Dans la nuit du 2 mars, Israël a éliminé quatre générations de ma famille. J’ai à peine survécu au massacre. Il m’incombe désormais de raconter leur histoire.
Reem A. Hamadaqa, Mondoweiss, 13/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Reem A. Hamadaqa, 24 ans, est assistante d’enseignement à l’Université islamique de Gaza et traductrice. Elle écrit pour et sur la Palestine. Vous pouvez la suivre sur X @reemhamadaqa et instagram reemhamadaqa
La nuit du 2 mars 2024, Israël a anéanti quatre générations de ma famille en une seule nuit. Une frappe israélienne vers minuit a tué 14 membres de ma famille. Cela a emporté l’essence même de ma vie, mes êtres les plus chers, et m’a marquée comme une survivante.
« Allez vers le sud, sinon nous ferons tomber cette école sur votre tête », ont prévenu les soldats israéliens lorsque nous avons décidé de quitter notre maison dans le nord de Gaza. À ce moment-là, ma famille avait déjà survécu à 40 jours de bombardements, accueillant souvent des dizaines de personnes déplacées chez nous. Après ce message, nous n’avions pas d’autre choix que de fuir.
Notre premier arrêt fut une école voisine de l’UNRWA. C’était notre première tentative pour trouver un semblant de “sécurité”. Nous avons marché pendant plus de six heures sous un soleil brûlant pour atteindre le sud, où, en fin de compte, ma famille a été tuée dans une zone soi-disant “sûre” où l’occupation israélienne nous avait dit d’aller.
Nous avons survécu près de 100 jours chez mon oncle maternel à Khan Younès. Ce n’était pas le meilleur endroit pour trouver de la nourriture ou de l’eau, mais on nous avait assuré que c’était sûr. Sa maison se trouvait dans le bloc 89, désigné par l’occupation comme un bloc “vert”. C’est pourquoi nous sommes restés sur place et n’avons pas fui. Mais nous étions déjà déplacés.
La maison était remplie d’une douzaine de femmes et d’enfants lorsque, le 2 mars, les bombardements intensifs ont commencé vers 22h30.
Environ une heure plus tard, j’ai échangé un dernier regard avec mes parents, mes sœurs, mes cousins, ma grand-mère, et sans le savoir à l’époque, avec toute ma vie. J’ai lu le troisième chapitre d’un roman, j’ai discuté avec mes parents, nous avons appelé ma sœur qui était déplacée à Rafah dans une tente. J’ai taquiné ma sœur cadette. Je me suis endormie, fermant involontairement le dernier chapitre de ma vie.
J’ai été réveillée par des bombardements massifs, des explosions en chaîne qui semblaient interminables.
Terrifiée, je me suis réveillée en hurlant. Mon père et ma mère étaient près de la porte. Heba, ma sœur aînée, était à mes côtés. Nous avons crié. Par la fenêtre, tout ce que je pouvais voir devant la maison était en feu. Ces scènes résonnaient avec l’état de nos cœurs.
« Papa ! N’ouvre pas la porte ! » avons-nous crié. En quelques secondes, la maison était sur nous. J’ai senti les murs et le plafond s’effondrer, la pièce explosait autour de moi. J’ai vu le dos de papa et maman, et j’ai senti Heba à mes côtés, criant. J’ai vu Ola, endormie, insensible à l’explosion massive.
Je me suis réveillée sous les décombres.
C’était la pleine lune. Il faisait si sombre qu’il étaitprobablement minuit, et il faisait si froid. L’hiver ne nous avait pas encore quittés. J’étais seule, coincée sous les décombres, incapable de bouger.
Même après avoir lu des histoires sur la sensation d’être piégé sous les décombres, cela n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé. Je ne savais pas combien de temps j’étais restée inconsciente. Quand je me suis réveillée, j’ai cru que c’était un rêve, un cauchemar. La douleur était insupportable.
J’ai crié de toutes mes forces, cherchant je ne sais quoi. J’ai retiré les pierres qui pesaient sur mes mains, ma poitrine, mon ventre. Elles étaient lourdes, mais ma respiration l’était encore plus. J’ai attendu l’inconnu.
J’ai entendu mon oncle crier, appelant ses fils, et j’ai entendu un homme fuyant devant les chars appeler mon oncle, venant de derrière. J’étais incapable de dégager mes jambes des décombres. Près d’une heure plus tard, mon frère et mon cousin, qui vivaient dans la maison en face, m’ont trouvée. Miraculeusement, Ahmad m’a sauvée. Il a soulevé des tonnes de pierres qui m’écrasaient.
Au lieu d’ambulances, des tanks
Ahmad m’a soulevée et m’a portée sur son dos en courant. Chaque pas qu’il faisait brisait mon âme de douleur. Il m’a emmenée chez lui, à quelques mètres de là. Cette maison aussi avait été touchée. Des éclats de verre et des meubles jonchaient le sol, coupant quiconque entrait. Ahmad m’y a déposée.