et la Cisjordanie, j’étais certaine qu’il n’y avait aucune justification pour les checkpoints discriminatoires et le système de bus ségrégué, ni pour le système archaïque de laissez-passer et de règlements qui restreignent grandement l’accès des Palestiniens à l’emploi et les maintiennent dans la pauvreté.

01/07/2024

AHMED NADHIF
Comment nous avons perdu l’Inde : pourquoi New Delhi est-elle devenue une partisane d’Israël ?

Ahmed Nadhif, Hiber, 9/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Ahmed Nadhif est un journaliste et chercheur tunisien, traducteur au Courrier de l’UNESCO à Paris.

Il y a 85 ans, le Mahatma Gandhi finalisait la position du Parti du Congrès indien sur les intentions du mandat britannique de céder la Palestine aux Juifs. En novembre 1938, Gandhi écrivait : « Ma sympathie pour le sort des Juifs ne me rend pas aveugle aux exigences de la justice. La revendication d’un foyer national pour les Juifs ne m’intéresse pas beaucoup. La Palestine appartient aux Arabes au même titre que l’Angleterre appartient aux Anglais ou la France aux Français. Il est erroné et inhumain d’imposer les Juifs aux Arabes. Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine ne peut être justifié par aucun code de conduite moral. Ce serait certainement un crime contre l’humanité que de réduire le nombre d’Arabes pour faire de la Palestine, en partie ou en totalité, une patrie juive ». La position de Gandhi était motivée, outre les impératifs de justice, par l’ennemi commun des Arabes et des Indiens, la Grande-Bretagne. L’homme avait depuis longtemps fait l’expérience des machinations des Anglais et des tragédies du colonialisme de peuplement. La position pionnière de Gandhi a caractérisé les positions du Parti du Congrès, même après le départ du Mahatma en 1947 et la naissance d’Israël en 1948.

 

Il y a deux mois, le Premier ministre indien Narendra Modi a dénoncé sur Twitter l’opération Déluge d’Al Aqsa : « Profondément choqué par les attaques terroristes en Israël. Nos prières accompagnent les victimes innocentes et leurs familles. Nous sommes solidaires d’Israël en ces temps difficiles ». Bien que la solidarité internationale avec Israël ait commencé à s’émousser quelques jours après l’attaque, qui a été suivie par les représailles brutales d’Israël contre les civils à Gaza, Modi a continué à se ranger du côté d’Israël lorsqu’il a écrit quelques jours plus tard, à la suite d’un appel téléphonique avec Netanyahou : « Le peuple de l’Inde se tient fermement du côté d’Israël : le peuple indien soutient fermement Israël en ces temps difficiles. L’Inde condamne fermement et sans équivoque le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations ». Le 19 octobre, le ministère indien des Affaires étrangères a réitéré son soutien à la guerre contre le terrorisme.

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Entre la position de Gandhi et du Parti du Congrès et celle de Modi, le leader du Bharatiya Janata Party (BJP), il y a un large fossé qui révèle les changements radicaux qui ont eu lieu en Inde au cours des huit dernières décennies, pendant lesquelles nous, Arabes, ou plus précisément la Palestine, avons perdu un allié fort qui non seulement a cessé de soutenir notre cause, mais est passé dans le camp opposé, en soutenant l’entité d’occupation. Comment cela s’est-il produit, dans quel contexte, et tous les Arabes sont-ils responsables de ce changement ?

Comment avons-nous perdu l’Inde ?

La naissance de l’Inde indépendante en 1947 a coïncidé avec l’intensification du conflit en Palestine et l’expansion des bandes sionistes. Jawaharlal Nehru, successeur de Gandhi et premier Premier ministre, a rejeté les décisions du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine (UNSCOP), qui appelait à la partition de la Palestine entre Arabes et Juifs. L’Inde a également voté contre l’admission d’Israël aux Nations unies en 1949. Vingt ans plus tôt, Nehru avait défendu la même position aux côtés des nationalistes arabes lors du Congrès des nationalités opprimées de Bruxelles en 1927, qui avait vu la création de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale. En 1947 à l’ONU, ‘Inde, soutenue par l’Iran et la Yougoslavie, a proposé la création d’un Palestine fédérale assortie d’une autonomie interne pour les Juifs, mais la proposition a été rejetée.

En mai 1960, Nehru visite la Bande de Gaza (alors administrée par l’Égypte) et passe en revue les soldats indiens de la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) créée en 1956 durant la crise de Canal de Suez. L’avion de l’ONU qui le ramène à Beyrouth subit une tentative d’interception de l’aviation israélienne. Voir vidéo de la visite

La minorité musulmane de l’Inde était un élément clé de la politique de Nehru, mais ce n’était pas le seul motif de ce parti pris indien pour le côté arabe. À partir des années 1950, Nehru s’oriente vers l’établissement d’une ligne de non-alignement, dont le président égyptien Gamal Abdel Nasser est une figure clé. Bien que le gouvernement indien ait reconnu l’État hébreu en septembre 1950, il a refusé d’établir des relations diplomatiques avec lui. Ce soutien indien n’a cependant pas empêché les Arabes de se ranger du côté de la Chine lors de la guerre sino-indienne de 1962 pour le contrôle des régions frontalières de l’Aksai Chin et de l’Arunachal Pradesh. Lors des guerres pakistano-indiennes de 1965 et 1971, l’allié égyptien est resté neutre, tandis que le reste des capitales arabes s’est rangé du côté d’Islamabad. En 1969, le Pakistan a réussi à dissuader l’Organisation de la conférence islamique (OCI), dont un tiers des membres appartient à la Ligue arabe, d’admettre l’Inde au sein de l’organisation, alors que le pays compte plus de musulmans que certains pays arabes.